Aug 21, 2025 | Sur les portulans |
La Badia
Fiorentina en silence
Mille ans entre les murs
Il faut parfois pousser une porte entrouverte pour entrer dans le cœur secret d’une ville. À Florence, derrière un porche discret de la Via del Proconsolo, se tient depuis plus d’un millénaire la Badia Fiorentina. Fondée en 978 par Willa, marquise de Toscane, cette abbaye est l’un de ces lieux où l’Histoire s’accumule comme des couches de peinture, chaque époque y ajoutant sa touche sans jamais effacer complètement la précédente.
Au départ, c’était une communauté bénédictine. Les moines copiaient, reliaient, enluminaient : on n’y entendait pas seulement les psaumes, mais aussi le grattement des plumes sur le parchemin, ce bruit ténu qui bâtissait les bibliothèques. On y priait et l’on y écrivait avec la même ferveur. Le monde extérieur pouvait s’agiter, ici il restait contenu dans le velin.
Dante, qui grandit dans le voisinage, dut entendre, enfant, les cloches de la Badia. Peut-être même y vit-il pour la première fois Béatrice, cette apparition qui allait bouleverser sa vie et sa poésie. Ainsi la légende se mêle à la pierre, et l’on se prend à rêver que la Divine Comédie doit quelque chose à ce cloître silencieux.
Les siècles remodelèrent l’abbaye : au XIIIᵉ siècle, Arnolfo di Cambio la dota d’une nouvelle nef gothique et d’un campanile élancé qui marqua longtemps l’horizon de Florence. Plus tard, le baroque vint lui greffer ses dorures, ses stucs et son chœur tourné vers l’Arno, comme si chaque époque avait voulu y inscrire son style, quitte à en brouiller un peu la voix initiale.
Le cloître des Orangers, construit au XVe siècle, respire encore l’ombre fraîche des récits de saint Benoît. On y entre comme dans une parenthèse, un lieu où même la lumière semble se déplacer à pas feutrés. À l’intérieur, on croise les traces d’artistes qui ont laissé, au détour d’une chapelle, des témoignages silencieux.
Il y a d’abord le tombeau d’Ugo, fils de Willa, sculpté par Mino da Fiesole : un monument élégant, sévère et presque pudique, qui ne cherche pas à impressionner mais à durer. À deux pas, une œuvre bien plus vibrante : la Vierge apparaissant à saint Bernard de Filippino Lippi, peinte à la fin du Quattrocento. Saint Bernard, absorbé dans ses écrits, se voit soudain interrompu par une apparition mariale qui a l’air à la fois tendre et un peu intrusive. Lippi, avec sa grâce habituelle, a donné à cette rencontre une vitalité qui ne s’éteint pas, et l’on reste devant le tableau comme devant un souvenir qu’on n’arrive pas à dater.
On pourrait citer encore les stalles en noyer du chœur, patinées par les siècles de prières, ou les fresques effacées qui laissent deviner des récits anciens — autant de fantômes peints qui s’accrochent aux murs. Chaque détail est une petite trouvaille, mais rien ne se donne comme un musée : la Badia n’a pas besoin d’annoncer ses trésors, ils se révèlent simplement à qui prend le temps de les regarder.
Puis vint Napoléon, qui supprima les ordres religieux et vida les cloîtres de leurs habitants. La Badia aurait pu alors disparaître dans l’oubli. Mais elle survécut, comme toujours, en changeant de peau. Aujourd’hui, c’est la communauté de Jérusalem qui y vit, et les offices chantés emplissent encore la nef, offrant à qui s’y attarde un moment suspendu.
Il y a dans cette église une constance qui m’émeut : elle a traversé guerres, rénovations, expropriations, changements de style, mais elle continue à être ce qu’elle a toujours été — un refuge. On y entre souvent par hasard, mais on en sort changé, comme si mille ans de prières s’étaient déposés sur vos épaules en une fine poussière invisible.
