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Parit­ta

Parit­ta

D’aus­si loin que nous sommes de l’A­sie, nous connais­sons fina­le­ment assez peu de choses du boud­dhisme, si ce n’est tous les cli­chés qu’on peut construire autour de ce que nous ne connais­sons pas. Divi­sé en deux branches majeures, d’un côté le the­ravā­da, le petit véhicule, reli­gion des ori­gines, pri­mi­tive et conser­va­trice, qui reste au plus proche des paroles du Boud­dha Śākyamū­ni et répan­du dans toute l’A­sie du Sud-est, de l’autre côté, le mahāyā­na ou grand véhi­cule, plus déve­lop­pé en Chine et en Corée. L’un reste concen­tré sur le salut de l’in­di­vi­du (d’où le “petit” véhi­cule), l’autre sur le salut de tous les êtres (d’où le terme un peu condes­cen­dant de petit véhi­cule par ceux qui pra­tiquent le grand véhi­cule). Si le the­ravā­da est la reli­gion majo­ri­taire dans l’aire d’ex­pan­sion la plus proche de son ber­ceau, l’Inde, c’est aus­si à mon sens le plus char­gé en mys­tères, en construc­tions de l’es­prit, mais aus­si en rites dif­fé­ren­ciés et magiques. C’est une reli­gion des­ti­née à être appro­priée par ses fidèles, qui n’hé­sitent pas à en faire une chose per­son­nelle, en dehors des canons et des dogmes.

La par­ti­cu­la­ri­té du the­ravā­da, c’est qu’il est s’ap­puie sur les Trois Cor­beilles, plus connues sous le nom sans­krit de tipi­ta­ka, ou tri­pi­ta­ka (dont j’ai déjà par­lé ici, en loccur­rence à pro­pos d’un tri­pi­ta­ka coréen). Selon la légende, les trois sec­tions (Sut­ta Pita­ka, Vinaya Pita­ka et Abhid­har­ma Pita­ka), ou cor­beilles de ce cor­pus de textes sacrés, auraient été écrits sur des feuilles de palme dépo­sées dans des cor­beilles tres­sées. Sans ren­trer dans le détail, la pre­mière cor­beille contient les règles de la vie monas­tique et les mythes de la créa­tion, la seconde les paroles du Boud­dha et la troi­sième est un ensemble de textes ana­ly­tiques des paroles du Boud­dha (Dhar­ma étant la doc­trine, Abhid­har­ma est ce qui se trouve au-des­sus de la doc­trine). Et c’est là que les choses se com­pliquent, car si la science du tipi­ta­ka est réser­vée à une élite monas­tique, elle n’est pas écrite dans une langue com­mune. Ni les Thaïs, ni les Bir­mans, ni les Khmers ne peuvent la lire dans leur langue de nais­sance, car le tipi­ta­ka est écrit en pali, une langue indo-aryenne autre­fois par­lée en Inde et assez proche du sans­krit. D’ailleurs, le tipi­ta­ka est éga­le­ment appe­lé canon pali. Le pali aurait été la langue de nais­sance du Boud­dha, ce qui explique pas mal de choses.

L’ex­pres­sion la plus actuelle du pali, c’est la réci­ta­tion des parit­ta, ou pirit et ça, pour le coup, on peut l’en­tendre par­tout dans les temples d’A­sie du Sud-est, puisque ces réci­ta­tions qui sont des chants de pro­tec­tion sont les chants que les moines récitent un peu par­tout dans cette région du monde. Chants éton­nants, ânon­nés par­fois, lan­gou­reux et suaves, ils sont par­fois entê­tants jus­qu’à l’é­va­nouis­se­ment. Cette mono­to­nie est régu­lière et symp­to­ma­tique d’une absence volon­taire de fan­tai­sie. On com­prend aisé­ment pour­quoi la transe n’est jamais loin. Si les chants sont appris par cœur, leur sens réel n’est pas tou­jours connu de ceux qui les entonnent. Ce sont éga­le­ment les paroles de ces parit­ta que l’on trouve sur les tatouages sacrés thaï­lan­dais que l’on appelle Sak Yant ou sur les ins­crip­tions pro­tec­trices que l’on trouve au-des­sus de la tête de tout chauf­feur de taxi qui se res­pecte (et qui doit, dans cer­tains cas leur faire croire qu’ils peuvent se per­mettre de ne pas faire atten­tion à la manière dont ils conduisent).

C’est ce chant que j’ai réus­si à cap­ter en fin de jour­née au Wat Pho, dans le temple prin­ci­pal qu’on appelle Bôt ou Ubo­soth, le temple d’or­di­na­tion des moines. Mais ce soir, parce que Bang­kok n’est déci­dé­ment pas une ville comme les autres, c’é­tait un chant d’un genre par­ti­cu­lier que l’on pou­vait entendre puisque c’é­tait le chant des femmes, les moniales de la com­mu­nau­té qui vit dans l’en­ceinte du temple. Vêtues de blanc, le crâne rasé comme celui des hommes, elles offi­ciaient, les pieds nus tour­nés vers l’en­trée du temple, jamais vers le Boud­dha, elles chan­taient avec un cer­tain entrain. L’une d’elle s’est tour­née vers moi et m’a sou­ri cha­leu­reu­se­ment comme pour me remer­cier d’être là et de m’é­mer­veiller de ce chant si particulier.

[audio:thai/paritta.mp3]

On peut écou­ter toutes sortes de parit­ta sur le site pirith.org.

Homme tatoué de Sak Yant à Non­tha­bu­ri — Pho­to © cro­que­ta titirimundi

Pho­to d’en-tête : Boud­dha de Wat Si Chum (วัดศรีชุม) — Sukho­thaï — 31 juillet 2016

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Le récit du Gange à la lumière du Râmâyana

Le récit du Gange à la lumière du Râmâyana

La lec­ture est un souffle qui nous trans­porte sur des rivages dont on ne voit pas tou­jours les contours, mais finit tou­jours par nous faire tou­cher terre, et cer­tains livres arrivent là un peu par hasard, sans qu’on en com­prenne vrai­ment la raison.

Lors de ce voyage en Thaï­lande, je me suis plon­gé à corps per­du dans la lec­ture d’un livre sacré : le Râmâya­na. Épo­pée fon­da­men­tale dans la reli­gion hin­doue, c’est un long poème rela­tant la voie de Rama, au sens de par­cours. Quel rap­port entre la Thaï­lande et le Râmâya­na ? Une longue his­toire à laquelle les gens sont atta­chés dans tout le bas­sin de l’A­sie du sud-est, et ce, jus­qu’à Bali, îlot hin­douiste au cœur du plus grand pays musul­man du monde. Pour­tant la Thaï­lande est majo­ri­tai­re­ment boud­dhiste, mais le boud­dhisme et l’hin­douisme ne sont pas très éloi­gnés, puisque le Boud­dha Sha­kya­mu­ni, Sid­dhār­tha Gau­ta­ma, est un per­son­nage dont l’exis­tence est attes­tée ; né sur la route de Kapi­la­vas­tu, à Lum­bi­ni exac­te­ment, entre 1029 et 383 av; J.-C. dans l’ac­tuel Népal, il passe une grande par­tie de sa vie en Inde du Nord. La dif­fu­sion de la pen­sée qui devien­dra reli­gion majo­ri­taire en Asie du sud-est (de la Chine au Japon, et de la Mon­go­lie à la Malai­sie) prend donc ses sources en Inde, et même au cœur de la reli­gion hin­douiste. Aucun para­doxe dans tout cela. Le boud­dhisme, long­temps consi­dé­ré comme une reli­gion déviante de la part des hin­dous, a été au centre d’une longue période ico­no­claste, pen­dant laquelle les visages du Boud­dha ont été buri­nés, les têtes fra­cas­sées, les corps pilon­nés. Aujourd’­hui, les intri­ca­tions des deux reli­gions ne sont plus consi­dé­rées que comme naturelles…

