Mar 18, 2014 | Histoires de gens, Livres et carnets |
C’était un roi comme les autres après tout, peut-être un peu plus qu’un roi puisqu’il fut aussi sultan, mais aussi parce qu’il est considéré comme le père fondateur de la nation marocaine moderne et qu’il fut décoré par le général de Gaulle. Mohammed Aïssaoui, dans son livre L’étoile jaune et le croissant, nous fait une brève description de l’attitude qu’eut Mohammed V envers les Juifs installés au Maroc depuis des générations. Si la France attendait de lui qu’il eut un rôle prépondérant dans les rafles qui auraient permis aux Allemands de déporter les ressortissants marocains de confession juive, le monarque se comporta en juste, ce qui fait de lui un potentiel candidat au titre de « juste parmi les nations » auprès du mémorial de Yad Vashem, ce qui ferait de lui le premier musulman de l’histoire (car il y en eut d’autres) à porter ce titre.

Le sultan chérifien Mohammed V du Maroc
Par son comportement durant la Seconde Guerre mondiale, Mohammed V fait la fierté des Marocains et de tous les Maghrébins qui n’ont jamais versé dans l’antisémitisme. On connaît la légende du roi du Danemark qui aurait porté l’étoile jaune durant l’Occupation — mais ce n’est qu’une légende. On connaît moins celle du roi du Maroc, celle-là corroborée par des faits. Alors sous protectorat français, le sultan a refusé que les Juifs de l’empire chérifien arborent l’étoile jaune comme en France et comme voulait le lui imposer le gouvernement de Vichy. A l’époque, il y avait 200 000 Juifs au Maroc, le résident général Noguès représentant de Vichy avait fait préparer 200 000 étoiles jaunes. Serge Berdugo a raconté que le sultan aurait alors répondu à Noguès qu’il lui fallait rajouter une cinquantaine d’étoiles jaunes : pour lui et les membres de sa famille. La phrase attribuée à Mohammed V qui revient le plus souvent lorsque l’on évoque les années d’Occupation au Maroc est : « Les Juifs marocains sont mes sujets, et comme tous les autres sujets, il est de mon devoir de les protéger. » Il est clair que le sultan du Maroc a fait preuve de résistance face aux nazis, au moins une résistance passive, en prenant par exemple tout son temps pour signer les décrets, et qu’il a protégé comme il a pu les Juifs de son royaume.
Mohammed Aïssaoui, L’étoile jaune et le croissant
Gallimard, 2012
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Feb 23, 2013 | Sur les portulans |
La perspective de voir le monde depuis son salon et de visiter les plus beaux monuments du monde musulman sans être incommodé par les hordes de touristes et de plus, dans une ambiance propice au recueillement, 3Dmekanlar était désigné pour être un site qui me plairait. Essentiellement axé sur les plus grands sites religieux, on peut facilement naviguer d’un lieu à l’autre et parfois même entrer dans l’intimité des lieux sacrés à l’aide de panoramiques dynamiques absolument bluffants. Par exemple la tombe d’Abû Ayyûb Al-Ansârî dans la mosquée éponyme, normalement fermée au public et que je n’ai pas pu voir dans le quartier d’Eyüp à Istanbul, vous pouvez ici la visiter sans demander les clefs et c’est ainsi que je me suis rendu compte, à ma grande surprise que le sarcophage était accompagné, dans la même salle, d’une des innombrables traces de pas du Prophète visible dans le marbre blanc, exposée dans sa niche et cerclée d’argent. Je comprends un peu mieux à présent la ferveur religieuse de tous ces gens en extase devant la tombe de ce qui n’était pour moi qu’un compagnon du Prophète, mort à la guerre aux portes d’Istanbul.