La Badia Fiorentina n’est pas une vedette de Florence, et c’est peut-être ce qui fait son charme. Elle se tient là depuis plus de mille ans, discrète mais tenace, comme pour rappeler qu’il y a des pierres qui ne cherchent pas à briller mais à durer.
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Apr 27, 2020 | Sur les portulans |
Lecce
Collection de timbres #2
Ce n’est pas parce qu’on est confinés qu’on n’a pas le droit de voyager. Une fois par jour, je vais essayer de vous faire découvrir le monde, les lieux que j’aimerais connaître un jour et que d’autres ont eu la chance de parcourir. Aujourd’hui, nous partons à Lecce, dans le sud de l’Italie.
Photo ©
Andrea Donato Alemanno
Lecce, capitale de la province du même nom, dans la région des Pouilles. Grosse ville de 95 000 habitants, c’est une ancienne puissance prospère du Royaume de Naples, mais si je vous emmène aujourd’hui en Italie (ne vous y habituez pas), ce n’est pour parler d’histoire économique, ni de climat (le sud de l’Italie est une fournaise sans nom où il ne pleut que quelques jours pas an) mais plutôt pour vous faire découvrir cette ville qui a l’originalité d’être une ville d’art baroque. Et moi, le baroque, ça me rend tout chose.
Commençons par le commencement. Sur une des places de la ville ont été découverts au début du XXè siècle les vestiges d’un superbe amphithéâtre romain datant de l’époque où la ville s’appelait Lupiae, entre le Ier et IIè siècle. Le projet de construction d’une banque a été arrêté net, comme quoi les belles histoires existent vraiment. On peut voir aujourd’hui les gradins de l’amphithéâtre envahir la totalité de la place. En se promenant un peu, on peut également tomber sur un petit théâtre qui occupe lui aussi toute une place…
La ville s’est développée aux XVIè et XVIIè siècles, suite à la victoire de la bataille navale de Lepante sur l’Empire Ottoman qui assurera la prospérité économique de la région. Parmi les plus belles réalisations de cette ville on trouve la place du Duomo et la façade du Palais des Célestins, mais surtout la basilique Santa Croce, véritable aboutissement de ce qu’on appelle aujourd’hui le barocco leccese, et dont la façade est propice à donner le tournis à un moine bénédictin.
La ville est un ensemble fourmillant de façades baroques, une ville entière de façades toutes plus belles les unes que les autres, à tel point qu’on l’appelle la « Florence baroque ». Pour vous emmener avec ceux qui l’ont vraiment visitée, voici Mi-fugue, mi-raison, un bien joli blog et bien écrit (et drôle en plus).
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Feb 11, 2019 | Sur les portulans |
Le lazaret de Poveglia
L’île maudite de Venise
On ne dénombre plus les histoires de fantômes dans les palais de la Sérénissime, comme celle de la Ca’ Dario, que Monet a peint en son temps, ou celle du Casino degli Spiriti que l’on voit apparaître dans l’album d’Hugo Pratt, Fable de Venise. Celle du lazaret de Poveglia est d’une toute autre dimension.
Mais avant de raconter cette histoire, laissons-nous emporter dans la Venise mystérieuse par la musique mystérieuse de Nino Rota qui illustra en 1976 le Casanova de Federico Fellini, joué par un Donald Sutherland méconnaissable.
Commençons par ce mot étrange. Lazaret. On y entend le nom de Lazare, ce personnage biblique à deux facettes. Le vrai Lazare dont il est question est celui de la parabole de l’évangile de Saint-Luc, celui qui fut laissé pour mort à la porte du mauvais riche. Couvert d’ulcères, on peut supposer qu’il était atteint de la peste. D’ailleurs, le mot “ladre” est une déformation de Lazare, et c’est ainsi qu’on a pu former le mot malade, ladrerie et maladrerie. Comme par hasard (et non par Lazare), Saint Lazare est la saint patron des ladres, les malades de la lèpre. Ce Lazare n’a rien à voir avec Lazare de Béthanie qui, lui, revint d’entre les morts selon l’évangile de Saint Jean. Chose étonnante également on appelle ladrerie l’avarice, mauvaise maladie dont était visiblement atteint celui qui laissa mourir le pestiféré au seuil de sa maison.