Il faut noter éga­le­ment que l’ac­tuelle dynas­tie régnante de Thaï­lande (l’ac­tuel roi Bhu­mi­bol Adu­lya­dej, Rama IX, est le sou­ve­rain qui a régné le plus long­temps jus­qu’à pré­sent puis­qu’il est sur le trône depuis plus de 70 ans), les Cha­kri, portent tous le nom dynas­tique de Rama, depuis 1782, et que le pre­mier sou­ve­rain de la dynas­tie, Rama Ier (Bud­dha Yod­fa Chu­la­loke) a réécrit l’é­po­pée du Râmâya­na pour la trans­po­ser dans le contexte thaï­lan­dais sous le nom de Rama­kien.

Alors ce fameux Râmâya­na, que j’ai retrou­vé dans les danses bali­naises des palais d’Ubud ou dans les ruines de Pram­ba­nan, sur les murs des temples thaï­lan­dais ou dans les ruelles sombres de Bang­kok où l’on arrive encore à trou­ver de très beaux masques en bois à l’ef­fi­gie du roi Ramā et de sa femme Sītā, du singe Hanumān et du démon Rāvaṇa, et encore à plu­sieurs reprises dans les masques et les repré­sen­ta­tions en terre cuite du Suan Pak­kad Palace, qu’est-ce exac­te­ment ? C’est un récit mytho­lo­gique autour d’un per­son­nage qui a peut-être exis­té, un poème fai­sant par­tie de la tra­di­tion orale hin­douiste et dans lequel est rela­tée la vie pour le moins tour­men­tée du prince Ramā qui n’est autre que le sep­tième ava­tar du dieu Vish­nu. Mis à part le fait que le récit qu’en livre Serge Démé­trian au tra­vers de la ver­sion qu’il a rédi­gée est d’une lec­ture tout à fait agréable, le Râmâya­na est un mythe au tra­vers duquel sont mis en lumière les quatre buts de la vie pour tout hin­douiste (Puruṣār­tha), c’est à dire :

  • Dhar­ma : le sens du devoir et de la jus­tice, le sens moral, la loi et la ver­tu, c’est ce qui est à l’o­ri­gine de l’har­mo­nie universelle.
  • Artha : injus­te­ment tra­duit par­fois sous le terme de richesse, il s’a­git plu­tôt de faire en sorte de main­te­nir ses moyens de sub­sis­tances et de les faire évo­luer, ce qui implique la sécu­ri­té finan­cière plu­tôt que l’enrichissement.
  • Kama : la recherche du plai­sir, de l’é­mo­tion esthé­tique, de la beau­té. Il n’y a dans ce terme aucune conno­ta­tion sexuelle. Le Kama qui vio­le­rait le Dhar­ma et l’Ar­tha empê­che­rait d’at­teindre le Moksha.
  • Mok­sha : la libé­ra­tion finale, la déli­vrance du cycle des réin­car­na­tions, mais on peut y entendre éga­le­ment le fait de se réa­li­ser soi-même et de s’é­man­ci­per des tutelles extérieures.

Selon la tra­di­tion, ce livre a été écrit par le poète indien Vâl­mî­ki, lequel se met lui-même en scène dans le récit puis­qu’il devient le pré­cep­teur des deux enfants de Ramā. La rédac­tion du livre est esti­mée de manière assez peu sure entre 500 et 100 avant J.-C. et com­porte sept par­ties distinctes :

  1. Bâla­kân­da (बालकाण्डम्) ou le Livre de la jeunesse
  2. Ayod­hyâ­kân­da (अयोध्याकाण्डम्) ou le Livre d’Ayodhyâ
  3. Ara­nya­kân­da (अरण्यकाण्डम्) ou le Livre de la forêt
  4. Kish­kind­hâ­kân­da (किष्किन्धाकाण्डम्) ou le Livre de Kish­kind­hâ (le royaume des singes)
  5. Sun­da­ra­kân­da (सुन्दरकाण्डम्) ou le Livre de Sun­da­ra (un autre nom d’Hanuman)
  6. Yud­dha­kân­da (युद्धकाण्डम्) ou le Livre de la guerre (de Lanka)
  7. Utta­ra­kân­da (उत्तरकाण्डम्) ou le Livre de l’au-delà

Si la lec­ture de ce très grand livre m’a empor­té pen­dant une bonne par­tie de mes vacances, elle m’a per­mis éga­le­ment d’a­voir un sujet de dis­cus­sion sup­plé­men­taire avec plu­sieurs per­sonnes tout à fait éton­nées que je puisse ne serait-ce que connaître les noms de Phra Ramā et de Sītā. J’y ai éga­le­ment trou­vé le très beau récit de la dérive du Gange que je repro­duis ici, issu du pre­mier livre (Bâla­kân­da), qui nous per­met de com­prendre pour­quoi le Gange est un fleuve si impor­tant dans la reli­gion hin­doue. C’est une épo­pée dans l’é­po­pée, un récit flo­ris­sant et mer­veilleux qui donne le ton du reste du livre. On est empor­té comme dans le flot des ondes légères de la rivière Gangâ…

Ramaya­na — Le départ de Rama. Wat Phra Khaew. Bangkok

Le len­de­main, Râma, Lak­sha­ma, Vish­vâ­mi­tra et leurs com­pa­gnons par­tirent donc vers Mithi­lâ. Ils retra­ver­sèrent le Gange ; au cré­pus­cule, Râma inter­ro­gea Vish­vâ­mi­tra : « Pour­quoi, grand sage, Gan­gâ, la très sainte rivière, coule-t-elle à tra­vers les Trois Mondes, avant de se mêler à l’Océan ? »
Vish­vâ­mi­tra, en réponse à la curio­si­té de Râma, com­men­ça ainsi :

« Au nord de notre vaste pays, Râma, s’é­lève l’Hi­mâ­laya, la reine des mon­tagnes. Hima­vat, le puis­sant esprit qui l’a­nime, avait deux filles, Gan­gâ, l’ai­née, et Ûma, la cadette. Gan­gâ était un fleuve capable de puri­fier tous les êtres de leurs péchés les plus sombres. Connais­sant ce don mer­veilleux, les dieux prièrent Hima­vat de leur prê­ter Gan­gâ pour un temps : ses eaux lave­raient le fir­ma­ment entier de ses souillures. Le père de Gan­gâ accep­ta. Mon­tée au ciel, Gan­gâ brilla à tra­vers la voûte étoi­lée, là où tu peux la voir aujourd’­hui encore. »

