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Ayut­thaya sto­ries #2 : Boud­dhas, viharns et ubo­soths à Ayutthaya

Ayut­thaya sto­ries #2 : Boud­dhas, viharns et ubo­soths à Ayutthaya

Lorsque j’ouvre les yeux, il est déjà 9h00. Trop tard pour moi, le monde alen­tour s’a­muse déjà sans m’at­tendre. Il fait bon dans la chambre et la nuit a été repo­sante, mais dehors il fait déjà chaud, et la lumière du matin revêt des appa­rences de sable maré­ca­geux, un ocre jaune qui teinte ma peau d’une étrange cou­leur. Je vais devoir m’y habi­tuer, la lumière d’i­ci est incom­pa­rable, ne res­semble à rien de ce que je connais. Quelques bateaux passent à une dizaine de mètres de ma ter­rasse sur laquelle je me pré­lasse après un petit déjeu­ner somme toute assez moyen et une douche qui me décrasse de l’at­mo­sphère pois­seuse de l’a­vion. Deux écu­reuils for­niquent dans le fran­gi­pa­nier qui me sert de para­sol tan­dis que j’en­tends mon­ter les pirith d’un moine priant dans le temple de l’autre côté de la rivière. Dans la lumière du matin, je me rends compte que plu­sieurs des che­di du Wat Phut­thai­sa­wan sont en réa­li­té en brique nue, un seul est encore recou­vert de ciment blan­chi. C’est un temple qui reste magni­fique mal­gré le peu d’in­té­rêt que lui portent les touristes.

Thaïlande - Ayutthaya - 001 - Pont dans la vieille ville

Thaïlande - Ayutthaya - 002 - Elephants

Ayut­thaya est une ancienne ville royale. Son vrai nom est Phra Nakhon Si Ayut­thaya, (พระนครศรีอยุธยา). Le début de l’his­toire de cette ville remonte à 1350, date de sa fon­da­tion pour le roi U‑Thong (Rama­thi­bo­di Ier) , d’o­ri­gine chi­noise et pre­mier roi du Royaume d’Ayut­thaya qui fut pen­dant quelques temps la capi­tale de ce qu’on appelle aujourd’­hui la Thaï­lande. Mais les Bir­mans, conduits par le roi Bayin­naung (ဘုရင့်နောင်), détrui­sirent la ville en 1569 après un long siège qui fit alors du Siam une pro­vince vas­sale de son empire. Exsangue, la ville d’Ayut­thaya fut détruite à nou­veau par les Bir­mans et défi­ni­ti­ve­ment aban­don­née comme capi­tale en 1767, date à laquelle le géné­ral Tak­sin (Borom­ma Rat­cha­thi­rat VI — สมเด็จพระเจ้าตากสินมหาราช) se replie sur Thon­bu­ri, sur la rive droite de Bang­kok, pour en faire sa capi­tale et s’y faire couronner.
Le nom d’Ayut­thaya est direc­te­ment issu du nom de la ville indienne Ayod­hya (अयोध्या , qui ne peut être conquise), ville mythique et capi­tale du grand Rāmā, héros du Rāmāya­na.

Thaïlande - Ayutthaya - 003 - Skylab

Thaïlande - Ayutthaya - 004 - Promenade dans la ville

Voi­là pour­quoi je suis ici, parce que c’est une ville d’im­por­tance majeure et qu’il en reste quelques ruines, même si la proxi­mi­té avec la Pa Sak et la Chao Phraya l’a plu­sieurs fois inon­dée au point que les fon­da­tions des plus beaux temples sont aujourd’­hui for­te­ment mena­cées. Les temples s’en­foncent tout dou­ce­ment dans le sol maré­ca­geux, les stucs s’ef­fritent et les sta­tues de Boud­dha déca­pi­tées par les Bir­mans lors de leurs raz­zias suc­ces­sives assistent avec impuis­sance à la chute de la gran­deur de cette ville royale qui dis­pa­raît avec une len­teur inexo­rable dans un sol regor­geant du sang des sol­dats. En 2011, toute la région dis­pa­raît sous l’eau de la mous­son, pro­vo­quant des glis­se­ments de ter­rains et rava­geant des terres agri­coles. 270 per­sonnes ont péri dans cette catas­trophe. Il ne reste que des amas de briques bran­lantes, des che­di tor­dus, des murs qui ondulent, des colonnes bri­sées, des espla­nades qui ont été fou­lées par des rois, des moines, une armée de sol­dats, qui tous, ont fait l’his­toire. Alors je suis venu ici parce que je serai peut-être un des der­niers témoins de la gran­deur de cette ville dont les pierres me susurrent à l’o­reille qu’il ne faut pas oublier les lieux qui ont fait les peuples, et les peuples qui ont don­né vie aux lieux.

