Je ne me rappelle même plus à quelle occasion j’ai commandé un moka au bar du Banana Moka Night Café, mais c’était sur les rives d’un rêve bordé d’une mangrove profonde et ténébreuse, où les palétuviers frondeurs fouissaient de leurs doigts fins la terre d’ocre, boueuse et collante. L’air était moite, les saveurs humides, l’ombre me mangeait le visage.
Sur les rives d’un autre rêve, je me suis perdu sous les murs de l’enceinte majestueuse du monastère des Hiéronymites, celui-là même qui fut financé par l’argent des échanges commerciaux du Portugal du XVIè siècle sur les nouvelles routes qui venaient de s’ouvrir avec les Moluques (Jazirat al Muluk) et notamment du commerce des épices, florissant en d’autres temps.
Je cherche dans ma boîte mail les mails d’une femme qui ne m’écrit pas.
Je passe l’aspirateur et je me brûle les doigts avec les verres chauds qui sortent du lave-vaisselle.
Un matin de janvier, un matin froid qui sort tout droit de l’année d’avant, je me retrouve dans un petit village du Vexin, sans même un commerce, rien d’autre qu’un restaurant et des tourterelles qui roucoulent dans le vent glacial, rien d’autre alentour que des champs plats à perte de vue, un horizon uniquement brisé par la présence d’un silo bêtement planté au milieu de nulle part. J’aime la lumière de ces jours sans espoir, de ces ondes qui parcourent le sol sous mes pieds. Je m’arrête en plein milieu de nulle part. Au loin une petite église dont je décide de m’approcher à pas mesurés. Elle sent l’humidité, la campagne, la souris crevée, la paille. Ses trottoirs sont sales, la rue recouverte de neige. Pas un bruit. Les tourterelles se sont tues. Nulle âme qui vit ici, je préfère repartir avant de me laisser happer.
Lorsque le réveil sonne, je suis encore fatigué. C’est même surprenant que je ne sois pas réveillé avant qu’il ne se mette à sonner.
Il fait calme. Je rêve d’un air frais et pur.
Existe-t-il une raison pour laquelle j’oublie parfois ce qui s’est passé pendant tout une journée ? Je me dis que l’oubli a quelque chose à voir avec la volonté d’oublier.
Les jours passent, deviennent froids, puis se réchauffent, la pluie tombe et le sol sèche, on joue à cache-cache avec ses propres vêtements, ne sachant plus s’il faut se couvrir à l’intérieur ou se découvrir à l’extérieur. L’envie s’en va, les yeux se brouillent, la fatigue surprend et on me tape sur l’épaule ; je m’étais endormi, une fois de plus.
Il s’allonge dans son petit lit sous sa couette gonflée, je caresse sa joue ronde, celui qu’on dit tant me ressembler. Une fois de plus, ce soir, il a lu un passage des Métamorphoses d’Ovide parce que j’ai pris l’habitude de lui en lire un extrait le soir avant de dormir, alors il me demande son dictionnaire de mythologie (Michael Grant et John Hazel) et lit ces lignes qui me font sourire, à l’entrée Acca Larentia :
Femme du berger Faustulus, qui trouve les jumeaux abandonnés Romulus et Rémus et les éleva. Parce que les enfants avaient été élevés par une louve, Acca fut appelée lupa, ce qui, en latin, signifie “prostituée” et “louve”. Acca est aussi nommé Faula ou Fabula, autre nom pour les filles de joie en latin.
Allez faire comprendre ça à un gamin de huit ans…
Tags de cet article: froid, mythe, neige, Portugal
“Parce que les enfants avaient été élevés par une louve, Acca fut appelée lupa” — ils ne prennent pas un peu le problème à l’envers, là, Michael Grant et John Hazel ?
et c’est qui cette femme ? (dit-elle, jalouse 😉 )
C’est peut-être surtout un problème de traduction. Le livre de Hazel et Grant fait autorité, ça m’étonnerait que ce soit ainsi dans le texte original. Atta, je vais te crucifier le traducteur, tvavoar.…
C’est beau, le Vexin. Champs de céréales à perte de vue, toits des maisons, clochers des églises visibles de loin, amples ondulations boisées d’Arthies, vallées de la Viosne, des Aubettes… et la Seine, au sud. Les maisons sortent de terre ici. Littéralement : pierre, argile et plâtre qui viennent du terroir font se fondre les couleurs des villages dans celui du paysage. Même quand il n’y a pas de neige.
Oui, c’est une campagne discrète et un peu sage, elle est à enjambée de Paris et pourtant elle arrive facilement à effacer le bruit de la ville…