Sar­lat-la-Cané­da, ville d’ocre

Engon­cée au cœur d’une val­lée, Sar­lat (Sar­lat e La Cane­dat en occi­tan — nous sommes ici évi­dem­ment en pays d’Oc), capi­tale du Péri­gord Noir, est une petite ville médié­vale qui a su conser­ver en son cœur l’es­prit de ces places fortes, for­te­ment reli­gieuses et fon­ciè­re­ment riches. J’a­vais des sou­ve­nirs très pré­cis de cette ville, la mai­son natale d’Etienne de la Boé­tie qui en fut maire, la lan­terne des morts, l’Eglise Saint-Sacer­dos, L“Eglise Sainte-Marie qui n’a plus rien d’un église mais fait désor­mais office de mar­ché cou­vert grâce à la recon­ver­sion opé­rée par Jean Nou­vel, un autre enfant du pays, mais je ne me sou­ve­nais plus à quel point c’est un dédale de rues sombres et étroites dont on ima­gine aisé­ment que la plu­part devaient être de véri­tables coupe-gorge la nuit venue.

sarlat-019

Le jour où j’é­tais à Sar­lat, c’é­tait une belle jour­née comme on en fait dans le Sud-Ouest, chaude, très chaude ; la tem­pé­ra­ture était de 38 ou 39°C, je ne sais plus bien, et en déam­bu­lant au hasard dans le ville, nous cher­chions avant tout l’ombre et l’air qui avait défi­ni­ti­ve­ment quit­té les lieux. Ce qui m’a frap­pé avant tout, c’est la cou­leur de cette ville, d’un ocre jaune ins­crit sur tous les murs et la pré­sence ponc­tuelle et bien­ve­nue d’es­paces verts au beau milieu de ce milieu for­te­ment miné­ral et sec, ici une gly­cine for­mant une ton­nelle immense, là des catal­pas ombra­geant une place en espa­liers… Der­rière les échoppes à tou­ristes se déroule une vie calme dans les arrière-cours et les jar­di­nets, les ruelles qui semblent par­fois déser­tées par tout forme de vie, comme on peut le voir à Bruges ; l’im­pres­sion d’une façade, d’un décor de car­ton pâte inhabité.

Mes pho­tos sur Obsi­dienne et les mêmes, un peu plus grandes, sur Fli­ckr.
Loca­li­sa­tion sur Google Maps.

Read more

Trois œuvres de Jirō Taniguchi

C’est assez étrange de se dire qu’en lisant pas mal de livres et sur­tout arri­vé à 35 ans, on en arrive à lire des man­gas. Il faut dire que ceux-ci, que j’ai décou­vert il y a quelques semaines sont d’un genre tout par­ti­cu­lier, à la fois ins­pi­ré par l’es­prit d’Osa­mu Tezu­ka (手塚 治), la finesse du trait de la Ligne Claire et la sim­pli­ci­té de la ryth­mique des films de Yasu­jirō Ozu (小津 安二郎).
Le des­sin de
Jirō Tani­gu­chi est d’une pure­té qu’on pour­ra trou­ver par­fois trop rigide pour ce type d’œuvre car il est d’une incroyable pré­ci­sion et plu­tôt que de recher­cher l’o­ri­gi­na­li­té de ses per­son­nages, ceux-ci ont sou­vent les mêmes traits et ne montrent guère leurs émo­tions, c’est la quête de réa­lisme d’un Japon tel qu’il existe que l’au­teur cherche à faire pas­ser, sans excès de folk­lore, ni de fan­tai­sie d’ailleurs.
Les livres de Tani­gu­chi sont des his­toires simples de gens simples, cer­tai­ne­ment auto­bio­gra­phiques, qui n’hé­sitent pas à flir­ter avec l’es­prit du réa­lisme fan­tas­tique d’un Dino Buz­za­ti inquié­té par la mort et la nos­tal­gie de l’adolescence.