Vish­vâ­mi­tra leva la main vers le fir­ma­ment et dési­gna à Ramâ le Gange céleste, la Voie lac­tée, avant de reprendre :

« Pen­dant ce temps, Saga­ra, un autre roi de la dynas­tie solaire, un de tes ancêtres, pri­vé d’en­fants, se diri­gea vers l’Hi­mâ­laya en com­pa­gnie de ses épouses. Saga­ra sou­hai­tait ren­con­trer Bhri­gu, le grand sage. Arri­vé devant lui, le roi se pros­ter­na et implo­ra sa béné­dic­tion pour que lui naissent des héri­tiers. Bhri­gu, satis­fait de la sou­mis­sion du roi d’Ayod­hyâ, décla­ra ; “Tes épouses seront mères, mais de manière dif­fé­rente. L’une met­tra au monde un seul fils : il pro­lon­ge­ra ta lignée ; l’autre don­ne­ra nais­sance à soixante mille fils. A elles de choi­sir le sort qui leur agréé.”
La pre­mière des deux épouses royales avoua qu’elle serait heu­reuse avec un seul fils ; la seconde pré­fé­ra l’autre voie. Bhri­gu les bénit, et Saga­ra revint satis­fait dans sa capitale.
Le temps accom­pli, une des reines enfan­ta le fils pro­mis ; il s’ap­pe­la Asa­mañ­ja. L’autre accou­cha d’une boule de la gros­seur d’une cale­basse. A l’in­té­rieur dor­maient soixante mille semences humaines qui devinrent autant d’en­fants mâles. Une armée de nour­rices prit soin de tous ces fils de Saga­ra. Des années pas­sèrent. Si les soixante mille devinrent tous de beaux princes, Asa­mañ­ja, lui, à l’âge adulte, mon­tra des signes de folie. Son passe-temps favo­ri était d’at­tra­per des petits enfants et de les jeter dans la rivière ; il riait en les voyant se débattre et périr noyés.
Haï par le peuple, ce dément cruel fut ban­ni de la cité. Au sou­la­ge­ment des citoyens, son fils Amshu­mân ne res­sem­blait en rien à son père : cou­ra­geux, plein de droi­ture, il par­lait avec douceur.
Vers la fin de son règne, le vieux roi Saga­ra déci­da d’ac­com­plir le sacri­fice du che­val1. Le prince Amshu­mân devait sur­veiller de près le che­val choi­si pour la céré­mo­nie. Mais Indra2, chan­gé en démon, s’empara du cour­sier. Le roi Saga­ra fut déses­pé­ré. Il appe­la ses soixante mille fils et leur par­la ain­si : “La perte de l’of­frande n’est pas seule­ment un obs­tacle majeur au bon dérou­le­ment du sacri­fice, elle repré­sente pour nous tous un péché, une honte. Par­tez retrou­ver le che­val ; n’é­par­gnez aucun effort.”
Ses vaillants soixante mille fils par­cou­rurent le monde de long en large, mais le qua­dru­pède était introu­vable. Ils com­men­cèrent alors à fouiller tous les recoins, à retour­ner la Terre en tous sens. Ils cau­sèrent nombre d’en­nuis aux ani­maux et aux hommes et ne réus­sirent qu’à élar­gir les limites de l’O­céan. Penauds, ils revinrent à Ayodhyâ.
“Il nous faut l’a­ni­mal coûte que coûte. Cher­chez-le dans les mondes d’en bas, leur enjoi­gnit Saga­ra, des­cen­dez, si néces­saire, jus­qu’aux pro­fon­deurs des enfers.”
Les princes par­tirent aus­si­tôt, déci­dés à rame­ner le che­val, fût-ce au péril de leur vie. De leurs armes, ils se mirent à creu­ser un trou long de trois lieues sur trois. Sourds aux cris et aux pro­tes­ta­tions des ser­pents et autres rep­tiles des régions sou­ter­raines, ils avan­çaient dans les entrailles de la Terre et par­vinrent au Rasâ­ta­la, le qua­trième enfer. Là, ils aper­çurent dans un coin Kapi­la, le grand sage, assis en médi­ta­tion, et le che­val du sacri­fice qui pais­sait alen­tour. C’é­tait Indra qui, à des­sein, avait caché l’a­ni­mal en ce lieu. Les princes se pré­ci­pi­tèrent sur le sage en criant : “Voi­là donc le voleur qui se dit ermite !”
Kapi­la, trou­blé dans sa médi­ta­tion, ouvrit les yeux ; à l’ins­tant même, les soixante mille guer­riers furent trans­for­més en autant de poi­gnées de cendre, brû­lés par le cour­roux de l’ascète.
Pen­dant ce temps, Saga­ra atten­dait tou­jours ses fils. Trou­blé par leur retard, il s’a­dres­sa à son petit-fils, Amshu­mân : “Je suis inquiet ; mes soixante mille fils s’at­tardent. Tu es cou­ra­geux : va et découvre si quelque mal­heur ne leur serait pas arrivé.”
Amshu­mân prit ses armes et des­cen­dit vaillam­ment dans le trou béant par lequel avaient dis­pa­ru ses oncles.
Le che­min s’en­fon­çait de plus en plus ; il le condui­sit au qua­trième enfer. Là, Amshu­mân décrou­vrit le che­val du sacri­fice pais­sant comme si de rien n’é­tait, par­mi soixante mille petits tas de cendre. Amshu­mân res­ta figé de dou­leur : était-ce là ce qui res­tait de ses mal­heu­reux oncles ? Garu­da, l’aigle divin, se tenait, comme par hasard, per­ché sur un arbre tout proche.
“Noble prince, lui expli­qua l’oi­seau, tu contemples les restes de tes propres oncles. Ils ont été réduits en cendres par le regard cour­rou­cé de Kapi­la. Sache cette véri­té : les âmes des fils de Saga­ra ne connaî­tront pas la paix si Gan­gâ ne des­cend pas de la voûte céleste pour laver et puri­fier leurs cendres.”
Amshu­mâ emme­na le che­val, le condui­sit en hâte à la sur­face de la terre et rap­por­ta au roi les mots mêmes de Garu­da. Saga­ra accom­plit le sacri­fice tant dési­ré, mais peu après mou­rut incon­so­lé : pour­rait-on jamais entraî­ner le Gange divin au fond des enfers ?
Amshu­mân suc­cé­da à Saga­ra sur le trône d’Ayod­hyâ. Bien que toute sa vie il eût réflé­chi et prié sans cesse, il ne put décou­vrir le moyen de faire des­cendre le Gange du ciel.
Le fils d’Am­shu­mân pour­sui­vit les efforts de son père, mais en vain ; lui aus­si quit­ta le monde des vivants sans avoir réus­si à sau­ver les âmes de ses ancêtres.
Son fils, Bag­hî­ra­tha, lui suc­cé­da sous l’om­brelle blanche de la royau­té. Bag­hî­ra­tha était un vaillant jeune homme ; il réso­lut de ten­ter l’im­pos­sible. Il renon­ça à sa famille, lais­sa le royaume au soin de ses ministres, et s’en vint dans la soli­tude pour pra­ti­quer des aus­té­ri­tés. Juché sur un pic de l’Hi­mâ­laya, il se tint des années durant au milieu de quatre feux ; un cin­quième, le Soleil, brû­lait au-des­sus de sa tête. Ces ascèses, accom­plies dans un noble but, contrai­gnirent Brah­mâ, le Créa­teur, à se mon­trer aux yeux de Baghîratha.
“Je suis satis­fait de tes efforts, Bag­hî­ra­tha, décla­ra le Père des mondes : quel est ton désir ?”
Les mains jointes, celui-ci répon­dit : “Si j’ai pu conten­ter le Créa­teur, que les fils de Saga­ra reçoivent l’eau de Gan­gâ ; une fois les cendres puri­fiées par le divin fleuve, les âmes de mes aïeux gagne­ront enfin la paix céleste. Je te prie éga­le­ment de m’ac­cor­der un fils, car j’ai renon­cé à ma famille et la race des Iksh­vâ­ku menace de s’éteindre.
— Qu’il soit fait selon ton désir, approu­va Brah­mâ, mais je t’a­ver­tis : Gan­gâ, en déva­lant des cieux, risque d’a­néan­tir le monde, ce que je ne per­met­trait jamais. Sol­li­cite donc le secours de Shiva.”
Bag­hî­ra­tha, sans hési­ter, reprit ses ascèses. Il res­ta si long­temps sans nour­ri­ture et sans eau qu’il réus­sit à gagner la bien­veillance du Grand Dieu, Shi­va. Celui-ci fit son appa­ri­tion et décla­ra à Bag­hî­ra­tha : “Gan­gâ peut arri­ver, je pro­té­ge­rai le monde.”
Les dieux envoyèrent alors Gan­gâ des cieux sur la Terre. Telle une colonne de cris­tal liquide, Gan­gâ cou­lait à tra­vers les espaces ; la gigan­tesque cata­racte de lumière bous­cu­lait les étoiles. Un bruit de plus en plus assour­dis­sant accom­pa­gnait la chute.
Gan­gâ s’ap­pro­chait de la Terre et les immor­tels com­men­çaient à s’in­quié­ter lorsque Shi­va inter­vint. Il prit des pro­por­tions immenses et, cou­pant la route de Gan­gâ, reçut sans bron­cher le fleuve sur la tête. Shi­va était appa­ru si vite que Gan­gâ n’a­vait pas eu le temps de chan­ger de direc­tion ; la rivière se per­dit donc dans les che­veux emmê­lés du Grand Dieu, où elle erra plu­sieurs années. La Terre res­pi­ra, sou­la­gée. Mais Bag­hî­ra­tha était déses­pé­ré. Il implo­ra Shi­va de libé­rer Gan­gâ, pri­son­nière de sa che­ve­lure. Emu de com­pas­sion à l’é­gard de Bag­hî­ra­tha, qui ne son­geait qu’aux âmes de ses soixante mille aïeux, Celui-aux-trois-yeux per­mit au divin fleuve de quit­ter sa pri­son pour des­cendre sur terre.
Gan­gâ sui­vait, en dan­sant, le char de Bag­hî­ra­tha. L’eau lim­pide scin­tillait comme par­cou­rue de mil­lions d’é­clairs. Par­fois, le fleuve se gon­flait en tour­billons d’é­cume, hauts comme des mon­tagnes ; l’ins­tant d’a­près, il glis­sait dou­ce­ment, puis on le voyait s’é­cra­ser contre des rochers ou s’en­fon­cer dans quelque gouffre. Gan­gâ écla­bous­sait joyeu­se­ment de ses perles humides le peuple des dieux accou­rus pour l’admirer.
Gan­gâ cou­lait ain­si par jeu, soit dans l’es­pace, soit sur la Terre, lors­qu’elle abî­ma par mégarde l’au­tel du sacri­fice où Jah­nu, un grand sage, se pré­pa­rait à offi­cier. Celui-ci, pour lui don­ner un leçon, prit le gigan­tesque tor­rent dans la paume de sa main et le but d’un seul trait. Gan­gâ dis­pa­rut encore une fois. La tris­tesse de Bag­hî­ra­tha fut indi­cible ; il pleu­rait de désespoir !
Alors les dieux et les sages célestes, s’ap­pro­chant de Jah­nu, le prièrent de par­don­ner sa faute à Gan­gâ. Apai­sé, le sage consen­tit à ce que Bag­hî­ra­tha arrive au bout de ses peines ; il per­mit à l’im­mense fleuve de cou­ler par ses oreilles. Et les dieux, joyeux, bénirent ain­si Gan­gâ retrou­vée : “Sor­tie du corps de Jah­nu comme du sein d’une mère, tu por­te­ras désor­mais le nom de Jâh­na­vî, fille de Jahnu.”
Gan­gâ ne ren­con­tra plus aucun obs­tacle sur sa route. Elle des­cen­dit, à la suite de Bag­hî­ra­tha, dans le trou pro­fond creu­sé par les fils de Saga­ra ; elle péné­tra dans l’en­fer nom­mé Rasâ­ta­la. Là, avec son eau sanc­ti­fiée par le tou­cher divin de Shi­va, Bag­hî­ra­tha put s’ac­quit­ter des rites funé­raires de ses soixante milles aïeux. Puri­fiées, ren­dues légères, leurs âmes bien­heu­reuses s’é­le­vèrent dans les cieux.

