Jul 28, 2011 | Arts |

Il sufÂfit parÂfois de regarÂder autour de soi et on se trouve satisÂfait, au moins pour un temps. Je viens de dĂ©couÂvrir une broÂchure du Conseil GĂ©nĂ©Âral metÂtant en avant le patriÂmoine de la rĂ©gion et notamÂment quelques peintres mĂ©conÂnus du grand public. ParÂmi ceux-ci, NorÂbert GĹ“neutte (1854–1894), peintre qui s’est illusÂtrĂ© Ă Auvers-sur-Oise, patrie d’aÂdopÂtion de Van Gogh, auprès de qui il est enterÂrĂ©. Il fait parÂtie de ces artistes peu connus qui ont pourÂtant donÂnĂ© leur vie Ă leur art, morts trop jeunes, trop tĂ´t…
Ci-desÂsus, une vue de l’aÂveÂnue de CliÂchy Ă Paris, une vue incroyaÂbleÂment belle donÂnant corps au Paris de la fin du XIXè siècle.
C’est le temps des vacances, il est temps de laisÂser place vacante et de faire le plein de culture pour reveÂnir en sepÂtembre avec le plein de collections…
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Jul 22, 2011 | Arts, Chambre acoustique |
Depuis que les paroles de l’aÂpĂ´tre Paul dans l’éÂpitre aux CorinÂthiens, dans leur interÂprĂ©ÂtaÂtion la plus orthoÂdoxe, avaient condamÂnĂ© les femmes Ă ne pas parÂler, Ă ne pas s’exÂpriÂmer au sein des Ă©glises, les enfants et les hautes-contres Ă©taient les seuls Ă pouÂvoir interÂprĂ©Âter les pièces baroques d’auÂteurs ausÂsi cĂ©lèbres que HaenÂdel ou CalÂdaÂra, dont, pour la pluÂpart, la foncÂtion Ă©tait de serÂvice les offices (comme les canÂtates de Bach) Ă l’inÂtĂ©Ârieur des Ă©glises, la musique de chambre Ă proÂpreÂment parÂler n’exisÂtant alors pas rĂ©ellement.

Au centre, CarÂlo BroÂschi, plus connu sous le nom de FariÂnelÂli,
peint par JacoÂpo Amigoni
La pĂ©riode baroque, concenÂtrĂ©e sur le XVIIè siècle et une parÂtie du XVIIIè, est une pĂ©riode musiÂcale, qui, notamÂment en ItaÂlie, est vĂ©cue comme une sucÂcesÂsion de surÂenÂchères artisÂtiques de virÂtuoÂsiÂtĂ© ameÂnant les comÂpoÂsiÂteurs Ă dĂ©veÂlopÂper en volutes et phrases musiÂcales dignes des rhĂ©ÂtoÂriques les plus subÂtiles leurs pièces dont sont friands les cours royales d’EuÂrope. (more…)
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Jul 17, 2011 | Histoires de gens, Livres et carnets, Sur les portulans |
Lorsque Joseph KesÂsel nous emmène Ă Hong-Kong, il ne nous laisse pas Ă la gare avec nos valises en nous donÂnant renÂdez-vous dans le hall d’un quelÂconque hĂ´tel de seconde zone, ce n’est pas le genre, il nous emmène lĂ oĂą ceux avec qui il a voyaÂgĂ© l’ont emmeÂnĂ©, dans les lieux Ă©loiÂgnĂ©s des touÂristes, lĂ oĂą on n’oÂseÂrait pas mettre les pieds sans avoir contacÂtĂ© au prĂ©aÂlable son ambassade.
[audio:plums.xol]
Il nous emmène sur les hauÂteurs de l’île, vers la tour qui surÂplombe la ville et attire le regard. On apprend que celui qui a fait construire ces jarÂdins n’est autre que l’inÂvenÂteur du fameux baume du tigre, Aw Boon Haw, un BirÂman expaÂtriĂ© en Chine qui avait vite comÂpris que pour vendre, il falÂlait maĂ®ÂtriÂser les mĂ©dias et la publiÂciÂtĂ©. Il acheÂta donc pluÂsieurs jourÂnaux et dĂ©veÂlopÂpa un vĂ©riÂtable empire Ă la MurÂdoch, larÂgeÂment souÂteÂnu par le comÂmerce de l’oÂpium dont il Ă©tait un des piliers.

