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Le vam­pire de Ropraz

Le vam­pire de Ropraz

Jacques Ches­sex est très cer­tai­ne­ment trop peu connu. Mais qu’on ne s’y trompe pas ; celui qui fut Prix Gon­court en 1973 pour L’ogre est Suisse (comme ça c’est dit, his­toire d’éviter l’appropriation). Il est d’ailleurs le seul Suisse à avoir obte­nu ce prix, ain­si que le Prix Gon­court de la poé­sie en 2004. Décé­dé en 2009, il a béné­fi­cié d”un regain de popu­la­ri­té après sa dis­pa­ri­tion, c’est en tout cas ce qui me l’a fait connaître et je découvre Ches­sex avec ce petit livre au nom qui sonne comme un coup de toc­sin dans l’hiver des hauts pla­teaux nei­geux, Le vam­pire de Ropraz.
Tout com­mence par la mort d’une jeune fille, une fleur sur la boue, qui sitôt enter­rée ver­ra sa tombe pro­fa­née, son corps atro­ce­ment muti­lé, dévo­ré, par un fou dan­ge­reux qu’on aura tôt fait de sur­nom­mer le vam­pire. La psy­chose s’empare d’un petit vil­lage du pla­teau du Haut-Jorat vau­dois, au nord du Léman, d’autant que le fou mul­ti­plie ses hor­reurs et s’en prend à deux autres jeunes filles, toutes aus­si mortes… Les dénon­cia­tions calom­nieuses com­mencent à cou­rir, on s’en prend aux mar­gi­naux, aux étran­gers, et la folie s’empare aus­si de la petite cam­pagne dans laquelle se répand la vilé­nie comme une traî­née de poudre, exa­cer­bant les ins­tincts les plus bas d’une com­mu­nau­té repliée sur elle-même… on finit par trou­ver un cou­pable qu’on envoie aux fers, puis un temps sau­vé par la psy­chia­trie fait un faux pas et se retrouve à nou­veau sous la vin­dicte popu­laire… Le jeune homme s’enfuit, on perd sa trace…
Le roman de Ches­sex décrit avec une éner­gie simple mais d’une effi­ca­ci­té redou­table la fas­ci­na­tion exer­cée par cet odieux per­son­nage, dont rien ne nous dit s’il est le cou­pable ou non, mais ce qui est le plus fas­ci­nant, c’est la bas­sesse des gens, leur mes­qui­ne­rie, les grandes peurs qui par magie se trans­muent en petites cochon­ne­ries. Dans une langue lim­pide, directe et somp­tueu­se­ment pesée, Ches­sex livre un bijou ter­ri­fiant, basé sur des faits réels, qui n’a rien à envier aux maîtres de la lit­té­ra­ture d’horreur.

Février 1903. Le début de l’année a été très froid, la neige tient sur Ropraz, qui paraît encore plus tas­sé, et oublié, sur son pla­teau bat­tu des vents. Depuis le 1er février la neige tombe sans dis­con­ti­nuer. Une neige lourde, mouillée, sur le ciel sombre, et le vil­lage n’a pas été épar­gné depuis quelques temps. Routes cou­pées, les fièvres, plu­sieurs vaches ont mal vêlé, et le 17, un mar­di, la jeune Rosa, grande fleur fraîche, vingt ans, la peau claire, de grands yeux, de longs che­veux châ­tains, est morte de la ménin­gite dans la ferme de son père, M. Emile Gil­lié­ron, juge de paix et dépu­té au Grand Conseil. C’est un homme consi­dé­rable, sévère, avi­sé, géné­reux. Il a du bien, beau­coup de terre à la ronde, et la souple beau­té de sa fille a fait des troubles puis­sants. De plus elle est bonne chan­teuse, dévouée aux malades, active parois­sienne à l’église mère de Mézières… Des gens rares, comme on voit. Et qui étonnent devant la lai­deur, le vice, la ladre­rie ambiante.