Thaïlande - Ayutthaya - 005 - Banian

Thaïlande - Ayutthaya - 006 - Wat Maha That

A Ayut­thaya, pas de tuk-tuk comme à Bang­kok, mais des Sky­lab. C’est à peu près la même chose sauf qu’au lieu d’être (mal) assis dans le sens de la route, on se tient de chaque côté de la petite chose péta­ra­dante, sur des ban­quettes par­fai­te­ment incon­for­tables, mais cela reste le moyen le plus (non pas éco­lo­gique, même si ces bébêtes roulent au gaz pro­pane) (non pas confor­table, non non)… je ne sais pas, pit­to­resque ? Agréable ? Le plus pra­tique… pour visi­ter la ville. Contrai­re­ment à la vieille ville de Sukh­to­thaï qui n’est pas habi­tée à l’in­té­rieur, Ayut­thaya reste vivante et les habi­tants de la ville ne font qu’un avec leur patri­moine. Je monte à l’in­té­rieur d’un de ces petits sky­labs, un tout bleu mis à dis­po­si­tion par l’hô­tel pour me rendre dans les temples. Si la ville paraît petite sur le plan, par­cou­rir la ville à pied serait absurde. Les dis­tances sont beau­coup trop longues et arpen­ter de longues ave­nues droites et sans charme, et sur­tout sans trot­toirs, serait une perte de temps mani­feste ; et pour­tant, je reste un grand par­ti­san de la marche à pied (mon aven­ture de Yogya­kar­ta res­te­ra dans les annales de la ran­don­née). Le chauf­feur s’ap­pelle Mr Sinh, c’est un grand bon­homme qu’on sent bon vivant, la cin­quan­taine asia­tique (il fait dix ans de moins), ser­viable et dis­cret ; il se fait payer à l’heure et me fait bien com­prendre qu’il peut m’emmener par­tout où je le désire. Plu­sieurs fois, il sera assez sur­pris de ce que je lui demande…

Thaïlande - Ayutthaya - 007 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 011 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 014 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 018 - Wat Maha That

Le pre­mier temple que je choi­sis est assu­ré­ment un des plus connus, un des plus grands aus­si. Une fois sur place, je suis assez éton­né de voir qu’il n’y a pas grand-monde, ce qui n’est pas pour me déplaire. Il fait une cha­leur de four­naise sous un soleil déjà haut, même si le ciel reste cou­vert tout le temps. Le Wat Maha That est situé en plein cœur de la ville. Sa construc­tion remonte à l’é­poque de sa fon­da­tion ; le roi Som­det Phra Borom­ma­ra­cha­thi­rat, troi­sième roi d’Ayut­thaya, en com­mence l’é­di­fi­ca­tion en 1374, à deux pas du Palais Royal. Le plan en est, comme sou­vent dans les Wat les plus anciens, émi­nem­ment simple. On y entre par le côté sud pour y cir­cu­ler dans le sens inverse des aiguilles d’une montre (ce qui n’est pas très boud­dhiste puisque la cir­cu­mam­bu­la­tion — Pra­dak­shi­na — se fait tou­jours par la gauche, dans le sens de la marche du soleil, la sta­tue du Boud­dha ou le che­di à sa droite). Au centre, se trouve le Prang1 prin­ci­pal, entou­ré d’une cour car­rée. A l’est, le grand viharn (salle de prière) et à l’ouest, le ubo­soth (salle d’or­di­na­tion). Les autres viharn sont dis­po­sés de chaque côté mais de manière assez aléa­toire, de même que les che­di et les petits prang.

Thaïlande - Ayutthaya - 019 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 021 - Wat Maha That

Non loin de l’en­trée, on trouve la fameuse tête de Boud­dha empri­son­née dans les racines d’un ficus. Per­sonne aujourd’­hui ne sait d’où vient cette tête ni ce qu’elle fait là, mais ce qui est cer­tain, c’est qu’a­près le pas­sage des Bir­mans qui se sont achar­nés à détruire toutes les têtes les plus acces­sibles, celle-ci fait office de miraculée.

Thaïlande - Ayutthaya - 024 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 025 - Wat Maha That

La nature ici reprend ses droits et les arbres qui poussent de manière assez anar­chique dans la cour du temple sont consi­dé­rés comme sacrés, même s’ils s’emploient assez inexo­ra­ble­ment à déchaus­ser les pierres dans les­quelles ils poussent et à consti­tuer un par­fait par­cours du com­bat­tant pour le mal­adroit que je suis. Plu­sieurs fois, je manque de me retrou­ver face contre terre à cause de ces mau­dites racines qui ne trouvent rien de mieux à faire que labou­rer la terre dans l’a­nar­chie la plus totale.

Thaïlande - Ayutthaya - 028 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 030 - Wat Maha That

Même si j’ai conscience de me trou­ver dans un lieu de mémoire, je me rends à l’é­vi­dence que ce spec­tacle est assez triste. L’é­tat de déla­bre­ment du temple me pince le cœur. Boud­dhas démem­brés, déca­pi­tés, sculp­tés dans un grès patiem­ment ron­gé par les pluies, plâtres décon­fits et se déta­chant par plaques entières, le Wat Maha That s’é­va­nouit tout dou­ce­ment dans les arcanes du temps. Il ne reste que deux figures de Boud­dha com­plètes, majes­tueuses et silen­cieuses, assises de chaque côté du plus grand des Prang, dans la posi­tion du bhū­mis­parśa-mudrā.