La visite des jarÂdins qu’il fit construire dĂ©montre que l’homme n’aÂvait pas forÂcĂ©Âment bon goĂ»t.

La tour qui, d’aÂbord, avait fixĂ© mon attenÂtion, n’aÂvait en elle-mĂŞme rien d’exÂtraÂorÂdiÂnaire. Par contre, ce qui se trouÂvait aux alenÂtours semÂblait releÂver d’un cauÂcheÂmar burÂlesque et monstrueux.
C’éÂtait une vaste proÂpriĂ©ÂtĂ©, mais disÂpoÂsĂ©e en hauÂteur, parce qu’elle s’acÂcroÂchait, comme tout domaine Ă Hong-Kong, au flanc du roc abrupt. On y accĂ©Âdait par un preÂmier escaÂlier assez raide, qui parÂtait de la route pour abouÂtir Ă la terÂrasse d’une grande et sompÂtueuse maiÂson d’haÂbiÂtaÂtion, cerÂnĂ©e de fleurs et munie d’une pisÂcine. Après quoi, l’on dĂ©bouÂchait sur un terre-plein et ausÂsiÂtĂ´t la folie commençait.
Car de lĂ , dans un fouillis au preÂmier abord inexÂtriÂcable, parÂtaient en toutes direcÂtions senÂtiers et pistes, graÂdins et degrĂ©s, arcades et galeÂries, allĂ©es et rampes qui, grimÂpant, desÂcenÂdant, tourÂnant en spiÂrales, se mĂŞlant, s’enÂcheÂvĂŞÂtrant, reveÂnant au point de dĂ©part, comÂpoÂsaient un dĂ©dale informe, un labyÂrinthe aplaÂti contre une paroi de falaise. Et derÂrière chaque pierre, sous chaque arbre, le long de chaque escaÂlier, entre les colonnes, dans les pavillons et les kiosques innomÂbrables, au fond des arcades, au milieu des masÂsifs de fleurs, debout, assis, ageÂnouillĂ©s, couÂchĂ©s, torÂdus, lovĂ©s, gesÂtiÂcuÂlant, ricaÂnant, griÂmaÂçant, menaÂçant, peints, sculpÂtĂ©s, taillĂ©s dans le fer-blanc, la porÂceÂlaine, l’os, le bois, la cire, l’arÂgile, le plâtre, le stuc, monoÂchromes, polyÂchromes, isoÂlĂ©s en groupes, en masses, en foules, grouillaient, fourÂmillaient d’une exisÂtence frĂ©ÂnĂ©Âtique et silenÂcieuse, des perÂsonÂnages humains et besÂtiaux, des divinitĂ©s,d es monstres, des dĂ©mons et des symboles.
Les draÂgons Ă©normes dresÂsaient leur gueule flamÂboyante au-desÂsus de l’herbe qui tapisÂsait une Ă©minence.
Un trouÂpeau d’éÂlĂ©Âphants, trompes, oreilles, Ă©paules et dĂ©fenses confonÂdues dans un affronÂteÂment immoÂbile, serÂvait de souÂbasÂseÂment Ă une grande galeÂrie ouverte, diviÂsĂ©e par des colonnes.
Dans les niches, logeaient des squeÂlettes sur lesÂquels souÂriaient des visages extaÂtiques, et des guerÂriers barÂbus, et des sorÂciers Ă long bonÂnet en pointe, et des rois couÂverts de parures, et des hideuses femmes nues, dont le ventre Ă©tait lourd de fĂ©conÂdiÂtĂ©s malsaines.
Plus loin, un lapin dĂ©meÂsuÂrĂ© en porÂceÂlaine blanche semÂblait sorÂtir de plantes grasses. Sous des arbres s’éÂbatÂtaient des singes de plâtre aux museaux outranÂciers. Puis tout Ă coup, l’on voyait sur une pelouse un vieux monÂsieur chiÂnois Ă jaquette verte adresÂser une souÂrire de MusĂ©e GrĂ©Âvin Ă une jeune fille en robe de brocart.