Quar­tier lointain

Œuvre en deux tomes, Quar­tier loin­tain raconte l’his­toire d’un homme allant sur ses cin­quante ans. Sala­ry-man terne et fati­gué, déçu par la vie et la sienne tout par­ti­cu­liè­re­ment, il n’en attend plus rien et n’a plus rien à appor­ter à sa femme qu’il délaisse et ses enfants qui ne voient pas vrai­ment en lui un père pré­sent. Un matin, tan­dis qu’il part en dépla­ce­ment pro­fes­sion­nel, il se rend compte qu’il n’est pas dans le bon train. La gare où il des­cen­dra n’est autre que celle de la ville où il a gran­di et puis­qu’il est là, il se dit qu’il va se rendre sur la tombe de sa mère. Un moment de fai­blesse, de fatigue, il s’en­dort et se réveille au même endroit, mais dans le pas­sé, et dans la peau de celui qu’il était à 14 ans, exac­te­ment à l’é­poque à laquelle son père les a aban­don­né, lui et sa mère. Il se demande s’il n’est pas reve­nu dans le pas­sé pour faire en sorte que cela n’ar­rive fina­le­ment pas, ou tout au moins ten­ter de com­prendre ce qu’il s’est pas­sé. Les scènes où le nar­ra­teur se retrouve dans sa famille dis­lo­quée des années en arrière sont ter­ri­ble­ment poignantes.

quartier_lointain

Le jour­nal de mon père

Un homme apprend la mort de son père qu’il n’a pas vu depuis 15 ans et se rend dans son vil­lage natal. Il ren­contre là toute la famille de son père avec qui il n’a plus eu de contact depuis bien long­temps non plus, notam­ment son oncle qu  l’a aidé à tra­ver­ser une période dif­fi­cile de sa vie, le divorce de ses parents. En l’oc­cur­rence, sa mère est par­tie, l’a­ban­don­nant avec son père et c’est toute la vie de celui-ci qui refait sur­face, un homme simple mais bon qui n’a jamais vrai­ment su dire les choses et que son fils redé­couvre avec regrets. Une œuvre triste, émou­vante sans être lar­moyante, d’une par­faite inten­si­té, réglée au mil­li­mètre près.

le journal de mon père taniguchi

L’homme qui marche

Ce livre est une pure mer­veille qui se passe qua­si­ment de dia­logues. L’homme qui marche est sim­ple­ment le récit d’un homme qui redé­couvre joyeu­se­ment le bon­heur de mar­cher dans la ville, d’ai­der des enfants à décro­cher leur avion en papier d’un arbre, de patau­ger dans les flaques d’eau, de se joindre à la marche tran­quille d’un vieil homme qui fait sa pro­me­nade quo­ti­dienne sans par­ler, de s’al­lon­ger sous un ceri­sier en fleur ou sim­ple­ment de s’ex­ta­sier sur les lumières de la nuit. Une pro­me­nade en ville, un livre sur le bon­heur d’être en vie.

l_homme-qui-marche

Ces trois livres sont dis­po­nibles aux édi­tions Casterman.

Read more

L’é­trange cas du contre­maître Phi­neas Gage

Il y a quelques jours, les lec­teurs du Monde ont pu décou­vrir un article enca­drant la pho­to d’un homme armé d’une sorte de har­pon, un œil fer­mé et le visage froid, sans expres­sion, impas­sible, mais non dénué d’un cer­tain charme.
En 1848, tra­vaillant sur un chan­tier fer­ro­viaire, le contre­maître Phi­neas Gage mani­pule de la poudre à l’aide d’une barre à mine (d’un bour­roir en réa­li­té) et la terre explose, pro­pul­sant l’ou­til qui lui tra­verse la joue, l’œil, puis le crâne pour fina­le­ment en res­sor­tir intégralement.

phineas_gage

Le miracle tient au fait que l’homme a sur­vé­cu à l’ac­ci­dent et n’a rien per­du de ses facul­tés intel­lec­tuelles, ni de sa mémoire, du moins en appa­rence. Tou­te­fois, le cas Phi­neas Gage, lar­ge­ment popu­la­ri­sé par le neu­ro­logue Anto­nio Dama­sio pré­sente un cas inté­res­sant d’a­bo­li­tion du juge­ment moral. Gage après son acci­dent aurait ter­mi­né sa vie dans un flou de colères aus­si sou­daines qu’ir­ra­tion­nelles et se seraient mon­tré inca­pable de prendre des déci­sions posées et réflé­chies. Ce cas est un de ceux qui illustre le mieux les désordres com­por­te­men­taux liés aux lésions des lobes fron­taux, dont s’est notam­ment fait une spé­cia­li­té le doc­teur Oli­ver Sacks (Cf. L’homme qui pre­nait sa femme pour un cha­peau)
C’est grâce à la ren­contre for­tuite entre deux col­lec­tion­neurs de pho­tos et Inter­net (en l’oc­cur­rence Fli­ckr) qu’on a enfin pu mettre un visage sur le nom de celui dont on n’a­vait jus­qu’à pré­sent que l’i­mage du mou­lage de son crâne fait de son vivant.

(more…)

Read more