Juste avant son Éveil, Śākya­mu­ni, assis sous l’arbre de la bod­hi, subit les assauts du « régent » du saṃsā­ra, Māra (aus­si appe­lé Pāpīyān, le « pire »). Crai­gnant de perdre son ascen­dant sur les êtres domi­nés par les pas­sions, celui-ci envoie d’abord ses armées, dont les flèches se trans­forment en fleurs dès que le futur Bud­dha les regarde ! Dépi­té, Māra déclare alors avec orgueil qu’il doit sa posi­tion insigne aux très nom­breux mérites qu’il a accu­mu­lés au cours de ses vies anté­rieures et dénie au futur Bud­dha d’en avoir autant que lui…
Le maître touche alors la terre pour prou­ver sa déter­mi­na­tion inébran­lable à res­ter sur les lieux et pour prendre à témoin la déesse-terre Sthā­varā (ou Pri­thvī). Celle-ci appa­raît, lui rend hom­mage et, tor­dant sa che­ve­lure, en extrait toute l’eau accu­mu­lée au fil des ères cos­miques, chaque fois qu’une liba­tion a été effec­tuée lors d’un don du bod­hi­satt­va. Cette eau est si abon­dante qu’elle emporte les armées de Māra.
Source : Ins­ti­tut d’é­tudes bouddhiques

Déam­bu­ler dans ces ruines donne le tour­nis. Voir ces che­di et ces prang se contor­sion­ner pour res­ter droits est peut-être une signe que Boud­dha agit sur l’ordre du monde pour que les briques ne s’é­croulent pas.

Thaïlande - Ayutthaya - 041 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 044 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 045 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 046 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 050 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 051 - Wat Maha That

Sur quelques murs, on peut encore voir le plâtre des pilastres en forme de fleurs de lotus qui autre­fois ornaient la nais­sance des plafonds.

Je viens d’ar­ri­ver et déjà la cha­leur m’ac­cable ; à peine accou­tu­mé, je manque de m’é­va­nouir avant de me vider une bou­teille d’eau sur la tête. La fatigue, la cha­leur, l’é­mo­tion, la joie aus­si sans doute, tout ceci ali­mente mon syn­drome de Jérusalem.

Thaïlande - Ayutthaya - 059 - Skylab

Je rejoins Mr Sinh à qui je demande de m’ac­com­pa­gner main­te­nant au Wat Rat­cha­bu­ra­na. Peu conscient des dis­tances indi­quées par le plan, je fais bien rigo­ler mon chauf­feur qui me montre que les deux temples sont col­lés l’un à l’autre en m’in­di­quant l’im­mense prang blanc à une cen­taine de mètres de là. Mais pas de sou­ci, il me demande de mon­ter dans le sky­lab et me voi­là trans­por­té dans un autre monde de prang en à peine dix secondes. Si je n’é­tais pas en Thaï­lande, je pour­rais dire que je ris jaune de ma bêtise…

Thaïlande - Ayutthaya - 060 - Wat Ratchaburana

Thaïlande - Ayutthaya - 063 - Wat Ratchaburana

Le Wat Rat­cha­bu­ra­na est plus récent que son voi­sin. Son édi­fi­ca­tion com­mence en 1424 sur les ordres du roi Som­det Phra Borom­ma­ra­cha­thi­rat II , cin­quième roi de la cité, sur le site même de la cré­ma­tion de ses deux frères ainés, les­quels se sont gen­ti­ment entre­tués pour la suc­ces­sion de leur roi de père. Visi­ble­ment, aucun n’a gagné.

Thaïlande - Ayutthaya - 065 - Wat Ratchaburana

Ce temple dis­pose du plus beau prang de la ville, élan­cé et fier, il est encore recou­vert des stucs d’o­ri­gine, et l’on peut encore voir Garu­da fon­dant sur un nāga sur un des coins. A l’in­té­rieur (il faut mon­ter une volée de marches peu recom­man­dables pour ceux qui souffrent de ver­tige), on peut redes­cendre à l’in­té­rieur de la cel­la par une autre volée de marche que je qua­li­fie­rais volon­tiers de casse-gueule… La décou­verte de cette cavi­té est rela­ti­ve­ment récente et si la sueur de dégou­line pas trop sur le visage et que l’at­mo­sphère suf­fo­cante du lieu per­met de ne pas s’é­va­nouir, on peut voir de magni­fiques fresques très aériennes, dont les traits noirs sont encore par­fai­te­ment visibles et les rouges aus­si écla­tants qu’au pre­mier jour.

Thaïlande - Ayutthaya - 066 - Wat Ratchaburana

Thaïlande - Ayutthaya - 068 - Wat Ratchaburana

Thaïlande - Ayutthaya - 069 - Wat Ratchaburana

Thaïlande - Ayutthaya - 072 - Wat Ratchaburana

Thaïlande - Ayutthaya - 073 - Wat Ratchaburana

De ce temple récent et du haut du prang, on peut admi­rer les ruines encore hautes du viharn et de l’ubo­soth, aux murs de brique épais et hauts, dont on voit encore l’in­cli­nai­son qui sup­por­tait autre­fois le toit en bois. Ici non plus, pas la peine de s’es­cri­mer à cher­cher le moindre Boud­dha encore entier.

