Sorting by

×

(Bis­mil­lah) يسم الله الرحمن الرحيم

Voi­ci le temps où je n’ai plus à me plaindre de n’a­voir rien à dire… Deux his­toires qui se pro­filent, des mots qui s’as­semblent, des bribes de sce­na­rii qui s’a­gencent comme un désir ful­gu­rant. Je ne pré­vois pas de dor­mir plus que de rai­son ces pro­chains temps. J’ai repris des forces ces der­niers jours, l’air de rien, l’air de ne pas y tou­cher, les touches me glissent sous les doigts et puis pour­quoi pas une seule his­toire après tout. Il faut que je recherche dans les tré­fonds de mon âme et de mon his­toire per­son­nelle pour retrou­ver une telle émo­tion, une telle envie de puis­sance, même si en appa­rence tout tend à démon­trer le contraire. Rien ne va très bien, mais d’ex­pé­rience, je sais que ce sont des moments de crise que sur­gissent les évé­ne­ments les plus impor­tants d’une his­toire. A moi de pro­vo­quer le destin.

[audio:TheBeepBeepSong.xol]

J’aime bien prendre la catas­trophe de la Tun­gus­ka comme une méta­phore de ce qui arrive par­fois dans un par­cours. Un évé­ne­ment sur­gi de nulle part dévaste tout, sans rai­son appa­rente et sans cause connue. La catas­trophe détruit tout dans un rayon de 20 kilo­mètres, occa­sionne des dégâts sur plus de 100 et se fait entendre sur plus de 1500… et tout le monde s’en contre­fout car il n’y a rien de connu au milieu de cette nature, rien qui ne soit cher à qui que ce soit. Tun­gus­ka, c’est un Hiro­shi­ma à l’en­vers ; une catas­trophe dont on se fout n’est plus une catas­trophe, c’est juste un évé­ne­ment isolé.
C’est la loi du témoi­gnage. Si per­sonne n’est là pour attes­ter d’un fait, le fait n’existe pas. Pour qu’il y ait un assas­si­nat, il faut être trois. Un assas­sin, une vic­time et un témoin. Sans témoin, ce n’est pas un assas­si­nat, c’est une dis­pa­ri­tion et il n’en reste plus qu’un. Qui était là pour attes­ter du meurtre d’A­bel par son frère ?


Abel et Cain par Tin­to­ret­to (Jaco­po Robusti)

La loi du témoi­gnage néces­site tou­jours d’a­voir quel­qu’un pour attes­ter. J’aime beau­coup ce mot, attes­ter. Il porte en lui une cer­taine solen­ni­té, un je-ne-sais-quoi d’à la fois pom­peux et de grave. De la même manière, on pour­rait dire éga­le­ment que l’a­mour n’existe pas à deux mais à trois. Un amant, une amante (ou un autre amant, ou deux amantes…) et un jaloux, ou écon­duit… Le troi­sième vient attes­ter du fait que les deux autres s’aiment et fonde leur amour en en étant exclu. L’ai­greur de l’a­mou­reux écon­duit est le témoi­gnage de l’a­mour uni­ver­sel. Existe-t-il en dehors de cela ?
Y aurait-il des malades s’il n’exis­tait pas de médecins ?
Y aurait-il la paix s’il n’y avait pas eu des guerres ?
Aurait-on des vacances si on ne tra­vaillait pas ?
Et sur­tout l’a­mour exis­te­rait-il réel­le­ment s’il ne conte­nait pas déjà en lui-même sa propre déception ?

Je crois éga­le­ment que l’ou­bli a un rôle à jour dans cette loi, l’ou­bli et le sou­ve­nir. Ce qui s’ou­blie par manque d’in­té­rêt peut très bien res­sur­gir lorsque la mémoire col­lec­tée refait sur­face. On croit que les his­toires d’un petit vil­lage l’ont plon­gé dans l’a­no­ny­mat, mais quel­qu’un sort de son car­ton de vieilles cartes pos­tales jau­nies, toutes droit sor­ties d’un autre temps, d’une autre réa­li­té. Les his­toires sont retrou­vées, les langues se délient, tout à coup on se sou­vient de Mr Machin qui était un sacré bon­homme et qui col­lec­tait les bou­teilles en verre consi­gnées et de cette petite place sur laquelle il y avait une fon­taine, et qu’on a rasé car elle mena­çait de s’ef­fon­drer. Mais le sou­ve­nir est là, dans sa latence et il n’at­tend qu’un petit déclen­che­ment pour sur­gir, comme un évé­ne­ment, comme dans la toun­dra, au beau milieu de nulle part.
J’ai trou­vé un peu par hasard ce blog : Les Abbesses de Gagny-Chelles. Le pre­mier billet que j’y trouve s’ap­pelle ain­si : Carte pos­tale rare du tabac de l’Ab­baye (Gagny Quar­tier du Ches­nay) alors for­cé­ment, je ne peux m’empêcher de sou­rire un peu, légè­re­ment iro­nique parce que comme tout le monde, je me dis mais qui cela peut-il donc inté­res­ser ?, et en dérou­lant le fil, la réponse devient évidente.

