Au soleil chan­tant de Sicile, sous les pierres des églises…

L’his­toire dit que tout vient des moines capu­cins (Ordo Fra­trum Mino­rum Capuc­ci­no­rum) pour qui la mort revê­tait un carac­tère expia­toire et fina­le­ment devint objet de véné­ra­tion et de res­pect. La Sicile est terre de mys­tère, terre aride entou­rée d’une Médi­ter­ra­née féconde et on ima­gine par­fai­te­ment ses petites cités silen­cieuses écra­sées par le soleil entou­rées d’un voile de com­plot et de silence, et dans les rues escar­pées de ces hameaux accro­chées aux falaises pas­ser les ombres de ces moines pour le moins peu ave­nants. Dès leur arri­vée sur l’île, ils construisent des églises en cal­caire blanc et d’a­près la tra­di­tion datant de Constan­tin, sur­élèvent ces bâtisses au-des­sus d’ex­ca­va­tions qu’on nomme cata­combes, comme on peut en voir à Syra­cuse sous l’Eglise San Gio­van­ni Evan­ge­lis­ta. Consti­tuées la plu­part du temps en cime­tières com­mu­nau­taires et en hypo­gées de droit pri­vé, les pre­mières cata­combes, telles qu’on peut les visi­ter aujourd’­hui en Sicile, sont des cryptes ouvertes au vent du large, bat­tues par des vents chauds et sec et lorsque les corps des moines capu­cins décé­dés sont posés à même le sol de cette crypte, puis lavés au vinaigre, l’at­mo­sphère et le temps font leur œuvre, des­sé­chant les chairs plus vite qu’un pro­ces­sus de décom­po­si­tion normal.

Les moines ayant décou­vert ces tech­niques de conser­va­tion vont déve­lop­per leur savoir faire et redon­ner à leurs morts — en par­ti­cu­lier aux pré­lats et digni­taires mais aus­si aux riches dona­teurs — l’as­pect de vivants dans ces caves pour le moins lugubres en creu­sant des locu­li (niches) dans les­quels les cadavres sont main­te­nus dans les posi­tions debout à l’aide de câbles et de cro­chets ou assise sur des trônes per­cés afin que la gra­vi­té per­mette la des­cente natu­relle des organes en décom­po­si­tion dans ces ves­pa­siennes à usage unique… Le moins que l’on puisse dire c’est que ces moines ont déve­lop­pé une rela­tion pour le moins étroite avec leurs morts, per­fec­tion­nant des tech­niques pas­sées dans le lan­gage cou­rant des civi­li­sa­tions égyp­tiennes ou précolombiennes.

L’u­ti­li­sa­tion de ces lieux de mort a per­du­ré jus­qu’aux pré­mices du XXè siècle avec les très célèbres cata­combes capu­cines (Loca­li­sa­tion sur Google Maps) de l’é­glise San­ta Maria del­la Pace de Palerme, dans les­quels on peut voir aujourd’­hui des cen­taines de corps ali­gnés, vêtus de leurs plus beaux atours, sou­vent les yeux ouverts dans des expres­sions ter­ri­fiantes et dont la seule cou­leur de la peau et une cer­taine mai­greur laissent pen­ser que ces man­ne­quins ne sont plus en vie. Le corps de la petite Rosa­lia Lom­bar­do, décé­dée à l’âge de deux ans et embau­mé par le célèbre Alfre­do Sala­fia est aujourd’­hui  encore une attrac­tion, qui à mon sens relève plus de l’a­mu­se­ment ou de la per­for­mance que d’un rituel mor­tuaire véri­ta­ble­ment “chré­tien”.
(more…)

Read more

Un nou­vel ami

Ce soir, je m’en­dors dans les bras du pre­mier baron­net d’Abbots­ford, sir Wal­ter Scott. J’ai envie de me faire un nou­vel ami de l’au­teur des Tales of my Land­lord et en par­ti­cu­lier de cette œuvre gran­diose qu’est le Cœur du Mid-Lothian. Je racon­te­rai com­ment c’é­tait une fois que j’au­rais lu les 900 pages tra­duites par un mon­sieur au pré­nom qui sonne comme une forêt roman­tique… Syl­vère Monod.