Poveglia s’appelait autrefois Popilia, l’île des peupliers. Avant d’être transformée en lazaret, son histoire fut tourmentée et sa population compta au XIVè siècle près de huit cents maisons, sur un lopin de terre même pas grand comme un hameau.
Poveglia pose sa forme étrange à l’ouest de la grande île du Lido, à moins d’un kilomètre de ses plages. En fait d’une île, ce sont trois îles. Une appelée l’ottagono, l’octogone, en réalité destinée à une batterie d’artillerie. Les deux autres sont en forme de trapèze, donnant l’impression d’un éventail ouvert sur la mer.
Tandis que la peste noire décimait l’Europe, Venise tenta de se protéger de l’épidémie en transformant la petite île en lazaret. Avant de débarquer hommes et biens dans l’archipel, les navires passaient par ce petit bout de terre afin d’être placés en quarantaine. Par la suite le lazaret connut une histoire tragique, car lors de la grande épidémie du XVIème siècle, c’est sur celle île qu’on enterra et brûla près de 160 000 cadavres de pestiférés. D’immenses charniers ont été mis à jour. On raconte également que certaines personnes présentant les symptômes de la peste étaient envoyées directement sur l’île sans autre forme de procès pour y être brûlées vives.
En 1922, l’île fut transformé en asile psychiatrique, mais étonnamment, aucune archive écrite ne permet de confirmer cette fonction. Quelques simples lettres peintes à la main sur un mur défraîchi et rongé par la mousse atteste l’événement. On raconte que les malades étaient harcelés en permanence par les voix des âmes des pestiférés qui n’ont pas trouvé le repos, et que le directeur de l’hôpital, lui-même visité par les fantômes se jeta du haut de la tour du campanile.
En 1968, l’asile fut transformé en maison de convalescence pour personnes âgées, mais fut vite abandonné, victime de sa mauvaise réputation. Il ne reste aujourd’hui dans ces murs que l’ambiance terrible de l’abandon… Alors que les terres sont aujourd’hui utilisées pour l’agriculture et la viticulture (le vin des morts) et interdites au tourisme, une légende veut que ce soit le lieu le plus hanté du monde.
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Feb 24, 2018 | Pipes d'opium |
Première pipe d’opium. On devrait tous lire — ou relire — Saint Augustin d’Hippone, le célèbre auteur des Confessions.
Il est des choses qui ne sont pas des choses et d’autres qui sont aussi des signes […] Parmi ces signes, certains sont seulement des signaux, d’autres sont des marques ou des attributs, d’autres encore sont des symboles.

Vittore Carpaccio dans la chapelle San Giorgio degli Schiavoni, Venise — Saint Augustin
Dans les premières années du XVIè siècle, les anciens de la guilde de San Giorgio degli Schiavoni, commandèrent à l’artiste Vittore Carpaccio une série de scènes illustrant la vie de saint Jérôme, ce grand érudit et lecteur du IVè siècle. Le dernier tableau, peint en haut et à droite quand on entre dans la petite salle obscure, ne représente pas saint Jérôme mais saint Augustin, son contemporain. Une tradition répandue au Moyen Âge raconte que, saint Augustin s’étant assis devant son bureau pour écrire à saint Jérôme afin de lui demander son opinion sur la question de la béatitude éternelle, la pièce fut emplie de lumière et Augustin entendit une voix qui lui annonçait que l’âme de Jérôme était montée au ciel.
