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La porte des cent-mille songes

La porte des cent-mille songes

Si j’a­vais été éle­vé dans le Sud-est asia­tique, j’au­rais dit, sur un ton presque déta­ché, un léger sou­rire au coin des lèvres et le goût de l’eu­phé­misme che­villé au corps, que cette année a res­sem­blé à l’an­née de toutes les décon­ve­nues. « Décon­ve­nue…» Voi­ci un mot qui en lui-même, quel que soit le niveau où l’on se trouve, consti­tue le plus éle­vé des euphé­mismes, c’est comme une sorte de paran­gon transcendantal.

« Les grands voyages ont ceci de mer­veilleux que leur enchan­te­ment com­mence avant le départ même. On ouvre les atlas, on rêve sur les cartes. On répète les noms magni­fiques des villes incon­nues… » Joseph Kes­sel.

Dans mes rêve­ries aéro­por­tuaires, j’ai vu des noms de villes incon­nues appa­raître sur les tableaux d’af­fi­chage de Bang­kok : Mas­cate, Chit­ta­gong, Shan­ghai, Guangz­hou, Hong Kong, Hô-Chi-Minh-Ville, Vien­tiane… Des villes incon­nues, que je ne connais pas, dont la seule idée que j’ai n’est qu’un nom dont je ne connais même pas l’o­ri­gine. Même si je ne les avais déjà fré­quen­tées, elles me seraient tou­jours autant incon­nues et leur nom conti­nue­rait de me faire rêver. Je ne connais rien. Je ne suis qu’un puits sans fond, sans connais­sance, sans certitude.

Lorsque je suis arri­vé à Hà Nội, la ville entre les fleuves, j’ai vite cher­cher à en étu­dier la carte pour me repé­rer. Lorsque j’ar­rive dans une grande ville, je cherche les quar­tiers qui selon leur urba­ni­sa­tion peuvent pré­sen­ter quelque inté­rêt à mes yeux, avec mes pré­ju­gés bien pro­fon­dé­ment enfouis d’Oc­ci­den­tal per­ver­ti. Sou­vent je me trompe. Je me suis vite aper­çu que la rue dans laquelle j’a­vais posé mes valises, Hàng Bông, l’an­cienne rue du coton, était un des axes majeurs, mal­gré sa lar­geur toute rela­tive si on la com­pare aux ave­nues que l’on trouve sur les prin­ci­pales artères d’une ville asia­tique, menant au quar­tier des 36 cor­po­ra­tions. Ce nom m’a fait rêver pen­dant quelques jours avant que je n’y mette les pieds. Comble du déses­poir, j’ai conti­nué à cher­cher l’en­trée du quar­tier alors que cela fai­sait bien une demi-heure que je m’y étais enfon­cé, ne com­pre­nant pas où se trou­vaient les limites de ce quar­tier qui fina­le­ment n’existe que dans les guides tou­ris­tiques. Ici, c’est sim­ple­ment l’an­cien quar­tier. Parce qu’il n’y a pas d’im­meubles et qu’on y a gar­dé l’an­cienne voi­rie, celle des­si­née par le regrou­pe­ment des 36 cor­po­ra­tions qui n’existent plus depuis bien long­temps. On trouve encore ça et là des îlots de bou­tiques déla­brées, au charme antique et désuet, ven­dant encore ce que plus per­sonne n’a­chète. Ici et là, des per­sonnes âgées lar­ge­ment en âge d’être cajo­lées par leur famille conti­nuent à tenir leur échoppe comme on le fai­sait au début du siècle pré­cé­dent, dans un ordre cal­cu­lé ; les petites phar­ma­cies tra­di­tion­nelles conti­nuent de conser­ver leurs potions aux noms peu évo­ca­teurs et à l’as­pect étrange dans des bocaux, tous bien ran­gés der­rière le verre bour­souf­flé des vitrines qui sont en réa­li­té bien plus des armoires ou des vais­se­liers d’un autre âge. Les bou­tiques plus modernes vivent dans une espèce de fatras inco­hé­rent tout sim­ple­ment étour­dis­sant. Je me sens étran­ge­ment bien dans cette antique ville de Hà Nội, que j’ai mis un point d’hon­neur à sillon­ner pen­dant quatre jours, décou­vrant sans cesse de nou­velles bou­tiques, ici un temple qu’un simple lam­pion chi­nois déla­vé par le soleil mais encore tein­té de rouge signale sur le bord du trot­toir, ici un immeuble antique au bal­con de bois man­gé par une colo­nie d’or­chi­dées qui n’ont aucun mal à pous­ser dans la touf­feur et la cha­leur de la capi­tale. Je me suis sen­ti à la fois bien et déses­pé­ré de décou­vrir encore un ter­ri­toire que je n’al­lais pas avoir le temps de lais­ser m’en­ve­lop­per pour en tom­ber malade. Hà Nội tou­chée une fois de plus par une épi­dé­mie de dengue… incite à se bar­bouiller de lotion anti-mous­tiques sur­vi­ta­mi­née. Il n’y a aucune rai­son, mais je suis pas­sé au tra­vers du tamis. Le voyage c’est cet ins­tant où on tombe malade de ce qui nous entoure, une mala­die rare, orphe­line, et incu­rable. Dou­lou­reuse, mor­telle, enva­his­sante et sur­tout très addic­tive. Rien ne sau­rait vou­loir me faire sor­tir, moi le valé­tu­di­naire, de cette tor­peur infer­nale qui me sai­sit à chaque fois.

Un tour­billon ne dure pas toute la matinée.
Une averse ne dure pas toute la jour­née. Lao Tseu

Ava­lo­ki­teś­va­ra, le bod­hi­satt­va de la com­pas­sion, « sei­gneur qui observe depuis le haut », dont le nom est invo­qué par la for­mule ॐ मणिपद्मेहूम्, m’ac­com­pagne encore par sa pré­sence léni­fiante, comme une nou­velle drogue venant contre­car­rer une autre, toute aus­si puis­sante. Ici Boud­dha est mino­ri­taire, sup­plan­té par une reli­gion dont je défie qui que ce soit de me dire en quoi elle consiste. C’est à n’y rien com­prendre. Je reste pan­tois, dans la cha­leur étouf­fante d’une vieille mai­son trans­for­mée en temple, devant la pro­fu­sion d’i­doles chi­noises, de pou­pées aux vête­ments de satin ornés de motifs chi­nois, de fruits consa­crés dont la fameuse main de boud­dha, fruit impro­bable, cédrat pro­téi­forme curieux qui n’a pour moi guère plus de sens que les bou­teilles d’eau miné­rale ou les vases vides, que les lampes à pétrole allu­mées, que les ex-voto lar­dées d’ins­crip­tions chi­noises, que les mul­tiples objets entas­sés dont l’en­tas­se­ment a prio­ri aléa­toire me donne lit­té­ra­le­ment la nau­sée, ne recon­nais­sant rien, ne posant plus de sens sur quoi que ce soit tel­le­ment ce monde est vide de toute signi­fi­ca­tion pour moi. C’est comme ten­ter de retrou­ver les dif­fé­rents sens des objets jetés sur une nature morte hol­lan­daise du XVIIè siècle. On finit par aban­don­ner, ter­ras­sé par la fatigue et la cha­leur, et je res­sors du réduit qui y mène, haras­sé, débor­dant d’un épui­se­ment né dans le creux de mon igno­rance. On croit sans arrêt en apprendre plus, on se retrouve en fin de compte plon­gé dans la fange de sa propre fatuité.

Pho­to © Daoan

Le voyage m’a fati­gué plus que je ne l’a­vais ima­gi­né. La Thaï­lande m’a appor­té le récon­fort d’une absence de sens, parce qu’à un moment don­né, j’ai tout fait pour ces­ser de com­prendre, me lais­sant por­ter par mes propres errances, par mes propres défaillances, ten­tant en vain et encore de ne pas perdre la face… Plu­tôt mou­rir que de perdre la face. Com­bien de fois n’ai-je pas lu ces mots ? C’est incom­pré­hen­sible vu de notre Europe tout aus­si mil­lé­naire qu’une Asie aux codes plus pro­fonds, plus com­plexes que les nôtres. Plon­ger au Viet­nam m’a convain­cu qu’il me fau­drait y retour­ner, mais pas tout de suite. J’ai besoin d’ab­sor­ber tout ça, de me l’ap­pro­prier. Écoute la sage voix du Tao qui t’es enseignée :

L’u­ni­vers est pareil à un souf­flet de forge ;
vide, il n’est point aplati.
Plus on le meut, plus il exhale,
plus on en parle, moins on le saisit,
mieux vaut s’in­sé­rer en lui. Lao Tseu

Je ne voya­ge­rai pas de sitôt, plus rien n’a de sens dans les ailleurs que je trans­gresse. J’ai besoin de me replier comme ces petits car­rés de papier japo­nais, besoin de faire un arrêt, d’é­crire tout ça, de le trans­for­mer en une igno­rance par­faite, de me vider, de pur­ger mes émo­tions autant que les étranges moments que j’ai crû magiques et qui se sont brus­que­ment chan­gés en inquié­tantes mis­sions. A l’ar­rêt sur un banc face au lac Hoan Kiem, le lac de l’é­pée res­ti­tuée, à côté d’une dame âgée qui me fait signe de m’as­seoir à ses côtés, écra­sé de cha­leur et trans­pi­rant comme jamais, nous échan­geons quelques mots dans un lan­gage fait de signes, elle me fait signe qu’il fait chaud et qu’elle est fati­guée ; elle a posé son vélo à côté et prend le temps de souf­fler. Dans son uni­forme de tis­su vert et avec son visage de grand-mère atten­dris­sante, elle me fait com­prendre qu’elle a mal au genou et pousse l’im­pu­deur jus­qu’à rele­ver la jambe de son pan­ta­lon pour me mon­trer l’ar­ti­cu­la­tion gon­flée, puis fait signe qu’il la fait souf­frir. Pauvre de moi, je la plains inté­rieu­re­ment sans vrai­ment savoir pour­quoi jus­qu’à ce que, idiot que je suis, je me rende compte qu’elle était en train de qué­man­der de l’argent pour se faire soi­gner. Est-ce vrai­ment cela que je suis venu chercher ?