Read more

Celui qui ne vou­lait plus être un être humain, Buzz Aldrin et les Féroïens

Mat­tias est heu­reux. Ou plu­tôt, il est, sim­ple­ment. Mieux, il est heu­reux mais se contente d’être, du coup, il ne sait pas qu’il est heu­reux. On entre dans son his­toire tan­dis qu’il est ado­les­cent, un jeune gar­çon pai­sible vivant à Sta­van­ger, une grosse ville du Vest­lan­det, une région de Nor­vège côtière face à l’At­lan­tique, là où il neige plus rare­ment que dans les terres. Peu de ques­tions se posent à lui et c’est presque tout natu­rel­le­ment qu’il ren­contre sa pre­mière petite amie, Helle, avec qui il vit son pre­mier amour, sa pre­mière pas­sion et une mul­ti­tude de pre­mières fois. Près de lui, il y a aus­si Jørn, son ami d’en­fance. Pour lui, tout va, le bon­heur est là. Il est porte une tenue de tra­vail déco­rée de fleurs de magno­lias et exerce la pro­fes­sion de jardinier.

Sur la stra­té­gie de sur­vie : Modèle fon­da­men­tal pour mener une exis­tence longue et heu­reuse. Le modèle en trois étapes.
Inspirez.
Expirez.
Répé­tez au besoin.

Pho­to © Polan­deze

Seule­ment un jour, tout ne va pas si bien que ça. Mat­tias chante divi­ne­ment bien, mais il refuse de deve­nir le chan­teur atti­tré du groupe de Jørn. Et puis dans son appar­te­ment la vie se déroule pai­si­ble­ment, jus­qu’au jour où Helle lui avoue qu’elle a une liai­son et qu’elle va le quit­ter. Alors Mat­tias décide de par­tir en tour­née avec Jørn dans les îles Féroé, c’est le bon moment pour lui de faire un break et de se retrou­ver loin de chez lui. Les îles Féroé c’est plu­tôt tran­quille comme endroit pour se refaire une san­té, sim­ple­ment il se retrouve en pleine nature il ne sait com­ment, par­mi des mou­tons trem­pés par la pluie et les mains ensan­glan­tées. Éloge de la fuite. Désen­chan­te­ment et chute bru­tale. Mat­tias est lit­té­ra­le­ment tom­bé ici comme les anges déchus chutent à terre. Fina­le­ment, il a trou­vé l’au­baine pour ne plus être un véri­table être humain et com­men­cé à tendre vers la dis­pa­ri­tion ; le désir d’a­no­ny­mat prend corps dans un monde où être pre­mier est sou­vent une ver­tu en soi, un fin absolue.

J’é­tais coin­cé à l’ar­rière de la voi­ture entre Anna et NN, et je me disais que j’é­tais déci­dé­ment un abru­ti, moi qui croyais que les Féroé étaient un endroit idéal pour dis­pa­raitre car ici, les infor­ma­tions sur mon compte cir­cu­laient à une vitesse qui dépas­sait le mur du son. Les gens nous ont recon­nu aux endroits les plus impro­bables du pays puisque nous étions peu et a prio­ri bizar­roïdes, quelque part entre la psy­chia­trie et la réa­li­té, comme des espèces de mas­cottes en feutre qu’on aurait envie de ser­rer contre soi, voi­là ce que je me disais — et j’é­tais en per­ma­nence pré­sen­té comme le der­nier ex-din­go, un rôle que je m’ef­for­çais d’in­ter­pré­ter à la per­fec­tion, à moins qu’il ne m’ait plus été néces­saire de jouer, je ne sais pas. Je sais juste que je lais­sais à contre­cœur des traces der­rière moi par­tout où j’al­lais, quand bien même je m’é­chi­nais à fou­ler le sol aus­si pré­cau­tion­neu­se­ment que pos­sible. Je jouais l’i­diot et plus encore : j’é­tais un imbé­cile qui croyait pou­voir s’é­va­po­rer ici, au lieu de quoi j’é­tais un éva­po­ré qui se fai­sait plus que jamais remarquer.