Me voi­ci repar­ti dans mon petit sky­lab vers un autre temple. Le Wat Phra Si San­phet (Temple du Saint, Splen­dide Omni­scient). Voi­ci le temple le plus véné­ré de la ville, le plus éten­du en sur­face mais éga­le­ment tel­le­ment magni­fique qu’il a ser­vi de modèle au Wat Phra Kaeo de Bang­kok. A l’en­droit même où l’on peut voir aujourd’­hui les trois énormes che­di, se trou­vaient trois bâti­ments de bois construits par le fon­da­teur de la ville, U‑thong : le Phai­thun Maha Pra­sat, le Phai­chayon Maha Pra­sat et le Aisa­wan Maha Pra­sat. En 1448, le roi Borom­ma­trai­lok­ka­nat décide la construc­tion d’un nou­veau palais et conver­tit les bâti­ments royaux en che­di. Un autre temple fut construit à proxi­mi­té, ren­fer­mant une immense sta­tue de Boud­dha (Phra Si San­phet­dayan) de 16 mètres de haut, entiè­re­ment recou­verte d’or (envi­ron 343 kilos au total) et qui consti­tuait le prin­ci­pal objet de véné­ra­tion du lieu, mais tout fut détruit lors de l’in­va­sion des Bir­mans. Du fait de son rôle de temple royal, aucun moine n’a jamais occu­pé les lieux, ce qui explique l’ab­sence de salle d’or­di­na­tion (ubo­soth).

Thaïlande - Ayutthaya - 076 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 077 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 078 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 079 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 082 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 090 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 091 - Wat Phra Si Sanphet

Du côté nord du temple, des petits viharn contiennent des sta­tues déca­pi­tées de Boud­dha, que per­sonne ne vient plus visi­ter. Ce sont des petits havres de paix où seuls les chiens errants cher­chant à fuir la foule et la cha­leur viennent se réfu­gier. Et moi. La suc­ces­sion de ces che­di encore un peu blancs donne une pers­pec­tive superbe et un air de majes­té à l’en­droit. Avec leur cône sur le som­met, ils sont une par­faite repré­sen­ta­tion sty­li­sée et ani­co­nique du Boud­dha. Si les Bir­mans avaient sur ça, ils auraient fait bien plus de dégâts.

Thaïlande - Ayutthaya - 093 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 097 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 101 - Wat Phra Si Sanphet

Juste à côté des ruines du temple majes­tueux, se trouve le Viha­ra Phra Mong­khon Bophit. Comme son nom l’in­dique, ce n’est pas un temple, mais juste un viharn, une salle de prière où l’on trouve un énorme Boud­dha doré cen­sé repré­sen­ter celui qui a dis­pa­ru. C’est ici que l’on voit que cette figure un peu gros­sière et clin­quante inté­resse beau­coup plus les dévots habi­tants d’Ayut­thaya que les ruines sécu­laires. On peut voir ici les gens prier, bâtons d’en­cens et fleurs de lotus blot­tis dans leurs mains jointes, accrou­pis ou debout face à l’im­mense sta­tue jaune d’or. Je reste ici quelques ins­tants à me repaître de tous ces visages tour­nés vers leur objet de dévo­tion, des visages empreints de séré­ni­té, autant que de rési­gna­tion. Tout ce monde m’é­tour­dit, les enfants crient, les jeunes parlent forts, il n’y a visi­ble­ment aucune obli­ga­tion de dis­cré­tion aux abords du temple.

Thaïlande - Ayutthaya - 104 - Vihara Phra Mongkhon Bophit

Thaïlande - Ayutthaya - 106 - Vihara Phra Mongkhon Bophit

La jour­née avance et mon esto­mac com­mence à crier famine. Je demande à Mr Sinh de me rame­ner au Wat Rat­cha­bu­ra­na, mais il semble ne pas com­prendre. On en vient !!! Oui mais je lui explique que je veux aller déjeu­ner et que c’est là-bas que je veux retour­ner. Lorsque je lui parle du res­tau­rant Chi­cken noo­dles, il com­prend mieux. A l’ombre d’une ton­nelle en métal, sur un petit siège en plas­tique, je me régale d’une soupe de pou­let aux nouilles que je m’empresse de subli­mer avec de la sauce soja et de la purée de piment. Pour quelques bahts de plus, je bois un soda trop sucré. Mr Sinh s’est assis à une table près du trot­toir pour se rafraî­chir d’un coca noyé dans les cubes de glace. Prêt à bon­dir si tou­te­fois je déci­dais d’al­ler ailleurs. Je l’in­vi­te­rais bien à ma table, mais ce sont des choses qui ne se font pas. Ce que je ferais par hos­pi­ta­li­té, lui pren­drait ça pour un geste d’ir­res­pect à mon égard… Je déteste cette impres­sion d’être à la fois un enva­his­seur et un pro­fi­teur… autant qu’un porte-mon­naie ambulant…

Thaïlande - Ayutthaya - 108 - Etudiants

Thaïlande - Ayutthaya - 109 - Chicken noodles

Thaïlande - Ayutthaya - 110 - Chicken noodles

Thaïlande - Ayutthaya - 111 - Chicken noodles

Une fois ras­sa­sié, je lui demande de me rame­ner à l’hô­tel, mais la jour­née est loin d’être terminée.

Notes :

1 — Le Prang se dis­tingue du Stu­pa par le fait qu’il est géné­ra­le­ment ouvert et per­met l’ac­cès à une cel­la. Son rôle est le même, c’est une tour sanc­tuaire ren­fer­mant géné­ra­le­ment des reliques.