Et Ă mesure que l’on monÂtait, monÂtait sans fin, le long des senÂtiers qui se croiÂsaient, se nouaient et se dĂ©nouaient autour de l’axe du rocher, on dĂ©couÂvrait sans cesse de nouÂveaux asiles, des nouÂveaux refuges — grottes en rocaille, socles contourÂnĂ©s, kiosques d’une prĂ©ÂcioÂsiÂtĂ© horÂrible, pavillons posĂ©s de guinÂgois pour un peuple de peinÂtures, de staÂtues, de figuÂrines incroyables par leur nombre, leur variĂ©ÂtĂ©, leur vioÂlence, leur laiÂdeur, leur obscĂ©nitĂ©.
Des arbustes, des buisÂsons torÂtuÂrĂ©s, des plantes inflĂ©Âchies contre nature, toute une vĂ©gĂ©ÂtaÂtion naine, artiÂfiÂcielÂleÂment planÂtĂ©e et forÂmĂ©e, mise au jour comme par supÂplice, entouÂrait, encaÂdrait ce monde en miniaÂture de monstres, de sucÂcubes, d’aÂniÂmaux humains, d’hommes-chiens, oiseaux, serÂpents, limaces, lĂ©zards, cet uniÂvers d’êtres innommables.
C’éÂtait un chaos, un enfer, un panÂthĂ©on, un panÂdĂ©ÂmoÂnium, une mythoÂloÂgie de cauÂcheÂmar. Tout y faiÂsait sonÂger aux fruits de la fièvre, du dĂ©lire, de la dĂ©mence.
Aw Boon Haw passe pour avoir Ă©tĂ© un perÂsonÂnage odieux, un tyran. C’est en tout cas le porÂtrait qu’en fait HarÂry Ling, le comÂpaÂgnon de route de Kessel.
Au phyÂsique : traÂpu, masÂsif, le cou bref, un masque immoÂbile. Des yeux d’une acuiÂtĂ© presque insouÂteÂnable. Un manÂgeur terrifiant.
Au moral : un tyran capriÂcieux, n’ayant que deux pasÂsions : les affaires et les femmes. D’une proÂdiÂgaÂliÂtĂ© sans limites, pour l’osÂtenÂtaÂtion, pour « la face ». D’une monsÂtrueuse avaÂrice pour ceux qui le servaient.

L’œil s’aÂmuse du porÂtrait fait de son Ă©pouse, que la phoÂto vient renforcer…
[La phoÂtoÂgraÂphie] reprĂ©ÂsenÂtait, au milieu de deux comÂpagnes plus jeunes et au souÂrire charÂmant, une femme d’âge mĂ»r, très petite et très râblĂ©e. Le visage Ă©tait rond, aplaÂti et le nez camus cheÂvauÂchĂ© de lunettes Ă monÂtures mĂ©talÂlique. Mais il y avait sur tous les traits et, sinÂguÂlièÂreÂment, dans le vaste front bomÂbĂ© et dans une bouche ferme et prĂ©Âcise, l’exÂpresÂsion d’une intelÂliÂgence proÂfonde et d’une Ă©nerÂgie presque dure.

Hong-Kong tel que nous le brosse KesÂsel, est une ville sombre et bruyante, crasÂseuse, boueuse et n’a rien avec l’iÂdĂ©e qu’on s’en fait aujourd’Âhui. En 1957, c’est encore une ville puzzle que l’adÂmiÂnisÂtraÂtion briÂtanÂnique a du mal Ă conteÂnir. Tout y est interÂdit, la prosÂtiÂtuÂtion, l’oÂpium, et mĂŞme le mah-jong dont le bruit fait par les tuiles plaÂquĂ©es contre les tables envaÂhit les rues, mais en rĂ©aÂliÂtĂ©, tout y prosÂpère avec la force d’un tigre, surÂtout lorsÂqu’on pose des billets sur les pauÂpières des poliÂciers. Fait Ă©trange, l’anÂcienne citaÂdelle de KowÂloon City est une vĂ©riÂtable zone de non-droit qui n’apÂparÂtient Ă perÂsonne. Tous les truands et assasÂsins s’y rasÂsemblent et lorsque la police y cherche quelÂqu’un, elle comÂmisÂsionne d’autres assasÂsins pour le rabattre jusÂqu’aux portes de la ville. En 1987, lorsÂqu’elle comÂmence Ă ĂŞtre dĂ©truite, sa denÂsiÂtĂ© de popuÂlaÂtion est de 1 923 076 habiÂtants au km², ce qui en fait le quarÂtier le plus denÂsĂ©Âment peuÂplĂ© du monde.

