Sorting by

×

Mad Rush

[audio:madrush.xol]

La simple évo­ca­tion de Phi­lip Glass me rap­pelle mes pre­miers tâton­ne­ments avec la musique contem­po­raine, les chants bar­bares de Stra­vins­ki, les pièces vio­lentes de Pierre Bou­lez et sur­tout les pièces de per­cus­sion scan­da­leuses d’Edgard Varèse et ce nom de Phi­lip Glass sor­ti de la bouche de mon grand-père qui m’a ouvert la porte de la musique mini­ma­liste. Mad Rush est une pièce com­po­sée en 1979 ini­tia­le­ment pour orgue, c’est une suite de sept mou­ve­ments ter­naires pour une exé­cu­tion d’en­vi­ron 13 minutes. En 1981, la pièce a été choi­sie pour accom­pa­gner le dis­cours du Dalaï Lama à New-York.
La com­po­si­tion donne l’im­pres­sion que chaque mou­ve­ment roule sur deux notes uniques alors que l’har­mo­nie en livre beau­coup plus dans un flot conti­nuel et d’une beau­té rare qui donne envie de s’as­seoir face à l’océan…
Pour ceux qui en veulent encore, Phi­lip Glass à l’œuvre, en vidéo, seul, puis en public.
Mad Rush fait par­tie de la suite d’œuvres pour pia­no sur l’al­bum Solo Pia­no.

Read more

1947 à New-York, Ombres sur l’Hud­son — Isaac Bashe­vis Singer

J’ai ren­con­tré Isaac Bashe­vis Sin­ger dans un recueil d’en­tre­tiens avec Antho­ny Bur­gess que l’é­di­teur, en toute modes­tie a nom­mé “Ren­contre au som­met”(1). Ce petit livre, qui est la trans­crip­tion des échanges entre les deux hommes pour un docu­men­taire de la télé­vi­sion sué­doise, tour­né en 1985, est une œuvre dense, dont cha­cune des phrases pour­raient ali­men­ter une antho­lo­gie des cita­tions sur la reli­gion. Mal­heu­reu­se­ment, depuis mon démé­na­ge­ment, je ne retrouve pas ce livre. C’est après avoir lu ce petit opus­cule que je me suis ache­té Ombres sur l’Hud­son, un épais livre écrit en yid­dish et paru sous forme de feuille­ton dans le jour­nal The For­ward (פֿאָרווערטס, For­verts) à par­tir de 1957, puis tra­duit en anglais et publié tel quel en 1998. Le livre en fran­çais est donc une tra­duc­tion de tra­duc­tion, mais le style est fluide et la pré­sence d’un lexique yid­dish per­met une bonne compréhension.

Pho­to © Luke Red­mond

[audio:lomir_alle.xol]

- Tout a disparu.
— Pour­quoi, mon ché­ri ? Pour­quoi ? Quel­que­fois, je feuillette L’His­toire des Juifs de Graetz. Il n’y est ques­tion que d’une chose : les per­sé­cu­tions. Mais le monde a oublié la façon dont les Juifs aimaient les fêtes. J’ai une théo­rie : si les Juifs n’a­vaient pas été un peuple aus­si joyeux, le monde ne les auraient pas autant haïs. Toute haine est bâtie sur l’envie.

Ombres sur l’Hud­son est typi­que­ment une œuvre com­mu­nau­ta­riste. On est en 1947, à New-York, dans la com­mu­nau­té ash­ké­naze amé­ri­caine immé­dia­te­ment issue de l’exode euro­péenne pen­dant la guerre, et à quelques temps de la créa­tion de l’é­tat d’Is­raël, dans un espace de temps et de lieu où les Juifs qui ont échap­pé au mas­sacre de la Shoah vivent une sorte d’er­rance et de déprime dans les­quelles appa­raissent les ques­tions qui ont fait les grands débats phi­lo­so­phiques d’a­près-guerre sur l’exis­tence de Dieu, la bon­té de Dieu, et la ques­tion de la fin de l’his­toire. On y voit appa­raître en fili­grane les visages de Spi­no­za ou de Leib­niz quand il s’a­git de la théo­di­cée (Θεοũ δίκη, « jus­tice de Dieu »).

