L’or de Mer­cie, ou le tré­sor du Staffordshire

Le 5 juillet 2009, un chô­meur anglais du nom de Ter­ry Her­bert pas­sant une par­tie de ses jour­nées à cher­cher des tré­sors avec sa poêle à frire, a fini par en trou­ver un, tout bête­ment, dans un champ au nord de Bir­min­gham. Pen­dant six jours, il va déter­rer plus de cinq cents frag­ments d’or et d’argent fine­ment ouvra­gés avant de pré­ve­nir le coro­ner de sa décou­verte, une des plus impor­tantes sur le sol anglais. Sous terre, c’est plus de 1600 objets et frag­ments, répar­tis de la manière sui­vante : 45% d’or, 45% d’argent et 10% d’al­liages ou maté­riaux. Sans data­tion pré­cise à ce jour, on estime que les objets datent d’une période allant du début du VIè siècle au début du VIIIè, période à laquelle la région consti­tuait le royaume bar­bare de Mer­cie, qui a pros­pé­ré sous le règne du roi Pen­da (vers 630–655) et qui connut son apo­gée sous le règne du roi Offa (757–796).

Si le tré­sor a été retrou­vé dans un champ, il a été enter­ré au croi­se­ment de Wat­ling Street, la voie romaine par­cou­rant l’île du sud-est au nord-ouest et des val­lées de la Tame et de la Trent. Ce n’est sans doute pas un hasard qu’ils soient tous réunis à cet endroit. Autre chose, tous ces objets sont pas­sa­ble­ment endom­ma­gés, tor­dus, déchi­que­tés et sont exclu­si­ve­ment des objets mili­taires ; aucune parure fémi­nine n’a été trou­vée, mais éton­nam­ment, aucune lame d’é­pée non plus. Les objets sont essen­tiel­le­ment reli­gieux ou des parures de guerre, des pom­meaux d’é­pées, etc. et semblent avoir été entas­sés en plu­sieurs fois, ce qui laisse pen­ser que l’en­droit était en fait un dépôt. On a cru éga­le­ment à un dépôt votif d’armes comme on en trouve en Scan­di­na­vie, mais on jetait alors les armes dans des marais, et qui plus est avec leurs lames. L’hy­po­thèse rete­nue pour l’ins­tant est que l’en­droit était en fait une cache ser­vant de gise­ment pour un rem­ploi futur d’une matière pre­mière prête à être refon­due et réutilisée.

Confor­mé­ment au Trea­sure Act de 1996, la tota­li­té du tré­sor a été rache­tée par l’É­tat, et la somme de 4 mil­lions d’eu­ros a été par­ta­gée entre Ter­ry Her­bert et le pro­prié­taire du champ.

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César l’Ar­lé­sien et le mithraeum

Au nombre des décou­vertes archéo­lo­giques de ces der­nières années, on a pu voir fleu­rir des choses abso­lu­ment excep­tion­nelles. Même si à notre époque, il nous reste tout de même plus de chances de décou­vrir l’hy­po­gée cachée d’un Tou­tan­kha­mon plu­tôt que les jar­dins sus­pen­dus de Baby­lone ou le temple d’I­sh­tar de Mar­duk, l’é­ven­tail des pos­sibles reste fran­che­ment éten­du, même si nous savons que l’ar­chéo­lo­gie est une science qui fini­ra par mou­rir dou­ce­ment ; en effet, le nombre de décou­vertes pos­sibles risque d’al­ler en s’a­me­nui­sant, les décou­vertes se suc­cé­dant et la conser­va­tion des élé­ments de fouilles non décou­verts ris­quant fina­le­ment de ne pas être exploi­table ou tout sim­ple­ment dis­pa­raître. Cette science porte en elle un drame : celui de devoir sans cesse décou­vrir des restes d’une civi­li­sa­tion. Même si l’ar­chéo­logue a une vision posi­tive de la décou­verte, le pro­fane est tou­jours déçu de décou­vrir le déla­bre­ment. Sauf… sauf dans quelques cas, où l’on se demande encore com­ment les objets ont pu nous arri­ver dans un tel état de conservation.

En France, la der­nière décou­verte de taille a été faite en Arles, grande cité romaine au pas­sé riche. On a trou­vé dans le Rhône, immense dis­pen­sa­teur de tré­sors qui n’ont cer­tai­ne­ment pas tous été mis à jour, une tête de Jules César en marbre, gran­deur nature et réa­li­sée de son vivant. On estime que c’est le por­trait le plus réa­liste de l’empereur, un por­trait au regard dur et froid, à la cal­vi­tie naissante.