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Le cou­ron­ne­ment d’é­pines, Miche­lan­ge­lo Meri­si da Caravaggio

Le cou­ron­ne­ment d’é­pines, Miche­lan­ge­lo Meri­si da Caravaggio

Ce n’est pas le tableau le plus connu du Cara­vage, mais c’est cer­tai­ne­ment un des plus riches en émo­tions… D’a­bord il y a l’his­toire, la situa­tion, le moment. Pour cela, il faut relire l’é­van­gile selon Saint Matthieu :

« Alors les sol­dats du gou­ver­neur emme­nèrent Jésus dans le pré­toire et ras­sem­blèrent autour de lui toute la garde. Ils lui enle­vèrent ses vête­ments et le cou­vrirent d’un man­teau rouge. Puis, avec des épines, ils tres­sèrent une cou­ronne, et la posèrent sur sa tête; ils lui mirent un roseau dans la main droite et, pour se moquer de lui, ils s’a­ge­nouillaient en leur disant: “Salut, roi des Juifs!” ». (Mt 27, 27–29)

Le cou­ron­ne­ment d’é­pines fait par­tie de ce qu’on appelle les mys­tères du rosaire et en l’oc­cur­rence, voi­ci le troi­sième mys­tère dans la comp­ta­bi­li­té sor­dide des cinq mys­tères dou­lou­reux. Même dans la dou­leur, il existe une comp­ta­bi­li­té. Ce qui est sous-ten­du dans ce moment de l’his­toire du Christ, c’est la mise en scène de l’hu­mi­lia­tion publique. Le Christ est revê­tu d’une robe de pourpre, sym­bole du pou­voir chez les Romains, cou­leur des empe­reurs que eux seuls peuvent por­ter ; ce n’est pas qu’un simple man­teau rouge. On lui tresse ensuite une cou­ronne d’é­pines qu’on ne fait pas que lui poser sur la tête, mais qu’on lui enfonce à l’aide des mêmes bâtons de roseau que celui qu’on lui place entre les mains ; celui qu’on lui attri­bue est éga­le­ment sym­bole de pou­voir, forme sim­pli­fiée du spectre des rois. Cette cou­ronne d’é­pines est faite de la même espèce que celle avec laquelle on attache les fagots de bois, on lui enfonce les épines dans le cuir che­ve­lu afin de le faire sai­gner abon­dam­ment. Cette cou­ronne, il la gar­de­ra jus­qu’à sa mort sur la croix. C’est en tout cas l’in­ter­pré­ta­tion qu’en fait Caravage.

On sait du peintre que c’é­tait pour le moins un mau­vais gar­çon, colé­rique, bagar­reur, insou­mis, cher­chant sou­vent de nou­veaux pro­tec­teurs qui puissent le finan­cer dans ses tra­vaux et lui per­mettre de vivre, même si cette vie n’est faite que d’al­cool, de for­ni­ca­tion et de mau­vais rêves. La pre­mière ver­sion du tableau, conser­vée au musée du Pra­to, date de 1603, mais celle-ci est plus belle, plus colo­rée, plus intense aus­si. Cette ver­sion dont on parle date­rait (les spé­cia­listes ont du mal à se mettre d’ac­cord) d’une période allant de 1602 à 1607, mais plus vrai­sem­bla­ble­ment de 1607 au regard de ses autres œuvres et de la matu­ri­té de sa pein­ture. On sait éga­le­ment que c’est le mar­quis ban­quier et col­lec­tion­neur Vin­cen­zo Gius­ti­nia­ni qui com­mande cette œuvre. On peut l’ad­mi­rer au Kuns­this­to­risches Museum de Vienne en Autriche, mais comme nous ne sommes pas sur place, voyons ce qu’on peut en faire ici.

Tout d’a­bord, la com­po­si­tion. Une pre­mière ligne hori­zon­tale sur le tiers haut du tableau, repo­sant sur l’é­paule du Christ et sa tête pen­chée, à gauche tra­ver­sant la tête du garde en armure, à droite sur le torse du bour­reau. Ensuite une grande dia­go­nale par­tant de la limite entre l’ombre et la lumière (sou­vent chez Cara­vage, les lignes se créent à par­tir de cette fron­tière ima­gi­naire entre ombre et lumière, contraste ter­rible), qui des­cend sur la poi­trine du Christ, et rejoint sa cuisse gauche. Une autre dia­go­nale qui coupe celle-ci qua­si­ment à angle droit, sui­vant le roseau du Christ, et croi­sant la poi­trine du pre­mier bour­reau. Enfin, deux autres lignes poin­tées par les roseaux des bour­reaux, toutes deux s’é­car­tant de chaque côté de la cuisse gauche du Christ. Voi­ci la com­po­si­tion, qua­si­ment entiè­re­ment faite de dia­go­nales, ce qui induit un tableau très dyna­mique qui tranche avec la pos­ture sta­tique du garde en armure à gauche. C’est une scène d’une rare vio­lence, prise sur l’ins­tant, dans le mou­ve­ment des bour­reaux qui forcent pour plan­ter la cou­ronne d’épines.