Alberto Manguel, in L’ordinateur de saint Augustin
traduit de l’anglais par Christine Le Bœuf, Actes Sud, 1997
Deuxième pipe d’opium. Naftule Brandwein. Les amateurs de klezmer connaissent forcément Naftule, Yom lui-même y fait souvent référence comme était le maître de la clarinette klezmer. L’homme reste peu connu, peu de documents attestent de sa vie, et le peu qu’on sait de lui c’est qu’il fut un musicien très demandé notamment dans les mariages juifs. Après une courte carrière discographique, il finit sa vie dans une misère et un anonymat parfait, entouré des brumes de l’alcool qu’il consommait en plus grande quantité que le musique. On sait aussi de lui qu’il ne connaissait rien à la musique écrite et qu’il ne parlait que yiddish, mais également que cela ne lui posait pas de problème d’éthique de jouer pour des concerts privés pour Murder Inc., la célèbre mafia de la Yiddish Corporation.
https://www.youtube.com/watch?v=yiBLDT4TTmA
Troisième pipe d’opium. Antonio Corradini, l’orfèvre du marbre. C’est un artiste qu’on connaît peu mais qui réalisa nombre d’œuvres sculpturales à l’aspect très aérien, affublés de voiles, dans une des pierres les plus dures qui soit, le marbre. Comme un point d’orgue à sa carrière, Corradini sculpte à la fin de sa vie, en 1751, une statue, œuvre allégorique représentant la Pudicité, pour le tombeau de Cécilia Gaetani à l’intérieur de la chapelle Sansevero de Naples. Évidemment, la technique de Corradini consistant à rendre présente l’extrême légèreté d’un tissu transparent posé sur la peau, il faut pour cela que le marbre soit poli avec une certaine patience pour arriver à ce résultat si fin. Le résultat est époustouflant de beauté, mais le sujet censé représenter la pudicité, est pour le coup tout sauf pudique. La femme a les yeux mi-clos sous son voile qui laisse deviner la forme avantageuse de sa poitrine qu’elle porte fièrement bombée en avant. On aurait voulu torturer un peu plus l’âme chagrine d’un croyant que le sculpteur n’aura pas pu s’y prendre autrement, et c’est certainement en cela que réside le génie de Corradini.

Antonio Corradini — la pudicité (Pudicizia Velata) 1751 — Chapelle Sansevero — Naples
Quatrième pipe d’opium. Le christianisme, religion de l’oubli. Le christianisme ne sait même pas d’où il vient, il s’imagine être né à Rome et ne raconter qu’une vague histoire d’hommes crucifiés sur une colline dans un monde lointain, alors qu’il est est né dans le désert, bien loin des marbres de Rome.
Le christianisme est depuis longtemps associé à la Méditerranée et à l’Europe occidentale. Cela résulte en partie de l’emplacement du gouvernement de l’Église, les principales figures des Églises catholiques, anglicanes et orthodoxes se trouvant respectivement à Rome, Canterbury et Constantinople (la moderne Istambul). Or en réalité, dans tous ses aspect, la première chrétienté fut asiatique. Son point focal géographique était bien sûr Jérusalem, ainsi que les autres sites liés à la naissance, à la vie et à la crucifixion de Jésus ; sa langue originelle était l’araméen, l’une des langues sémitiques originaires du Proche-Orient ; son arrière-plan théologique et sa trame spirituelle étaient fournis par le judaïsme, formé en Israël puis durant les exils égyptien et babylonien ; ses histoires étaient modelées par des déserts, des crues, des sécheresses et des famines méconnues de l’Europe.
Peter Frankopan, Les routes de la soie, traduit de l’anglais par Guillaume Villeneuve
Editions Nevicata, 2015
Cinquième pipe d’opium. 萨顶顶. Sa Dingding. Elle est belle comme tout, elle est Chinoise, née en Mongolie et de culture han et mongole et chante en tibétain ou en sanskrit. A l’heure où la Chine fait du Tibet une forteresse acculturée, on peut dire qu’elle a un sacré culot.