Le mithraeum d’Angers

Si l’é­vé­ne­ment a été beau­coup moins média­ti­sé, car beau­coup moins spec­ta­cu­laire, il n’en reste pas moins une décou­verte d’im­por­tance. Sur le ter­ri­toire de la ville d’An­gers, a été mis à jour les restes d’un mithraeum (plu­riel mithraea), un temple cultuel dédié au Dieu Mithra, une divi­ni­té d’o­ri­gine indo-ira­nienne dont le culte est très déve­lop­pé à l’é­poque romaine et très lar­ge­ment dif­fu­sé sur le ter­ri­toire des conquêtes. On le sait peu, mais le Culte de Mithra, culte éso­té­rique acces­sible par coop­ta­tion, fut pen­dant quelques temps un concur­rent sérieux du chris­tia­nisme avant d’être inter­dit, comme tous les autres cultes païens en 391 par l’édit de Théo­dose. Mais pour­quoi des traces de ce culte à Angers, si loin de son lieu de nais­sance ? Mithra est un dieu guer­rier dont le culte s’est sur­tout déve­lop­pé chez les légion­naires romains. Pas­sa­ble­ment sus­pect, il n’é­tait pas de bon ton, dans une Rome qui avait adop­té le chris­tia­nisme comme reli­gion d’é­tat de se décla­rer mithraïste. Aus­si, les lieux de culte étaient-ils géné­ra­le­ment enfouis sous terre, exi­gus, confi­nés et ne pou­vaient que rare­ment rece­voir plus de qua­rante per­sonnes à la fois. La décou­verte d’un de ce lieux à Angers marque les pro­gres­sions de l’ex­pan­sion de ce culte sur le conti­nent, qu’on retrouve en réa­li­té jus­qu’à Londres.

mithraeum angers

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Yere­ba­tan Sarnıcı

La Yere­ba­tan Sarnıcı (la citerne enfouie sous terre), éga­le­ment connue sous le nom grec de Basi­li­kè kins­tér­nè (Βασιλικὴ κινστέρνη) est un lieu étrange situé sous les pieds d’Is­tan­bul, ou plu­tôt de Constan­ti­nople. On dit sou­vent de cette « citerne basi­lique » que c’est le monu­ment, en dehors de la cathé­drale Sainte-Sophie, qui mérite le plus l’at­ten­tion des tou­ristes (ce qui n’est pas for­cé­ment un label de réfé­rence). En l’oc­cur­rence, cette citerne avait exac­te­ment le même rôle que le réser­voir de Mont­sou­ris à Paris. C’est l’empereur Jus­ti­nien qui déci­da la construc­tion en 532 de cette citerne si grande qu’on l’ap­pelle Basi­li­kè, afin de conte­nir les eaux plu­viales hiver­nales en sur­abon­dance pour les sto­cker pour les périodes plus sèches. Cette spé­ci­fi­ci­té du cli­mat turc et l’ab­sence de cours d’eau sou­ter­rain per­met­tant l’ap­port suf­fi­sant en eau cou­rante a été à l’o­ri­gine du creu­se­ment de plu­sieurs citernes sous le sol de la ville ; on pou­vait autre­fois en dénom­brer envi­ron quatre-vingt dont la capa­ci­té totale devait avoi­si­ner 900 000 m3 pour les citernes à ciel ouvert et 160 000 m3 pour les sou­ter­raine. La capa­ci­té de la citerne Yere­ba­tan Sarnıcı, la plus impor­tante par­mi les sou­ter­raines est de 78 000 m3 (138 x 64,6 m) tan­dis que celle d’Aé­tius, à ciel ouvert, mesu­rait 244 m sur 85 m, pour une pro­fon­deur de 14 m envi­ron et une capa­ci­té éva­luée à 250 ou 300 000 m3.

Une des curio­si­tés de ce lieu étrange, est l’u­ti­li­sa­tion de futs mono­li­thiques et de cha­pi­teaux de colonnes corin­thiens en rem­ploi. Deux des trois-cents trente-six colonnes reposent sur d’é­normes blocs rec­tan­gu­laires taillés repré­sen­tant la gor­gone Méduse. Per­sonne ne sait pour­quoi ils sont là, ni quelle est leur signi­fi­ca­tion et sur­tout pour­quoi l’un de ces blocs est ren­ver­sé et l’autre de côté. On visite ce lieu par­fai­te­ment hors du com­mun, et dont l’am­biance donne réel­le­ment l’im­pres­sion qu’on se trouve dans quelque lieu saint, avec des bottes.