Depuis ce jour, ter­mi­na Vish­vâ­mi­tra, le fleuve Gange s’ap­pelle éga­le­ment Bag­hî­ra­thî en sou­ve­nir de Bag­hî­ra­tha, celui qui n’é­par­gna aucune peine pour sau­ver les siens. »
Pen­dant ce récit, le Soleil, entou­ré d’un nuage de poudre d’or, avait glis­sé len­te­ment vers l’horizon.
« Le roi du jour se couche, mur­mu­ra Vish­vâ­mi­tra ; diri­geons nos prières du soir vers Gan­gâ, le divin fleuve, conduit par ton ancêtre du séjour des immor­tels sur la terre des hommes. »

Notes :

1 — Ash­va­med­ha. Sacri­fice réser­vé au roi, lui per­met­tant d’as­su­rer sa pros­pé­ri­té et la lon­gé­vi­té de sa lignée.
2 — Indra, roi des dieux, sei­gneur du ciel.

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L’in­ci­ta­tion au voyage

L’in­ci­ta­tion au voyage

Je déteste ces jour­nées fraîches qui suivent les plus ardentes cha­leurs de l’é­té, qui font pas­ser de la fièvre au fris­son en l’es­pace d’une nuit ora­geuse et bruyante, refer­mant les espoirs de pou­voir se repo­ser un peu de l’ac­ca­blante four­naise. Elles sont tristes, bien qu’of­frant un répit de courte durée, même si les cha­leurs sous nos lati­tudes ne sont que des pics qui ne durent jamais bien long­temps. Je pré­fère ces cha­leurs constantes et lourdes qui ne laissent aucun répit, aucune chance d’en réchapper.

Je me sens comme empli d’une huma­ni­té radieuse et sur mes cahiers à petits car­reaux, je m’a­muse à répé­ter indé­fi­ni­ment les motifs des tuiles maro­caines ou des ara­besques anda­louses qu’on ne peut fabri­quer qu’en ayant com­pris deux choses ; d’une part que les motifs sont l’ex­pres­sion d’une géo­mé­trie divine, que le tout est conte­nu dans le tout, que le motif par­ti­cipe de l’har­mo­nie uni­ver­selle, et d’autre part, que l’abs­trac­tion fur­tive dans laquelle se cachent les motifs ne sont qu’une autre voix pour dire l’é­ten­due de l’u­ni­ver­sa­li­té du monde.