Avant d’arÂriÂver au vilÂlage isoÂlĂ© de RenÂnie MilÂls (aujourd’Âhui Tiu Keng Leng) et son corÂtège de vieux natioÂnaÂlistes nosÂtalÂgiques de Tchang KaĂŻ-Chek dont le nom est Ă©crit Ă la chaux en immenses lettres blanches dans la colÂline, oĂą les femmes ont encore les pieds comÂpresÂsĂ©s dans d’imÂmondes banÂdeÂlettes, nous arriÂvons dans les ruelles boueuses d’une ville morte, hanÂtĂ©e par les fumeÂries d’oÂpium — la « boue Ă©tranÂgère », traÂfic orgaÂniÂsĂ© — qui dĂ©vore les corps et transÂforme les villes en refuges d’ombres.
Je monÂtai dans l’une des voiÂtuÂrettes. Georges — très lĂ©ger — et le fumeur d’oÂpium, dont le corps n’éÂtait qu’un sac d’osÂseÂments, se tasÂsèrent dans l’autre.
Les rickÂshaws, d’un bref coup de reins, dĂ©taÂchèrent les roues de l’orÂnière boueuse et prirent leur Ă©lan. Ils semÂblaient avanÂcer sans peine d’une allure rĂ©guÂlière, rythÂmĂ©e, aisĂ©e. Leurs pieds nus ne faiÂsaient qu’un bruit très faible.
Course irrĂ©elle, course de songe… Le clair-obsÂcur des rues… Les misĂ©Ârables maiÂsons blanÂchâtres… Des ombres humaines allant oĂą et pourÂquoi ? Des troupes d’enÂfants tapis contre les murs comme de petits aniÂmaux traÂquĂ©s ou perÂdus… SouÂdain un marÂchĂ© en plein air, illuÂmiÂnĂ© de quinÂquets, avec ses venÂdeurs hâves, haillonÂneux. Et puis de nouÂveau la pĂ©nombre… des terÂrains vagues… et encore des bâtisses. Et la nuque ployĂ©e du rickÂshaw… ses bras liĂ©s aux branÂcards, ausÂsi rigides, ausÂsi maigres. Et le son lĂ©ger, cadenÂcĂ©, des pieds nus…

De cette hisÂtoire somme toute une peu sorÂdide, on retienÂdra l’amÂbiance pasÂsaÂbleÂment irrĂ©elle des maiÂsons closes de luxe, oĂą les femmes de toute la Chine viennent vendre leurs charmes, dans un pays qui n’a dĂ©jĂ plus d’yeux que pour ses financiers…
De cette race, le filles les plus belles se trouÂvaient dans la maiÂson de danse oĂą HarÂry m’aÂvait ameÂnĂ©. Grandes pour la pluÂpart et toutes admiÂraÂbleÂment faites, harÂmoÂnieuses dans chaque attiÂtude et des mouÂveÂments si souples et dĂ©liĂ©s, que les os mĂŞmes semÂblaient parÂtiÂciÂper Ă la suave molÂlesse de leur chair, elles avaient des visages d’un modeÂlĂ© Ă la fois ferme et comme fonÂdant, la fraĂ®Âcheur lisse des pĂ©tales — couÂleur d’ambre clair — et une cheÂveÂlure de nuit Ă©tinÂceÂlante. Elles ne porÂtaient pas les jupes ouvertes Ă mi-cuisse et les vestes mulÂtiÂcoÂlores que l’on voyait ailleurs, mais leurs robes Ă©taient si ajusÂtĂ©es, et d’éÂtoffes si dĂ©liÂcates, qu’elles donÂnaient, Ă cause de la lumière sous-marine, l’imÂpresÂsion de ruisÂseÂler sur ces corps ciseÂlĂ©s de sirènes.