Loca­li­sa­tion sur Google Maps.

Istanbul - Citerne basilique - 19-10-2008 - 10h30

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Pol­lice verso

Étran­ge­ment, cer­taines œuvres d’ar­tistes mal ren­sei­gnés véhi­culent par­fois des images qui ont la peau dure et tra­versent les siècles, comme si de rien n’é­tait, jus­qu’à péné­trer pro­fon­dé­ment les croyances. Ain­si, le tableau du peintre aca­dé­mique Jean-Léon Gérome Pol­lice ver­so a‑t-il pro­pa­gé l’i­dée fausse que la fin du com­bat entre le gla­dia­teur et le rétiaire se ter­mi­nait par le « pouce levé » ou le « pouce bais­sé » qui déci­dait la vie de l’un ou l’autre. Ce tableau, au demeu­rant quelque peu médiocre, aura fina­le­ment eu une grande his­toire, puis­qu’il a éga­le­ment don­né son nom à ce style de l’é­cole aca­dé­mique qu’on appe­lait pom­pier.

L’ap­pli­ca­tion du mot « pom­pier » à l’art aca­dé­mique, appa­rue au XIXe siècle (1888 d’a­près le Robert) pour le tour­ner en déri­sion, est sans doute une allu­sion aux casques brillants de cer­tains per­son­nages des grandes com­po­si­tions de l’é­poque, qui rap­pe­laient ceux des sapeurs-pom­piers. (Wiki­pe­dia)

Même si, on le sait, Gérome était un fin docu­men­ta­liste et pei­gnait avec un réel sou­ci de réa­lisme his­to­rique puis­qu’on le voit sur le tableau, il a repro­duit avec exac­ti­tude la place du vela­rium (toile ten­due pour pro­té­ger du soleil et de la pluie) ain­si que la fonc­tion des ves­tales à la gauche du César, mal­gré ces exac­ti­tudes, son inter­pré­ta­tion de la fonc­tion du pouce dans le mes­sage à faire pas­ser est fausse.

Pre­miè­re­ment, il parait abso­lu­ment faux que l’un ou l’autre des com­bat­tants mou­rait for­cé­ment à l’is­sue du com­bat. La for­ma­tion des gla­dia­teurs et des rétiaires était longue et pénible et il semble éga­le­ment que le nombre de can­di­dats n’é­tait pas si éle­vé que ça. Il fal­lait donc pré­ser­ver les effectifs.
Écou­tons Eric Teys­sier de l’U­ni­ver­si­té de Nîmes sur le blog Tin­tin au pays des Soviets.

Se basant sur une réelle connais­sance des sources mais en leur don­nant une mau­vaise inter­pré­ta­tion, Gérôme crée aus­si ce geste célèbre du pouce retour­né, geste rapi­de­ment jugé suf­fi­sam­ment spec­ta­cu­laire pour qu’il soit repris dans le péplum ita­lien « Quo vadis » en 1912. […] Mais que disent les sources antiques de ce fameux geste ? En fait, deux textes seule­ment l’évoquent. […] ces deux témoi­gnages ne traitent pas direc­te­ment des gla­dia­teurs mais veulent dénon­cer, à tra­vers l’instant cru­cial de la mort du vain­cu, cer­tains contem­po­rains qui la réclament. […] La nature exacte du fameux geste fatal est bien fon­dée sur une seule et unique réfé­rence lit­té­raire qui, comme le montre brillam­ment Michel Dubuis­son, a sans doute été mal com­prise. « Le ver­tere de Juve­nal, que Pru­dence jugeait déjà utile de pré­ci­ser en conver­tere, est loin d’avoir tou­jours été inter­pré­té de cette façon-là. Pour les com­men­ta­teurs du début de l’avant der­nier siècle, il allait de soi, au contraire, que pol­lice ver­so signi­fiait ici « pouce ten­du vers » un objet (en l’occurrence la propre poi­trine de celui qui fait le geste) […] il n’y a donc aucune rai­son de sup­po­ser que ce même verbe, employé abso­lu­ment, se mette sou­dain à dési­gner une direc­tion de haut en bas. Pol­lice ver­so ne pour­rait dès lors signi­fier que « pouce tour­né vers, ten­du ». » Ain­si, le geste de la mort, si impor­tant dans l’imagerie d’Epinal de la gla­dia­ture, repose sur de bien faibles indices. Si le signe fatal ordi­nai­re­ment admis peut légi­ti­me­ment être mis en doute, il en va de même du signe oppo­sé. En effet, le geste du pouce levé vers le haut, cen­sé accor­der la grâce au vain­cu, est une spé­cu­la­tion pure­ment moderne. Ce geste n’est attes­té par aucune source ancienne, ni lit­té­raire ni iconographique.