J’ai lu les his­toires de ces familles implan­tées dans ce quar­tier, la famille Bogast­sheff, la famille Gro­moff et son café, Féli­pa Munoz, la cen­te­naire, j’ai lu toutes ces his­toires, des his­toires com­munes, per­son­nelles, de famille qui ont tra­ver­sé notre his­toire contem­po­raine. La mémoire col­lec­tée et retrans­crite fonde leur ano­ny­mat comme une his­toire. Le témoi­gnage donne consis­tance à l’ou­bli et l’é­vé­ne­ment surgit…

La loi du témoi­gnage est éga­le­ment une loi qui a une forte valeur en art. L’ar­tiste est éga­le­ment témoin, il atteste d’une réa­li­té qui peut paraître incon­nue tant que celle-ci n’est pas attes­tée au tra­vers de son œuvre. C’est ain­si que le réa­li­té de cer­taines œuvres d’art paraît plus réelle que la réa­li­té elle-même. Le rôle de l’ar­tiste est d’ap­por­ter foi en ce que nous ne connais­sons pas encore. Étran­ge­ment, le Ste­tind de Peder Balke semble prendre plus de réa­li­té, plus de corps et d’é­pais­seur que la mon­tagne elle-même…

Read more

Entre deux lumières

Au gré de mes recherches dans Paris, de ce temps que je mets à contri­bu­tion pour m’en­ri­chir et res­sor­tir de ces pro­me­nades aus­si émer­veillé qu’un gamin un len­de­main de Noël, je découvre ou plu­tôt redé­couvre ces lieux de mémoires oubliés. Par je ne sais quelle cir­con­vo­lu­tion ou cir­cu­mam­bu­la­tion, j’ar­pente des lieux au hasard de mes ren­contres. Tout d’a­bord, coin­cé entre les gyros et les petits res­tau­rants étri­qués de la rue Saint-Séve­rin, par­mi les odeurs d’é­pices et de pois­son qui, dès le matin, cha­touillent les sens, j’emprunte la rue Galande et me retrouve nez à nez avec le che­vet de l’é­glise Saint-Julien-le-Pauvre. Mal­heu­reu­se­ment, elle n’é­tait pas encore ouverte lorsque je suis pas­sé. Ce n’est pas un hasard si les Grecs et les moyen-orien­taux de Paris se retrouvent ici, car son culte est gre­co-mel­kite, un culte ortho­doxe dont la plu­part des fidèles sont ori­gi­naires de Syrie, de Jor­da­nie, du Liban et de Pales­tine. C’est éga­le­ment une des plus vieilles églises de Paris, car son aspect actuel date du XIIIè siècle ; on peut y voir sur le flanc sud ce qui reste de l’os­suaire, consti­tué d’une dizaine d’arches dans les­quelles on enter­rait les corps des défunts jus­qu’à il n’y a pas si long­temps que ça.

Saint Julien le pauvre

Ossuaire de Saint Julien le pauvre

En repre­nant ensuite le bou­le­vard Saint-Ger­main, je suis arri­vé au che­vet de l’é­glise Saint-Nico­las du Char­don­net qui m’a sou­vent intri­gué par son aspect très baroque. Elle n’a à mon sens que peu d’in­té­rêt à l’in­té­rieur, si ce n’est le superbe céno­taphe que Charles le Brun a conçu pour sa mère et la cha­pelle de la Vierge, construite dans un étrange style byzan­tin déton­nant un peu avec le reste du bâti­ment. A la sor­tie de l’é­glise, une fille assez grande au visage fer­mé, les che­veux en bataille, atten­dait en fumant une ciga­rette, don­nant au lieu un petit air de lieu de ren­contre clan­des­tin, un je-ne-sais-quoi de secret et un rien tentateur…