La fin que Ches­sex nous réserve peut paraître fan­tasque, mais ce n’est que pour mieux poin­ter du doigt le fait qu’une socié­té qui engendre des monstres est tout aus­si capable de les vénérer…

Pho­to © Oli­vier Londe

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La zone (Чорнобиль)

La zone (Чорнобиль)

La zone, c’est cette par­tie du monde, trop bien connue, bien­tôt rejointe par celle de Fuku­shi­ma, qui dans un rayon de trente kilo­mètres autour de la cen­trale de Tcher­no­byl est cen­sée être inha­bi­tée, un no man’s land ter­ri­fiant, com­po­sé de plu­sieurs villes fan­tômes, dont Pri­pyat fon­dée en 1970, cin­quante mille habi­tants éva­cués, popu­la­tion aujourd’hui : zéro. La réa­li­té est un peu plus contro­ver­sée, car cette zone est encore habi­tée par un mil­lier d’ouvriers, offi­ciel­le­ment, trois ou quatre fois plus en réa­li­té. Les enfants mineurs et les femmes enceintes ou en âge de pro­créer n’y sont pas auto­ri­sés. Là aus­si, les règles sont souples. Quoi qu’il en soit, ceux qui n’ont pas vou­lu quit­ter la zone peuvent y vivre, les auto­ri­tés les jugent de toute façon fou­tus.
La zone est un web­do­cu­men­taire trou­blant, en immer­sion dans la vie de ces délais­sés, Russes deve­nus Ukrai­niens mais tou­jours autant conta­mi­nés, dans une région où l’on cueille des cham­pi­gnons, où l’on pille les appar­te­ments pour en récu­pé­rer le bois et où l’on brûle les livres pour faire du feu… Où l’on se rend compte que la catas­trophe nucléaire a non seule­ment tué des dizaines de mil­liers d’âmes, mais éga­le­ment l’espoir.
L’histoire de Palies­ka, c’est l’histoire d’une ville conta­mi­née, moins connue que Pri­pyat, mais qu’on a cher­ché à dis­si­mu­ler en reti­rant la terre sur cinq mètres, en chan­geant les toi­tures et le bitume des routes… et en éva­cuant sa popu­la­tion dix ans après…

Récem­ment, le pré­sident ukrai­nien a deman­dé à l’Agence Inter­na­tio­nale de l’Énergie Ato­mique la pos­si­bi­li­té de pou­voir exploi­ter à nou­veau les terres conta­mi­nées. Pour l’instant, la réponse est tou­jours non.

Prypiat: Public Swimming Pool

Pri­pyat est deve­nu aujourd’hui un des hauts lieux d’une nou­velle forme de tou­risme, le tou­risme nucléaire…
Loca­li­sa­tion de Pri­pyat sur Google Maps.

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Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 10 août) : Les göz­leme d’Es­ra, Fethiye, le tom­beau d’Amyntas

Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 10 août) : Les göz­leme d’Es­ra, Fethiye, le tom­beau d’Amyntas

Épi­sode pré­cé­dent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 9 août) : Dans les gorges de Saklıkent (Kanyo­nu)

Bul­le­tin météo de la jour­née (ven­dre­di) :

  • 10h00 : 38.7°C / humi­di­té : 27% / vent 15 km/h
  • 14h00 : 42.0°C / humi­di­té : 23% / vent 11 km/h
  • 22h00 : 40.0°C / humi­di­té : 67% / vent 4 km/h

Réveillé ce matin par le chant des cri­quets dans l’at­mo­sphère brû­lante qui frappe au car­reau. Mes nuits cli­ma­ti­sés res­semblent à des cau­che­mars où j’os­cille entre la nudi­té par­faite et l’en­gon­ce­ment dans les toiles blanc cas­sé, sau­cis­son­né comme une rosette de Lyon ou un foie gras cuit à cœur. Ils se sont répar­tis ente le jar­din de la pis­cine et celui sur lequel donne la cour­sive, ce qui a le don de pro­duire un son en sté­réo pas­sa­ble­ment enivrant. Je dis cri­quet, mais je suis vrai­ment inca­pable de dire quel genre de coléo­ptère est capable de faire ce genre de bruit et je ne suis pas cer­tain que si j’ar­rive à connaître le nom turc cela m’a­vance à grand chose.

Ce n’est pas parce que je suis en vacances que je ne lis pas. Je viens de finir le livre de Daniel Arasse, On n’y voit rien, que j’ai trou­vé beau­coup moins fas­ci­nant qu’His­toires de pein­tures, beau­coup moins éclai­rant, plus égo­cen­tré et sur ma lan­cée je com­mence la lec­ture, dès le petit matin, de Les Croi­sades vues par les Arabes d’Amin Maa­louf.

