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A la ren­contre des alé­vis turcs

A la ren­contre des alé­vis turcs

Res­ca­pés des inté­grismes et des pogroms, liber­taires par essence, aty­piques par leurs croyances, les alé­vis ne sont pas beau­coup aimés du reste de la com­mu­nau­té musul­mane, a for­tio­ri parce que leur foi a pour ori­gine la branche mal-aimée de l’is­lam ; le chiisme. Le mot alé­vi lui-même signi­fie adepte d’A­li, le gendre du pro­phète, celui par lequel le chiisme a fait dissidence.
Au cours de mes péri­pé­ties, j’ai pu moi-même me rendre compte que si les alé­vis sont regar­dés de tra­vers, consi­dé­rés comme des illu­mi­nés, voire comme des fous (pas au sens fana­tiques) et mal­gré leur litur­gie peu ortho­doxe, ils n’en sont pas moins res­pec­tés, même si par le pas­sé, cela ne fut pas tou­jours le cas. Abso­lu­ment pas mino­ri­taires en Tur­quie (1 Turc sur 4 est alé­vi, les sta­tis­tiques offi­cielles fai­sant plu­tôt état de 10 à 15% de la popu­la­tion), un musul­man sun­nite vous accom­pa­gne­ra tout de même volon­tiers au tekke ou à la cem evi le plus proche si le cœur vous en dit, mais il n’est pas dit qu’on vous pro­pose d’as­sis­ter au sema avec vous, il ne faut tout de même pas exagérer.

dilek ağacı

Arbre à sou­haits alé­vi (dilek ağacı). Pho­to © Son Til­ki

Voi­ci un extrait du livre de Sébas­tien de Cour­tois (Un thé à İst­anb­ul, récit d’une ville) nous en appre­nant un peu plus sur ces reli­gieux d’un autre genre qui pra­tiquent leur foi dans un étrange syn­cré­tisme. Ren­contre avec Mehmet.

Si les alé­vis de Tur­quie sont consi­dé­rés comme des « musul­mans » par l’of­fice des cultes, leurs pra­tiques rituelles n’ont rien à voir avec l’is­lam ortho­doxe, ni même avec l’is­lam tout court étant don­né qu’ils n’en res­pectent aucun des piliers. Ils ne vont pas à la mos­quée, m’ex­plique Alber­to, spé­cia­liste de la ques­tion, ne lisent pas le Coran et, au pèle­ri­nage de La Mecque, ils pré­fèrent celui plus proche de Haci Bek­taş, une saint homme de Cap­pa­doce. De même, les cinq prières quo­ti­diennes ne leur sont pas fami­lières, comme le jeûne du rama­dan qu’ils ne res­pectent pas, et — comble d’hé­ré­sie — ils n’hé­sitent pas à jurer sur la tête du Pro­phète. Le por­trait d’A­li, le gendre du Pro­phète, trône dans leurs mai­sons de prière, les cem evi, à côté du saint cap­pa­do­cien et d’un Atatürk repré­sen­té en odeur de sain­te­té. Une étrange tri­ni­té cha­ma­nique qui n’est pas pour me déplaire tant elle est sur­réa­liste. Il fau­drait plu­tôt voir dans l’a­lé­visme turc — qui concerne près de 25% de la popu­la­tion, tout de même — un main­tien de croyances pré­sis­la­miques liées au par­cours des peuples turcs en Asie, avec une touche d’in­fluence chré­tienne, comme des rémi­nis­cences de cultures plus anciennes.