Institut du monde arabe

J’ai filé ensuite vers l’Ins­ti­tut du monde arabe en bifur­quant par la rue de Pois­sy et en remon­tant les quais de Seine, face à la Tour d’Argent, encore fer­mée à cette heure là. Tou­jours éton­nant ces res­tau­rants où le menu n’est pas affi­ché sur la devan­ture… Le ciel était cou­vert, sombre, lais­sant à peine pas­ser quelques rayons de soleil, une soleil brut et métal­lique qui don­nait un aspect froid à la façade déco­rée d’i­ris géo­mé­triques. Quelques gouttes sur le coin du nez… Un temps gris de Paris… Après avoir visi­té les col­lec­tions Kha­li­li avec mon fils émer­veillé, je me suis ren­du à la Mos­quée. Sans y avoir pen­sé au préa­lable, je suis arri­vé en pleine heure de prière. La caisse était fer­mée et je me suis retrou­vé fort dému­ni face à une porte ouverte, une caisse muette, et des gens qui affluaient de toutes les direc­tions. Un mon­sieur d’une soixan­taine d’an­nées m’a deman­dé ce que je cher­chais et lorsque je lui ai dit que je pré­pa­rais une visite pour des jeunes gens en réin­ser­tion pro­fes­sion­nelle… il m’a pris le bras et m’a fait visi­ter, en me lar­guant au milieu de la cour prin­ci­pale, car il devait aller prier. Je lui ai deman­dé s’il tra­vaillait ici. Non, me répon­dit-il, il n’é­tait qu’un simple fidèle par­mi les fidèles.

Brûle-parfum ou diffuseur en forme de lynx

Entre deux lumières, entre deux ombres, j’ai repris la route du retour avec dans la poche le secret de ces jours pen­dant les­quels la réa­li­té s’es­tompe pour dévoi­ler un pas­sé qu’on a du mal à s’ap­pro­prier. J’es­saie éga­le­ment de me répé­ter ces mots de la cha­ha­da que j’es­saie d’ap­prendre, mais que par manque de foi peut-être, je n’ar­rive pas à rete­nir car ils sont trop éloi­gnés de ma réalité:

اشهد ان لآ اِلَـهَ اِلا الله و أشهد ان محمدا رسول الله
Ach­ha­dou an lâ ilâ­ha illa-llâh, washa­dou ana muham­mad rasûlu-llâhi

Read more

Écri­ture de pous­sière — غبار

Dans les col­lec­tions per­ma­nentes de l’Ins­ti­tut du monde arabe se trouve un objet tout à fait extra­or­di­naire. De loin, on croi­rait un tis­su fin, une sorte d’é­tole déco­ra­tive sur laquelle sont des­si­nées des lettres avec une grâce sub­tile. En se rap­pro­chant, on s’a­per­çoit vite que des mots sont enchâs­sés dans des car­touches. On apprend que ces mots sont les cha­pitres des sou­rates du Coran. En s’ap­pro­chant jus­qu’à avoir le nez col­lé sur la vitre qui le pro­tège, on peut lire les textes des sou­rates à l’in­té­rieur de ce qu’on pre­nait pour les motifs abs­traits repro­duits tout au long du rou­leau, une écri­ture tel­le­ment petite qu’on ne peut la déchif­frer qu’à quelques cen­ti­mètres, une micro­gra­phie sur­pre­nante de régu­la­ri­té et s’in­té­grant par­fai­te­ment aux motifs non-figu­ra­tifs. Un tra­vail de titan répé­té sur 6,5 mètres, sur un rou­leau d’à peine douze cen­ti­mètres de large, un tra­vail d’une élé­gance étourdissante…
L’o­ri­gine de cette écri­ture est détaillée par Annie Ver­nay-Nou­ri dans un texte sur les manus­crits arabes calligraphiés.