- Vois-la donc et confie-lui tes affaires pour­ries. Puis pars et ima­gine-toi que tu es déjà dans le monde à venir, en train de man­ger la chair du Léviathan.

Sunset on the Hudson waterfront

Pho­to © Joi­sey Showaa

Nous sommes dans un milieu de Juifs réfu­giés échoués à Ellis Island comme d’autres se trompent de che­min pour aller au tra­vail pour la pre­mière fois, réunis autour d’un riche veuf, un par­ve­nu autour duquel gra­vitent un vieux méde­cin éden­té par­lant à peine anglais, un autre méde­cin, jeune et athée qui trouve toute jus­ti­fi­ca­tion de la vie entre les cuisses des femmes qu’il séduit, un bel­lâtre cin­quan­te­naire qui n’a plus foi en rien et vit de quelques menues opé­ra­tions en bourse et la fille de Maka­ver (on peut ima­gi­ner que ce Maka­ver est l’i­mage de Sin­ger), mariée à Luria, une ombre, un avo­cat miteux qui ne peut exer­cer ici comme il le fai­sait en Pologne, dont la pre­mière femme et les enfants ont péri dans les camps de concentration…
Ombres sur l’Hud­son, c’est la chute d’un homme, Hertz Grein, de vingt ans l’aî­né de la fille de Maka­ver qu’il va séduire et entrai­ner avec lui dans un New-York immense et déso­lé. C’est la chute d’un Maka­ver qui d’un revers de for­tune tom­be­ra aus­si bas qu’il est pos­sible pour un homme de son enver­gure et c’est la chute d’un Luria qui ne pour­ra fina­le­ment conti­nuer à vivre sans sa pre­mière femme, morte et la seconde, par­tie avec un autre. Grein chute, il n’en peut plus de tom­ber entre sa femme malade d’un can­cer, Esther son ancienne maî­tresse qu’il n’ar­rive pas à chas­ser de sa vie et qui le retient sans arrêt et sa com­pagne qu’il ché­rit depuis qu’il la connaît, toute enfant. Grein se perd dans la ville, dans sa vie et les bras des femmes qu’il aime, jus­qu’à quel point, jus­qu’à retrou­ver sa foi, revê­tir le châle de prière et les phylactères ?
Ombres sur l’Hud­son, c’est une fresque immense dans une ville qui l’est tout autant, ani­mée par des per­son­nages qui n’ar­rivent plus à savoir qui ils sont, entre un pays qui les accueille à bras ouverts mais qu’ils n’ar­rivent pas à adop­ter et une Europe qui les a exter­mi­né, chas­sé… Il flotte dans ce livre comme un par­fum de fin du monde par­mi des hommes damnés…

Comme une ode sau­vage, je tiens par­ti­cu­liè­re­ment à ce para­graphe, une des plus belles des­crip­tions que j’ai lues depuis bien long­temps, une ambiance de renais­sance après une nuit ombrageuse…

Quand Grein quit­ta la syna­gogue, le soleil brillait. La rue était pleine d’en­fants. Les éboueurs tiraient les pou­belles jus­qu’aux bennes où les ordures seraient broyées. A demi-nus, en che­mises mul­ti­co­lores, le visage mar­qué par d’in­nom­brables guerres, des siècles de métis­sage, des actes de vio­lence, venus des pre­miers âges, des peines sans nombre que des géné­ra­tions entières ne pou­vaient effa­cer, des Por­to­ri­cains étaient assis sur le pas de leur porte. Un cha­riot pas­sa, rem­pli de tomates à moi­tié pour­ries, tiré par un vieux che­val et le mar­chand criait comme un pos­sé­dé. Un poli­cier noir sur­git de nulle part, fai­sant adroi­te­ment tour­noyer son bâton. Sur le trot­toir, à côté d’une pou­belle, un ivrogne était éten­du, le visage tumé­fié, rouge comme s’il avait la peste, en train de bre­douiller et de baver, tan­dis que ses yeux expri­maient la dou­leur de ceux qui ont per­du tout contrôle d’eux-mêmes. Cette épave humaine sem­blait imbi­bée d’al­cool au point d’être prête à s’en­flam­mer à n’im­porte quel instant.