Contre toute attente, j’ai besoin de par­tir en retraite. Je me satis­fe­rai de peu, vivant chi­che­ment, reve­nant sur moi-même quelques temps. Un peu de silence, un peu de cha­leur, beau­coup de vide.

J’aimerais mou­rir comme la femme du bazar sur une nappe propre, bien fraîche, une pipe de bonne drogue entre les lèvres. Quand je sen­ti­rai que je m’en vais, je deman­de­rai cela à Tsin-ling, et il pour­ra tou­cher mes soixante rou­pies, régu­liè­re­ment, un mois après l’autre, aus­si long­temps qu’il lui plai­ra. Alors je m’étendrai bien tran­quille et à l’aise, pour regar­der les dra­gons noirs et rouges com­battre ensemble leur der­nier grand com­bat ; puis…
Rudyard Kipling, The Gate of a Hun­dred Sor­rows, 1884

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Chro­niques des jours du vertige

Chro­niques des jours du vertige

A l’ar­rêt. Allon­gé sur mon cana­pé, éti­ré comme un chat et le regard tour­né vers l’ex­té­rieur qui défile, la course des nuages heur­tant la mar­quise en verre grê­lé, les déli­cates fleurs de dias­cia cha­hu­tées par le vent et la lampe de tis­su qui ne cesse de se balan­cer, c’est mon pay­sage de là où je suis. Pris par mes ver­tiges, je reste allon­gé le temps que ça passe, comme enfer­mé dans une nuit absurde et tran­quille. Le monde tourne autour de moi tan­dis que je suis à l’ar­rêt. Celui qui disait « Je ne gâche­rai pas mes jours à ten­ter de pro­lon­ger ma vie, je veux brû­ler tout mon temps » fini­ra empoi­son­né par les remèdes qui ten­tèrent de le rame­ner à la san­té, qu’il avait per­du en che­min depuis bien long­temps. Heu­reu­se­ment, je n’en suis pas là, j’i­nau­gure de nou­velles patho­lo­gies que je n’a­vais jamais éprou­vé aupa­ra­vant. Ma ten­sion arté­rielle a fait une chute du haut des falaises de Ban­dia­ga­ra ; je ne sais pas trop ce que ça veut dire, si ce n’est que les nor­males sai­son­nières devraient être plus éle­vées. Pas­ser sous la barre des 10 est une défaut de la cui­rasse qu’il vaut mieux ne pas expé­ri­men­ter, paraî­trait-il, c’est ce que dit le méde­cin. Mes migraines et les ver­tiges qui m’empêchent de me dépla­cer comme je le sou­haite — par deux fois j’ai fait des chutes spec­ta­cu­laires, ne retrou­vant plus le haut et le bas et me disant qu’on y est, que la méta­phore a rejoint la réa­li­té, chute de ten­sion et chute tout court — ne me per­mettent pas de me dépla­cer au tra­vail pour l’ins­tant. Besoin de repos, faire mon­ter ma ten­sion arti­fi­ciel­le­ment, se dépla­cer dans un envi­ron­ne­ment sûr… Voi­là qui res­semble à des injonc­tions adres­sées à un valé­tu­di­naire d’un autre temps, d’une époque révo­lue où l’on soi­gnait les maux de bronches à la mon­tagne et les rhu­ma­tismes dans les salles car­re­lées des sta­tions de cures ther­males. Rien n’est tra­gique, ce n’est qu’une petite épine plan­tée dans le pied, rien de bien méchant, peut-être juste le signe qu’il me faut encore plus de calme dans ma vie déjà bien ordon­née. Il faut se méfier, on va finir par atteindre le stade de la mer d’huile. Mais le calme n’est pas un acci­dent, un état que l’on aurait pas sou­hai­té mais auquel il faut se plier, ce n’est fina­le­ment que le stade ultime d’une volon­té de prendre soin de soi. Le bruit et l’a­gi­ta­tion sont pour d’autres que moi, il en a tou­jours été ain­si. Et puis le Boud­dha disait que ce que l’on ne pos­sède pas et que l’on désire, il faut d’a­bord le cher­cher en soi.
En atten­dant, je garde le temps, je veille à son che­vet, je songe à des ombrelles et au vent qui froisse les feuilles des bam­bous, aux carillons qui se font cha­hu­ter, à des lumi­gnons per­chés dans les arbres un soir où l’o­rage enve­lop­pe­ra le ciel de cou­leurs de feu et d’ambre.

Je fais l’in­ven­taire des lieux où je n’ai­me­rais pas me trou­ver à cette époque, et ceux où j’ai­me­rais me retrou­ver dans un monde qui aurait tu sa haine. Je dis à cette époque car il est des lieux dans les­quels j’au­rais aimé vivre à une autre époque que celle-ci. Je pense à la Syrie où j’ai failli par­tir il y a quelques années ; j’au­rais dû… Je pense à l’Af­gha­nis­tan qui reste un de mes rêves secrets ; avant de mou­rir peut-être que je pour­rais. Je pense aux plaines d’A­sie Cen­trale, au Xin­jiang, au Tak­la­ma­kan, à l’Ouz­bé­kis­tan ; ça c’est tou­jours d’ac­tua­li­té. Je pense au Yémen qui s’ef­fondre, à l’A­ra­bie joyeuse, aux secrets de l’I­ran, je pense à toutes ces des­ti­na­tions qui me per­mettent encore de pou­voir croire en autre chose que mon propre bien-être, mais en quelque chose de bon dans l’hu­main. Je pense aux Antilles que j’au­rais aimé vivre avec mon grand-père ; aujourd’­hui pour rien au monde je n’y met­trais les pieds. La France sous les Tro­piques… impos­sible. Je pense à des pays, à des villes qui sont pour moi tout ce que je rejette et que je regarde de loin avec cet œil froid et dédai­gneux. Je pense à ces conseils qu’on me donne, tu devrais essayer ça, aller là-bas, faire tel pays… Non mer­ci. Vous ne pou­vez pas savoir parce que je n’en parle pas, mais il ne faut pas me conseiller, c’est mon ima­gi­naire qui me dicte tout ça, et mon ima­gi­naire est pré­cieux, je ne peux me per­mettre de le tra­hir. Il est le fruit secret de toutes ces années pen­dant les­quelles je me suis rem­pli de mes lec­tures et de mes images. Je serai peut-être déçu un jour, mais je n’en suis abso­lu­ment pas là. En atten­dant, j’en suis à mon cana­pé et je voyage tout autour de lui. Et je suis tout seul pour faire ça. Et c’est très bien comme ça. Avec les bour­dons qui se sucrent les pattes du pol­len de la sauge bleue, les ver­veines mauves et blanches, les déli­cates dias­cias roses tendres, avec les nuages qui couvrent le ciel de leur mélasse gri­sâtre au fur et à mesure que les minutes s’é­coulent et tan­dis que j’é­cris. Tu ver­rais ça… c’est un monde magique. D’i­ci j’en­tends les pies se dis­pu­ter dans les grands arbres, les geais pala­brer entre eux, les mésanges voler les caca­huètes que je mets à leur dis­po­si­tion, et tou­jours, les moi­neaux s’é­chan­geant des mon­da­ni­tés tels des moines à l’heure du répons… le vent dans les feuilles des mar­ron­niers, l’o­deur des fleurs empor­tée par l’air du matin, une lumière de fin du monde qui n’ar­ri­ve­rait pas à sur­ve­nir. Si le monde dis­pa­raît len­te­ment, je suis prêt à l’emporter avec moi. Les mots ne suf­fisent pas s’il ne sont pas un peu tein­tés de poé­sie divine.

Je me suis rasé de près, ça fai­sait quelques mois que ça n’é­tait pas arri­vé. Je redé­couvre ma peau, lisse et ferme, encore un peu cui­vrée, douce au tou­cher et sans rides. Dou­ché, par­fu­mé, je me replonge sur mon cana­pé, repaire confor­table au cœur de mon uni­vers, sim­ple­ment vêtu d’un jean et d’un t‑shirt, sans super­flu, je me cal­feutre dans la jouis­sance des minutes encore fraîches. Pleu­vra-t-il ? La terre du jar­din le réclame fortement.