Ensuite, la scène. Le Christ porte sur le visage une expres­sion figée ; la dou­leur sourde et rési­gnée. Pas de cris­pa­tion des traits, pas d’hor­reur, juste la sidé­ra­tion de la dou­leur. Rare­ment on a res­sen­ti autant de dou­leur pesante dans un tableau du Cara­vage. Les per­son­nages, eux, contrai­re­ment au Christ, portent des vête­ments ana­chro­niques. Le plus criant, c’est le garde armé. Cha­peau mou à plumes d’au­truche, armure métal­lique res­plen­dis­sante, c’est un cos­tume de garde ita­lien du XVIIè siècle, tout ce qu’il y a de plus éloi­gné de l’é­poque de la scène, mais on est habi­tué à ça dans la pein­ture de la Renais­sance. Les deux bour­reaux, eux, sont plus neutres, ils portent des tuniques blanches ouvertes, des culottes nouées gros­siè­re­ment autour de la cein­ture, mais celui de droite porte un large cha­peau mou carac­té­ris­tique des cam­pagnes ita­liennes. Retour à la case départ, le par­ti pris est de repla­cer la scène dans l’im­ma­nence du peintre. Les regards ; les trois hommes ont le regard tour­né vers le visage du Christ, il fait l’ob­jet de toutes les atten­tions. On est bien d’ac­cord que le sujet n’est pas en dehors du cadre, c’est la tête du Christ qu’il faut regarder.

Avant de regar­der les détails, pas­sons aux trois points. Point de fuite, point de dis­tance, point du vue. Le point de fuite, on ne le voit pas au pre­mier abord, la scène est trop rap­pro­chée, mais si l’on regarde bien, les deux dia­go­nales par­tant des angles se croisent exac­te­ment sur la poi­trine du Christ, tou­ché en pleine poi­trine, en plein cœur, siège de la dou­leur la plus sourde. On ima­gine assez aisé­ment que c’est le point de fuite. Point de dis­tance ; nous sommes pla­cés en vue très rap­pro­chée de la scène, je dirais même plus que nous sommes dans la même pièce, à deux ou trois mètres maxi­mum, enga­gés dans la scène, pla­cés à même dis­tance que les bour­reaux, ce qui nous implique ter­ri­ble­ment, nous ne sommes pas en dehors de la scène. Quant au point de vue (le point de vue est l’en­droit où le peintre place le spec­ta­teur par rap­port à la scène), on sait aujourd’­hui que le tableau est un des­sus de porte, et le point de vue se trouve très exac­te­ment au niveau du nom­bril du Christ. C’est une contre-plon­gée qui, comme sou­vent dans ce genre de tableau, nous incite à nous pla­cer en posi­tion humble par rap­port au Christ, pas comme ses bour­reaux qui le sur­plombent. Non, nous sommes plus bas que lui, lui qui souffre déjà tel­le­ment. Regar­dez bien…

Je ne par­le­rai pas du trai­te­ment pic­tu­ral, la pein­ture du Cara­vage est assez homo­gène dans ce genre de scène, ni de la lumière qui pour le coup est un spot unique, pro­ve­nant d’une fenêtre étroite et haute dans le coin supé­rieur gauche du tableau. En revanche, la somme des détails mérite qu’on s’y arrête quelques instants.

On peut voir le long de l’é­chine droite du bour­reau de gauche une ligne de cou­leur ver­dâtre que l’on pour­rait croire être une ombre por­tée, mais la pro­ve­nance de la lumière nous l’in­ter­dit. C’est en fait une retouche de volume. Cara­vage a fait une pre­mière ver­sion de ce corps plus épaisse que la ver­sion finale.

On l’a vu tout à l’heure, le garde en armure est habillé à la mode ita­lienne de l’é­poque, mais pour­quoi pré­ci­sé­ment une armure ? C’est elle qui donne le ton, qui donne la lumière du tableau, qui indique la source et l’in­ten­si­té lumi­neuse. Le métal est un des meilleurs réflec­teurs qui soit pour la lumière, ce n’est pas un hasard.

Le sang, les cou­lures. En deux temps. Voi­ci une indi­ca­tion un peu ana­chro­nique dans l’en­chaî­ne­ment de la scène. La poi­trine du Christ est déjà macu­lée de sang alors que les bour­reaux sont en train de lui infli­ger le sup­plice. Sur la droite de la scène, on voit l’ins­tan­ta­néi­té de la scène avec les gouttes de sang en train de tom­ber de la cou­ronne d’é­pines, mais on assiste là à deux scènes en une. La pre­mière, ins­tan­ta­née, la seconde, qui pré­fi­gure en réa­li­té ce qui va se pas­ser après, c’est-à-dire, le sang qui coule sur son corps. Les traces de sang sur son front par­ti­cipent du même mou­ve­ment. Sa tête pen­chée indique que le sang n’a pas pu cou­ler droit comme s’il avait la tête rele­vée. C’est là le mys­tère intrin­sèque du tableau.

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Des hommes voilés

Des hommes voilés

S’il est bien un peuple qui condense tous les fan­tasmes, c’est bien le peuple tar­gui, qui se nomme lui-même Kel Tama­shaq. Nomade par défi­ni­tion et obli­ga­tion, rebelle car rétif à l’as­si­mi­la­tion et l’ac­cul­tu­ra­tion, c’est un peuple fier et indomp­table, dont la socié­té est réglée sur un modèle défiant les tra­di­tions musul­manes et dont la langue, le tifi­nagh, un déri­vé du ber­bère, a fait l’ob­jet d’un immense et magni­fique dic­tion­naire en quatre tomes par le père Charles de Foucauld.

Der­nier arrêt sur images avec Paul Bowles qui nous parle de l’âme et du désert.

