Depuis que les paroles de l’a­pôtre Paul dans l’é­pitre aux Corin­thiens, dans leur inter­pré­ta­tion la plus ortho­doxe, avaient condam­né les femmes à ne pas par­ler, à ne pas s’ex­pri­mer au sein des églises, les enfants et les hautes-contres étaient les seuls à pou­voir inter­pré­ter les pièces baroques d’au­teurs aus­si célèbres que Haen­del ou Cal­da­ra, dont, pour la plu­part, la fonc­tion était de ser­vice les offices (comme les can­tates de Bach) à l’in­té­rieur des églises, la musique de chambre à pro­pre­ment par­ler n’exis­tant alors pas réellement.

Au centre, Car­lo Bro­schi, plus connu sous le nom de Fari­nel­li,
peint par Jaco­po Amigoni

La période baroque, concen­trée sur le XVIIè siècle et une par­tie du XVIIIè, est une période musi­cale, qui, notam­ment en Ita­lie, est vécue comme une suc­ces­sion de sur­en­chères artis­tiques de vir­tuo­si­té ame­nant les com­po­si­teurs à déve­lop­per en volutes et phrases musi­cales dignes des rhé­to­riques les plus sub­tiles leurs pièces dont sont friands les cours royales d’Eu­rope. La com­plexi­té des pièces et le manque de puis­sance des voix mas­cu­lines contre-ténors ont pous­sé les puristes à récla­mer la cas­tra­tion comme moyen de trou­ver les plus belles, les plus pures voix fémi­nines qui soient. Tou­te­fois, la réa­li­té n’est pas aus­si radi­cale et beau­coup plus miso­gyne, car même si Clé­ment IX, en 1668, inter­dit par décret aux femmes d’ap­prendre la musique et de deve­nir chan­teuses, et a for­tio­ri de se pro­duire dans les théâtres baroques, les com­po­si­teurs ne s’y trompent pas et pré­tendent qu’une voix de femme est plus belle que la meilleur voix de cas­trat. Au demeu­rant, il est plus facile, éco­no­mi­que­ment par­lant de des­ti­ner un jeune gar­çon à une car­rière de chan­teur et celle d’une jeune fille à la car­rière d’épouse.
L’Italie pauvre du XVIIè siècle fut tra­ver­sée par une onde de cas­tra­tion qui se pro­pa­gea comme une trai­née de poudre, comme res­source finan­cière indis­cu­table pour les parents de jeunes gar­çons. On coupe à tour de bras au petit cou­teau (col­tel­li­no) sans garan­tie de résul­tat car une crois­sance sexuelle arrê­tée n’est pas gage de qua­li­té vocale et de vir­tuo­si­té, et ce sont des mil­liers de gar­çons, qui tous les ans sont pri­vés de leurs attri­buts sexuels pour satis­faire les oreilles mélomanes.
La cas­tra­tion est aus­si un cal­vaire car l’âge arri­vant, les cas­trats portent sur leur corps les carac­tères sexuels secon­daires de l’autre sexe : déve­lop­pe­ment de seins, accu­mu­la­tion grais­seuse entre les cuisses et sur les hanches. De plus, la pro­duc­tion hor­mo­nale était per­tur­bée, les cas­trats sont sou­vent plus grands que la moyenne, et ont une cer­taine ten­dance à l’o­bé­si­té et à la neurasthénie.

N’é­tant que peu friand des voix haut per­chées de sopra­no, je recom­mande vive­ment l’é­coute de l’al­bum Sacri­fi­cium pro­po­sé par la très belle, pétillante et plan­tu­reuse mez­zo-sopra­no Ceci­lia Bar­to­li, qui nous sert là cer­tains des plus beaux airs écrit spé­ci­fi­que­ment pour cas­trats. Le plus beau à mon avis, Pro­fe­zie, di me diceste (Sede­cia — 1732) écrit par Anto­nio Caldara.

[audio:Sedecia.xol]

Je ne résiste pas à non plus à vous faire écou­ter l’un des airs baroques les plus connus, Las­cia ch’io pian­ga, écrit par Haen­del pour l’o­pé­ra Rinal­do (chant Caro­lyn Wat­kin­son, chef d’orchestre Jean-Claude Mal­goire)

[audio:Lasciachiopianga.xol]

Le même, inter­pré­té par la chan­teuse néo-bruns­wi­ckoise Suzie LeBlanc.

Enfin, pour ceux qui ne connaissent pas encore Phi­lippe Jarouss­ky (contre-ténor), voi­ci un exemple de son art à l’oc­ca­sion de la sor­tie de son der­nier album fai­sant redé­cou­vrir les airs de Caldara.

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