Et puis loin du monde, loin de la folle actua­li­té qui émaille le fil conti­nu des mau­vaises nou­velles, je me tais. Trop de voix s’é­lèvent pour dire tout et n’im­porte quoi, une chose et son contraire ; la parole irrai­son­née. Loin de la poli­tique, loin des ana­lyses par­fois fumeuses des jour­naux télé­vi­sés, loin de la réac­tion à chaud, il y a un monde de dou­ceur et d’es­poir qui tient en quelques mots que du bout des lèvres, j’es­saie de pro­non­cer. Peut-être ces mots n’existent-ils pas encore, d’où l’in­con­grue per­plexi­té dans laquelle je me suis plon­gé tout seul.

Au bout de la nuit, il y a le voyage. Repar­tir. Gra­vir de nou­velles mon­tagnes, ren­con­trer des âmes lumi­neuses et croire qu’il existe encore sur terre des expé­riences qui ne sont pas uni­que­ment extraites de la fange et de la haine. Je vais repar­tir. Loin. Très loin. A plus de 9000 km de chez moi, sur les terres sombres et ver­doyantes de la Thaï­lande où je retourne encore et encore, pour la qua­trième ou cin­quième fois, côtoyer le peuple du sou­rire et m’en­fon­cer dans une vie âcre et simple, faite de pous­sière et de pour­ri­ture, de pau­vre­té flam­boyante dans laquelle tente jour après jour de sur­vivre une nation qui ne sait plus dans quelle direc­tion regar­der. Je me retire de mon monde pour plon­ger les deux pieds dans le Monde, gran­diose et fan­tasque. C’est peut-être bien la der­nière fois que je m’y rends, avec la sen­sa­tion d’a­voir vécu ce que je vou­lais y vivre et l’en­vie d’autres choses. J’ai pro­mis à mon ami Géor­gien qu’un jour, dès lors que les condi­tions poli­tiques lui seront favo­rables, je l’ac­com­pa­gne­rai sur la terre de ses ancêtres, à Tbi­lis­si et en Armé­nie, à la ren­contre de ses parents et de sa famille. Une pro­messe engage, véri­fiez vos capa­ci­tés de remboursement…

Les jours filent leur toile au gré des heures que je n’ar­rive pas à rete­nir. A moins de dix jours du départ, je n’ai encore qu’une vague idée de ce que sera ce voyage. Il y aura Bang­kok, assu­ré­ment, sa cha­leur et son atmo­sphère lourde, ses klongs puants et sa vie intense et désor­don­née. Il y aura aus­si Sukho­thai avec ses temples magiques sur­gis d’un autre temps, ses ruines, colonnes et Boud­dhas entou­rés de petits étangs par­se­més de fleurs de lotus, ses che­di et ses sta­tues encore hono­rées de nos jours. Il y aura aus­si la nature cham­pêtre de l’I­san, avec ses vieux temples khmers sur­gis de la jungle et pré­fi­gu­rant ce que peut être Ang­kor. Il y aura la mer intran­quille de Phan Gan et ses jours sereins ins­pi­rant le repos et la médi­ta­tion. Le tout dans un ordre indé­fi­ni et sou­mis aux aléas de la route, aux envies chan­geantes de mes courses folles et de mes déam­bu­la­tions hasardeuses.

Je pars léger ; aus­si bien dans mon esprit que dans ma valise. Quelques livres, de quoi prendre des notes, plus que d’ha­bi­tude, un pas­se­port, une brosse à dent, un appa­reil pho­to et un enre­gis­treur de sons. J’emmène dans ma besace une tra­duc­tion du Râmâya­na ; La prai­rie par­fu­mée où s’é­battent les plai­sirs, ces Mille et une nuits éro­tiques écrites par celui qui aujourd’­hui pas­se­rait au fil de la mitrailleuse, Mou­ham­mad al-Nafzâwî ; Leurs mains sont bleues de Paul Bowles, ain­si qu’un vieux cof­fret com­pre­nant trois recueils de nou­velles du même auteur bri­tan­nique, où l’on trouve les volumes L’é­cho, Le scor­pion, et Un thé sur la mon­tagne. Je pars loin et lorsque je revien­drai, j’emménagerai dans ma nou­velle mai­son, une fois les tra­vaux ter­mi­nés. Je me sens lâcher prise, ne rete­nant de mon souffle que quelques images qui res­tent impri­mées dans mon esprit comme ces vieilles pho­tos jau­nies d’ex­plo­ra­teurs per­dus au beau milieu d’hos­tiles forêts tro­pi­cales. Déjà la réa­li­té se perd au creux des jours qui défilent…

Je pars demain.

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Moka au bar dans le port de Hong Kong, au prin­temps, en atten­dant que le brume du matin se dis­sipe (semaine #2)

Moka au bar dans le port de Hong Kong, au prin­temps, en atten­dant que le brume du matin se dis­sipe (semaine #2)

Des livres par­tout, dans des car­tons qui ne sont pas encore débal­lés, depuis toutes ces années, des livres que tu ne liras pas parce que tu n’en as plus rien à faire. Les livres t’ac­com­pagnent mais tu deviens de plus en plus dif­fi­cile, avec l’âge, avec le temps qui passe et la vie qui prend des formes aux­quelles tu ne t’at­ten­dais pas, alors tu regardes tout ce maté­riel d’un air un peu hau­tain en te disant que tu vas bien finir par faire le tri et bazar­der tout ce qui est super­flu. Des livres que tu ne liras plus jamais et qui ne ser­vi­ront pas à la pos­té­ri­té. Ton fils vou­dra peut-être pio­cher dedans et navi­guer comme toi, en d’autres temps, tu cher­chais dans la biblio­thèque de tes grands-parents de quoi te nour­rir, même si en fin de compte, la lec­ture, pour toi, ça ne signi­fiait pas grand-chose. Faut-il lui lais­ser le choix ? Lui per­mettre cette porte ouverte au risque de t’en­com­brer pour rien ? Il fera ses propres choix, lira ce qu’il veut, s’il lit, pio­che­ra dans les meilleurs que tu auras gar­dés comme dans un sanc­tuaire. Les autres, tu vas les jeter, les don­ner, ça n’a plus d’im­por­tance pour toi. Seuls quelques uns valent vrai­ment la peine que tu te pré­oc­cupes d’eux. En regar­dant la liste de tout ce que tu as lu ces der­nières années, tu te rends compte que tu ne te sou­viens même pas de cer­tains. Ils se sont comme effa­cés de ta mémoire, dis­pa­rus, tom­bé dans l’a­bîme (ou dans l’a­byme si on a vécu avant 1990), ils ne sont plus rien pour toi et ne te rap­pelles même plus une époque, ou des odeurs, ou des lumières. Ils sont tom­bés du côté de l’obscurité.