L’o­rage a fini par déchi­rer le ciel et à déver­ser des trombes. L’air frais sent la terre, les plantes humides sur les­quelles perlent des gouttes énormes, le petri­chor… Nature après la pluie, nature subli­mée. Je replonge dans le livre d’O­li­vier Weber, Je suis de nulle part, le livre qu’il a consa­cré à Ella Maillart dont j’ai ache­té plu­sieurs livres, en pré­vi­sion d’une éven­tuelle disette. Je viens juste de ter­mi­ner celui de Sébas­tien de Cour­tois, Sur les fleuves de Baby­lone, nous pleu­rions. Le cré­pus­cule des chré­tiens d’Orient, un livre triste, presque déses­pé­ré sur la condi­tion des Chré­tiens qui fuient les terres d’o­ri­gine de cette reli­gion qu’on connaît fina­le­ment assez peu. J’ai mis du temps à le lire, jus­te­ment parce qu’il est déses­pé­ré, même si l’au­teur confie dans les der­nières pages qu’il est encore temps de croire que les des­cen­dants du Christ peuvent sur­vivre sur ces terres. J’ai rele­vé comme une pépite ces mots, les mots d’un homme qui a choi­si Istan­bul comme domicile :

Istan­bul est la ville où j’ai déci­dé de m’ins­tal­ler, il y a plu­sieurs années déjà. Les hivers se res­semblent, je ne compte plus. Une vie que j’ai trou­vée un peu terne, alors que je reve­nais de cinq mois pas­sés en Chine, sur les routes de la soie, dans les ter­ri­toires de l’Ouest vers Kash­gar et Urum­qi, à dérou­ler les fils d’une aven­ture qui s’é­tait nouée en Asie. L’ex­pa­tria­tion fut une sorte de pied de nez impro­bable, un coup de tête qui n’é­tait pas des­ti­né à durer. Istan­bul était sou­vent le point de départ vers ces expé­di­tions au long cours, une escale que je connais­sais encore mal. Elle ne m’in­té­res­sait pas. Une ou deux fois, par crainte d’être déçu, il m’é­tait arri­vé même de ne pas quit­ter l’aé­ro­port. Je ne vou­lais pas ten­ter le diable. Une ville qui n’é­tait pas ce phare qu’elle rede­ve­nue depuis ; une ville qui m’ap­pa­raît pour­tant plus énig­ma­tique encore, alors que je pen­sais en avoir fait le tour. Je ne la croyais pas. On ne peut s’en las­ser cepen­dant. Les mois infusent une dou­ceur inat­ten­due, près de ses eaux chan­geantes j’ai tou­jours plai­sir à reve­nir. L’onde module les humeurs, la proxi­mi­té des îles aidant. Une ville qui res­pire avec ses élé­ments et dont il est dif­fi­cile de se déta­cher, sur­tout à la fin novembre, lorsque, par la vitre bais­sée du taxi, les embruns de la Mar­ma­ra pénètrent l’habitacle.
Après les jours de poy­raz, le vent du nord, le calme rede­vient une valeur sûre. Le moindre refuge est alors pri­sé, un porche d’im­meuble, un café, l’a­bri d’un débar­ca­dère. A l’embouchure du Bos­phore, des navires attendent depuis des mois, blo­qués à cause d’ar­ma­teurs indé­li­cats. Les bateaux rouillent, pour­rissent, aban­don­nés. Il paraît que des équi­pages y crèvent de faim.

Le soir tombe, la pluie, elle, a fini. Moi j’ai dor­mi tout l’a­près-midi après être reve­nu de chez le méde­cin qui trouve que mes ana­lyses sont par­faites. Je n’en atten­dais pas moins, j’ai une san­té de fer hor­mis cette hypo­ten­sion. Les avions passent inlas­sa­ble­ment, ici un Paris-Vic­to­ria d’Air Sey­chelles, un bour­don vole près de mes oreilles, pré­fé­rant fina­le­ment les épis clairs de la lavande. J’ai enfin ran­gé mon bureau, retrou­vé mon car­net de motifs maro­cains, sor­ti la pho­to de mon grand-père avec le pares­seux que j’ai fichée dans une grosse pince à linge en bois pour la faire tenir, débal­lé mes boîtes à sty­lo (j’ai de quoi écrire pen­dant 150 ans). Il est 20h00, de mon jar­din je peux entendre la cloche de la petite église Saint Nico­las tin­ter et pen­dant ce temps-là mon esto­mac bour­donne lui aus­si à l’o­deur du bouillon de nouilles à la coriandre qui chauffe et des cre­vettes tan­doo­ri qui vont finir sur le grill. La vie simple se déroule sous mes yeux et me rem­plit de bon­heur. Rien que des choses simples, des bille­ve­sées arron­dies comme des galets sur le sable. A pré­sent, il est temps de se pré­oc­cu­per de par­tir à l’autre bout du monde.

Hanoi (27)

Un chaï masa­la me fait patien­ter de longues minutes que je ne rem­plis qu’en écri­vant, en res­pi­rant l’air du dehors. Il me trotte dans la tête l’air de In a sen­ti­men­tal mood joué par Col­trane et Elling­ton. Tout paraît simple, tout paraît si lim­pide. Alors, je fais quoi ? Ce soir je prends les billets d’a­vion, par­tir de Paris, rejoindre Bang­kok et y res­ter quelques jours, repar­tir… Hanoï, Viet­nam nord, au pays dont la devise est Độc lập, tự do, hạnh phúc (Indé­pen­dance, liber­té, bon­heur) et puis quoi ? Ninh Bình ? Huế ? Hoa Lu ? Hội An ? Je vais deve­nir incol­lable sur les anciennes capi­tales du Sud-est asiatique.

Il est 22h00, j’ai dîné de mes cre­vettes et mon bouillon de nouilles. Je suis tom­bé dans mon entrée juste avant de pas­ser à table, j’ai tout sim­ple­ment per­du l’é­qui­libre à cause d’un ver­tige, en essayant de me rat­tra­per au miroir du pla­card mais un miroir n’a jamais offert beau­coup de prise, alors je me suis retrou­vé à genou avant de reprendre mes esprits. Tout ceci n’est pas très grave, c’est mon quo­ti­dien. Et puis pour dire, la vie ne serait pas si drôle si elle était trop simple…

Pho­to d’en-tête © Jona­than E. Shaw

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La hau­teur des mon­tagnes, la lon­gueur des rivières…

La hau­teur des mon­tagnes, la lon­gueur des rivières…

Tout com­mence par des cita­tions qui résonnent étran­ge­ment en nous, des bouts de phrases tirés de livres qui racontent votre his­toire à vous. Lorsque Kes­sel ou Bou­vier parlent, c’est de vous dont ils parlent, c’est de votre enfance dont il est ques­tion. La preuve…

New and Impro­ved View of the Com­pa­ra­tive Heights of the Prin­ci­pal Moun­tains and Lengths of the Prin­ci­pal Rivers In The World. 1823

J’é­coute d’a­bord Joseph Kes­sel, pour qui Les grands voyages ont ceci de mer­veilleux que leur enchan­te­ment com­mence avant le départ même. On ouvre les atlas, on rêve sur les cartes. On répète les noms magni­fiques des villes incon­nues… Puis un peu plus près de chez moi, de ma tem­po­ra­li­té, Nico­las Bou­vier, dans L’u­sage du monde. C’est la contem­pla­tion silen­cieuse des atlas, à plat ventre sur le tapis, entre dix et treize ans, qui donne ain­si l’en­vie de tout plan­ter là. Son­gez régions comme le Banat, la Cas­pienne, le Cache­mire, aux musiques qui y résonnent, aux regards qu’on y croise, aux idées qui vous y attendent… Lorsque le désir résiste aux pre­mières atteintes du bon sens, on lui cherche des rai­sons. Et on en trouve qui ne valent rien. La véri­té, c’est qu’on ne sais com­ment nom­mer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous gran­dit et détache les amarres, jus­qu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon.

Et puis un jour, vous par­tez trop loin, ce qui vous parle, ce ne sont plus que les cartes elles-mêmes, elles vous ont enva­hi. Cer­taines sont affi­chées au-des­sus de votre bureau, voire dans la salle de bain, au-des­sus des toi­lettes, peut-être même dans votre chambre. Au-des­sus de mon bureau se trouve un ancienne carte de Constan­ti­nople, entiè­re­ment écrite en fran­çais, où même les noms turcs sont trans­crits dans un fran­çais de car­na­val. Mais la carte est belle car c’est une vue pano­ra­mique du Bos­phore. J’ai d’autres cartes qui appa­raissent sur des minia­tures per­sanes, des repro­duc­tions un peu gros­sières, ache­tées dans une toute petite bou­tique d’Is­tan­bul, recou­verte de feuilles de Corans enlu­mi­nées, peintes et repeintes. Il me semble même que de là où je me trouve je peux entendre le muez­zin enton­ner la prière du soir non loin de Sul­ta­nah­met. Ce sont les cartes qui vous ont hap­pé, elles sont venues vous cher­cher et puis vous ne savez pas quoi faire de celle-ci. J’ai éga­le­ment un vieil atlas datant des années 50, aux feuilles jau­nies, et dont cer­tains noms de pays n’existent plus…

Entre le début et la fin du XIXème siècle, dans les atlas et sur les murs des écoles sont appa­rues de nou­velles cartes, des cartes d’un nou­veau genre, des cartes qu’on appelle com­pa­ra­tives. Alors on y com­pare quoi sur ces cartes com­pa­ra­tives ? La lon­gueur des fleuves et la hau­teur des mon­tagnes. Au pre­mier abord, on com­prend tout de suite que ces cartes com­pa­ra­tives mettent au même niveau deux des élé­ments géo­gra­phiques dont les mesures sont les plus proches, mais ensuite, on se demande quelle rai­son étrange a pu pous­ser cer­tains car­to­graphes à consti­tuer ce genre de cartes, car effec­ti­ve­ment, ces choses-là n’ont rien à voir entre elles. Aus­si bien je pour­rais com­prendre la mise en rela­tion des mon­tagnes avec la pro­fon­deur des fosses marines, mais com­pa­rer la hau­teur des mon­tagnes et la lon­gueur des fleuves n’a à mon sens pas vrai­ment d’autre inté­rêt que de pro­duire de belles cartes qui ont le mérite d’être cap­ti­vantes, même si elles sont par­fois dif­fi­ciles à déchif­frer. C’est là toute la poé­sie de la chose, assem­bler des formes, des cou­leurs, des mesures, des légendes, pour en faire des objets d’une belle pré­ci­sion, même si tou­te­fois, les cartes sont sou­vent fausses. Mais qui se sou­cie de leur véra­ci­té ? Tenons-nous en à la poésie.