La plupart des panoramiques sont concentrées autour du monde musulman ; Egypte, Turquie, Macédoine, Arabie Saoudite, Syrie, Yémen, etc. et le site vous permet de naviguer dans des sites qui, pour certains, sont interdits soit au public, soit aux non-musulmans. L’occasion rêvée de pousser la porte de ces lieux magiques. Qui a déjà songé à arpenter les innombrables arcades de la Mosquée du Prophète (Masjid al-Nabawi) à Al-Madīna ? C’est un lieu unique que les non-musulmans ne peuvent approcher sous peine de mort (la présentation du certificat de conversion est obligatoire). Un site riche qui vous permettra de voyager en quelques clics.
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Aug 31, 2012 | Histoires de gens |
De la pseudo-secte des Assassins dont a tout dit et surtout n’importe quoi, on sait surtout que son rôle était strictement politique et religieux. Ce groupe religieux d’obédience chiite est en fait une émanation de l’ismaélisme traditionnel. On les a appelé Hashshashin, Hashashiyyin, bâtinîs, ou encore Nizârites, du nom de Nizar ben al-Mustansir, fils du huitième calife fatimide et imam ismaélien à qui les Assassins prêtent serment. Par tradition, on attribue aux Ismaéliens une doctrine de foi libertaire fondamentaliste et pacifique et basée sur un mélange de néo-platonisme et de mysticisme remontant aux origines de l’Islam, ce qui a nécessairement jeté une voile de suspicion sur ses activités.
L’homme qui fit de ces ismaéliens des assassins portait le nom de Hassan ibn al-Sabbah, ou le « Vieux de la Montagne », titre que porteront après sa mort les chefs successifs de la secte. Installant ses hommes dans la forteresse d’Alamut dans laquelle est rassemblée une somme de livre et d’instruments scientifiques absolument considérable, il les entraîna au meurtre mais uniquement à des visées politiques. Bien décidés à défendre le chiisme à l’intérieur notamment du califat fatimide égyptien, les Assassins joueront de tous les stratagèmes pour assassiner en temps voulu quelques personnages clé dans la cité arabe à partir du XIème siècle ; on leur prêta une addiction supposée, forcée et contrôlée, à la plante dont le nom est dérivé ; le haschich. Rien n’est moins certain selon les sources. Le mot “Assassin” découlerait plutôt d’un terme signifiant “fondamental”. Ce qui est certain en revanche c’est que leur fanatisme et leur isolement dans la forteresse d’Alamut les rendaient certainement serviles et malléables à merci. La secte jouera un rôle prépondérant pendant les invasions franques et leur rôle politique s’interrompit brusquement en 1256 lorsque les Mongols dirigés par Houlagou Khan prirent Alamut et rasèrent littéralement la forteresse en détruisant par la feu sa considérable bibliothèque scientifique.
On pourrait croire que la fameuse secte des Assassins disparut avec sa forteresse, mais ses disciples se fondirent dans la vie de la cité arabe et continuèrent à porter en eux la parole ismaélienne, dont le chef, encore aujourd’hui, n’est autre que… l’Aga Khan. Le titre d’Aga Khan est conféré par le Shah d’Iran en 1818 et combine le titre d’Ağa ou Agha (آغا en persan), titre d’officier civil ou militaire dans l’Empire Ottoman et le titre mongol de Khan (dirigeant ou souverain). Le dernier Aga Khan est le prince Sayyid Karim Al-Husayni (Karim Aga Khan IV), 49ème imam ismaélien nizârite et donc descendant direct de Hassan ibn al-Sabbah, le Vieux de la Montagne…
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Aug 27, 2012 | Histoires de gens, Livres et carnets |
Salâh Ad-Dîn Al-Ayyûbî(1), littéralement le vertueux de la religion, fils d’Ayyoub(2), connu également sous son nom de jeunesse Yûsuf, puis sous le nom que lui donneront les Francs, Saladin, est surtout connu pour son rôle dans la reconquête de Jérusalem face aux Occidentaux lors des Croisades. Dans un monde arabe perclus par les divisions face aux invasions, il continuera l’œuvre de son maître Nur ad-Din et sera le premier à unifier une province immense, allant du nord de la Syrie au Yémen et de la Tunisie à l’Égypte tandis que les Francs se partagent encore dans un désordre total quelques cités puissantes sur la bande côtière palestinienne.

Portrait de Saladin par Cristofano dell’Altissimo
On sait aussi que Saladin fait partie de ces personnages que l’histoire connait et reconnait pour avoir été en quelque sorte victime de leur succès. Ne cherchant en aucun cas la gloire ou la richesse, c’est par un concours de circonstances que son maître Nur ad-Din lui confiera le califat fatimide d’Égypte. Ce qu’on sait moins, c’est que Saladin, loin d’être le personnage charismatique et impitoyable, un grand chef guerrier monté en épingle par les films et l’histoire canonique, est un homme d’une religiosité à toute épreuve et d’une générosité extrême dont les actes de prodigalité ont souvent été considérés comme inconscients par ses administrateurs et ses trésoriers.
Ceux qui ont connu Saladin s’attardent peu sur sa description physique — petit, frêle, la barbe courte et régulière. Ils préfèrent parler de son visage, de ce visage pensif et quelque peu mélancolique, qui s’illuminait soudain d’un sourire réconfortant mettant l’interlocuteur en confiance. Il était toujours affable avec ses visiteurs, insistant pour les retenir à manger, les traitant toujours avec les honneurs, même s’ils étaient des infidèles, et satisfaisant à toutes leurs demandes. Il ne pouvait accepter que quelqu’un vienne à lui et reparte déçu, et certains n’hésitaient pas à en profiter. Un jour, au cours d’une trêve avec les Franj, le «brins», seigneur d’Antioche, arriva à l’improviste devant la tente de Salaheddin et lui demanda de lui rendre la région que le sultan avait prise quatre ans plus tôt. Il la lui donna !
On le voit, la générosité de Saladin a frôlé parfois l’inconscience.
Ses trésoriers, révèle Bahaeddin, gardaient toujours en cachette une certaine somme d’argent pour parer à tout imprévu, car ils savaient bien que, si le maître apprenait l’existence de cette réserve, il la dépenserait immédiatement. En dépit de cette précaution, il n’y avait dans le trésor de l’État à la mort du sultan qu’un lingot d’or de Tyr et quarante-sept dirhams d’argent.
Quand certains de ses collaborateurs lui reprochent sa prodigalité, Saladin leur répond avec un sourire désinvolte : « Il est des gens pour qui l’argent n’a pas plus d’importance que le sable. » De fait, il a un mépris sincère pour la richesse et le luxe, et, lorsque les fabuleux palais des califes fatimides tombent en sa possession, il y installe ses émirs, préférant, quant à lui, demeurer dans la résidence, plus modeste, réservée aux vizirs.
L’erreur stratégique de Saladin fut, dans son immense magnanimité, de relâcher systématiquement ses prisonniers lors de la reprise des cités franques et de leur permettre de se réfugier dans la citadelle de Tyr, là où les Francs massacraient les leurs avec une sorte de délectation barbare. Entassés dans la citadelle, les Francs menés par Richard Ier d’Angleterre (Cœur de Lion), se sont regonflés à bloc pour aller reprendre la cité d’Acre. C’est cet événement qui eut raison des nerfs de Saladin.
La personnalité complexe de cet homme adulé par son peuple, détesté en raison de sa popularité par ses détracteurs, le portera à passer la fin de sa vie dans une dépression léthargique, avachi dans les jardins de son palais, malade et amorphe, rêvant à la grandeur du monde arabe que la reprise d’Acre met à mal.