Pho­to © Stig Nygaard

Johan Hars­tad est un jeune écri­vain et dra­ma­turge nor­vé­gien, qui en est tout de même à sa cin­quième œuvre publiée et avec ce gros livre de près de 500 pages, Buzz Aldrin, mais où donc es-tu pas­sé ? (Buzz Aldrin, hvor ble det av deg i alt myl­de­ret?) est une véri­table ode au bon­heur dans un monde agi­té. La chute de Mat­tias, le fait qu’il se retrouve dans une usine réaf­fec­tée en uni­té de soins post-psy­chia­trique dans la petite ville de Gjógv et l’his­toire simple d’une vie qui passe, déra­ci­née, déta­chée de tout ce qui pèse au quo­ti­dien, tout ceci res­semble à un bru­lot contre la vie désor­don­née et fati­gante, contre le vent et les marées des illu­sions d’un monde qui a parié sur l’in­dif­fé­rence et l’ap­pa­rence. La lec­ture de ce livre donne envie d’être heu­reux et de ne pas se com­pro­mettre avec la mon­da­ni­té trop facile, le monde qui ne vaut pas le coup, et même si par­fois on a l’illu­sion de pou­voir s’en retran­cher tota­le­ment, on finit tou­jours par être rat­tra­pé, au moins par ses amis et sa famille, les gens proches, ceux à qui on ne peut deman­der de tirer défi­ni­ti­ve­ment un trait sur ce que nous sommes, de nous oublier et de nous aimer.

Il serait plus juste d’af­fir­mer que nous avons un atteint un cer­tain point en attei­gnant du même coup la fin de cette année, ça non plus je ne sais pas. Mais ce que je sais avec cer­ti­tude, c’est que j’ai­mais être avec elle. Je crois que je suis tom­bé amou­reux d’elle à force de pas­ser du temps avec elle, et pas néces­sai­re­ment en elle. Il est tout à fait pro­bable que ma quête de l’autre était à ce point déses­pé­rée que, tôt ou tard, j’au­rais ten­du les bras vers la pre­mière per­sonne qui se serait pré­sen­tée à moi. Pire, je pense que je l’é­tais moi-même : désespéré.

Le livre d’Hars­tad donne un grand coup de pied dans la fatui­té du monde et per­met de res­pi­rer un grand coup et très fort. Un livre qui bruisse dou­ce­ment comme le chant d’un ruis­seau au cœur de la nature ennei­gée et silen­cieuse. Un livre qui dit les silences indi­cibles, qui redonne le sou­rire lorsque le déses­poir nous étreint. Un livre qui tout sim­ple­ment rend heureux.

Même Dieu n’au­rait pas pu tra­ver­ser l’en­ceinte de son église sans se faire remarquer.

Johan Hars­tad
Buzz Aldrin, mais où donc es-tu passé ?
Gaïa Edi­tions, 512 pages, ISBN 978–2‑84720–137‑6

Read more

Ragn­heiður Grön­dal, l’âme islandaise

Trou­ver de nou­velles musiques, de nou­velles sono­ri­tés, des artistes confi­den­tiels qui n’en méritent pas moins de par­ve­nir jus­qu’à nos oreilles par­fois désen­chan­tées tient par­fois du miracle, dans un uni­vers où les majors se plaignent de la chute des ventes de disques alors qu’ils ne sont plus capables de pro­duire des artistes de qualité.
Aus­si, j’ai mal­gré tous les écueils en tra­vers de ma route réus­si à trou­ver cette pépite : Ragn­heiður Grön­dal est une chan­teuse folk islan­daise née en 1984 qui a entre autres com­mis ce superbe album au nom impro­non­çable: Þjóðlög.

Cet album est une plon­gée dans l’u­ni­vers fleu­ri et froid des sagas islan­daises puis­qu’elle nous gra­ti­fie là d’un flo­ri­lège des plus belles chan­sons tra­di­tion­nelles islan­daises, dans une langue qui a su res­ter vivante mal­gré le fait qu’elle n’in­tègre abso­lu­ment aucun influence de l’ex­té­rieur. Depuis le XVIIIè siècle, les auto­ri­tés font en sorte de contrô­ler l’in­té­gri­té de cette langue déri­vée du nor­rois en char­geant écri­vains et lin­guistes de créer les termes rela­tifs aux nou­veaux concepts. Fait éton­nant, la domi­na­tion danoise de ce pays entre 1380 et 1918 n’a en rien enta­ché l’is­lan­dais de mots d’autres ori­gines et aujourd’­hui encore, les Islan­dais s’emploient à refaire vivre des mots tom­bés en désué­tude. L’is­lan­dais n’est langue offi­cielle de l’Is­lande que depuis 1944.

L’is­lan­dais com­porte deux carac­tères et deux pho­nèmes incon­nus de la langue française :

  • Ð, ð (, eth) équi­vaut au th anglais dans that /ð/ ; sa trans­lit­té­ra­tion conven­tion­nelle en fran­çais est dh
  • Þ, þ (nom­mée þorn, thorn) équi­vaut au th anglais dans both /θ/ ; sa trans­lit­té­ra­tion conven­tion­nelle en fran­çais est th (Source Wiki­pe­dia)

Read more