Allons faire un tour par­mi les plus belles d’entre elles. Toutes sont dis­po­nibles sur le site David Rum­sey Map Col­lec­tion, un des plus beaux sites de car­to­gra­phies du web mon­dial. Pre­nons-en de tout petits mor­ceaux pour les regar­der de près et voir ce qu’elles ont à nous dire.

Cette pre­mière carte en fran­çais (Gou­jon et Andri­veau) datant de 1836 montre les fleuves en par­tant du plus long, les som­mets en par­tant du plus court ; l’im­bri­ca­tion des deux donne la forme de la carte. C’est une très belle carte avec beau­coup d’in­di­ca­tions et de nom­breux chiffres repris dans les colonnes laté­rales. A cette époque, le som­met le plus haut du monde est le Dhau­la­gi­ri.

1836 Andri­veau Gou­jon Com­pa­ra­tive Moun­tains and rivers chart

Sur cette carte, on peut consta­ter que les deux com­pa­rai­sons sont empi­lées l’une sur l’autre, ce qui a pour effet de les pla­cer sur la même échelle. Un peu moins soi­gnée que la pré­cé­dente, elle est tout de même colo­rée et rela­ti­ve­ment précise.

A com­pa­ra­tive view of the heights of the prin­ci­pal moun­tains and lengths of the prin­ci­pal rivers of the World; Fen­ner, 1835.

Cette fois-ci, les mon­tagnes ne sont plus ali­gnées les unes à côté des autres mais empi­lées, pour ne for­mer qu’un seul et même som­met. Les fleuves sont mis à l’é­chelle mais pas for­cé­ment ordon­nés, et ornent chaque côté de l’im­mense mon­tagne représentée.

A Com­pa­ra­tive View of the Heights of the Prin­ci­pal Moun­tains and Lengths of the Prin­ci­pal Rivers in the World, Dower, John Nica­ra­gua; Tees­dale, Hen­ry, Lon­don, 1844

Celle-ci a la par­ti­cu­la­ri­té de ne par­ler que de l’Écosse. Et comme l’Écosse, la cou­leur domi­nante en est le vert sombre… J’aime beau­coup cette carte car elle a un côté natu­ra­liste assez pra­tique. En effet, les rivières des­cendent des mon­tagnes et sont repré­sen­tées dans une mise en relief assez intéressante.

A com­pa­ra­tive view of the lengths of the prin­ci­pal rivers of Scot­land. Com­pa­ra­tive view of the height of the falls of Foyers and Cor­ba Linn, Thom­son, John, Lizars, William Home, Edin­burgh, 1822

Celle-ci et la pro­chaine, ne sont en réa­li­té qu’une seule et même carte. La pre­mière repré­sente la par­tie est de l’hé­mi­sphère, la seconde la par­tie ouest. Cette fois-ci, ce ne sont plus sim­ple­ment les mon­tagnes et les rivières, mais éga­le­ment, les chutes d’eau, les îles éga­le­ment les lacs qui y sont repré­sen­tés, le tout dans une mise en page élé­gante et assez effi­cace pour la com­pré­hen­sion des légendes et la lec­ture des informations.

A Com­pa­ra­tive View Of The Prin­ci­pal Water­falls, Islands, Lakes, Rivers and Moun­tains, In The Eas­tern Hemis­phere; Mar­tin, R.M.; Tal­lis, J. & F.; New York; 1851

A Com­pa­ra­tive View Of The Prin­ci­pal Water­falls, Islands, Lakes, Rivers and Moun­tains, In The Wes­tern Hemis­phere; Mar­tin, R.M.; Tal­lis, J. & F.; New York; 1851

Celle-ci et celle d’a­près sont les deux pages de deux gra­phiques dif­fé­rents. Mais ce ne sont plus vrai­ment des cartes, plu­tôt des graphiques.

Com­pa­ra­tive heights of moun­tains; Wor­ces­ter, Joseph E.; Bos­ton; 1826

Com­pa­ra­tive lengths of rivers; Wor­ces­ter, Joseph E.; Bos­ton; 1826

Cette carte a l’a­van­tage d’être dans un excellent état, en plus d’être pliable. On peut voir les marges des plis écar­tés lais­sant entr’apercevoir la toile de jute qui sert de sup­port aux jointures.

Com­pa­ra­tive heights of the Prin­ci­pal Moun­tains and Lengths of the Prin­ci­pal Rivers Publi­sher William Darton

Encore une carte en deux hémi­sphères dis­tincts. Mise en page sobre, bico­lore, effi­cace, gracieuse…

Eas­tern Hemis­phere; Mit­chell, Samuel Augus­tus; Phi­la­del­phia; 1880.

Wes­tern Hemis­phere; Mit­chell, Samuel Augus­tus; Phi­la­del­phia; 1880.

Celle-ci est une de mes pré­fé­rées, de par ses cou­leurs et sa per­ti­nence. Sont lis­tées les indi­ca­tions sur la végé­ta­tion en fonc­tion des dif­fé­rents mas­sifs. La carte elle-même indique les types de végé­ta­tion en fonc­tion des lati­tudes. Elle contient un superbe petit synop­sis des régions phyto-géographiques.

Geo­gra­phi­cal dis­tri­bu­tion of indi­ge­nous vege­ta­tion. The dis­tri­bu­tion of plants in a per­pen­di­cu­lar direc­tion in the tor­rid, tem­pe­rate and fri­gid zones- Hen­frey, Arthur, 1819–1859

Celle-ci intègre les lon­gueurs des rivières et les hau­teurs de mon­tagne dans les espaces vides lais­sés par les arron­dis des hémisphères.

Gray’s new map of the World in hemis­pheres, with com­pa­ra­tive views of the heights of the prin­ci­pal moun­tains and lengths of the prin­ci­pal rivers on the globe, Gray, Frank Arnold, Houl­ton, Maine, 1885

Une autre ver­sion d’un type de carte déjà vu plus haut.

Heights Of The Prin­ci­pal Moun­tains In The World, Tan­ner, Hen­ry S., Phi­la­del­phia, 1836

Une autre ver­sion encore…

Heights Of The Prin­ci­pal Moun­tains In The World. Lengths Of The Prin­ci­pal Rivers In The World, S. Augus­tus Mit­chell, 1846

J’aime par­ti­cu­liè­re­ment celle-ci, pour son aspect mono­chrome, mais aus­si pour la dou­ceur des arron­dis des légendes attri­buées aux som­mets. Elle est vrai­ment com­plète, puisque par conti­nent, on peut retrou­ver faci­le­ment les mon­tagnes et les fleuves décrits avec précision.

John­son’s Chart of Com­pa­ra­tive Heights of Moun­tains, and Lengths of Rivers of Afri­ca … Asia … Europe …South Ame­ri­ca … North Ame­ri­ca; John­son, A.J.; 1874.

Ega­le­ment une autre ver­sion d’un type de carte connu, un peu piquée, un peu jaunie…

Moun­tains & Rivers; Col­ton, G.W; 1856

Com­pa­rai­son des deux hémi­sphères, de manière par­fai­te­ment symétrique.

Rand, McNal­ly & Com­pa­ny’s indexed atlas of the world Wes­tern Hemis­phere, Eas­tern Hemis­phere, Rand McNal­ly and Com­pa­ny, Chi­ca­go, 1897

Une autre ver­sion très colo­rée par conti­nent, mais désor­mais rien que de très commun…

Table of the Com­pa­ra­tive Heights of the Prin­ci­pal Moun­tains &c. in the World; Fin­ley, Antho­ny, Phi­la­del­phia, 1831

Exac­te­ment la même, mais sous forme de graphiques…

Table of the Com­pa­ra­tive Lengths of the Prin­ci­pal Rivers throu­ghout the World; Fin­ley, Antho­ny, Phi­la­del­phia, 1831.

Cer­tai­ne­ment la plus belle de toute, une carte riche, avec le bas­sin de cer­tains fleuves signi­fi­ca­tifs, une carte qu’on aime­rait bien avoir au-des­sus de son bureau…

The World in Hemis­pheres with Com­pa­ra­tive Views of the Heights of the Prin­ci­pal Moun­tains and Basins of the prin­ci­pal Rivers on the Globe, Ful­lar­ton, A. & Co., Lon­don and Edin­burgh, 1872

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Ayut­thaya sto­ries #4 : Odeurs et autres cou­leurs d’Ayutthaya

Ayut­thaya sto­ries #4 : Odeurs et autres cou­leurs d’Ayutthaya

Au petit matin, une odeur d’eau, de rivière mou­vante, quelque chose de vivant emplit l’air. L’o­deur âcre d’un feu de végé­taux se répand dou­ce­ment. Après le petit déjeu­ner, je me ren­dors quelques minutes sur la ter­rasse, où la cha­leur des pre­miers ins­tants me chauffe déjà la peau. Je pro­fite quelques ins­tants de la pis­cine avant de refaire ma valise qui res­te­ra toute la jour­née à la récep­tion de l’hô­tel. Déjà, je suis rede­ve­nu un étran­ger aux lieux et lais­ser la suite der­rière moi me pince le cœur. Si peu de temps pas­sé ici. C’est le prin­cipe du voyage ; déjà il faut repar­tir, tout le temps repar­tir, se des­sai­sir de ce qu’on a appré­hen­dé pour n’en gar­der qu’une essence.