Je prends quelques notes sur la manière de tenir mes car­nets, com­ment les ordon­ner, de les numé­ro­ter et de les indexer, de mettre des onglets, d’in­sé­rer du maté­riau à l’in­té­rieur. Vœux pieux. Il me semble qu’en ce moment je mange beau­coup, peut-être l’ef­fet de la cha­leur, ou alors parce que les repas sont plus légers, ou alors parce que je ne res­sens plus beau­coup la sen­sa­tion de satiété.

Turquie - jour 15 - Fethiye - 006 - Patara gözleme evi

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L’é­li­mi­na­tion — Rithy Panh

L’é­li­mi­na­tion — Rithy Panh

Je ne sais pas pour­quoi je me suis rué sur ce bou­quin. Il m’ar­rive par­fois de retour­ner un livre pour en lire la qua­trième de cou­ver­ture et de res­ter accro­ché sur quelques mots. En l’oc­cur­rence, ce livre, s’il n’a­vait été recou­vert d’un ban­deau où figure la pho­to du cinéaste, vêtu d’une veste noire, d’un kra­ma blanc écru, les traits tirés et le regard comme per­du dans le vague, une épaisse fumée de cigare l’en­ve­lop­pant, je ne l’au­rais peut-être pas retour­né, il serait res­té en-dehors de mon champ. La pho­to dit déjà le drame.

Rithy Panh, l'elimination

Rithy Panh, je ne le connais pas, à part de nom. Je sais de lui qu’il a réa­li­sé un film, un grand film sur les années sombres où les khmers rouges ont lit­té­ra­le­ment exter­mi­né la popu­la­tion du Cam­bodge, un film au titre qui ne laisse aucu­ne­ment de place au doute : S21, la machine de mort khmère rouge. En réa­li­té, je ne savais rien des khmers rouges, je ne savais rien du Cam­bodge, et je ne savais rien de ce qui s’y était pas­sé, et je ne dis pas qu’au­jourd’­hui j’en sais beau­coup plus mais au moins je connais cette his­toire, l’his­toire de cet homme bri­sé par un pas­sé trop lourd à porter.
L’é­li­mi­na­tion, c’est le récit mêlé de son expé­rience d’en­fant dont le sou­ve­nir lui rap­pelle Phnom Penh, la capi­tale encore vivante et qui sera vidée de sa popu­la­tion, et des heures d’un pro­cès qui aurait pu faire date si les vrais res­pon­sables avaient été jugés et punis, celui du res­pon­sable du S21, le bureau de sécu­ri­té, centre de tor­ture et d’exé­cu­tion de la méca­nique mor­telle mise en place par un régime pris de folie meur­trière. Le res­pon­sable, à tous les sens du terme, c’est Kaing Guek Eav, plus connu sous le nom de Duch ou Douch.

Kaing Guek Eav - Douch à son procès

Kaing Guek Eav (Douch) à son pro­cès en 2012
Pho­to © Ho New / Reuters

L’his­toire de Rithy Panh, c’est sim­ple­ment l’his­toire d’un jeune gar­çon pris dans la folie de l’his­toire de son peuple, c’est l’his­toire de sa famille, d’un drame qui lui a ôté son père qui finit par ces­ser de croire en des jours meilleurs et se laisse mou­rir de déses­poir, un ins­pec­teur de l’é­du­ca­tion éru­dit, édu­qué, et selon l’au­teur l’ar­ché­type de l’homme tour­né vers la moder­ni­té, vers ce que l’homme a en lui du plus pré­cieux pour sa propre préservation.

C’é­tait la défaite de l’En­cy­clo­pé­die. Plu­tôt l’an­cien monde, élé­men­taire, ter­rien, que la connais­sance, froide et difficile.