Costume traditionnel de cérémonie alévi

Cos­tume tra­di­tion­nel de céré­mo­nie alé­vi. Pho­to © Sol Por­tal

Meh­met est fier de sa reli­gion. Une iden­ti­té qui fait de lui un être à part dans la socié­té turque, comme l’en­semble de ses congé­nères. Digne des­cen­dant de ses aïeux, il conspue régu­liè­re­ment toute forme d’au­to­ri­ta­risme reli­gieux et reste un fervent défen­seur de la laï­ci­té et du sécu­la­risme. « Cha­cun chez soi, me dit-il sou­vent, les imams à la mos­quée ! » Aux dires de cer­tains obser­va­teurs — dont je suis —, si la Tur­quie n’a pas encore bas­cu­lé dans le camp de l’obs­cu­ran­tisme, c’est grâce à cette mino­ri­té de râleurs nés. Les quar­tiers alé­vis ne se mélangent pas avec ceux des sun­nites, les deux groupes se regar­dant en chien de faïence et sus­pec­tant l’autre d’un mau­vais coup. Ils aiment la musique, la trans­mis­sion des cultures locales, dont celle des bardes, les aşık, qui ont por­té jus­qu’à nous des siècles de mémoire orale.
J’ai com­pris la spé­ci­fi­ci­té des alé­vis en assis­tant à leur culte dans une cem evi située au der­nier étage d’un immeuble moderne du quar­tier de Yeni­bos­na. Rien de bien attrac­tif en appa­rence — une tour vitrée près d’un péri­phé­rique —, mais je décou­vris là le ter­rain d’une magie secrète ber­cée par les chants, les danses où hommes et femmes se meuvent pour des rituels qui me sem­blaient sor­ti du jour­nal d’ex­plo­ra­tion d’un décou­vreur de cam­pagnes turques au Moyen-Âge.
Un autre genre de voyage dans la ville, celui des sectes, confré­ries et ordres mys­tiques. Meh­met m’a­vait intro­duit dans cet uni­vers de signes et de sym­boles. Le dede, le maitre spi­ri­tuel, était l’un de ses parents éloi­gnés. Il m’a­vait pla­cé au pre­mier rang, en signe de res­pect pour l’in­vi­té, dans une sorte d’am­phi­théâtre minia­ture. Je décou­vrais un autre aspect de mon ami, celui d’un homme res­pec­té dans sa com­mu­nau­té pour ses ascen­dances fami­liales car, dans la croyance alé­vie, on croit à la trans­mi­gra­tion des âmes — la réin­car­na­tion, pour être pré­cis —, et son lignage était hono­rable. « On ne parle pas de mort », me dit-il, mais plu­tôt de « pas­sage », ce qui aidait à dédra­ma­ti­ser le ter­rible acci­dent de son frère.

Sébas­tien de Cour­tois, Un thé à İst­anb­ul, récit d’une ville
Le Pas­seur édi­tions, coll. Che­mins d’étoiles, 2014

Pho­to d’en-tête © Utku Kay­nar

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Le chant d’Ul­li­kum­mi, la pierre de Rome et Armil­lus, l’Antéchrist

Le chant d’Ul­li­kum­mi, la pierre de Rome et Armil­lus, l’Antéchrist

Le clergé catholique au service de l’Antéchrist (« Unterscheid zwischen der waren Religion Christi und falschen Abgöttischenlehr des Antichrists in den fürnemsten Stücken ») Gravure sur bois en deux parties de Lucas Cranach l’Ancien (1472 – 1553), 1ère moitié du XVIe siècle (reproduit dans : The German Single-Leaf Woodcut : 1550 – 1600, ed. Max Geisberg, New-York, 1974, vol. 2, p. 619)

Le cler­gé catho­lique au ser­vice de l’Antéchrist (« Unter­scheid zwi­schen der waren Reli­gion Chris­ti und fal­schen Abgöt­ti­schen­lehr des Anti­christs in den für­nem­sten Stü­cken »)
Gra­vure sur bois en deux par­ties de Lucas Cra­nach l’Ancien (1472 – 1553), 1ère moi­tié du XVIe siècle (repro­duit dans : The Ger­man Single-Leaf Wood­cut : 1550 – 1600, ed. Max Geis­berg, New-York, 1974, vol. 2, p. 619)

