Le laza­ret de Poveglia

L’île mau­dite de Venise

On ne dénombre plus les his­toires de fan­tômes dans les palais de la Séré­nis­sime, comme celle de la Ca’ Dario, que Monet a peint en son temps, ou celle du Casi­no degli Spi­ri­ti que l’on voit appa­raître dans l’al­bum d’Hu­go Pratt, Fable de Venise. Celle du laza­ret de Pove­glia est d’une toute autre dimension.

Mais avant de racon­ter cette his­toire, lais­sons-nous empor­ter dans la Venise mys­té­rieuse par la musique mys­té­rieuse de Nino Rota qui illus­tra en 1976 le Casa­no­va de Fede­ri­co Fel­li­ni, joué par un Donald Suther­land méconnaissable.

O vene­zia, vena­ga, venusia

by Nino Rota

Com­men­çons par ce mot étrange. Laza­ret. On y entend le nom de Lazare, ce per­son­nage biblique à deux facettes. Le vrai Lazare dont il est ques­tion est celui de la para­bole de l’é­van­gile de Saint-Luc, celui qui fut lais­sé pour mort à la porte du mau­vais riche. Cou­vert d’ul­cères, on peut sup­po­ser qu’il était atteint de la peste. D’ailleurs, le mot “ladre” est une défor­ma­tion de Lazare, et c’est ain­si qu’on a pu for­mer le mot malade, ladre­rie et mala­dre­rie. Comme par hasard (et non par Lazare), Saint Lazare est la saint patron des ladres, les malades de la lèpre. Ce Lazare n’a rien à voir avec Lazare de Bétha­nie qui, lui, revint d’entre les morts selon l’é­van­gile de Saint Jean. Chose éton­nante éga­le­ment on appelle ladre­rie l’a­va­rice, mau­vaise mala­die dont était visi­ble­ment atteint celui qui lais­sa mou­rir le pes­ti­fé­ré au seuil de sa maison.

Pove­glia s’ap­pe­lait autre­fois Popi­lia, l’île des peu­pliers. Avant d’être trans­for­mée en laza­ret, son his­toire fut tour­men­tée et sa popu­la­tion comp­ta au XIVè siècle près de huit cents mai­sons, sur un lopin de terre même pas grand comme un hameau.

Pove­glia pose sa forme étrange à l’ouest de la grande île du Lido, à moins d’un kilo­mètre de ses plages. En fait d’une île, ce sont trois îles. Une appe­lée l’otta­go­no, l’oc­to­gone, en réa­li­té des­ti­née à une bat­te­rie d’ar­tille­rie. Les deux autres sont en forme de tra­pèze, don­nant l’im­pres­sion d’un éven­tail ouvert sur la mer.

Tan­dis que la peste noire déci­mait l’Eu­rope, Venise ten­ta de se pro­té­ger de l’é­pi­dé­mie en trans­for­mant la petite île en laza­ret. Avant de débar­quer hommes et biens dans l’ar­chi­pel, les navires pas­saient par ce petit bout de terre afin d’être pla­cés en qua­ran­taine. Par la suite le laza­ret connut une his­toire tra­gique, car lors de la grande épi­dé­mie du XVIème siècle, c’est sur celle île qu’on enter­ra et brû­la près de 160 000 cadavres de pes­ti­fé­rés. D’im­menses char­niers ont été mis à jour. On raconte éga­le­ment que cer­taines per­sonnes pré­sen­tant les symp­tômes de la peste étaient envoyées direc­te­ment sur l’île sans autre forme de pro­cès pour y être brû­lées vives.

En 1922, l’île fut trans­for­mé en asile psy­chia­trique, mais éton­nam­ment, aucune archive écrite ne per­met de confir­mer cette fonc­tion. Quelques simples lettres peintes à la main sur un mur défraî­chi et ron­gé par la mousse atteste l’é­vé­ne­ment. On raconte que les malades étaient har­ce­lés en per­ma­nence par les voix des âmes des pes­ti­fé­rés qui n’ont pas trou­vé le repos, et que le direc­teur de l’hô­pi­tal, lui-même visi­té par les fan­tômes se jeta du haut de la tour du campanile.

En 1968, l’a­sile fut trans­for­mé en mai­son de conva­les­cence pour per­sonnes âgées, mais fut vite aban­don­né, vic­time de sa mau­vaise répu­ta­tion. Il ne reste aujourd’­hui dans ces murs que l’am­biance ter­rible de l’a­ban­don… Alors que les terres sont aujourd’­hui uti­li­sées pour l’a­gri­cul­ture et la viti­cul­ture (le vin des morts) et inter­dites au tou­risme, une légende veut que ce soit le lieu le plus han­té du monde.

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