Imman­qua­ble­ment, tu finis­sais par feuille­ter les albums de pho­tos qui remon­taient à la nuit des temps, à ta nuit des temps, à une his­toire anté­di­lu­vienne au regard de la tienne et qui semble aujourd’­hui encore plus loin­taine, comme la vie d’un autre, un illustre incon­nu dont tu connais par­fai­te­ment la bio­gra­phie à force d’a­voir éplu­ché les docu­ments archi­vés dans les biblio­thèques du savoir uni­ver­sel. Tu deviens Sha­kes­peare à tes propres yeux, tu ne sais même pas s’il a exis­té et tu finis par fan­tas­mer sa vie parce que tu ne sais pas lire les sources tel­le­ment diver­gentes qu’elles finissent par embru­mer ton juge­ment, comme ta vue d’ailleurs. Ton regard se trouble. Des larmes te montent dans les yeux et tu ne sais plus. Ton his­toire se perd.

Tu retrouves par­mi les pages des albums cette pho­to qui a été prise en Guyane en 1983, comme cette même pho­to dont tu ne sais pas quoi dire. C’est ton grand-père à l’âge de 57 ans, avec ses belles che­mises tou­jours bien repas­sées (c’est ta grand-mère qui les lui repas­saient). Il porte un pares­seux, un aï, et tu es bien en peine de trou­ver une réponse à cette ques­tion ; que fait-il avec un pares­seux dans les bras ? Tu n’en sais rien du tout et cela te plonge dans l’a­bîme encore une fois. Ta grand-mère n’y était pas, elle est bien en peine elle aus­si de te répondre. Et ton grand-père a dis­pa­ru en 2010, il n’est plus là pour te répondre, car au fond, il était bien le seul à savoir. Le drame dans cette his­toire, c’est que tu avais déjà posé la ques­tion à ton grand-père, plu­sieurs fois peut-être, mais tu as oublié, tu en as per­du le sens. Encore une fois.
Tu le sens bien embê­té de por­ter l’a­ni­mal dont on sait que les griffes sont tran­chantes comme des rasoirs. Tu le sens à la fois embê­té et pas très ras­su­ré, mais regarde comme son regard est vif ! C’est le regard que tu lui ver­ras jus­qu’à ses der­niers jours, tan­dis qu’il lut­tait de toutes ses forces contre la mala­die, à bout de souffle.

Pépé…

Paresseux - Guyane

Il est temps de remettre un peu d’ordre dans tes affaires, de ran­ger ton bureau, de trier tout ce que tu as rame­né de Thaï­lande, des Fisher­man’s friend qu’on ne trouve que là-bas, goût cerise, citron, man­da­rine, mais aus­si des sachets entiers d’é­pices pour pré­pa­rer le Laab Nam­tok, cette salade de porc épi­cée aux herbes fraîches, des cen­taines de bâtons d’en­cens, de cette même sorte que les boud­dhistes uti­lisent à outrance dans les temples pour s’at­ti­rer les bonnes grâces du sort, et un kilo de les­sive dont je ne connais ni l’emballage, ni le nom, cette les­sive dont le par­fum embaume les arrière-cours des rues de Phan­gan. Le reste, ce ne sont que des pho­tos et des vidéos, quelques notes et des che­roots pour les soi­rées chaudes à venir.

Tu reprends dou­ce­ment tes marques, et ces jours de mars res­semblent aux jours des prin­temps que tu aimes tant, quand le soleil est encore bas dans le ciel à midi et que tu comptes les heures en tour­nant les pages d’un livre d’O­li­vier Ger­main-Tho­mas ou de Nico­las Bouvier.

Le soir arrive dans cette belle jour­née un peu mou­ve­men­tée. Tu regardes quelques jours en arrière et tu pour­rais te dire que les jours de la semaine der­nière avaient une bien meilleure saveur que ces jours-ci, mais non, tu as le mérite de recon­naître qu’on n’a pas vrai­ment le droit à la mélan­co­lie qui vient après le retour. En plus, tu as la chance d’a­voir de belles jour­nées avec toi, le renou­veau du prin­temps, de nou­velles odeurs que tu avais presque oubliées. Arri­vé au soir, tu te pré­pares un Bloo­dy Mary bien épi­cé au tabas­co et poi­vré, tout en com­men­çant à lire le récit d’un fou par­ti en Chine en train ; tu te demandes sim­ple­ment quand est-ce que toi, tu sau­te­ras le pas pour ce genre d’aventures.

Fan Ho, celui qui, jeune gar­çon pho­to­gra­phiait Hong Kong comme d’autres pho­to­gra­phient Paris dans les grandes lar­geurs, a éga­le­ment pris de nom­breux cli­chés de sa ville en cou­leur.

Fan Ho - Marché de Hong Kong

Fan Ho — Mar­ché de Hong Kong

Istan­bul te manque, mais cette pri­va­tion, et tu le sais bien, est la seule chose qui peut te désac­cou­tu­mer de ce que tu y as vécu. Créer en toi le phé­no­mène de manque est le seul moyen pour que tu puisses y retour­ner serei­ne­ment. La der­nière fois déjà, tu ne res­sen­tais plus le même attrait, tu n’en as par­lé à per­sonne. Le temps n’é­tait pas idéal, il a sou­vent plu et tu as décou­vert Istan­bul enva­hie par les hordes de tou­ristes fran­çais, ad nau­seam… Vit encore en toi le chant du muez­zin, expé­rience ultime qui t’a défi­ni­ti­ve­ment sou­dé à la ville. Les gens que tu y as ren­con­tré te manquent aus­si… Emin, Meh­met, Sum­ru, Sıtkı… Com­bien de jours, de semaines encore, avant que tu n’y retournes…

Nous mar­chons en silence. Sou­dain, s’é­lève un appel venant de toutes les mai­sons et des rues de la vieille ville, un seul cri qui se répète comme un tir de mitraillette : Allah Akh­bar ! Allah Akh­bar ! Allah Akh­bar !  Les lam­pa­daires s’é­teignent ; on voit à peine les visages ; l’i­vresse des mots se pro­page comme un feu pous­sé par le mis­tral tan­dis que des groupes se forment et convergent vers la place. Des femmes habillées en noir comme des nonnes rejoignent le cou­rant mon­tant : Allah Akh­bar ! Puis le chant du muez­zin se mêle aux cris ; il saute par-des­sus les toits et nous enve­loppe. L’is­lam est une reli­gion de l’i­vresse. Une lourde exal­ta­tion s’empare de la foule comme si elle était saoule. Elle l’est : de mots et de pas­sion pour Dieu. Contre cette pul­sion abso­lue, aucun ratio­na­lisme ne peut jamais avoir de prise, aucun canon ne pour­ra arrê­ter ces flots en furie qui se réveillent à la tom­bée du jour. Nous ne sommes plus des indi­vi­dus faits d’hé­si­ta­tion et d’é­qui­libre, nous sommes un mou­ve­ment una­nime en marche vers les sources.