J’ai trou­vé dans le livre de Fatih Cimok (Ana­to­lie Biblique, de la Genèse aux Conciles) une légende fai­sant appel à la fois au Déluge, aux peuples Hour­rites et à un des mythes de la Bible les plus inquié­tant ; celui de l’Antéchrist.
Dans la légende du Déluge, que ce soit celui des Chré­tiens ou celui dont j’ai déjà par­lé lors­qu’il était ques­tion du Mont Ara­rat, il est ques­tion au tra­vers de cette épi­pha­nie d’un moment de puri­fi­ca­tion du mal sur Terre par l’eau, ce que l’on peut tra­duire dans une cer­taine mesure comme une méta­phore à une dif­fé­rente échelle du bap­tême. Mais après le déluge ? Non, il n’est pas ques­tion ici de l’a­pho­risme de Madame de Pom­pa­dour, « Après moi, le déluge… » mais bel et bien de ce qui s’est pas­sé après que la Terre fut enva­hie par l’eau, que Noé se retrou­va per­ché sur Ara­rat et qu’il repeu­pla la terre par sa pro­gé­ni­ture (Table des Nations) en la per­sonne de ses fils, Sem, Cham et Japhet et de leurs enfants.

Monstres nés du Déluge, Chroniques de Nuremberg, 1493

Dans les croyances popu­laires, des monstres sont nés du déluge, comme en témoignent les Chro­niques de Nurem­berg écrites en 1493 par l’hu­ma­niste Hart­mann Sche­del. Il est d’autre part ques­tion dans l’An­cien Tes­ta­ment, d’un pas­sage peu connu (l’An­cien Tes­ta­ment est de toute façon trop peu connu, les Chré­tiens pré­fé­rant s’ex­ta­sier sur la vie par­faite et tra­gique du Christ) du Livre des Nombres. Dans ce livre, il est ques­tion d’une race de géants appe­lés les Nephi­lim (הנּפלים: géant) :

27 Voi­ci ce qu’ils [les chefs des douze tri­bus envoyés par Moïse en mis­sion de repé­rage] racon­tèrent à Moïse : « Nous sommes allés dans le pays où tu nous as envoyés. À la véri­té, c’est un pays où coulent le lait et le miel, et en voi­ci les fruits.
28 Mais le peuple qui habite ce pays est puis­sant, les villes sont for­ti­fiées, très grandes ; nous y avons vu des enfants d’Anak.
29 Les Ama­lé­cites habitent la contrée du midi ; les Héthiens, les Jébu­séens et les Amo­réens habitent la mon­tagne ; et les Cana­néens habitent près de la mer et le long du Jourdain. »
30 Caleb fit taire le peuple, qui mur­mu­rait contre Moïse. Il dit : « Mon­tons, empa­rons-nous du pays, nous y serons vainqueurs ! »
31 Mais les hommes qui y étaient allés avec lui dirent : « Nous ne pou­vons pas mon­ter contre ce peuple, car il est plus fort que nous. »
32 Et ils décrièrent devant les enfants d’Is­raël le pays qu’ils avaient explo­ré. Ils dirent : « Le pays que nous avons par­cou­ru, pour l’ex­plo­rer, est un pays qui dévore ses habi­tants ; tous ceux que nous y avons vus sont des hommes d’une haute taille ;
33 et nous y avons vu les nephi­lim, enfants d’A­nak, de la race des nephi­lim : nous étions à nos yeux et aux leurs comme des sauterelles.

Nombres, 13, 27–33

Albrecht Dürer - Révélation de Saint-Jean (12) Le monstre des mers et la Bête à cornes d'agneau

Albrecht Dürer — Révé­la­tion de Saint-Jean (12) Le monstre des mers et la Bête à cornes d’agneau