Ce drame lui a éga­le­ment ôté sa mère, une femme admi­rable, aimante, qui don­na tout à ses enfants pour qu’ils s’en sortent, mais elle renonce le jour où sa fille décède. D’autres mour­ront, des êtres proches, des incon­nus, des dizaines, des mil­liers de morts jalonnent ce livre, des mil­liers d’êtres inno­cents empor­tés par la folie meur­trière d’un idéo­logue fou por­té par ses théo­ries vaseuses et une absence totale de visi­bi­li­té sur ses fins, l’hor­rible Saloth Sâr (Pol Pot) avec son visage figé et son sou­rire de sta­tue de cire.
Face au bour­reau Douch, Rithy Panh n’ar­rive à tirer que des expli­ca­tions floues, pom­peuses et vides de sens, des repen­tances, des aveux du bout des lèvres ponc­tués de phrases qui le dégagent de toute res­pon­sa­bi­li­té, lui, l’exé­cu­tant, le petit pro­fes­seur de mathé­ma­tiques deve­nu un immonde bureau­crate tor­tion­naire qui ne pou­vait être en tort, car il était en accord avec l’idéologie…

Je com­prends qu’on change de nom et de pré­nom dans la clan­des­ti­ni­té. Mais réduire l’autre à un geste, à une méca­nique, à une par­celle de son corps, ce n’est pas pro­pa­ger la révo­lu­tion. C’est déshu­ma­ni­ser. C’est tenir l’être dans son poing.
Jus­qu’à la libé­ra­tion, je suis res­té le « cama­rade chauve », et c’é­tait très bien ain­si : je ne por­tais plus le nom de mon père, trop connu. J’é­tais sans famille. J’é­tais sans nom. J’é­tais sans visage. Ain­si j’é­tais vivant, car je n’é­tais plus rien.

Le récit de Rithy Panh, c’est le récit de la déshu­ma­ni­sa­tion la plus totale, alors on pense imman­qua­ble­ment à Pri­mo Levi, Robert Anthelme ou Elie Wie­sel… C’est pré­ci­sé­ment cela l’é­li­mi­na­tion, L’Ang­kar (l’or­ga­ni­sa­tion), c’est l’é­li­mi­na­tion car vous n’êtes plus rien. Une des scènes les pires qui me reste est celle de ce jeune gar­çon dont la jambe s’in­fecte et sur laquelle il voit des vers grouiller.

Nous savions intui­ti­ve­ment que c’é­tait la fin : l’ir­rup­tion de la vie ani­male dans la vie humaine. Il est mort le lendemain.

S21 - Tuol Sleng

S21 (Tuol Sleng, la col­line du man­guier sauvage),
ancien lycée recon­ver­ti en centre de torture
Pho­to © Chris Gra­vett

J’ai lu ce livre en peu de temps, absor­bé dans ces pages qui me disaient que je devais savoir, que je devais ter­mi­ner, mal­gré les haut-le-cœur, mal­gré la nau­sée qui prend devant la déchéance qu’on fait subir à un peuple, qu’on exé­cute froi­de­ment, qu’on tor­ture et qu’on viole. Un mil­lion sept cent mille (le chiffre paraît lui-même dément) Cam­bod­giens sont morts direc­te­ment ou indi­rec­te­ment des consé­quences de cet assas­si­nat orga­ni­sé par une poi­gnée de fous. 1 Cam­bod­gien sur 5, mort… au nom d’une révo­lu­tion sans classe, une révo­lu­tion bor­née, idiote, sans raison.

Sans doute est-ce cela, un révo­lu­tion­naire : un homme qui a du riz dans son assiette ; et qui cherche un enne­mi dans le regard de l’autre.

Il faut avoir lu ce livre, pour la trace qu’il laisse, pour le futur des nations, pour être en paix avec soi mal­gré le déchi­re­ment qu’il pro­cure à l’in­té­rieur, pour appor­ter la paix aux morts, pour se regar­der en face, pour ne pas faire comme si on ne savait pas, pour lui, pour Rithy Panh et pour les autres qui se sont vu des­ti­tuer leur droit à être des êtres humains, pour peut-être cau­che­mar­der et fina­le­ment ouvrir à nou­veau les yeux sur un monde qui pro­duit des monstres, mais au moins, on ne pour­ra pas dire qu’on ne savait pas…

Duch: Je suis jour et nuit avec la mort.
Je lui réponds: Moi aus­si. Mais nous ne sommes pas du même côté.

Rithy Panh avec Chris­tophe Bataille, L’élimination
Édi­tions Grasset

EDIT : on me souffle dans l’o­reillette qu’il existe un blog autour d’un pro­jet sur la recons­truc­tion du Cam­bodge et de la mémoire des années sombre, un pro­jet d’Émilie Arfeuil et Alexandre Lie­bert qui se nomme Scars of Cam­bo­dia.

