Apr 5, 2014 | Sur les portulans |
J’aime ces bouts du monde qui disent autre chose que le pays dans lequel ils sont, qui trahissent un passé douloureux ou heureux, mais qui chantent encore les glorioles du passé en tapant délicatement du doigt sur la table et semble nous dire encore et toujours : « je ne suis pas d’ici, mais pas vraiment de là-bas non plus ». Immersion dans ce qu’il reste de portugais en Inde, un bout de Porto à l’autre bout du monde, avec ce petit détour par l’état de Goa et en particulier dans la ville de Panaji (Panjim), sous domination lusophone pendant près de 450 ans, jusqu’aux jours de 1961 qui virent ces terres redevenir indiennes.
Il est vrai qu’il restait encore quelques coins intacts : les étroites ruelles pavées, au tracé hasardeux, de Fontainhas, le plus vieux quartier de Panjim. On dirait un petit morceau de Portugal échoué sur la rive de l’océan Indien. Des vieilles filles en robe à fleurs lisent le journal du soir sur leur véranda et bavardent en portugais. Si vous vous promenez là en fin de journée, vous tombez sur des scènes impossibles à imaginer ailleurs en Inde : des violonistes jouent du Villa-Lobos devant la fenêtre ouverte ; des oiseaux en cage pépient sur des balcons style Art nouveau, donnant sur des petites piazzas pavées sur des carreaux rouges. Vous verrez de vieux bonshommes en pantalon de lin fraîchement repassé, coiffés d’un feutre, sortir en groupes des tavernes et, la canne à la main, marcher d’un pas chancelant sur les pavés, en longeant des files de vieilles Coccinelles des années cinquante, toutes cabossées et livrées à la rouille. Une douceur méditerranéenne palpable, presque visible, baigne ces rues.
William Dalrymple, L’âge de Kali
A la rencontre du sous-continent indien
Libretto, 1998
Photo d’en-tête © Akshay Charegaonkar
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Jan 27, 2011 | Passerelle |
Je ne me rappelle même plus à quelle occasion j’ai commandé un moka au bar du Banana Moka Night Café, mais c’était sur les rives d’un rêve bordé d’une mangrove profonde et ténébreuse, où les palétuviers frondeurs fouissaient de leurs doigts fins la terre d’ocre, boueuse et collante. L’air était moite, les saveurs humides, l’ombre me mangeait le visage.
Sur les rives d’un autre rêve, je me suis perdu sous les murs de l’enceinte majestueuse du monastère des Hiéronymites, celui-là même qui fut financé par l’argent des échanges commerciaux du Portugal du XVIè siècle sur les nouvelles routes qui venaient de s’ouvrir avec les Moluques (Jazirat al Muluk) et notamment du commerce des épices, florissant en d’autres temps.
Je cherche dans ma boîte mail les mails d’une femme qui ne m’écrit pas.
Je passe l’aspirateur et je me brûle les doigts avec les verres chauds qui sortent du lave-vaisselle.
Un matin de janvier, un matin froid qui sort tout droit de l’année d’avant, je me retrouve dans un petit village du Vexin, sans même un commerce, rien d’autre qu’un restaurant et des tourterelles qui roucoulent dans le vent glacial, rien d’autre alentour que des champs plats à perte de vue, un horizon uniquement brisé par la présence d’un silo bêtement planté au milieu de nulle part. J’aime la lumière de ces jours sans espoir, de ces ondes qui parcourent le sol sous mes pieds. Je m’arrête en plein milieu de nulle part. Au loin une petite église dont je décide de m’approcher à pas mesurés. Elle sent l’humidité, la campagne, la souris crevée, la paille. Ses trottoirs sont sales, la rue recouverte de neige. Pas un bruit. Les tourterelles se sont tues. Nulle âme qui vit ici, je préfère repartir avant de me laisser happer.
Lorsque le réveil sonne, je suis encore fatigué. C’est même surprenant que je ne sois pas réveillé avant qu’il ne se mette à sonner.
Il fait calme. Je rêve d’un air frais et pur.
Existe-t-il une raison pour laquelle j’oublie parfois ce qui s’est passé pendant tout une journée ? Je me dis que l’oubli a quelque chose à voir avec la volonté d’oublier.
[audio:nosunshine.xol]
Les jours passent, deviennent froids, puis se réchauffent, la pluie tombe et le sol sèche, on joue à cache-cache avec ses propres vêtements, ne sachant plus s’il faut se couvrir à l’intérieur ou se découvrir à l’extérieur. L’envie s’en va, les yeux se brouillent, la fatigue surprend et on me tape sur l’épaule ; je m’étais endormi, une fois de plus.
Il s’allonge dans son petit lit sous sa couette gonflée, je caresse sa joue ronde, celui qu’on dit tant me ressembler. Une fois de plus, ce soir, il a lu un passage des Métamorphoses d’Ovide parce que j’ai pris l’habitude de lui en lire un extrait le soir avant de dormir, alors il me demande son dictionnaire de mythologie (Michael Grant et John Hazel) et lit ces lignes qui me font sourire, à l’entrée Acca Larentia :
Femme du berger Faustulus, qui trouve les jumeaux abandonnés Romulus et Rémus et les éleva. Parce que les enfants avaient été élevés par une louve, Acca fut appelée lupa, ce qui, en latin, signifie “prostituée” et “louve”. Acca est aussi nommé Faula ou Fabula, autre nom pour les filles de joie en latin.
Allez faire comprendre ça à un gamin de huit ans…
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