Les Nephi­lim, per­son­nages pour le moins mys­té­rieux ont été assi­mi­lés, dans cer­taines inter­pré­ta­tions, à des anges déchus, que le pas­sage du Déluge aurait eu pour mis­sion d’ex­ter­mi­ner en tant que tel. L’hé­breu nephel désigne qui celui qui tombe (ליפול). Dans cette ambiance inquié­tante appa­rait un per­son­nage qu’on retrouve dans nombres de récits éso­té­riques et escha­to­lo­giques, sou­vent inté­gré aux théo­ries com­plo­tistes ; l’Anté­christ. Ce per­son­nage est consi­dé­ré comme un double néfaste du Christ, ayant pour fonc­tion de détour­ner l’œuvre chris­tique et par son impos­ture d’in­flé­chir la marche de l’his­toire pour que celle-ci prenne un mau­vais tour­nant. Je me gar­de­rai bien ici de com­men­ter quoi que ce soit sur cette his­toire que les Chré­tiens connaissent à la lec­ture des Épîtres de Jean et qu’on retrouve aus­si dans la mytho­lo­gie juive sous le nom d’an­ti-mes­sie et dans les hadîth musul­mans sous le nom de Masih ad-Daj­jâl (le faux mes­sie). L’o­ri­gine de ce type de figure peut tou­jours paraître un peu obs­cure, mais il faut regar­der dans la longue his­toire de la reli­gion juive pour en retrou­ver des traces et c’est ici qu’in­ter­vient un autre per­son­nage ; Armi­lus ou Armil­lus, ארמילוס‎ (Armi­los) en hébreu. L’o­ri­gine de ce nom est incon­nue, bien qu’on en retrouve des traces dans le Sefer Zerub­ba­bel, dans l’Apo­ca­lypse du pseu­do-Méthode ain­si que dans le Midrash Vayo­sha où il appa­raît sous la forme d’un roi qui ver­ra son avè­ne­ment à la fin des temps. La plu­part des sources qui citent Armil­lus prennent leurs sources dans des textes méso­po­ta­miens ou syriaques, et pour cause, puis­qu’on sup­pose qu’il est un double d’une autre his­toire, plus ancienne encore et c’est dans cette niche qu’in­ter­vient le mythe de Teshup (Teshub) au sein du Chant d’Ul­li­ku­mi, un chant pro­ve­nant de la civi­li­sa­tion hit­tite (cen­trée sur l’A­na­to­lie), qui s’est elle-même réap­pro­prié une vieille légende hourrite. 

Le peuple des Hour­rites trouve son ori­gine deux mil­lé­naires av. J.-C. dans le bas­sin méso­po­ta­mien et par­lait une langue répu­tée être la plus ancienne langue indo-euro­péenne connue. C’est dans ce recoin de l’his­toire que prend forme la légende d’Ar­mil­lus auprès d’un per­son­nage nom­mé Teshup, roi des dieux du pan­théon hour­rite qui com­plote pour prendre la place de son père, le dieu Kumar­bi, dont le chant épo­nyme a été repris en par­tie par Hésiode dans sa Théo­go­nie. C’est dans cet acte de vou­loir prendre la place de entre le père et le fils bila­té­ra­le­ment que le paral­lèle se fait entre les deux légendes et se forge dans le temps jus­qu’à nos mythes fon­da­teurs au tra­vers d’un phé­no­mène étrange ; la sub­stan­tia­tion dans la pierre et la véné­ra­tion des pierres, comme on peut le voir dans les reli­gions anté-isla­miques. Voi­ci ce qu’en dit Fatih Cimok :