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Nature morte à l’ai­guière d’argent, Willem Kalf

En guise de point de départ à une série de billet sur les natures mortes, voi­ci une de celles qui m’ont par­ti­cu­liè­re­ment tou­ché, réa­li­sée par le peintre hol­lan­dais Willem Kalf aux alen­tours de 1655–1657. La nature morte à l’ai­guière d’argent, expo­sée au Rijks­mu­seum d’Am­ster­dam est une huile de taille moyenne (73,8 x 65,2 cm) aux tons sombres, à la com­po­si­tion ser­rée, stricte. La nature morte est incluse dans une niche de pierre dont on ne voit pas l’ar­ron­di, mais dont on dis­tingue le rebord dépas­sant du mur.

La toile se com­pose d’une coupe en por­ce­laine blanche et bleue de fac­ture chi­noise conte­nant des agrumes ; oranges, cédrats et citron éplu­ché sym­bo­li­sant le temps qui passe. Ce citron éplu­ché est un lieu de tran­si­tion entre l’ap­pa­rente immua­bi­li­té des élé­ments en pré­sence et la nature en voie de cor­rup­tion. Le trai­te­ment pic­tu­ral de la peau des agrumes cap­tant la lumière est abso­lu­ment excep­tion­nel, chaque touche colo­rée accro­chant la lumière par la peau gra­nu­leuse d’une manière parfaite.

On peut même voir dans le citron éplu­ché le jus per­ler sous la peau blanche (méso­carpe).


Sur le côté droit de la coupe se trouve une petite boîte à pilule ouverte à cou­vercle vitré qui me pose ques­tion. J’ai déjà trou­vé ce genre de boîte sur d’autres natures mortes de Kalf, sans com­prendre réel­le­ment la rai­son de cette pré­sence. D’une part, je ne sais pas si c’est réel­le­ment une boîte à pilule, d’autre part, le fait qu’elle soit ouverte a néces­sai­re­ment une explication.
L’ai­guière en argent est d’une fac­ture excep­tion­nelle et révèle un objet d’art par­ti­cu­liè­re­ment riche, typique des œuvres d’orfè­vre­rie à motif auri­cu­laire exé­cu­tées aux XVIème et XVIIème siècle.

L’ob­jet qui attire l’œil dans cette œuvre c’est cette coupe de verre qui sur­plombe la com­po­si­tion, une coupe, ou plu­tôt un verre d’une forme toute par­ti­cu­lière qu’on ne trouve qu’en Hol­lande au XVIIème siècle et qu’on appelle un Roe­mer ou Römer. C’est un verre à vin sur lequel le type de vin qu’il sert à dégus­ter est gra­vé. Son nom vient de Rome, dont on dit que ces verres étaient ori­gi­naires et il est géné­ra­le­ment fait de deux cou­leurs, le blanc et le vert. Le vert est obte­nu à par­tir de potasse de bois, rai­son pour laquelle on appelle cette cou­leur Wald­glas. Ce verre repo­sant sur une tige creuse était par­fois rem­plie d’eau et l’on dépo­sait dans la vasque elle-même une de ces agrumes éplu­chés. L’al­lé­go­rie prend alors tout son sens : l’a­grume éplu­ché sym­bo­li­sant le temps qui passe plon­gé dans un verre par­ti­cu­liè­re­ment fin sym­bo­li­sant la fra­gi­li­té de cette exis­tence… On retrou­ve­ra ces verres en par­ti­cu­lier chez le peintre Pie­ter Claesz, conte­nant par­fois une orange éplu­chée comme dans cette très belle œuvre de Cor­ne­lis de Heem. Il est à noter que dans la sym­bo­lique de cette ico­no­gra­phie par­ti­cu­lière, un verre à moi­tié rem­pli sym­bo­lise éga­le­ment, comme l’a­grume éplu­ché, l’i­nexo­ra­bi­li­té du temps qui passe.

Roe­mer gra­vé (pho­to © Ancient­glass)

Toutes les natures mortes ont un mes­sage en par­ti­cu­lier à faire pas­ser, géné­ra­le­ment pour dire com­bien la vie est futile et ne tient pas à grand chose… D’où le nom de vani­té que dési­gne­ra cer­taines natures mortes, notam­ment en Hol­lande à l’é­poque baroque. A nous de déco­der le mes­sage, même s’il est sou­vent répé­té de manière méca­nique par les peintres hol­lan­dais du XVIIème siècle.

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