Notes:
1 — Edi­tions Mille Et Une Nuits, 1998.

Read more

Abou’l Qasim Al-Tamimi

Des tous les poètes qui com­posent la superbe antho­lo­gie de la Poé­sie Arabe, tra­duite et pré­sen­tée par René R. Kha­wam, chez Phe­bus, il a fal­lu que je m’en­tiche du prince des poètes-truands, Abou’l Qasim Al-Tami­mi. Il gagnait sa vie en écri­vant de petites saillies par­fai­te­ment insul­tantes et drôles dont il fai­sait com­merce auprès des notables qui s’of­fraient ses ser­vices dans les socié­tés pri­vées. Pour­tant, ce sont ici deux poèmes de toute beau­té que je repro­duis ici, agré­men­tés d’un mur­ra­qa conser­vé à la BNF (manus­crit per­san enlu­mi­né) et d’un chant sou­fi issu de l’al­bum Hadra par Fadhel Jazi­ri. A noter qu’E­ve­lyne Lar­guèche a dépo­sé un texte sur l’« insul­teur public » sur le site de la Revue des mondes musul­mans et de la Médi­ter­ra­née (REMMM).

Entre deux vins

Rouge avant le mélange, et fauve après,
le vin appa­raît entre deux tuniques
et nous offre son corps entre deux fleurs :
l’un de nar­cisse, l’autre d’anémone.

Pur, il est à l’i­mage de la joue
rosis­sante de la pucelle aimée ;
et livré au mélange, il a la couleur
de la joue d’or pâli du bel amant.


[audio:vin.xol]

Red­di­tion

Une fille blanche
comme de l’argent
mais le front orné
d’une frange noire…

Vois-là s’a­van­cer,
emprun­tant par ruse
le jais de ses yeux
à quelque antilope !

Pareille beau­té
ne sera vaincue
qu’à la reddition
de ses deux paupières !

Abou’l Qasim Al-Tamimi
Xème siècle

Read more

Nus­rat Fateh Ali Khan

Véri­table dieu vivant dans son pays et par delà les fron­tières, dans le monde isla­mique, une étoile à la hau­teur de Oum Kal­soum en Égypte, Nus­rat Fateh Ali Khan (urdu : نصرت فتح علی خان) a ouvert la voie du qaw­wa­lî et du khyal en occi­dent avec 125 albums enre­gis­trés, mais sur­tout, il aura été l’am­bas­sa­deur de la culture sou­fie. Depuis sa mort en 1997, son neveu Rahat assure la relève. Pour le plai­sir ici, Dam Hama Dam Ali Ali. On ferme les yeux, et on se laisse transporter…

[audio:DamHamaDamAliAli.xol]

Read more

Valse triste

On connait Jean Sibe­lius (Johan Chris­tian Julius Sibe­lius) pour ses sept sym­pho­nies, mais éga­le­ment pour une pièce superbe, la Valse Triste, extraite de Kuo­le­ma (la Mort), un bal­let écrit par Arvid Jär­ne­felt. Sym­bole de l’i­den­ti­té fin­noise et de la résis­tance face à l’Em­pire Russe, Sibe­lius vivra mal l’ar­ri­vée du dodé­ca­pho­nisme et on le taxe­ra par­fois de réac­tion­naire ou même de « plus ennuyeux des musi­ciens sérieux » alors que sous ses dehors ascé­tiques, il est un des meilleurs sym­pho­nistes qui soit, une grande âme qui n’ex­prime rien des élans natio­na­listes qu’on lui prê­ta. Bru­lé par la dépres­sion, il détrui­ra sa hui­tième sym­pho­nie puis som­bre­ra dans l’al­coo­lisme avant de s’é­teindre à 92 ans.
Valse triste, une pièce sin­gu­liè­re­ment émou­vante et simple.

[audio:valse_triste.xol]

Valse triste, Op.44, diri­gé par Her­bert von Karajan

Read more