Joseph KesÂsel, Hong-Kong et Macao. 1957
Folio GalÂliÂmard, colÂlecÂtion voyages.
Toutes les phoÂtos sont extraites du magaÂzine LIFE
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Jul 16, 2011 | Livres et carnets, Sur les portulans |

[audio:grieved.xol]
En 1957, Joseph KesÂsel se rend Ă Hong-Kong pour tĂ©moiÂgner de ce qu’est cette ville concenÂtrĂ©e sur une coin de roche et qui devienÂdra l’iÂcĂ´ne du traÂfic d’oÂpium et du jeu, ville mysÂtère et ville fanÂtĂ´me, ville au rythme inferÂnal, orienÂtale jusÂqu’au bout des ongles transÂforÂmĂ©e par l’OcÂciÂdent en avant-poste du vice et du vide, remÂplisÂsant ses rues Ă©troites de banÂdeaux publiÂciÂtaires et de lumières et les arrières cours de prosÂtiÂtuĂ©es et de droÂguĂ©s. TouÂteÂfois, malÂgrĂ© la honte de surÂface, arrive Ă transÂpaÂraĂ®tre le goĂ»t suave de l’éÂvaÂsion dans cette mĂ©gaÂpole perÂchĂ©e sur un bout de rocher plonÂgeant Ă pic. On s’iÂmaÂgiÂneÂrait bien comme KesÂsel arriÂver Ă Hong-Kong par la mer, dans les odeurs de dieÂsel et de poisÂson pourÂrisÂsant cherÂcher un marin de GibralÂtar ou une jeune femme qu’on aurait aimĂ© autrefois…
Tous les voiÂliers sont beaux et tous ils portent l’une des plus vieilles chiÂmères de l’homme dans leur grĂ©eÂment ailĂ©. Mais les barques des mers de Chine, parce qu’elles n’ont pas chanÂgĂ© de desÂsin depuis des siècles, que leur châÂteau arrière s’éÂlève sur l’eau comme une gueule de draÂgon, que leur armaÂture est faite de bamÂbous, que leurs voiles ont la forme et la couÂleur d’éÂnormes feuilles rousses, aux nerÂvures dĂ©liÂcates, que dresÂsĂ©es, incliÂnĂ©es ou couÂchĂ©es elles dĂ©corent leurs mâts de fronÂdaiÂsons miraÂcuÂleuses, et que souÂvent, rapiĂ©ÂcĂ©es, dĂ©chiÂrĂ©es, elles laissent pasÂser Ă traÂvers leur flotÂtante tenÂture le feu du soleil et l’aÂzur du ciel, que leur Ă©quiÂpage est fait d’hommes ou de femmes aux yeux briÂdĂ©s et secrets — ces barques des mers de Chine dĂ©pasÂsant toutes les autres en mythe de pouÂvoir et d’évasion.
AinÂsi Ă traÂvers les paqueÂbots, les canots, les carÂgos, les vedettes, les transÂborÂdeurs masÂsifs, les vagues, les brises et les jonques, le ferÂry approche de Hong-Kong.
La foule qu’il porte se met en mouÂveÂment. Sur le quai bougent et crient d’autres foules. Les rues qui graÂvissent le roc abrupt sur lequel est bâtie la ville ne sont qu’un fourÂmilleÂment humain. Des files de voiÂtures passent sur les quais. Les grues Ă©lèvent et baissent leurs Ă©normes bras de fer. Les rickÂshaws galopent. Les cheÂnilles du funiÂcuÂlaire grimpent vers les cimes. Les Ă©diÂfices eux-mĂŞmes semblent remuer. Au-desÂsus de la citĂ© frĂ©Âmissent jusÂqu’aux faĂ®tes les fleurs et les arbres. Et les nuages lĂ©gers comme des pĂ©tales et des floÂcons, les brumes de mer transÂpaÂrentes comme une buĂ©e, s’arÂrĂŞtent un insÂtant contre les flancs de l’île et glissent nonÂchaÂlamÂment Ă leur surface.