Oli­vier Ger­main-Tho­mas, La ten­ta­tion des Indes

Turquie - jour 1 - Istanbul - 33 - Eminönü, Yeni Camii

Eminönü, Yeni Camii (Mos­quée nou­velle) — 27 juillet 2012 à Istanbul

Tu te rap­pelles ces der­niers jours du mois de juillet 2012, lorsque tu es par­ti un jour avant tes col­lègues, per­sua­dés que la semaine se ter­mi­nait plus tôt… Le soir même tu étais déjà à nou­veau dans les rues d’Is­tan­bul à écou­ter l’ezan reten­tir au-des­sus des flots outre­mer du Bos­phore. Il fai­sait une cha­leur incroyable, sèche, et tu buvais du thé sur la place d’E­minönü en reni­flant les effluves âcres des maque­reaux que le ser­veur t’ap­por­tait entre deux tranches de pain, le fameux balık ekmek qui te laisse d’aus­si bons sou­ve­nirs, mais moins encore que le Turşu suyu. Tout te revient, là, ce matin, tan­dis que devant ton écran d’or­di­na­teur tu tentes de retrou­ver ces sen­sa­tions et que tu te perds en te tar­ti­nant une tranche de pain au maïs d’une époisse cou­lante… Ne t’in­ter­dis rien, tu as bien rai­son. Il te suf­fit sim­ple­ment de t’a­jus­ter entre les sou­ve­nirs vivants et la sen­sa­tion un peu piquante qu’il te manque quelque chose. Encore une fois, le vide créé le désir, et ce que tu essaies de main­te­nir vivant.

La nuit s’é­teint et les bruits de la ville reviennent à la réa­li­té, inexo­ra­ble­ment. La nuit s’é­teint et avec elle, ses rêves qui s’ef­facent à la moindre pau­pière qui s’ouvre. Il va fal­loir retrou­ver la vie du dehors, regar­der bou­ger les ombres qui s’a­gitent autour de toi, par­fois sans but.

Près d’un confluent, dans un remous un peu agi­té, on m’in­dique le lieu où la pre­mière femme de Chu­la­long­korn, sœur des reines actuelles, a péri mal­heu­reu­se­ment. C’é­tait la plus jolie et la plus aimée de ses jeunes sœurs, qu’il a toutes épou­sées, selon l’u­sage. Or, un jour qu’elle se ren­dait à Bang Pan In, traî­née par un remor­queur, c’é­tait au temps où les Sia­mois n’a­vaient pas encore l’ex­pé­rience de la vapeur et du remor­quage, son bateau-salon a été ren­ver­sé. Elle était entou­rée de sa cour et de ses ser­vi­teurs, de tout un peuple qui nage comme le pois­son ; mais per­sonne n’a­vait le droit de tou­cher à la reine. Scru­pu­leux obser­va­teurs de la loi, ils l’ont lais­sée se noyer sous leurs yeux plu­tôt que de mettre la main sur elle. Peut-être son sau­veur eût-il payé de la vie sa har­diesse ? Le roi cepen­dant, tout en res­pec­tant la cou­tume et la déplo­rant sans doute, a dégra­dé le man­da­rin qui commandait.

Isa­belle Mas­sieu, Thaï­lande
Magel­lan & Cie, col­lec­tion Heu­reux qui comme… , numé­ro 87 , (mars 2014)

Tu te rends compte en ren­trant chez toi, aux abords de la vaste plaine de Mon­tes­son, que ce qui te plaît dans ces allers et retours, c’est de pas­ser de l’ordre au désordre. Non pas au chaos, mais au désordre. Tu retrouves les saveurs des rues éche­ve­lées dans tes sou­ve­nirs, te sou­viens des fils élec­triques emmê­lés dans un inex­tri­cable fou­toir, des trot­toirs qui n’en sont pas et sur les­quels per­sonne ne marche car même pour faire quelques dizaines de mètres, il y a tou­jours un deux-roues dans la par­tie, rai­son pour laquelle on t’in­ter­pelle sans cesse pour te pro­po­ser taxi, tuk-tuk, sky­lab ou même moto-drop… toi qui vas à pied, jalan-jalan comme disent les Indo­né­siens en baha­sa… Ces mondes sont des mondes du désordre, tout tient de guin­gois, tout branle et cha­vire, et c’est ce qui te plaît, mais ce qui te plaît aus­si, c’est retrou­ver l’aus­tère rec­ti­tude de tes rues et de tes villes, les trot­toirs propres, les ave­nues droites et majes­tueuses, en com­pa­rai­son, tu trouves ta ville “fla­mande” tel­le­ment elle est éloi­gnée de ce que tu as connu là-bas, et tu te rends compte à quel point cela te convient, de pas­ser de l’un à l’autre, cha­cun nour­ris­sant en creux les défauts de l’autre. C’est ce qu’on appelle l’é­qui­libre, quelque chose de l’ordre de l’har­mo­nie, tu l’as trou­vé dans l’es­pace entre ces deux espaces.

Ici le sexe de cette jolie dan­seuse de Mathu­ra est pati­né à cause de l’hom­mage ren­du par tant de visi­teurs. Le poète grec qui disait que le marbre ne jouit pas n’é­tait jamais allé de ce côté-ci des mon­tagnes. Je sens la dan­seuse fré­mir au doux attou­che­ment. Le gar­dien ne dit rien, il est du pays.

Oli­vier Ger­main-Tho­mas, La ten­ta­tion des Indes

Voi­là, cette fois-ci tu peux fêter la fin de tes affaires, tout est réglé, les papiers, les actes, les tran­sac­tions ban­caires. Tout est ter­mi­né. Tu bois un fond de Cham­pagne qu’il res­tait au fri­go en ima­gi­nant une nou­velle vie, faite de beau­coup moins de contraintes, une vie légère et déta­chée. Tu en pro­fites pour fêter autre chose ; tu as repris des billets d’a­vion pour cet été. Et là, ton esprit vaga­bonde déjà vers de nou­veaux horizons…

Cocon doux. Tu te drapes de tes dési­rs, le petit matin t’en­ve­loppes aus­si dans ses voiles déli­cats ; la fièvre s’en est allée depuis quelques temps déjà et tu sens en toi une grande san­té t’en­va­hir ; la peur de retom­ber te titille de temps en temps, mais tu essaies de lais­ser ces pen­sées dans des Égyptes de l’es­prit… Voi­là. A la fin de cette semaine, tu vas lais­ser un peu les choses cou­ler. Tu vou­lais reprendre pied dans l’é­cri­ture, mais tu as d’autres choses à faire ; tou­jours autre chose à faire et le temps, cette his­toire de temps. La pro­chaine fois tu ne t’en­dor­mi­ras pas et tu pro­fi­te­ras bien mieux. Plus que jamais tu rejettes les râleurs, les incons­tants, les gei­gnards qui te hérissent le poil ; laisse-les dans leur marasme, qu’il s’a­pi­toient sur eux-mêmes s’ils ne savent faire autre chose. Ta route est devant toi, elle s’ouvre lorsque le ciel change de cou­leur au petit matin, entre la nuit et le jour, il n’y a qu’un écart de couleurs.

Une vieille femme m’ac­cueille. Nous ne pou­vons nous com­prendre mais mon état se com­prend aisé­ment. Elle me donne du lait chaud et me couche sur la terre de l’u­nique pièce. Je m’a­ban­donne ; je sens la fièvre monter.
Elle tire mon sac jus­qu’à sa mai­son puis me ras­sure avec son sou­rire éden­té. Elle me pose sa main noire et fri­pée sur le visage. Je me sens bien. Je n’ai plus peur ; elle est là avec ses seins vides qui pendent sous son sari déchi­ré, ses bra­ce­lets sur ses bras ridés, sa main aux veines gon­flées, ses doigts cal­leux qui touchent mon front brû­lant. Je lui dis mer­ci et mer­ci dans ma langue. Elle me répond dans la sienne avec des sortes de glous­se­ments car ma manière de par­ler la fait rire.