La légende escha­to­lo­gique juive de Armil­lus, l’An­té­christ semble avoir été ins­pi­rée par l’é­po­pée hour­rite du « Chant d’Ul­li­kum­mi ». Le sujet de ce mythe hour­rite est la ten­ta­tive du dieu de l’o­rage, Kumar­bi, de détrô­ner son fils Teshup, qui l’a­vait lui-même évin­cé. Kumar­bi fécon­da « le som­met d’une grande mon­tagne » qui enfan­ta Ulli­kum­mi, un monstre aveugle et sourd fait de dio­rite. Teshup grim­pa au som­met du mont Haz­zi, à l’embouchure de l’O­ronte pour obser­ver ce monstre de pierre pous­sé hors de la mer, aujourd’­hui le golfe d’İsk­end­er­un. A la fin de l’his­toire, les dieux entrèrent en guerre contre le monstre et sem­blèrent l’a­voir vain­cu. Le thème de la nais­sance à par­tir de la roche semble avoir été rap­por­té par les Hour­rites du Nord-Est de la Méso­po­ta­mie. Cette idée était fami­lière aux Sémites occi­den­taux qui révé­raient des rochers ani­més, pou­vant êtres consi­dé­ré comme les mères sym­bo­liques des êtres humains. Ain­si Jéré­mie (2:27) reproche à ses com­pa­triotes de suivre des étran­gers qui disent au bois : « Tu es mon père ! » et à la pierre : « Toi, tu m’as enfan­té ! ». On ren­contre ce concept plu­sieurs fois dans la Bible, par exemple dans Isaïe (51:1–2), Abra­ham et Sarah sont com­pa­rés à des rochers qui ont don­né nais­sance au peuple d’Is­raël : « Regar­dez le rocher d’où l’on vous a tirés… Regar­dez Abra­ham votre père et Sarah qui vous a enfan­tés ». De même on retrouve cette image dans l’é­van­gile selon Saint Mat­thieu (3:9) lorsque Jean le Bap­tiste dit « Dieu peut, des pierres [de l’hé­breu aba­nim] que voi­ci, faire sur­gir des enfants [de l’hé­breu banim] à Abra­ham », et répé­tée dans l’é­van­gile selon Saint Luc (3:8). Selon la légende de Armillus :

Il existe à Rome une pierre de marbre, et elle a la forme d’une jolie fille. Elle fut créée durant les six jours de la Créa­tion. Des gens sans valeur venus des nations viennent et l’a­busent et elle devint enceinte et à la fin des neuf mois elle éclate et un enfant mâle en sort de la forme d’un homme dont la hau­teur est de douze cubes et dont la lar­geur est de deux cubes. Ses yeux sont rouges et tors, les che­veux de sa tête sont rouges comme de l’or, et les empreintes de ses pieds sont vertes et il a deux crânes. Ils l’ap­pellent Armillus.

Fatih Cimok, Ana­to­lie biblique, de la Genèse aux Conciles
A Turizm Yayın­ları, İst­anb­ul, 2010

Une his­toire tout à fait sur­pre­nante qui fait appel aux mys­tères ori­gi­nels de la Créa­tion et aux mythes de la Des­truc­tion. L’Α et l’Ω en somme.

Je suis l’al­pha et l’o­mé­ga, dit le Sei­gneur Dieu, celui qui est, qui était, et qui vient, le Tout Puissant.
Εγώ ειμι το Αλφα και το Ωμεγα, λέγει κύριος ο θεός, ο ων και ο ην και ο ερχόμενος, ο παντοκράτωρ.

Apo­ca­lypse 1:8

Chrisme

Sources :

Image d’en-tête : Ren­contre de la pro­ces­sion des dieux menés par le Dieu de l’O­rage du Hatti/Teshub (à gauche) et la pro­ces­sion des déesses menées par la Déesse-Soleil d’Arinna/Hebat (à droite). Des­sin d’un bas-relief de la Chambre A de Yazılı­kaya par Charles Texier.

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Ara­rat, le Mont Djou­di, le Déluge et autres déluges

Ara­rat, le Mont Djou­di, le Déluge et autres déluges

Le mythe du Déluge tel qu’on le connait tra­di­tion­nel­le­ment dans les écrits prend très cer­tai­ne­ment racine dans l’épo­pée de Gil­ga­mesh, tan­dis que tar­di­ve­ment dans notre his­toire rela­ti­ve­ment récente une brèche s’est ouverte dans le détroit du Bos­phore qui fut à l’o­ri­gine de la créa­tion de la Mer Noire. Si pour les Juifs et les Chré­tiens il ne fait aucun doute que l’Arche de Noé s’est échouée sur les hau­teurs du Mont Ara­rat (Ağrı Dağı), un vol­can éteint en réa­li­té for­mé de deux som­mets (le grand Ara­rat — Büyük Ağrı — et le petit Ara­rat — Küçük Ağrı) dont la situa­tion iso­lée au milieu d’une vaste plaine ne pou­vait que faire de cette mon­tagne un lieu pré­des­ti­né à de grands des­seins, il n’est fait men­tion nulle part dans le Coran du nom de la mon­tagne qui se limite à Al judi (جبل جودي Jebel Ǧūdī — les hau­teurs) qu’on situe dans le sud de la Tur­quie (Jazi­rat ibn Oumar, l’ac­tuelle Cizre).