J’ai com­man­dé un sky­lab à la récep­tion de l’hô­tel. Le petit bon­homme qui arrive ne paie de mine avec sa che­mise jaune déchi­rée et une bouche presque entiè­re­ment éden­tée, mais il arbore un sou­rire heu­reux d’homme simple et jovial. Il connaît par­fai­te­ment sa ville, mais n’en­trave pas un seul mot d’an­glais. Ce n’est pas vrai­ment un pro­blème, on réus­si­ra à s’en sor­tir pour se par­ler quand-même. Je lui demande de m’emmener à Hua Raw, à l’est de la ville. Hua Raw c’est le plus grand mar­ché cou­vert de la ville, une grande halle sans charme qui abrite des cen­taines de com­mer­çants, où l’on peut trou­ver aus­si bien de quoi man­ger sur le pouce, que de quoi cui­si­ner, paniers à riz, usten­siles, mais aus­si lunch-boxes, tis­sus, balais, réchauds, bâtons d’en­cens et offrandes pour les temples, cous­sins de paille, bref, tout ce qu’il faut pour le foyer. Je suis éba­hi par la frai­cheur des mar­chan­dises qu’on trouve sur les étals, mal­gré leur aspect peu enga­geant ; pois­sons fumés, pois­sons frais à la mine pati­bu­laire, entrailles d’a­ni­maux non iden­ti­fiés… des tripes, boyaux, vis­cères que je ne connais­sais pas, s’en­tassent sur la glace pilée des bou­che­ries ambu­lantes. On se demande à quel moment cela va se retrou­ver dans nos assiettes… L’o­deur âcre des ani­maux abat­tus prend à la gorge, mais ce n’est pas une odeur de mort ou de pour­ri­ture, c’est plu­tôt quelque chose de sauvage…

Le conduc­teur du sky­lab par­tage avec moi un petit bal­lo­tin de fraises blanches avec un petit sachet de sucre rose pimen­té. Elles sont dures et sans saveur, mais nous rions tous les deux en par­ta­geant cet en-cas incon­gru. Man­ger des fraises en Thaï­lande, au bord de la route avec un chauf­feur de skylab…

Une vieille dame qui tient une échoppe encom­brée de tis­sus et d’us­ten­siles de cui­sine rigole avec moi lorsque, je ne sais pour­quoi, j’en viens à lui deman­der com­ment on pro­nonce en thaï le mot “main” (มือ) ; elle essaie déses­pé­ré­ment avant d’a­ban­don­ner de me faire pro­non­cer quelque chose qui res­semble à “meuuuuuuuh” en gar­dant les dents ser­rées et en fai­sant s’é­ter­ni­ser ce joli son long. Un peu plus loin, j’a­chète un balai recour­bé en paille de riz au fils d’une vieille dame ; il parle un anglais par­fait avec l’ac­cent de l’u­ni­ver­si­té, mais la bosse du com­merce n’est pas encore en lui. Celui que j’a­chète est cher (90 bahts) et me pro­pose si je le sou­haite d’en acqué­rir un autre beau­coup moins cher pour 50 baths (un peu plus d’un euro) parce qu’il m’ex­plique qu’il est plus pratique.

Un peu plus loin, j’a­chète une petite boîte à riz tres­sée pour un prix tel­le­ment déri­soire que c’en est gênant, à un vieux chi­nois presque aveugle pour qui sou­rire doit être une vague notion antique, mais lorsque, comme à chaque fois que j’a­chète quelque chose, je lui dis mer­ci en thaï (khop kun khrap) sui­vi d’un salut (sawas­di khrap), j’ar­rive à lui arra­cher un léger sou­rire de satis­fac­tion presque ému. Se fou­ler d’ap­prendre quelques mots est la moindre des poli­tesses, ce qui est tou­jours res­sen­ti comme une marque d’at­ten­tion dans un pays où la confron­ta­tion avec l’é­tran­ger est sou­vent res­sen­ti comme une colo­ni­sa­tion agressive.

Dans la par­tie du mar­ché où l’on trouve légumes et fruits, viande et épices, ce sont sur­tout des musul­manes qui sont aux affaires sous les grandes plaques de tôle du toit ajou­ré. Elles pré­parent des volailles avec la méti­cu­lo­si­té des arti­sanes appli­quées. D’im­menses ven­ti­la­teurs brassent un air inexis­tant sous ce han­gar frap­pé par un soleil impi­toyable qui se fau­file au tra­vers des petites ouver­tures et des­sine sur le sol de jolis motifs ter­mi­nant les rais de lumière enfu­més. C’est ici que j’ar­ri­ve­rai à trou­ver des petits sachets d’é­pices pour cui­si­ner le Laab-Nam­tok.

A l’hô­tel, j’a­vais deman­dé au sky­lab de m’emmener au mar­ché, puis au Wat Yai Chai Mong­khon, mais je change d’i­dée et lui demande de me rame­ner là où j’ai déjeu­né hier, au Wat Rat­cha­bu­ra­na, là où je me suis réga­lé de ce superbe chi­cken noo­dle. Une fois arrê­té devant, il me dit avec malice avec quelques mots d’an­glais que c’est très bon ici ; je lève mon pouce pour approu­ver en lui fai­sant com­prendre qu’on est sur la même lon­gueur d’ondes. Aujourd’­hui, c’est une petite jeune fille d’à peine 13 ans qui fait le ser­vice, cou­pée au car­ré et lunettes rondes, son anglais est très bon. Elle me sert une soupe de pou­let et nouilles aux œufs à la chi­noise, légumes et coriandre, que j’a­gré­mente de sauce soja et piment maison.

Nous repar­tons vers le Wat Yai Chai Mong­khon qui se trouve encore plus à l’est que le mar­ché, au-delà de la fron­tière natu­relle for­mée par la Pa Sak, dans une cir­cu­la­tion dense à l’ex­té­rieur de la ville. Il roule à contre­sens pour gagner un peu de temps et enquiller l’en­trée du temple. C’est aujourd’­hui un jour férié, et comme tous les jours comme celui-ci, les gens se pressent dans les temples en famille, c’est ce que je remarque immé­dia­te­ment en arri­vant au temple où se garer devient un jeu com­plexe. Le petit homme me laisse devant et va garer son sky­lab un peu plus loin, à l’ombre des ficus, avant d’al­ler se payer une bière avec ses copains chauf­feurs à l’a­bri des regards. Les boud­dhistes ne sont pas cen­sés boire de l’al­cool (le cin­quième pré­cepte de la conduite morale du boud­dhisme exige qu’on n’in­gère pas de pro­duits toxiques anni­hi­lant la maî­trise de soi, mais tant qu’on est maître, tout va bien, non ?).

Avant d’être un lieu de pèle­ri­nage impor­tant, ce temple est un monas­tère (Wihan Phra­phut­tha­saiyat), et sa par­ti­cu­la­ri­té est d’ac­cueillir éga­le­ment des femmes, vêtues de blanc et le crane rasé. Construit en pre­mier lieu par le roi U‑Thong, il faut agran­di par ses pré­dé­ces­seurs et consa­cré comme le lieu de la vic­toire sur les Bir­mans. Le ubo­sot est entiè­re­ment en bois et pas­sa­ble­ment ancien. La foule qui s’y presse rend l’ac­cès com­pli­qué, et je capi­tule devant la masse des pèle­rins, sur­tout pour ne pas déran­ger. Je n’aime pas m’im­po­ser comme visi­teur tan­dis que d’autres viennent ici avant tout pour prier. Mais ce qui fait la beau­té du lieu, c’est le che­di, immense, visible à des kilo­mètres à la ronde. De chaque côté, un immense Boud­dha sou­riant semble assu­rer la sécu­ri­té du lieu.

Un peu à l’a­bri de la foule se trouve un immense Boud­dha allon­gé, recou­vert d’un drap orange, que deux petits vieux à la peau bru­nie par le soleil, tout habillés de car­min et de bor­deaux, cour­bés comme de vieux arbres, remettent en place avec atta­che­ment et ten­dresse. Il se passe ici quelque chose d’é­trange. Der­rière la foule de ceux qui se pressent ici pour prier, bâtons d’en­cens et fleur de lotus rete­nus dans leurs mains jointes au che­vet du Boud­dha cou­ché, posi­tion qui sym­bo­lise le Boud­dha malade sur le point d’en­trer au Pari­nirvāṇa, bon nombre de per­sonnes sta­tionnent devant les deux pieds de la sta­tue dont les orteils sont tous, comme dans toute l’i­co­no­gra­phie thaï­lan­daise, de la même lon­gueur, et pressent de toute leur force une pièce de mon­naie qu’ils tentent de faire adhé­rer à la pierre. L’exer­cice peut sem­bler étrange, mais aus­si bizarre que cela puisse paraître, cer­taines des pièces s’en­foncent et res­tent col­lées des­sus. Tout le monde essaie à son tour ; cer­tains dépi­tés de voir que leur pièce ne tient pas, s’é­loignent ; d’autres qui y par­viennent arborent un sou­rire d’ex­tase. Si la pièce est rete­nue par la pierre, la chance et le bon­heur sont assu­rés. C’est la pre­mière que je vois cette pra­tique en Thaï­lande, c’est assez émouvant.

L’im­mense che­di est entou­ré de dizaines de sta­tues de Boud­dha, toutes recou­vertes d’un linge jaune d’or aus­si brillant que la soie, res­plen­dit dans le soleil d’une jour­née chaude. Dans la main ouverte vers le ciel de la sta­tue se trouve par­fois une fleur de fran­gi­pa­nier, dépo­sée là avec ten­dresse. Par­fois, ce sont des amu­lettes en bronze posées là sur le rebord du socle. Les fran­gi­pa­niers poussent dans la cour du che­di, répen­dant leur odeur si sucrée au pied de l’im­mense monu­ment. Dans la jar­din gisant au pied du che­di, de l’autre côté de l’ubo­sot, des mai­sons en bois sont les retraites de ces femmes qui sont entrées en reli­gion, por­tant l’ha­bit blanc, crane rasé ; elles vivent ici en toute quié­tude, à l’a­bri des regards, entou­rées de chats et d’arbres hauts au pied des­quels des petites sta­tuettes, des arbres tres­sées de fils de fers et de petites pierres, des amu­lettes sont dépo­sées en signe de véné­ra­tion. Une plante épi­phyte est enrou­lée autour du tronc d’un arbre, dans un mor­ceau de tis­su de cou­leur jaune éga­le­ment. Le jaune ici prend la sym­bo­lique de la renon­ce­ment aux choses maté­rielles et de l’hu­mi­li­té. Je fais le tour, comme beau­coup d’autres per­sonnes, du beau che­di par la gauche, comme il se doit, et regarde les gens pieux en faire de même avec leur fleur de lotus dans les mains. Une jolie lumière tami­sée, oran­gée, recouvre les jar­dins et les visages pai­sibles des Boud­dha, dans l’o­deur flo­rale des fleurs de fran­gi­pa­niers et l’at­mo­sphère humide que la brique du che­di semble exhaler.