L’utilisation des figures en micro­gra­phie peut être repla­cée dans le cadre d’une culture où l’écriture et sa réa­li­sa­tion artis­tique, la cal­li­gra­phie, ont occu­pé une place fon­da­men­tale dans l’art. Ins­tru­ment de maté­ria­li­sa­tion de la parole divine, l’écriture arabe a été dès sa nais­sance à la recherche d’un véri­table accom­plis­se­ment esthé­tique et déco­ra­tif. L’énonciation de règles de for­ma­tion des lettres par Ibn Muq­la et la for­ma­li­sa­tion en six styles clas­siques a cor­res­pon­du à la volon­té de nor­ma­li­ser des pra­tiques exis­tantes et de codi­fier des écri­tures par­fois mal défi­nies. L’écriture ghu­bâ­rî (de l’arabe ghu­bâr, qui signi­fie pous­sière) ne consti­tue pas à pro­pre­ment par­ler un style spé­ci­fique mais désigne tout type d’écriture minus­cule dont la taille varie entre 1,3 et 3 mm. Elle peut s’employer avec tous les genres d’écriture mais était sur­tout uti­li­sée avec le nas­khî et le riqâ’. Selon Shi­hâb al-Dîn al-Qal­qa­shan­dî, mort en 821/1418, secré­taire de chan­cel­le­rie sous les Mam­luks et auteur d’un manuel de chan­cel­le­rie al-Subh al‑a‘shâ fî Sinâ‘at alin­shâ’, le ghu­bâ­rî était à l’origine des­ti­né aux mes­sages urgents qu’on atta­chait à l’aile des pigeons.
En dehors de cette fonc­tion réser­vée à la poste (barîd), cette écri­ture était sur­tout uti­li­sée pour les petits corans, en forme de codex ou en rou­leaux, ain­si qu’aux écrits à carac­tère talis­ma­nique. La confec­tion de rou­leaux, dont on a de nom­breux exemples, est attes­tée dès les périodes mam­luke et ilkha­nide, mais elle leur est cer­tai­ne­ment anté­rieure et res­ta vivante en Iran et en Tur­quie au moins jusqu’au XIXe siècle. On y reco­piait des ver­sets cora­niques connus pour leur pou­voir pro­tec­teur, comme le ver­set du trône dans la sou­rate al-Baqâ­ra (II, 255). Dans deux rou­leaux conser­vés à la BNF, (Arabe 571 et 5102) les ver­sets se déploient en un large thu­luth dans lequel s’inscrit en carac­tères minus­cules le texte cora­nique ou bien à l’inverse, les mots se détachent en blanc, sur un fonds rem­pli d’écriture. Ce carac­tère magique et pro­tec­teur de l’écriture est aus­si pré­sent dans les corans de for­mat minia­ture (par­fois octo­go­nal) des­ti­nés à être glis­sés dans les vête­ments. De la même manière, on copiait vers et des­sins pro­phy­lac­tiques sur les che­mises talis­ma­niques qu’on por­tait à même la peau sous les armures pour se pro­té­ger au combat.
L’emploi de cette écri­ture a per­du­ré dans des com­po­si­tions cal­li­gra­phiques exé­cu­tées prin­ci­pa­le­ment en Tur­quie (Saf­wat, 1996) au XIXe siècle, où des maîtres comme Meh­met Nuri Siva­si se sont illus­trés. Un autre usage plus anec­do­tique existe encore en Afgha­nis­tan : c’est celui de gra­ver sur des œufs ou des grains de riz l’une des sou­rates les plus courtes du Coran.

Marges, gloses et décor dans une série de manus­crits arabes. 
Annie Ver­nay-Nou­ri
Revue des mondes musul­mans et de la Méditerranée

Read more

L’ex­cuse et l’offense

Nasr Eddin Hod­ja ne prend pas de vacances. Au contraire, il est tou­jours d’attaque…

Pho­to © Tur­kish Cultu­ral Foundation

Nasr Eddin a été invi­té par un mar­chand qui vou­drait se tar­guer dans la ville de l’a­voir eu à sa table. Le Hod­ja a accep­té car la femme de cet homme a la répu­ta­tion d’être très belle et de faire admi­ra­ble­ment la cuisine.
A la fin d’un suc­cu­lent repas, quand on en est à se laver les mains, le mar­chand inter­pelle son hôte :
— Ô Nasr Eddin ! Toi qui as des lumières sur toute chose, dis-moi si à ton avis il y a des excuses qui blessent plus que l’offense.
Nasr Eddin ne répond pas mais sans crier gare il lui admi­nistre une for­mi­dable claque sur le cul.
— Par Allah ! fais l’autre en sur­sau­tant, tu as per­du la tête !
— Je te pré­sente mes excuses, dit Nasr Eddin l’air confus, j’ai cru que c’é­tait les fesses de ton épouse.

Sublimes paroles et idio­ties de Nasr Eddin Hod­ja,
trad. J.-L. Mau­nou­ry, Phé­bus Libret­to, 1990

Read more

Muqar­na

Pho­to © Jaime Pérez

Les muqar­nas (مقرنص — Mocá­rabes en cas­tillan) sont des orne­ments en stuc peint que l’on trouve en par­ti­cu­lier dans les palais de l’Alham­bra, venant de Perse et dif­fu­sées tout le long du monde arabe. Leur construc­tion en nid d’a­beille évoque inévi­ta­ble­ment la voûte céleste constel­lée d’é­toiles. C’est un des orne­ments les plus com­plexes et les plus raf­fi­nés qui soit, sur­tout lorsque sa légè­re­té emplit des voûtes entières.
Une simple recherche sur muqar­na ou sur mocá­rabes emmène vers des choses tout à fait sur­pre­nantes. (more…)

Read more