https://www.youtube.com/watch?v=l8Z8gpoF4x8
Sixième pipe d’opium. Mettre un peu d’ordre dans ses affaires, et dans sa vie par la même occasion. Ce n’est pas grand-chose, juste quelques lignes à bouger. Faire le vide, reprendre les quelques outils habituels avec lesquels on fait les choses d’ordinaires, du papier et des stylos, jeter ce qui ne sert à rien. Si on ne touche pas à un objet pendant plus d’un mois, c’est qu’il ne sert à rien, autant ne pas le garder, se déposséder de tout ce qui encombre. Fermer les yeux et se concentrer sur un souvenir qu’on a tout fait pour fixer comme étant hors du temps pour revivre des sensations agréables. Évacuer les souvenirs douloureux. Imaginer toutes les vies qu’on n’a pas pu vivre est une forme de souffrance à ne surtout pas garder niché au creux de soi, un poison à faire sortir. Il n’y aura peut-être plus de pipes d’opium pour s’endormir dans les rêves de dragons, dans les volutes de cette fumée blanche qui n’est qu’un écran masquant les vrais souffrances qu’il suffit de chercher à éviter, et puis on finira bien par se réveiller un matin, les yeux un peu gonflés, les muscles engourdis et l’haleine pâteuse, pour se rendre compte qu’on a marché trop longtemps et qu’on aurait mieux fait de s’arrêter pour prendre un peu le temps.

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Feb 3, 2018 | Pipes d'opium |
Où il est question d’une ville sainte qui se transforme en bordel, d’un Italien au Japon, d’un Hongrois au Vietnam, d’un Breton en Chine et d’une Chinoise qui ressemble à une Islandaise…
Première pipe d’opium. Finir une belle lecture, passionnante et âpre, de celles que l’on n’oublie pas et qu’on redemande. Il devient suffisamment rare pour moi de trouver une lecture dans laquelle me lover que lorsque cela m’arrive, je fais tout pour faire durer le plaisir. Encore quelques lignes heureuses qui sont comme des petites feuilles de papier de soie qui finiront bien par s’envoler au vent d’hiver.
Le soir, Lhassa se métamorphose. « Les eaux heureuses » de la rivière Kyichu bruissent. Nées des glaciers, elles séparent, à Lhassa, la quiétude du Barkhor de l’orgie de la nuit. Car, une fois franchi le pont Yumtok Sampa qui paraît-il était jadis orné de turquoise, « peint en rouge et couvert d’un toit en tuiles vertes », les élans bachiques et le sexe payant prévalent.
Le jour, l’île de Jamalingka ressemble à un quartier ordinaire de Pékin où les cabines de massage, discothèques et karaokés remplaceraient les hutong. La nuit, ces centres deviennent les hauts lieux de la prostitution à Lhassa. Le grésillement des enseignes fluorescentes des karaokés brise le silence d’une irritante et entêtante mélopée, ce que la pudeur du jour avait omis de révéler quelques heures plus tôt. Je m’attarde le soir dans un lieu qui est de jour le théâtre de mes solitaires errances, emportée dans la lumière impure de la lune, un peu angoissée aussi de ne pas avoir suffisamment vu pour aujourd’hui. Le rouge des panneaux commerciaux se reflètent sur les trottoirs et les murs. Les ombres se font chinoises. Il est minuit passé.
Elodie Bernard, Le vol du paon mène à Lhassa
Gallimard, 2010
Deuxième pipe d’opium. Adolfo Farsari. Voici un drôle de bonhomme, Italien de son état, installé au Japon après une carrière militaire où il alla batailler en Amérique pendant la Guerre de Sécession, il est surtout connu pour avoir été précurseur de la photographie de studio au pays du Soleil Levant, avec ses photos un peu kitch, très scénarisées dans un cadre léché. S’il contribua à faire connaître les mœurs de la société traditionnelle japonaise en Europe, il fut aussi celui qui montra un visage réaliste des paysages japonais de la fin du XIXe siècle grâce à ses clichés albuminés colorés. Voir sur Flickr une belle collection de clichés de l’artiste.
Adolfo Farsari — Gionmachi — Kyoto
Adolfo Farsari
Adolfo Farsari — 1886
Adolfo Farsari — fabricant d’ombrelles
Adolfo Farsari — Kinkaku-ji
Mais avant tout, Adolfo Farsari, c’est pour moi la photo du Daibutsu (Grand Bouddha shinto) du Kōtoku-in de Kamakura.