Joseph KesÂsel, Hong-Kong et Macao. 1957
Folio GalÂliÂmard, colÂlecÂtion voyages, pp. 33–34
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Jul 16, 2011 | Livres et carnets |

[audio:KV488Adagio.xol]
Il aura falÂlu l’énerÂgie d’une femme pour que je puisse enfin me dire que je pouÂvais lire et ne pas m’enÂnuyer dans les livres d’une femme (mis Ă part certes quelques uns d’AnÂneÂmaÂrie SchwarÂzenÂbach). Et quelles femmes ! La preÂmière est proche de mon cĹ“ur, la seconde en Ă©tait ausÂsi Ă©loiÂgnĂ©e que posÂsible, surÂtout après que l’on m’ait forÂcĂ© Ă lire un de ses livres quand j’éÂtais au lycĂ©e. La souÂveÂnir nĂ©gaÂtif n’en Ă©tait que plus prĂ©Âsent et marÂquant. C’est avec le marin de GibralÂtar que j’ai plonÂgĂ© dans la lecÂture de MarÂgueÂrite Duras et peut-ĂŞtre dans ce qui sera un renouÂveau de lecÂture pour moi. J’y suis allĂ© confiant et je suis resÂsorÂti de lĂ avec l’imÂpresÂsion nette d’aÂvoir touÂchĂ© quelque chose du doigt, une Ă©criÂture Ă la fois fine et rĂŞche, Ă la fois senÂsible et traÂgique. On m’a dit une fois que Duras Ă©tait la plus amĂ©ÂriÂcaine des Ă©criÂvains franÂçais, il y a cerÂtaiÂneÂment quelque chose de ça.
RareÂment, dans tout ce que j’ai lu, je n’ai lu un ausÂsi beau texte sur la chaleur :
A FloÂrence, comÂbien fit-il ? Je ne sais pas. PenÂdant quatre jours, la ville fut en proie Ă un calme incenÂdie, sans flammes, sans cris. AngoisÂsĂ©e autant que par les pestes et les guerres, la popuÂlaÂtion, penÂdant quatre jours, n’eut pas d’autre souÂci que de durer. Non seuleÂment ce n’éÂtait pas une temÂpĂ©ÂraÂture pour les hommes, mais pour les bĂŞtes non plus ce n’en Ă©tait pas une. Au zoo, un chimÂpanÂzĂ© en mouÂrut. Et des poisÂsons eux-mĂŞmes en mouÂrurent, asphyxiĂ©s. Ils empuanÂtisÂsaient l’ArÂno, on parÂla d’eux dans les jourÂnaux. Le macaÂdam des rues Ă©tait gluant. L’aÂmour, j’iÂmaÂgine Ă©tait banÂni de la ville. Et pas un enfant ne dut ĂŞtre conçu penÂdant ces jourÂnĂ©es. Et pas une ligne ne dut ĂŞtre Ă©crite en dehors des jourÂnaux qui, eux, ne titraient que sur ça. Et les chiens durent attendre des jourÂnĂ©es plus clĂ©Âmentes pour s’acÂcouÂpler. Et les assasÂsins durent recuÂler devant le crime, les amouÂreux se nĂ©gliÂger. L’inÂtelÂliÂgence, on ne savait plus ce que ça vouÂlait dire. La raiÂson, Ă©craÂsĂ©e, ne trouÂvait plus rien. La perÂsonÂnaÂliÂtĂ© devint une notion très relaÂtive et dont le sens Ă©chapÂpait. C’éÂtait encore plus fort que le serÂvice miliÂtaire. Et Dieu lui-mĂŞme n’en avait jamais tant espĂ©ÂrĂ©. Le vocaÂbuÂlaire de la ville devint uniÂforme et se rĂ©duiÂsit Ă l’exÂtrĂŞme. Il fut penÂdant cinq jours le mĂŞme pour tous. J’ai soif. Ça ne peut plus durer. Cela ne dura pas, cela ne pouÂvait pas durer, il n’y avait aucun exemple que cela eĂ»t durĂ© plus de quelques jours. Dans la nuit du quaÂtrième jour il y eut un orage. Il Ă©tait temps. Et chaÂcun, ausÂsiÂtĂ´t, dans la ville, reprit sa petite spĂ©ÂciaÂliÂtĂ©. Moi non. J’éÂtais encore en vacances.
MarÂgueÂrite Duras, le marin de GibralÂtar. 1952
Folio GalÂliÂmard pp. 31–32
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