Une fois mon­té sur le che­di par une volée de marche extrê­me­ment raide, la vue est excep­tion­nelle sur la ville d’Ayut­thaya, même si on ne se trouve qu’à peine plus haut que la cime des plus grands ficus des alen­tours. Une niche est creu­sée à l’in­té­rieur du monu­ment, il y a fait une cha­leur haras­sante. Sept Boud­dhas trônent ici, tous recou­vert de feuilles d’or que l’on vient dépo­ser en masse sur le corps de la sta­tue. Au centre, un puits, qui a dû conte­nir autre­fois des tré­sors et des reliques, contient des cen­taines de pièces d’or que l’on jette ici comme dans un geste pour s’at­ti­rer la chance ; c’est aus­si un sym­bole fort : on se déleste des biens maté­riels au creux de ce monu­ment dont la forme ani­co­nique est cen­sée repré­sen­ter le corps du Boud­dha. Ceux qui ont la chance de mon­ter jus­qu’à cet endroit sont empreints d’une fer­veur tout particulière.

A l’é­cart du temple, une petite mai­son cen­sée repré­sen­ter un temple contient des dizaines de peluches de Dorae­mon, un per­son­nage de man­gas japo­nais qui n’est autre qu’un chat-robot qui voyage dans le temps. On se demande déjà pour­quoi ce per­son­nage est aus­si connu ici, mais d’i­ci à le voir sanc­tua­ri­sé dans un temple boud­dhiste, on se rend compte à quel point la reli­gion prend des formes un peu élargies.

A l’é­cart du temple, quand je rejoins le sky­lab, je tombe sur une petite fille qui ouvre les gros bou­tons des fleurs de lotus pour en faire de belles choses, pliées et repliées, avec une agi­li­té dont elle est très fière. Elle me fait un grand sou­rire tan­dis que je la filme.

La foule se presse encore à l’en­trée du temple et la cir­cu­la­tion reste très dense, même à l’é­cart de la ville. Le petit véhi­cule se fraie un pas­sage entre les voi­tures pour m’emmener au Wat Lokaya­su­tha­ram (วัดโลกยสุธาราม), qui n’a plus de temple que le nom. En réa­li­té, l’im­mense Boud­dha cou­ché est tout ce qui reste du temple. Tout le reste est tom­bé à terre, for­te­ment endom­ma­gé. Le prang est en très mau­vais état et tout autour, il ne reste plus que les socles et six pierres en forme d’or­chi­dées plan­tées devant le monu­ment prin­ci­pal ; ce sont les sym­boles anciens, pro­tec­teurs, dont le nom m’é­chappe encore et tou­jours. Ce lieu est répu­té pour son Boud­dha cou­ché qui a été maintes fois res­tau­ré et dont les dimen­sions en font un des plus impo­sants de Thaï­lande ; 42 mètres de long pour 8 mètres de haut. Bien évi­dem­ment, celui du Wat Pho le sur­passe lar­ge­ment, mais celui-ci est en plein air, direc­te­ment sous le soleil ; un petit pla­teau d’of­frandes lui est consa­cré. Je ne sais pas si c’est parce que l’heure com­mence à être avan­cée, mais il n’y a per­sonne alen­tour. Seuls quelques Thaïs trainent encore dans les envi­rons tan­dis que le soleil décline.

Il va être temps de retour­ner à l’hô­tel pour récu­pé­rer ma valise et repar­tir ce soir-même. Aupa­ra­vant, le chauf­feur du sky­lab s’ex­cuse pla­te­ment, mais il doit abso­lu­ment s’ar­rê­ter sur un tout petit mar­ché enfu­mé près du Boud­dha cou­ché. Il est en réa­li­té par­ti s’a­che­ter deux bro­chettes de pou­let qu’on lui enfourne dans un sachet plas­tique et qu’il dévore en ne tenant plus son gui­don que d’une main. Il se marre d’un air déso­lé en mon­trant qu’il com­men­çait à avoir faim.

Dans le centre de la ville, près du quar­tier géné­ral des élé­phants, là où les cor­nacs vêtus de rouge et de noir comme les sol­dats Thaïs du XIXè siècle, lavent leurs mon­tures à grande eau et les nour­rissent, il existe un petit mar­ché tout en lon­gueur où l’on trouve toutes sortes de bon­dieu­se­ries et d’us­ten­siles de cui­sine sous les tôles basses chauf­fées par le soleil. A l’heure qu’il est, tout ferme, et je me résigne à par­tir sans d’a­voir pu jeter un coup d’œil. Je me console comme je peux en me disant que de toute façon, qua­si­ment tout ce qu’on trouve ici est fabri­quée en Chine.

Avant de retour­ner cher­cher ma valise, je demande au chauf­feur de m’a­me­ner à Chao Phrom, un mar­ché, ou plu­tôt un centre com­mer­cial qui se trouve à l’est de la ville, non loin de la rivière. Tout est en train de fer­mer. L’am­biance du mar­ché me rap­pelle Pasar Berin­ghar­jo à Yogya­kar­ta. Les ven­deurs de légumes sont les der­niers à fer­mer, mais avec la cha­leur qu’il a fait aujourd’­hui, il ne reste plus sur les étals que de vieilles choses vertes, molles et flé­tries. En ce jour férié et à cette heure du jour, il ne reste plus grand-chose d’ou­vert. La der­nière image que j’au­rais d’Ayut­thaya, ce seront d’im­menses bou­le­vards vidés de leurs voi­tures, ville de pro­vince, calme et sans bruit de cir­cu­la­tion, tan­dis que le sky­lab me ramène à l’hô­tel. Le petit chauf­feur avec qui j’ai pas­sé la jour­née me demande 600 bahts, soit la moi­tié de ce que je lui dois puisque nor­ma­le­ment je le paie à l’heure… je fronce les sour­cils et trouve ça bizarre de lui devoir aus­si peu mais je m’exé­cute. Il revien­dra dix minutes plus tard en s’ex­cu­sant auprès de la récep­tion pour deman­der le reste. Je lui donne le reste, et même plus pour le remer­cier de cette belle jour­née avec lui dans la ville qu’il connaît parfaitement.

Je me bar­bouille d’an­ti-mous­tiques, com­mande un Chang beer qu’on me sert dans le patio de l’hô­tel et j’at­tends mon taxi qui doit arri­ver vers 19h30 pour m’emmener à Bang­kok. Lors­qu’il arrive, il s’ex­cuse de son retard et file aux toi­lettes en se mar­rant. Nous nous mar­rons bien quand il revient et qu’il me dit qu’il avait une urgence…

Le taxi est une grosse bagnole, un mini-van Nis­san super confor­table qui par­court les quatre-vingts kilo­mètres qui me séparent de Don Mueang dans une atmo­sphère feu­trée et cli­ma­ti­sée qui n’est pas sans apai­ser le feu d’un soleil brû­lant qui s’est amu­sé à tatouer ma peau blanche tout au long de la jour­née. Il me dépose dans un quar­tier miteux près de l’aé­ro­port, dans la nuit cras­seuse et bor­dé­lique, au pied de l’hô­tel non moins miteux que j’ai choi­si pour être près de l’aé­ro­port. La récep­tion­niste, une femme revêche et grasse qui me fait pen­ser à Ger­maine dans Monstres et Cie, aimable comme une porte de pri­son, me donne la clé d’une toute petite chambre à peine assez grande pour pas­ser entre le mur et le lit. La cli­ma­ti­sa­tion, néces­saire dans cette cage à lapins, ne fonc­tionne presque pas et émet un souffle bruyant que je vais devoir sup­por­ter toute la nuit ; la tem­pé­ra­ture ne des­cen­dra pas en des­sous de 29°C. Après avoir posé ma valise, je tente de trou­ver un petit res­tau­rant dans le quar­tier, mais même les indi­ca­tions que je trouve sur le GPS et sur inter­net sont fausses ; j’ai l’im­pres­sion d’être dans un no man’s land, loin de tout, iso­lé et per­du. Pas un seul res­tau­rant, même pas de quoi ache­ter à empor­ter pour dîner sur un bout de trot­toir, à part un pauvre 7/11 où j’a­chète un bol de nouilles déshy­dra­tées. C’est vrai­ment la pire nuit que je passe en Thaï­lande, une très courte nuit puisque je dois me lever à 3h30 demain matin. Demain, je pars sur un île, alors je mets tout ça de côté, et je m’en­dors presque paisiblement.

