J’aime ces bouts du monde qui disent autre chose que le pays dans lequel ils sont, qui tra­hissent un pas­sé dou­lou­reux ou heu­reux, mais qui chantent encore les glo­rioles du pas­sé en tapant déli­ca­te­ment du doigt sur la table et semble nous dire encore et tou­jours : « je ne suis pas d’i­ci, mais pas vrai­ment de là-bas non plus ». Immer­sion dans ce qu’il reste de por­tu­gais en Inde, un bout de Por­to à l’autre bout du monde, avec ce petit détour par l’é­tat de Goa et en par­ti­cu­lier dans la ville de Pana­ji (Pan­jim), sous domi­na­tion luso­phone pen­dant près de 450 ans, jus­qu’aux jours de 1961 qui virent ces terres rede­ve­nir indiennes.

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Pho­to © Carl Parkes

Il est vrai qu’il res­tait encore quelques coins intacts : les étroites ruelles pavées, au tra­cé hasar­deux, de Fon­tain­has, le plus vieux quar­tier de Pan­jim. On dirait un petit mor­ceau de Por­tu­gal échoué sur la rive de l’o­céan Indien. Des vieilles filles en robe à fleurs lisent le jour­nal du soir sur leur véran­da et bavardent en por­tu­gais. Si vous vous pro­me­nez là en fin de jour­née, vous tom­bez sur des scènes impos­sibles à ima­gi­ner ailleurs en Inde : des vio­lo­nistes jouent du Vil­la-Lobos devant la fenêtre ouverte ; des oiseaux en cage pépient sur des bal­cons style Art nou­veau, don­nant sur des petites piaz­zas pavées sur des car­reaux rouges. Vous ver­rez de vieux bons­hommes en pan­ta­lon de lin fraî­che­ment repas­sé, coif­fés d’un feutre, sor­tir en groupes des tavernes et, la canne à la main, mar­cher d’un pas chan­ce­lant sur les pavés, en lon­geant des files de vieilles Coc­ci­nelles des années cin­quante, toutes cabos­sées et livrées à la rouille. Une dou­ceur médi­ter­ra­néenne pal­pable, presque visible, baigne ces rues.

William Dal­rymple, L’âge de Kali
A la ren­contre du sous-conti­nent indien
Libret­to, 1998

Pho­to d’en-tête © Akshay Cha­re­gaon­kar

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