Oli­vier Ger­main-Tho­mas, La ten­ta­tion des Indes

Wat Chai Watthanaram - วัดไชยวัฒนาราม

Boud­dha déca­pi­té (mars 2016) — Thaï­lande — Phra Nakhon Si Ayut­thaya, Wat Chai Wat­tha­na­ram — วัดไชยวัฒนาราม

Voi­là. La semaine ne s’é­ter­nise pas. Elle se boucle comme on attache sa cein­ture sur un siège d’a­vion. Elle se replie dou­ce­ment comme une ser­viette à la fin du repas. Tout se calme, tout s’a­paise, retombe dans le silence. Tu laisses der­rière toi cette semaine pen­dant laquelle tu auras repris la plume et noir­ci des pages sur le car­net que tu as rame­né de Bang­kok. Recou­vert d’un tis­su de style “Sukho­thaï”, doré et ponc­tué de taches vio­lettes, de petites fleurs blanches qu’on pour­rait croire immor­telles, il contient toutes tes notes de voyage, modes­te­ment ras­sem­blées au même endroit. Tu regardes par la fenêtre et tu com­prends vite que ce matin, tu ne ver­ras pas le soleil se lever. L’ho­ri­zon est bou­ché par les brumes d’une nuit épaisse, éparse. Il te reste les odeurs de la Chao Phraya, le sou­ve­nir des nuits chaudes au bord de la rivière où le silence est de temps en temps bri­sé par le ron­ron d’un remor­queur tuber­cu­leux, mais vit en toi éga­le­ment le sou­ve­nir des autres pays, des autres ren­contres. Tu refermes tout cela comme une bou­lette de riz dans une feuille de pan­dan cuite à la vapeur. Un sou­rire te revient en mémoire, celui d’un jeune moine viet­na­mien per­du dans la jungle de Bang­kok, un sou­rire à la fois tendre et inno­cent, une simple ride sur le visage qui contient à elle seule toute l’é­nigme du monde possible.

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Moka au bar dans les petites rues sombres de Hong-Kong, sous le regard tendre d’un homme triste. Une femme de Thong Sala perd son regard dans la foule (semaine #1)

Moka au bar dans les petites rues sombres de Hong-Kong, sous le regard tendre d’un homme triste. Une femme de Thong Sala perd son regard dans la foule (semaine #1)

Regarde le matin se lever… On dirait un matin d’A­sie sous ses voiles de brumes, sous un ciel trem­pé. Tu retrouves tes marques dans ces matins savants où tu passes ton temps à dévo­rer les pages des écri­vains voya­geurs, où ton rem­plis ton car­net rouge de notes de lec­ture et de tra­vail qui sont écrites de la même encre, avec le même visage et les mêmes mains que tes car­nets de voyage, où tu prends des notes fré­né­tiques à chaque coin de rue pour ten­ter de figer, dans les courbes et les ron­deurs de ton écri­ture sau­vage, les impres­sions brutes et sans fio­ri­tures de ces ins­tants d’é­mo­tions inat­ten­dues, ines­pé­rées. Ce ne sont que des mots, mais tes mots à toi, pla­qués là, tu auras tout le temps plus tard de faire cet exer­cice de mémoire, de retra­vailler la forme et les détails, sans men­songe, sans tra­ves­tis­se­ment, avec la plus grande sin­cé­ri­té vis-à-vis de tes sen­ti­ments. Tu retrouves dans tes notes des noms qui semblent presque incon­grus, Dal­rymple, Cor­bin, Mas­si­gnon… Tu recol­le­ras les mor­ceaux ensemble un peu plus tard dans la soi­rée, lorsque le som­meil t’emportera déjà, et tu remet­tras ça au len­de­main, lors­qu’il sera temps de par­tir. Il sera déjà en fait trop tard, mais le “plus tard” n’a pas vrai­ment d’im­por­tance. L’ins­tant seul compte. Tu te sou­viens des heures abru­ties au milieu de la nuit, l’es­to­mac ron­gé par la faim et les intes­tins trop sol­li­ci­tés, des nuits où tu te réveilles trem­pé de sueur et défait par des rêves de femmes déjà empor­tées par la mort ou l’in­dé­li­ca­tesse de la mémoire qui s’es­tompe comme sous un buvard, ou sous une couette légère…

Fan Ho - Hong Kong Memoir

Lorsque Fan Ho, le petit ado­les­cent chi­nois de Hong-Kong, prend ces pho­tos, ce n’est qu’un gamin qui arpente les rues de sa ville et qui, à l’aide de son Rol­lei­flex, arrive à cap­tu­rer l’es­sence d’une ville mythique qui n’est plus aujourd’­hui que l’ombre d’elle-même. Atmo­sphère dra­ma­tique, pous­sée dans ses retran­che­ments, on y découvre l’A­sie rêvée, fan­tas­mée, telle qu’on nous la ven­dait sur les belles affiches des agences de voyage, des com­pa­gnies aériennes ou dans les livres d’a­ven­ture pour jeunes enfants. Nous sommes en 1950. Les pho­tos de l’homme aujourd’­hui âgé de 83 ans ont le charme sur­an­né d’une ville per­due et qui déjà subit les pré­mices de son chan­ge­ment et la tech­nique naïve d’un Depar­don qui se serait per­du au-delà des limites de la ferme du Garet. Quelques unes de ces pho­tos sur le site du South Chi­na Mor­ning Post, de Bored Pan­da, et de Desi­gn you trust.

La semaine a filé comme un bus qu’on a raté. Tous les matins, tu regardes ton visage bron­zé par les cieux cou­verts de l’A­sie tro­pi­cale, par les franges lumi­neuses qui ont enchan­té des réveils par­fois vio­lents, haras­sé par une cha­leur que tu accueillais avec bien­veillance en cou­pant déli­bé­ré­ment la cli­ma­ti­sa­tion avant de t’en­dor­mir. Les draps trem­pés, tu te levais tôt pour écou­ter le bruit des vagues depuis ton bal­con où tu t’al­lon­geais sur le hamac, vieux fan­tasme colo­nial de mai­son à gale­rie ouvra­gée. Tu as retrou­vé ton visage serein, les traits doux qui font dire aux autres que tu ne fais pas ton âge. Tout le monde s’in­quiète de savoir com­ment s’est pas­sé ton voyage. Bien, bien. Tout va bien. Un petit sou­rire figé sur ton visage, ce n’est pas de la moque­rie. Sim­ple­ment, tu es heu­reux. Il n’y a pas de retours dif­fi­ciles, il n’y a que des départs qu’on sou­haite à nouveau.

Vieille femme sur Thanon Talad Kao à Thong Sala

Depuis hier, ta grand-mère a 90 ans. Elle est belle comme une vieille femme que j’ai ren­con­trée dans le quar­tier chi­nois de Thong Sala sur Tha­non Talad Kao, le visage lisse et les yeux plis­sés par l’âge, belle d’a­voir trop aimé les siens et de s’en être inquiété.

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