Adolfo Farsari — Daibutsu de Kamakura
Troisième pipe d’opium. Rév Miklós, un Hongrois au Vietnam.

Voici un photographe dont je ne sais pas grand-chose, mais qui exécuta en 1959 une série de photos à Hanoï, surtout des scènes de rue, dans un environnement de profusion et de détails, que sa photo un peu granuleuse rend presque palpable. Le Vietnam en 1959, un autre monde…
Quatrième pipe d’opium. Victor Segalen. Qui se souvient de lui ? Qui se souvient de cet homme né à Brest et mort à Huelgoat en 1919 à 41 ans ? Qui se souvient qu’il fut médecin, poète, romancier, essayiste, archéologue et surtout sinologue ? Qui se souvient qu’on le retrouva mort quarante-huit heures après qu’il fût parti se promener en forêt, au gouffre de Huelgoat, maquillant certainement son suicide en une banale blessure ? Le visage aiguisé et planté d’une moustache broussailleuse, le regard perçant et ouvert, légèrement éteint à la lumière de la présence au monde, comme si déjà on percevait en lui que son esprit vagabondait dans les ailleurs qu’il sillonna en d’autre temps. Peut-être était-il en Polynésie, ou peut-être en Chine, peu importe. Il n’était pas vraiment là. Des Stèles qu’il rapportera de Chine, on trouve une écriture mystique et salutaire, à la fois hermétique et claire. Dans les pages d’Élodie Bernard encore, je trouve de lui un poème solaire, quelque chose qui n’a pas vraiment besoin d’être commenté, et qui, comme par hasard, évoque pour Élodie Bernard l’étrange ambiance mortifère qui règne à Lhassa.
Lève, voix antique, et profond Vent des Royaumes.
Relent du passé ; odeur des moments défunts.
Long écho sans mur et goût salé des embruns
Des âges ; reflux assaillant comme les Huns.
Mais tu ne viens pas de leurs plaines maléfiques :
Tu n’es point comme eux poudré de sable et de brique,
Tu ne descends pas des plateaux géographiques
Ni des ailleurs, — des autrefois : du fond du temps.
Non point chargé d’eau, tu n’as pas désaltéré
Des gens au désert : tu vas sans but, ignoré
Du pôle, ignorant le méridion doré
Et ne passes point sur les palmes et les baumes.
Tu es riche et lourd et suave et frais, pourtant.
Une fois encor, descends avec la sagesse
Ancienne, et malgré mon dégoût et ma mollesse
Viens ressusciter tout de ta grande caresse.

Cinquième pipe d’opium. 丁薇 (Ding Wei). Elle est Chinoise, pas très souriante, son clip est super bizarre, mais voilà la nouvelle vague chinoise qui arrive. Retenez son nom, Ding Wei…
https://www.youtube.com/watch?v=4rhXKZdmd3Y
Sixième pipe d’opium. Alors voilà, nous y sommes, c’est la dernière ligne droite. L’année du coq de feu se replie comme une feuille de papier dont on n’a plus besoin et qui va bientôt finir dans les cendres. L’année du chien s’ouvre tout doucement, avec plaisir, comme la papillote d’un chocolat qu’on effeuille tendrement pour ne pas le déshabiller d’un seul coup. Depuis le début de l’année, le nombre d’heures d’ensoleillement est tellement faible sur Paris qu’on en est à se demander si le soleil reviendra un jour. Hier soir, j’étais perdu dans mes lectures du Grand Nord et je me disais que je préférais encore subir des températures de ‑30°C dans la neige dure et le ciel qui n’apparaît clair que quelques heures par jour plutôt que ce marécage boueux dans lequel nous vivons actuellement. Je n’ose même pas mettre les pieds au jardin tellement l’humidité s’infiltre partout. Je devais planter des bulbes d’aulx et de tulipes mais le courage m’a manqué pour sortir. La lumière tendre d’Ayutthaya me manque. La chaleur moite me manque. Je n’en peux plus de ce froid humide…
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