Pol­lice ver­so signi­fie­rait donc pouce ten­du vers et non pouce à l’en­vers. Il est au contraire aujourd’­hui recon­nu par les spé­cia­listes que le pouce ten­du vers la poi­trine et non vers le haut, signi­fie que le vain­queur doit frap­per son adver­saire au cœur, tan­dis que le pouce vers le bas signi­fie que le vain­queur doit bais­ser les armes, au vu du mérite de son adver­saire vaincu.

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Kom ash-Shu­q­qa­fa

Ima­gi­nez-vous mar­cher dans les rues d’A­lexan­drie en 1900 der­rière un âne. L’âne marche d’un air débon­naire et sou­dain dis­pa­rait de l’ho­ri­zon, englou­ti par un trou béant qui s’est ouvert sous son poids. C’est appa­rem­ment le scé­na­rio qui s’est dérou­lé le jour où ont été décou­vertes les cata­combes de Kom ash-Shu­q­qa­fa (Kom-el-Chou­qa­fa — la col­line aux tes­sons), non loin du canal el Mah­mou­diya. Cet immense hypo­gée est le plus grand site archéo­lo­gique mis à jour à Alexan­drie et demeure le der­nier ves­tige de la reli­gion égyp­tienne, même si le style en est clai­re­ment romain, et la déco­ra­tion dans un style typi­que­ment gré­co-romain carac­té­ris­tique d’A­lexan­drie. Construit à la fin du Ier siècle, il a été uti­li­sé pen­dant près de trois siècles. Ce sont en tout 300 tombes qui ont été mises à jour, répar­ties sur trois niveaux dont le plus bas est aujourd’­hui inon­dé et impra­ti­cable, à 35 mètres sous terre, le tout entiè­re­ment creu­sé dans la roche. Le lieu est orga­ni­sé autour d’une grande rotonde qui des­sert toutes les pièces, tombes prin­ci­pales comme d’autres plus récentes. L’en­semble est com­po­sé d’un puits par lequel on pas­sait les corps, la rotonde, la salle prin­ci­pale, toute un bor­dée de locu­li (niches) et un tri­cli­nium, une salle de ban­quet des­ti­née aux invi­tés. Les pre­miers archéo­logues à y entrer trou­vèrent de la vais­selle et des amphores encore pleines de vins.

L’é­poque de construc­tion de cet hypo­gée cor­res­pond avec le moment où la ville d’A­lexan­drie ne sait pas quelle reli­gion adop­ter, tiraillée entre les pré­misses d’un chris­tia­nisme hési­tant, le pan­théisme de Rome ou d’A­thènes et les anciennes croyances égyp­tiennes. On voit mêlé dans la tombe disques solaires, sta­tues d’Anu­bis (dieu dévoué au pas­sage vers le pays des mort) affu­blée de la queue de ser­pent d’Aga­thos (Aga­tho­dae­mon, αγαθος δαιμων) et vêtu comme un légion­naire  romain. On y voit éga­le­ment des pein­tures repré­sen­tant l’en­lè­ve­ment de Per­sé­phone par Hadès et la momi­fi­ca­tion d’Osi­ris. La confron­ta­tion des dif­fé­rents styles a tou­jours quelque chose d’un peu étrange par­fois, pour ne pas dire ridi­cule. Le haut-relief d’A­nu­bis sty­li­sé “à la grecque”, avec muscles saillants et pose manié­rée, le tout mêlé à la repré­sen­ta­tion dans laquelle s’ex­prime le refus de tour­ner le corps est sin­gu­liè­re­ment inap­pro­priée, mais c’est un témoi­gnage des temps trou­blés, entre deux eaux.

  1. The Cata­combs of Kom el-Shu­qa­fa, the “Mound of Shards,” Part I: An Intro­duc­tion and the First Level by Zah­raa Adel Awed
  2. The Cata­combs of Kom el-Shu­qa­fa, the “Mound of Shards,” Part II: The Second Level and the Main Tomb by Zah­raa Adel Awed
  3. The Cata­combs of Kom el-Shu­qa­fa, the “Mound of Shards,” Part III: The Hall of Cara­cal­la (Neben­grab) by Zah­raa Adel Awed

Mes­sage per­so : page 453

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