Ici, ce sont les hommes qui sont voi­lés nuit et jour. Le voile est de fine gaze noire et se porte, comme ils l’ex­pliquent, pour pro­té­ger l’âme. Mais, comme pour eux l’âme et le souffle sont iden­tiques, il n’est guère dif­fi­cile de trou­ver une rai­son phy­sique, s’il en faut une. La séche­resse exces­sive de l’at­mo­sphère cause sou­vent des troubles dans les voies nasales. Le voile conserve au souffle son humi­di­té : il est une sorte de petite plante qui condi­tionne l’air et per­met d’é­loi­gner les mau­vais esprits qui, autre­ment, mani­fes­te­raient leur pré­sence en fai­sant sai­gner les narines, ce qui arrive sou­vent dans cette par­tie du monde.
Il n’est pas très juste de par­ler de ces gens fiers comme de Toua­reg. Le mot est un terme d’op­probre signi­fiant « âmes per­dues », qui leur avait été don­né par leurs enne­mis tra­di­tion­nels, les Arabes, et qui leur est res­té à l’ex­té­rieur. Il s’ap­pellent imo­chagh, les hommes libres.

Paul Bowles, Leurs mains sont bleues
Points Aventures

Pho­to d’en-tête © Mvon­grue

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Oku­no-in, der­nière rési­dence de deux-cent-mille moines

Oku­no-in, der­nière rési­dence de deux-cent-mille moines

Nous sommes à Koya-san, un vieux vil­lage caché dans les mon­tagnes de la pré­fec­ture de Wakaya­ma, au Japon. Dans cette forêt ances­trale se trouve un lieu iso­lé, caché sous des arbres plu­sieurs fois cen­te­naires, un lieu sacré du culte shintō, objet de mul­tiples pèle­ri­nages. Ici, sous les arbres, reposent les corps de près de deux-cent-mille moines depuis près de mille-cinq-cents ans, atten­dant pai­si­ble­ment la résur­rec­tion du Boud­dha. C’est un lieu de toute beau­té, où les vivants viennent rejoindre les morts dans une com­mu­nion avec la nature ; cer­tains le trouvent effrayant, d’autres viennent ici admi­rer les sta­tues recou­vertes de mousse et de mor­ceaux de tis­sus qu’on appelle Jizō bosat­su (地蔵菩薩), dont la voca­tion est d’ai­der les âmes per­dues à retrou­ver leur salut. Les étoffes confec­tion­nés comme des bavoirs pour enfants sont autant de pro­tec­tions contre le froid et les agres­sions de l’ex­té­rieur. Jizō bosat­su n’est ni un dieu, ni un Boud­dha, mais plu­tôt un saint dans un corps d’en­fant, un bod­hi­satt­va. C’est une croyance direc­te­ment issue de l’Inde, pro­té­geant les enfants et les voya­geurs, mais plus lar­ge­ment les âmes de cha­cun et en l’oc­cur­rence, celle des moines, dont le nom ori­gi­nel est Kshi­ti­garb­ha. Sa pré­sence ici n’est pas ano­dine ; le terme san­krit signi­fie « matrice de la terre », et son but est de gui­der les âmes pen­dant la période de souf­france allant du Pari­nirvāṇa à l’ar­ri­vée du Boud­dha réin­car­né (Mai­treya) qui advien­dra lorsque l’en­sei­gne­ment du Boud­dha Sha­kya­mu­ni (Dhar­ma) aura dis­pa­ru sur Terre. C’est pour cette rai­son que les moines reposent ici et qu’ils sont pro­té­gés par ces sta­tues aux­quelles on voue un culte si res­pec­tueux. Les petites sta­tues sont far­dés de rouge ou de rose sur les joues, et portent par­fois des bon­nets ; ce sont comme de petits enfants dont on prend soin.

Koya-san n’est pas qu’un simple lieu de pèle­ri­nage, c’est l’é­pi­centre d’une forme ances­trale de boud­dhisme tan­trique (vaj­rayā­na) et éso­té­rique, le Shin­gon (眞言), dont l’en­sei­gne­ment se nomme mik­kyō (密教), véhi­cule des secrets ou tan­trisme de la main droite (sans pra­tiques sexuelles).

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Pho­to © Mitch Huang

Lieu miné­ral par excel­lence, rem­pli de stèles man­gées par la mousse, de lan­ternes cen­sées appor­ter lumière et récon­fort dans le monde des appa­rences, lieu de recueille­ment devant la quan­ti­té d’âmes qui reposent ici dans l’es­poir d’une nou­velle ère, lieu où la pierre se confond avec la pro­fonde force tel­lu­rique qui se dégage de l’es­pace, le cime­tière d’O­ku­noin est une des étapes du Kōya­san chōi­shi-michi (高野山町石道), ins­crit au Patri­moine mon­dial de l’U­nes­co dans l’en­semble des Sites sacrés et che­mins de pèle­ri­nage dans les monts Kii. Le mont Kōya (高野山) lui-même est le centre de rayon­ne­ment du Shin­gon, insuf­flé par le moine Kūkai (空海, VIIIè-IXè siècle), com­por­tant dans son exten­sion pas moins de 117 temples.