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Ayut­thaya sto­ries #3 : La Chao Phraya à Ayut­thaya sous une lumière d’ambre

Ayut­thaya sto­ries #3 : La Chao Phraya à Ayut­thaya sous une lumière d’ambre

Ayut­thaya est une ville étrange, entiè­re­ment entou­rée d’eau, un île-ville, à moins que ce ne soit le contraire. Du nord des­cendent deux rivières, la Lop­bu­ri (แม่น้ำ ลพบุรี) et la Pa Sak (แม่น้ำป่าสัก), du nord-ouest des­cend la majes­tueuse Menam Chao Phraya (แม่น้ำเจ้าพระยา), le fleuve sur lequel est assise Bang­kok, sépa­rant la méga­lo­pole de l’an­cienne capi­tale Thon­bu­ri, beau­coup plus dis­crète et char­mante avec ses khlongs (คลอง) sillon­nant les quar­tiers pauvres et luxu­riants de végé­ta­tion. La Chao Phraya contourne la ville par l’ouest, la Pa Sak par l’est, encer­clant la ville en une forme de poche où, au sud, elles se rejoignent ; la Chao Phraya prend le des­sus et des­cend seule vers la mer. Un canal a été creu­sé au nord, reliant les deux rivières et trans­for­mant ain­si la ville en île, l’eau enser­rant dans ses bras l’an­tique ville royale. En y regar­dant de plus près, on se rend compte à quel point le réseau flu­vial est émi­nem­ment plus com­pli­qué, ce qui n’a pas jamais vrai­ment faci­li­té le tra­vail de nos car­to­graphes occi­den­taux lors des pre­mières ten­ta­tives aux XVIIè et XVIIIè siècles.

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Au pied de l’hô­tel bai­gnant ses pieds dans la rivière sacrée, une petite barque moto­ri­sée, en fait un long-tail boat (Ruea Hang Yaoเรือหางยาว) cou­vert attend l’heure du départ pour visi­ter la ville par les rives. Il est 16h00 et la lumière com­mence déjà à revê­tir ses habits de nuit. Lorsque je revien­drai, l’heure dorée écla­te­ra de mille feux. En par­cou­rant la vieille ville dans le sky­lab de Mr Sihn, je découvre la vie du quar­tier dans lequel je vis et notam­ment U‑Thong Road, qui a ce mérite de faire tout le tour de la ville.

Thaïlande - Ayutthaya - 113 - Rues d'Ayutthaya

Thaïlande - Ayutthaya - 115 - Rues d'Ayutthaya

Thaïlande - Ayutthaya - 118 - Rues d'Ayutthaya

Ven­deurs de fruits, échoppes rou­lantes pro­po­sant des plats à empor­ter, répa­ra­teurs de 2 roues consti­tuent la majo­ri­té de ce qu’on peut trou­ver ici. La plu­part des com­mer­çants sont musul­mans, ce qu’on peut remar­quer par leur façon de s’ha­biller ou l’ab­sence des sem­pi­ter­nels por­traits des ancêtres dont les boud­dhistes décorent leur inté­rieur, ou des petits temples rouges entur­ban­nés par la fumée épaisse des com­merces chi­nois. On trouve ici les Roti Sai Mai (โรตีสายไหม), la spé­cia­li­té d’Ayut­thaya. Pas facile de com­prendre ce que sont ces sacs gon­flés d’air, conte­nant des fils enche­vê­trés de toutes les cou­leurs et ali­gnés sur les étals. C’est en réa­li­té du sucre can­di, ou plu­tôt comme des fils de barbe-à-papa colo­rés et par­fu­més à tout ce qu’on veut (banane, noix de coco, fraise, pis­tache — arômes arti­fi­ciels bien évi­dem­ment…) que l’on mange dans des petites crêpes qui peuvent elles-mêmes être par­fu­mées. Pour ma part, j’ai goû­té des crêpes à la pis­tache avec du sucre can­di aro­ma­ti­sé à la fraise. Rien de trans­cen­dant ; ce n’est que du sucre par­fu­mé, mais je ne suis pas si éton­né que ça de voir le suc­cès que ça peut avoir auprès des Thaïs, très friands de sucre en géné­ral (sur­tout dans les sodas qui sont hor­ri­ble­ment plus sucrés qu’en France).

Thaïlande - Ayutthaya - 119 - Sur la Chao Phraya

Thaïlande - Ayutthaya - 122 - Sur la Chao Phraya

Thaïlande - Ayutthaya - 123 - Sur la Chao Phraya

Pour l’ins­tant, me voi­ci par­ti sur la petite barque pro­pul­sée par un bruyant moteur de voi­ture mon­té sur une perche. Sur les rives de la Chao Phraya, on peut voir les mai­sons construites sur pilo­tis, les pieds dans l’eau la plu­part du temps lorsque le ter­rain le per­met. Si beau­coup ont une appa­rence assez misé­rables, rafis­to­lées de plaques de tôle bran­lantes et de planches pour­ries, recou­vertes de bâches en plas­tique bleu, d’autres sont très bien entre­te­nues, en bois le plus sou­vent, peintes dans des cou­leurs vives et équi­pées de petites ter­rasses où sèche tant bien que mal le linge domes­tique. L’eau trouble de la rivière char­rie des îles entières de jacinthes d’eau qui pul­lulent tran­quille­ment mal­gré les remous des embar­ca­tions. Le bateau sur lequel je me trouve fait le tour de la ville dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. A l’ho­ri­zon, un temple immense se des­sine, avec ses toits à plu­sieurs étages poin­tus, juste sur la rive, à l’embouchure de la Pa Sak et de la Chao Phraya. C’est la sil­houette du Wat Pha­nan Choeng Wora­wi­han (วัดพนัญเชิง), dont le plus haut bâti­ment est presque deux fois plus grand que tous les autres. L’é­trave tout en finesse se taille une route dans les îles de jacinthes, qui ne cha­virent pas pour autant. Lorsque j’ar­rive sur le quai, une petite dame ron­douillarde dans sa gui­toune per­çoit un droit d’en­trée pour l’ac­cès au temple, par lequel on peut par ailleurs accé­der gra­tui­te­ment en arri­vant par la terre et indique une direc­tion en bre­douillant quelques mots dans un anglais mâché que je ne sai­sis pas vrai­ment, mais j’i­ma­gine que le plus haut des wat est la direc­tion qu’il faut suivre.

Thaïlande - Ayutthaya - 124 - Wat Phanan Choeng

Thaïlande - Ayutthaya - 125 - Wat Phanan Choeng

Je remonte la rivière avec l’es­poir d’une pro­messe qui sera tenue. Il fait encore très chaud et ma che­mise conti­nue d’ab­sor­ber en silence la sueur qui coule dans le creux de mes reins. J’ai la sen­sa­tion d’ar­pen­ter des lieux en dehors du temps, mal­gré la foule qui se rend ici dans l’op­tique de ser­vir les icônes de leur reli­gion, ou peut-être d’ob­te­nir des grâces que leur vie simple ne leur offre pas. Il règne une sorte de fébri­li­té dis­crète et de joies déli­cates d’être ensemble en famille.

Thaïlande - Ayutthaya - 126 - Wat Phanan Choeng

Une foule de Thaïs se presse devant l’en­trée où tout le monde converge vers une porte étroite qui ne laisse pas­ser que deux ou trois per­sonnes à la fois. On per­çoit une fer­veur intense, un je-ne-sais-quoi de pro­fon­dé­ment fébrile à l’i­dée d’en­trer dans ce lieu qui n’a d’ex­cep­tion­nel que la taille du Boud­dha doré qui se trouve assis sous la voûte du toit, dont les genoux font deux fois ma taille. Mal­gré son aspect ruti­lant, c’est un Boud­dha beau­coup plus vieux que la plu­part de ceux qu’on peut voir en Thaï­lande, puis­qu’il date de 1324 ; il porte le doux nom de Luang Pho Tho (หลวงพ่อโต) pour les Thaïs et Sam Pao Kong (ซำเปากง) pour les Thaïs d’o­ri­gine chi­noise et se trouve être le pro­tec­teur des marins (d’eau douce, en l’oc­cur­rence). Les Bir­mans l’ont plu­sieurs fois sac­ca­gé, mais il a été res­tau­ré pour revê­tir l’ap­pa­rence majes­tueuse qu’on peut voir aujourd’hui.

Thaïlande - Ayutthaya - 128 - Wat Phanan Choeng

Thaïlande - Ayutthaya - 131 - Wat Phanan Choeng

Les Thaïs le contournent par la gauche, comme il se doit, avant de frap­per la peau d’un immense tam­bour dont je res­sens les vibra­tions dans la poi­trine, et qui est cen­sé por­ter chance. Der­rière le grand homme doré, des femmes s’af­fairent à plier les kilo­mètres de toile cou­leur safran que les fidèles offrent en signe de véné­ra­tion. Toute une équipe est dédiée, par un sys­tème ingé­nieux de cordes, à dévê­tir le prince pauvre pour le revê­tir de linge propre et d’un orange écla­tant. Tout se passe dans une ambiance à la fois bon-enfant et res­pec­tueuse. Je m’a­muse plus à obser­ver la pié­té des fidèles devant cette gigan­tesque masse si impo­sante qu’on n’ar­rive pas en voir toutes les par­ties au niveau du sol plu­tôt que m’ex­ta­sier devant un Boud­dha qu’il est dif­fi­cile d’ap­pré­hen­der. Les enfants s’a­musent à faire réson­ner le tam­bour le plus fort possible.