Bataille de Hittin
C’est véritablement lors de la prise de Jérusalem, Ville Sainte, qu’on peut se rendre compte à quel point l’homme est véritablement conscient de la valeur qui revêt l’entente entre les peuples et les religions.
Et le vendredi 2 octobre 1187, le 27 rajab de l’an 583 de l’hégire, le jour même où les musulmans fêtent le voyage du Prophète à Jérusalem, Saladin fait son entrée solennelle dans la Ville Sainte. Ses émirs et ses soldats ont des ordres stricts : aucun chrétien, qu’il soit franc ou oriental, ne doit être inquiété. De fait, il n’y aura ni massacre ni pillage. Quelques fanatiques ont réclamé la destruction de l’église du Saint-Sépulcre en guise de représailles contre les exactions commises par les Franj, mais Saladin les remet à leur place. Bien plus, il renforce la garde sur les lieux de culte et annonce que les Franj eux-mêmes pourront venir en pèlerinage quand ils le voudront. Bien entendu, la croix franque, installée sur le dôme du Rocher est ramenée; et la mosquée al-Aqsa, qui avait été transformée en église, redevient un lieu de culte musulman, après que ses murs ont été aspergés d’eau de rose.
Textes extraits du livre d’Amin Maalouf, Les croisades vues par les Arabes, la barbarie franque en terre sainte.
Jean-Claude Lattès, 1983
Note :
1 — Titre exact : abū al-muẓẓafar ṣalāḥ ad-dīn al-malik an-nāṣir yūsuf ben najm ad-dīn al-ʾayyūbī ben šāḏī, أبو المظفر صلاح الدين “الملك الناصر” يوسف بن نجم الدين أيوب بن شاذي.
2 — Ayyoub (Najm ad-Din Ayyub), ancien compagnon de route de Nur ad-Din (Nour ad-Din Mahmûd el Mâlik al Adil). Saladin utilisera son nom pour fonder la dynastie ayyoubide.
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Jun 18, 2012 | Livres et carnets, Sur les portulans |
Nasir Khosrau (Nasiri Khusru, Nāsir al Dīn ibn Khosrow, Nassiri Khosrau) est un poète persan, originaire du Khorassan, dont le nom de plume est Hujjat. On sait peu de choses de lui, si ce n’est qu’il était certainement un peu porté sur la bouteille et qu’il était un grand érudit, connaissant plusieurs langues et très versé dans l’astronomie et les sciences naturelles. Il est de ces personnages qui ont fait la jonction entre le Moyen-Orient, l’Occident et l’Inde. On sait également de lui qu’il abandonna finalement les plaisirs de la vie et qu’il se rendit à La Mecque et à Médina pour y trouver réponse à toutes les questions qu’il se posait sur la religion. Le récit de ce voyage, le Sefer nameh, est un témoignage unique du monde musulman au XIème siècle.


“Sefer nameh”, relation du voyage de Nassiri Khosrau en Syrie, en Palestine, en Égypte, en Arabie et en Perse, pendant les années de l’hégire 437–444 (1035 1042) / Publié, traduit et annoté par Charles Schefer. Paris — 1881
Disponible au format PDF sur Gallica et Archive.org. Lire en ligne sur Archive.org.
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