Arche de Noé - Manuscrit peint - fin XVIè - Zübdetü't Tevarih - Musée des arts turcs et islamiques d'Istanbul

Arche de Noé — Manus­crit peint — fin XVIè — Züb­detü’t Teva­rih — Musée des arts turcs et isla­miques d’Istanbul

La par­ti­cu­la­ri­té de la forme de cette mon­tagne pour­rait lais­ser ima­gi­ner quelque chose comme une forme de bateau, en ayant beau­coup d’i­ma­gi­na­tion et de soi disant fouilles archéo­lo­giques auraient mis à jour la pré­sence d’un immense bateau enchâs­sé au creux de cette mon­tagne, dont la pré­sence se mani­feste par des élé­ments comme des « planches », des « rivets », une « ancre »…, de la même manière, des décou­vertes récentes sur le Mont Ara­rat « auraient mis à jour » les restes de l’embarcation du patriarche. Des inter­pré­ta­tions un peu far­fe­lues qui ne remettent bien évi­dem­ment pas en cause cette belle his­toire à peine exagérée.

Untitled

Pho­to ©

Cer­tains font appel à des fouilles et à des sources un peu plus sérieuses…

La loca­li­sa­tion, la forme et la taille de l’Arche semblent avoir pré­oc­cu­pé les hommes depuis la nuit des temps. Le « bois rési­neux » (GN 6:14) à par­tir duquel est fabri­qué l’Arche n’est pas men­tion­né ailleurs dans la Bible, et nous ne savons pas exac­te­ment à quoi il cor­res­pond. Les spé­cia­listes l’ont sou­vent inter­pré­té comme étant du roseau qui, enduit de « bitume en dedans et en dehors » deve­nait étanche. Cette matière aurait été retrou­vée sous forme fos­sile sur le Mont Ara­rat. […] Cer­tains auteurs de l’An­ti­qui­té, tel l’his­to­rien juif du Ier siècle de notre ère Fla­vius Joseph, pré­tendent que ceux qui esca­la­daient la mon­tagne en rap­por­taient des restes de bitume de l’Arche qu’ils uti­li­saient comme amulettes.

Fatih Cimok, Ana­to­lie biblique, de la Genèse aux Conciles
A Turizm Yayın­ları, İst­anb­ul, 2010

La légende du Déluge est recen­sée sous plus de 500 formes dif­fé­rentes, dont une connue sous le nom de déluge de Deu­ca­lion, popu­la­ri­sé par Ovide dans les Méta­mor­phoses. Un peu moins connu, le déluge d’A­pa­mée (Dinar) trouve une ori­gine un peu plus locale et adap­tée. Quelques uns de ces mythes donnent une ver­sion dans laquelle l’eau ne vient pas du ciel mais de la terre, par des inon­da­tions sou­ter­raines remon­tant à la sur­face. Ce phé­no­mène géo­lo­gique est endé­mique des régions vol­ca­niques qui font émer­ger des lacs sou­ter­rains lors de séismes, nom­breux dans cette région d’A­na­to­lie. A noter que le mythe de Deu­ca­lion don­na son nom à la ville ana­to­lienne de Konya (où se trouve enter­ré le Mev­lâ­na Dja­lâl ad-Dîn Rûmî) ; il y est ques­tion d’images de boue avec les­quelles Pro­me­thée et Athé­na repeuplent la terre. Image en grec, c’est eikon (εικόν), qui donne son nom à l’i­cône. Iko­nion n’est ni plus ni moins que l’an­cien nom grec de Konya.

Pho­to d’en-tête © Bri­gitte Djajasasmita

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Et pour­quoi pas alors un lieu où pour­raient se retrou­ver des Juifs et des musulmans ?