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Pho­to © Mitch Huang

Pho­to d’en-tête © Al Case

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Parit­ta

Parit­ta

D’aus­si loin que nous sommes de l’A­sie, nous connais­sons fina­le­ment assez peu de choses du boud­dhisme, si ce n’est tous les cli­chés qu’on peut construire autour de ce que nous ne connais­sons pas. Divi­sé en deux branches majeures, d’un côté le the­ravā­da, le petit véhicule, reli­gion des ori­gines, pri­mi­tive et conser­va­trice, qui reste au plus proche des paroles du Boud­dha Śākyamū­ni et répan­du dans toute l’A­sie du Sud-est, de l’autre côté, le mahāyā­na ou grand véhi­cule, plus déve­lop­pé en Chine et en Corée. L’un reste concen­tré sur le salut de l’in­di­vi­du (d’où le “petit” véhi­cule), l’autre sur le salut de tous les êtres (d’où le terme un peu condes­cen­dant de petit véhi­cule par ceux qui pra­tiquent le grand véhi­cule). Si le the­ravā­da est la reli­gion majo­ri­taire dans l’aire d’ex­pan­sion la plus proche de son ber­ceau, l’Inde, c’est aus­si à mon sens le plus char­gé en mys­tères, en construc­tions de l’es­prit, mais aus­si en rites dif­fé­ren­ciés et magiques. C’est une reli­gion des­ti­née à être appro­priée par ses fidèles, qui n’hé­sitent pas à en faire une chose per­son­nelle, en dehors des canons et des dogmes.

La par­ti­cu­la­ri­té du the­ravā­da, c’est qu’il est s’ap­puie sur les Trois Cor­beilles, plus connues sous le nom sans­krit de tipi­ta­ka, ou tri­pi­ta­ka (dont j’ai déjà par­lé ici, en loccur­rence à pro­pos d’un tri­pi­ta­ka coréen). Selon la légende, les trois sec­tions (Sut­ta Pita­ka, Vinaya Pita­ka et Abhid­har­ma Pita­ka), ou cor­beilles de ce cor­pus de textes sacrés, auraient été écrits sur des feuilles de palme dépo­sées dans des cor­beilles tres­sées. Sans ren­trer dans le détail, la pre­mière cor­beille contient les règles de la vie monas­tique et les mythes de la créa­tion, la seconde les paroles du Boud­dha et la troi­sième est un ensemble de textes ana­ly­tiques des paroles du Boud­dha (Dhar­ma étant la doc­trine, Abhid­har­ma est ce qui se trouve au-des­sus de la doc­trine). Et c’est là que les choses se com­pliquent, car si la science du tipi­ta­ka est réser­vée à une élite monas­tique, elle n’est pas écrite dans une langue com­mune. Ni les Thaïs, ni les Bir­mans, ni les Khmers ne peuvent la lire dans leur langue de nais­sance, car le tipi­ta­ka est écrit en pali, une langue indo-aryenne autre­fois par­lée en Inde et assez proche du sans­krit. D’ailleurs, le tipi­ta­ka est éga­le­ment appe­lé canon pali. Le pali aurait été la langue de nais­sance du Boud­dha, ce qui explique pas mal de choses.

L’ex­pres­sion la plus actuelle du pali, c’est la réci­ta­tion des parit­ta, ou pirit et ça, pour le coup, on peut l’en­tendre par­tout dans les temples d’A­sie du Sud-est, puisque ces réci­ta­tions qui sont des chants de pro­tec­tion sont les chants que les moines récitent un peu par­tout dans cette région du monde. Chants éton­nants, ânon­nés par­fois, lan­gou­reux et suaves, ils sont par­fois entê­tants jus­qu’à l’é­va­nouis­se­ment. Cette mono­to­nie est régu­lière et symp­to­ma­tique d’une absence volon­taire de fan­tai­sie. On com­prend aisé­ment pour­quoi la transe n’est jamais loin. Si les chants sont appris par cœur, leur sens réel n’est pas tou­jours connu de ceux qui les entonnent. Ce sont éga­le­ment les paroles de ces parit­ta que l’on trouve sur les tatouages sacrés thaï­lan­dais que l’on appelle Sak Yant ou sur les ins­crip­tions pro­tec­trices que l’on trouve au-des­sus de la tête de tout chauf­feur de taxi qui se res­pecte (et qui doit, dans cer­tains cas leur faire croire qu’ils peuvent se per­mettre de ne pas faire atten­tion à la manière dont ils conduisent).

C’est ce chant que j’ai réus­si à cap­ter en fin de jour­née au Wat Pho, dans le temple prin­ci­pal qu’on appelle Bôt ou Ubo­soth, le temple d’or­di­na­tion des moines. Mais ce soir, parce que Bang­kok n’est déci­dé­ment pas une ville comme les autres, c’é­tait un chant d’un genre par­ti­cu­lier que l’on pou­vait entendre puisque c’é­tait le chant des femmes, les moniales de la com­mu­nau­té qui vit dans l’en­ceinte du temple. Vêtues de blanc, le crâne rasé comme celui des hommes, elles offi­ciaient, les pieds nus tour­nés vers l’en­trée du temple, jamais vers le Boud­dha, elles chan­taient avec un cer­tain entrain. L’une d’elle s’est tour­née vers moi et m’a sou­ri cha­leu­reu­se­ment comme pour me remer­cier d’être là et de m’é­mer­veiller de ce chant si particulier.

[audio:thai/paritta.mp3]

On peut écou­ter toutes sortes de parit­ta sur le site pirith.org.

Homme tatoué de Sak Yant à Non­tha­bu­ri — Pho­to © cro­que­ta titirimundi

Pho­to d’en-tête : Boud­dha de Wat Si Chum (วัดศรีชุม) — Sukho­thaï — 31 juillet 2016

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