Thaïlande - Ayutthaya - 132 - Wat Phanan Choeng

Thaïlande - Ayutthaya - 135 - Wat Phanan Choeng

Thaïlande - Ayutthaya - 136 - Wat Phanan Choeng

Thaïlande - Ayutthaya - 137 - Wat Phanan Choeng

Dehors, un petit temple peint en rouge arbore des idéo­grammes chi­nois sous les­quels brûlent des cen­taines de bâtons d’en­cens. C’est un temple boud­dhiste chi­nois, appa­rem­ment très fré­quen­té. Je retourne vers la bateau qui m’at­tend au pon­ton, où une troupe de Thaïs s’a­muse à jeter par poi­gnées entières des boules de cou­leurs aux énormes pois­sons-chats qui se che­vauchent pour attra­per leur nour­ri­ture. Plus qu’une habi­tude, c’est un geste sacré de nour­rir ces pois­sons (Pan­ga­sia­no­don gigas) dont les plus gros spé­ci­mens dépassent le mètre. Il paraît qu’un pêcheur a sor­ti de l’eau un spé­ci­men mesu­rant plus de trois mètres pour 293 kilos. On les voit pul­lu­ler ici, mais aus­si en plein Bang­kok, et leur nombre paraît si impres­sion­nant qu’il masque tota­le­ment le fait que c’est une espèce en voix d’ex­tinc­tion, vic­time de la sur­pêche. Cer­tains de ces pois­sons n’hé­sitent pas à se mon­ter les uns sur les autres pour attra­per la nour­ri­ture, mon­trant par­fois leur ventre blanc rebon­di au ciel… Le fait de savoir ces fleuves majes­tueux infes­tés de ces gros pois­sons les rendent un peu inquié­tants ; même si ces bêtes sont loin d’être car­ni­vores, l’i­dée de les côtoyer, moi qui adore l’eau mais uni­que­ment lorsque je suis des­sus et non dedans, me donne des sueurs froides.

Thaïlande - Ayutthaya - 138 - Sur la Chao Phraya

Thaïlande - Ayutthaya - 140 - Sur la Chao Phraya

Thaïlande - Ayutthaya - 141 - Sur la Chao Phraya

La petite embar­ca­tion remonte la rivière Pa Sak vers le nord, à contre-cou­rant, le long des rives dont cer­taines sont plan­tées de petits temples entou­rant un che­di blanc, soli­taire, se décou­pant sur le ciel cou­leur de miel. Des barges pour­rissent, encore atta­chées à leur pon­ton, par­mi les jacinthes d’eau qui enva­hissent tout, au pied de mai­sons en bois dont les ter­rasses laissent libre cours à la flâ­ne­rie de ceux qui s’y pré­lassent. Des entre­pôts en bois doit les pieds baignent dans la rivière semblent sur le point de s’é­crou­ler au pre­mier coup de vent, mais les Thaïs sont des bâtis­seurs de pre­mier ordre, et même si leurs construc­tions ne sont pas faites pour durer dans le temps, elles sont au moins pré­vues pour durer le temps de leur uti­li­sa­tion. Rien de plus, rai­son pour laquelle on peut voir des usines entières som­brer dans l’eau des maré­cages, désor­mais inutiles et inuti­li­sables, leur longues che­mi­nées de briques dai­gnant encore poin­ter leurs doigts effi­lés vers le ciel.

Thaïlande - Ayutthaya - 143 - Sur la Chao Phraya

Thaïlande - Ayutthaya - 144 - Sur la Chao Phraya - Elephant

Thaïlande - Ayutthaya - 146 - Sur la Chao Phraya

Sur les berges, on peut voir des élé­phants lon­ger la rive en se balan­çant comme le font les ani­maux en cap­ti­vi­té ; des chaînes entravent les pieds mas­sifs de ces énormes pachy­dermes qu’on contraint à res­ter au même endroit pour le spec­tacle, mais cette exhi­bi­tion me désole. Je pré­fère ne rien rete­nir de ces moments qui ne me sont pas des­ti­nés. Je fais signe au nau­to­nier de conti­nuer son che­min et je m’en­gouffre dans ce canal plus étroit qui a été creu­sé au nord pour relier les deux rivières, entou­rant ain­si la vieille ville d’eau pour en faire une île, un immense navire pro­té­gé natu­rel­le­ment du reste du pays. L’embarcation file jus­qu’à rejoindre un lieu beau­coup plus boi­sé, où les ter­rasses de petits res­tau­rants coquets, déjà fré­quen­tés par ceux qui ne tra­vaillent plus, avancent dans l’eau et la surplombe.

Thaïlande - Ayutthaya - 147 - Wat Chaiwatthanaram

Un immense che­di blanc et doré (Che­di Sri Suriyo­thai) se pro­file sur la gauche ; c’est l’u­nique ves­tige d’une rési­dence royale, por­tant le nom d’une reine du Siam ayant vécu au XVIè siècle, icône d’un cer­tain natio­na­lisme un peu dépla­cé. La moi­tié supé­rieure de monu­ment, entiè­re­ment recou­verte d’or, res­plen­dit dans l’air du soir, ren­voyant la lumière du soleil alen­tour, tel un phare immo­bile au pied de la rivière sacrée.

Thaïlande - Ayutthaya - 149 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 150 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 152 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 153 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 155 - Wat Chaiwatthanaram

Tan­dis que le soir est prêt à tom­ber, que le soleil plonge vers l’ouest, il reste sus­pen­du dans l’air vapo­reux au-des­sus de la sil­houette pas tout à fait incon­nue d’un grand temple, le cei­gnant d’une cou­ronne de lumière d’ambre. Je dis pas tout à fait incon­nue car je me trouve face à un temple, le Wat Chai Wat­tha­na­ram, qui peut faire pen­ser aux ombres dan­santes des temples khmers d’Ang­kor, même si celui-ci est plus tar­dif. Son prang prin­ci­pal, construit dans le style Khom, est un chef‑d’œuvre d’ar­chi­tec­ture qui culmine à 35 mètres de haut. Sa construc­tion géo­mé­trique lui donne fière allure et les huit che­di qui l’en­tourent forment une pro­me­nade un peu déso­lante, car les sta­tues de Boud­dha qui la jonchent sont elles aus­si meur­tries, déca­pi­tées depuis l’in­va­sion des Birmans.

Thaïlande - Ayutthaya - 156 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 157 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 158 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 160 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 164 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 167 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 169 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 172 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 173 - Wat Chaiwatthanaram

Le temple n’a été res­tau­ré et rou­vert au public que depuis 1992. Les plus grandes sta­tues ont été res­tau­rées elles aus­si, sur­mon­tées de têtes en ciment inex­pres­sives et sans charme. Cer­taines des sta­tues servent de repo­soirs à oiseaux qui ne se gênent pas pour s’ou­blier sur les épaules du Prince Sid­dhar­tha. La brique affleure par­tout, seuls quelques che­di arborent encore des traces de stuc blanc, entre les mau­vaises herbes qui poussent dans l’ap­pa­reillage de briques bran­lantes. L’air sent bon la fraî­cheur des maré­cages, un je-ne-sais-quoi de végé­tal chaud, de terre char­gée d’his­toire, enro­bée de la cha­leur moite d’une fin de jour­née au cœur de la Thaï­lande. Le soleil se cache der­rière une brume épaisse qui donne au pay­sage une cou­leur intem­po­relle dans une fin de jour­née qui s’é­tire dans un soir éter­nel. Le disque orange se montre dans toute sa beau­té, illu­mi­nant les pierres aban­don­nées dans un décor de fin du monde…

Thaïlande - Ayutthaya - 175 - Wat Phutthaisawan

Thaïlande - Ayutthaya - 176 - iuDia

La ter­rasse de la suite Okun, hôtel iuDia, ma chambre…

Thaïlande - Ayutthaya - 177 - iuDia

Le long-tail boat me ramène au pied de l’hô­tel tan­dis que le soleil a fini par s’é­va­nouir der­rière l’ho­ri­zon. La sil­houette éti­rée du Wat Phut­thai­sa­wan semble attendre la nuit dans son écrin arbo­ré. Le corps four­bu, la peau cuite par un soleil que je n’ai même pas vu, je pro­fite des der­niers ins­tants du jour pour plon­ger dans la pis­cine de l’hô­tel depuis laquelle je vois les pre­mières lumières s’illu­mi­ner sur le temple de l’autre côté de la rivière sacrée. C’est un moment unique, un de ceux que l’on aime­rait voir durer toute une vie et qui ne sont au final que les touches finales qui servent à don­ner au voyage une cou­leur que les rudes ins­tants de la vie n’ar­rivent pas à effa­cer. Tan­dis que je flotte sur l’eau claire de la pis­cine, les yeux tour­nés vers le ciel, je me remé­more cette chaude jour­née, ma pre­mière en Thaï­lande dans ce nou­veau périple, pas­sant mes doigts sur ma poi­trine libre comme pour mieux lais­ser mon cœur se repaître de ce pays aux accents magiques. J’en­tends l’ap­pel du muez­zin, quelque peu incon­gru dans un pays où les boud­dhistes sont rois, en regar­dant la rivière dont je me demande si le cou­rant n’a pas chan­gé de sens depuis ce matin…

Le soir venu, je remonte U‑Thong road vers les res­tau­rants qui flottent sur la rivière et jette mon dévo­lu sur une adresse que je ferai tout pour oublier, le Sai­thong River. Ce n’est ni plus ni moins qu’une can­tine sans charme dans laquelle je pen­sais pou­voir trou­ver mon compte, mais ce n’est qu’une usine à tou­ristes où les ser­veuses poussent à la consom­ma­tion en rem­plis­sant mon verre de bière à chaque gor­gée, où la nour­ri­ture est grasse et sans raf­fi­ne­ment ; ambiance pour Chi­nois affai­rées à se rem­plir de whis­ky coca fas­ci­nés par un gui­ta­riste folk qui reprend des stan­dards occi­den­taux pour évi­ter le dépay­se­ment. Je me rem­plis l’es­to­mac et quitte l’en­droit avec empres­se­ment pour rejoindre la ter­rasse de ma chambre sur la rivière ; ici il fait calme et doux, seul le cla­po­tis de la rivière vient per­tur­ber mes doux rêves d’Ayut­thaya, et la bière ache­tée au 7/11 prend tout de suite une autre saveur…

Je m’en­dors en me deman­dant ce qu’il peut y avoir au cœur de tous ces prang

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