Si un jour vous allez à Istan­bul, vous pour­rez voir à quel point les Turcs musul­mans ont été res­pec­tueux des lieux de prière chré­tiens en les conver­tis­sant en mos­quées lors­qu’en 1453 ils conquirent la Rome d’O­rient, en répan­dant sur le sol de l’eau de rose et en badi­geon­nant d’une simple épais­seur de chaux blanche les repré­sen­ta­tions non conformes à l’es­prit de la reli­gion. Moham­med Aïs­saoui, dans L’étoile jaune et le crois­sant, nous parle de l’Al­gé­rie qui accueillait des Juifs et en par­ti­cu­lier d’O­ran où se trouve une des plus grandes syna­gogues d’A­frique du Nord ; si elle fut confis­quée en 1972, elle fut sim­ple­ment conver­tie en mos­quée, dans le res­pect des confes­sions, ce qui laisse l’au­teur son­geur sur ces lieux qui n’ont pas de mémoire et qui auraient voca­tion à rap­pro­cher les Hommes.

Synagogue d'Oran

Syna­gogue d’Oran

Ain­si, cette grande syna­gogue d’O­ran a été trans­for­mée en mos­quée sans aucune retouche. Ça ne remonte pas à si long­temps — c’é­tait en 1975. Je croyais que les lieux avaient une âme, un esprit. Qu’ils pou­vaient être purs, ou impurs. Je suis éton­né de voir le ven­dre­di une foule de musul­mans entrer dans cette syna­gogue… par­don, dans cette mos­quée. Ain­si, les lieux n’au­raient pas de mémoire. Une syna­gogue peut deve­nir une mos­quée, et ça n’a l’air de gêner per­sonne — alors que vous n’ar­ri­vez pas à faire man­ger un musul­man dans une assiette déjà uti­li­sée par un Juif. Et vice versa.

Intérieur de la synagogue d'Oran

Inté­rieur de la syna­gogue d’Oran

La légende dit que l’on aurait ame­né dans cette syna­gogue des pierres de Jéru­sa­lem. On y met les pieds, on prie, on espère. Des Juifs y ont prié, espé­ré… Puis, des musul­mans y ont prié, espé­ré. Et pour­quoi pas alors un lieu où pour­raient se retrou­ver des Juifs et des musul­mans ? Par­fois les hommes me sidèrent.
A Alger aus­si, des syna­gogues ont été trans­for­mées en mosquées.
Dans les docu­ments retrou­vés aux archives d’O­ran, je lis des phrases qui sur­pren­draient aujourd’­hui, et je sou­ris. Un exemple, déni­ché dans une sorte d’at­las de l’é­poque : « En 1938, la France compte 25 mil­lions de sujets musul­mans. » Ça me fait sou­rire, parce que les nos­tal­giques de l’an­cien empire colo­nial n’y avaient pas pen­sé. « La France compte 25 mil­lions de musul­mans », la phrase effraie­raient cer­tains aujourd’hui…

Moham­med Aïs­saoui, L’étoile jaune et le croissant
Gal­li­mard, 2012

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Nasir-ol-Molk, la mos­quée rose de Shiraz

Dans l’an­cienne capi­tale de l’empire Perse Shi­raz se trouve la très belle mos­quée de Nasir-ol-Molk (Nasir al-Mulk, مسجد نصیر الملك‎), une mos­quée chiite inau­gu­rée en 1888. La par­ti­cu­la­ri­té de ce monu­ment est que la salle de prière prin­ci­pale est ornée de superbes mosaïques et de vitraux hau­te­ment colo­rés que la lumière crue du soleil ira­nien vient frap­per. L’illu­sion colo­rée créée à l’in­té­rieur est tout sim­ple­ment magique, dans des domi­nantes de lumière rose.
Voir d’autres images superbes de la « Mos­quée Rose » sur Bored Pan­da.

Mosquée Nasir-ol-Molk, Shiraz - Iran

Mos­quée Nasir-ol-Molk, Shi­raz — Iran

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