Et nous repar­le­rons des gen­tils­hommes de fortune…

Lire l’Île au tré­sor de Robert Louis Ste­ven­son, per­son­nage malingre à la san­té fra­gile, por­té à écrire sans fin sous les coups de bou­toir de son épouse cali­for­nienne, la sus­pecte Fan­ny Van­der­grift Osbourne, lire ce roman d’a­ven­tures estam­pillé culte le soir sous les ten­tures de mon lit à bal­da­quin avait quelque chose de magique, c’é­tait un peu comme faire ce que je n’ai pas fait enfant, lire ces romans d’a­ven­tures, de James Feni­more Cooper, Mark Twain, Jack Lon­don que je n’ai jamais lu parce que l’a­ven­ture, moi, vous savez… Non, moi je feuille­tais des livres dans les­quels je m’ex­ta­siai sur les pho­tos du Taj Mahal, les torii japo­nais dans la brume ou les neiges éter­nelles du Kili­mand­ja­ro ou alors je regar­dais encore et encore les pho­tos que mon grand-père avait prises aux Antilles ou à la Réunion, mais les livres d’a­ven­ture, je n’ai pas été habi­tué. Alors je me suis dit qu’un jour, il fal­lait bien, et j’ai été trans­por­té sur l’île du Sque­lette avec le jeune Jim Haw­kins, le doc­teur Live­sey et le che­va­lier Tre­law­ney mais éga­le­ment le ter­ri­fiant Long John Sil­ver, per­son­nage haut en cou­leurs, vani­teux, ambi­tieux, cha­ris­ma­tique et obs­ti­né comme un beau diable.

L’Île au tré­sor, ce n’est pas vrai­ment un roman d’a­ven­tures sur la pira­te­rie, ni même une chasse au tré­sor, mais une his­toire de muti­ne­rie, où une poi­gnée d’hommes menés par Sil­ver vont riva­li­ser de vilé­nies pour dégot­ter les 700.000 livres enter­rées par l’hor­rible Flint ; revi­re­ments de situa­tion, coup de théâtre, coups bas, Ste­ven­son est un maître pour racon­ter cette his­toire avec une langue fleu­rie et ima­gée à faire rêver les petits gar­çons, et les grands…

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Le capi­taine Smol­lett se leva de son siège et vida les cendres de sa pipe dans le creux de sa main gauche.
« Est-ce tout ? demanda-t-il .
– C’est mon der­nier mot, mille ton­nerres ! jura John. Refu­sez, et la pro­chaine fois vous aurez affaire aux balles d’ mon mousquet !
– Très bien, dit le capi­taine. Main­te­nant, vous allez m’é­cou­ter. Si vous vous pré­sen­tez ici, un par un, et sans armes, je m’en­gage à vous mettre tous aux fers et à vous rame­ner en Angle­terre pour y être jugés à la régu­lière. Si vous refu­sez mes condi­tions, lais­sez-moi vous dire qu’aus­si vrai que je m’ap­pelle Alexandre Smol­lett, et que j’ai his­sé les cou­leurs de mon sou­ve­rain, je m’en­gage à vous faire tous rôtir dans les flammes de l’en­fer. Vous ne trou­ve­rez jamais le tré­sor. Vous êtes infi­chus de gou­ver­ner le navire — il n’y en a pas un par­mi vous qui en soit capable. Vous n’êtes pas de taille à lut­ter avec nous — Gray, tan­tôt, a réus­si à faus­ser com­pa­gnie à cinq de vos hommes. De plus, maître Sil­ver, votre bateau est en fâcheuse pos­ture ; il se trouve en effet sur une côte sous le vent, et vous allez l’ap­prendre à vos dépens. Je ne bou­ge­rai pas d’i­ci. Et j’a­joute que ce sont les der­nières paroles que vous enten­drez de moi. Car, la pro­chaine fois que je croi­se­rai votre route, je vous col­le­rai une balle dans le dos, par tous les saints. Déguer­pis­sez mon gaillard. Levez le camp, je vous prie, et au pas de course encore. »
Le visage de Sil­ver aurait méri­té d’être peint : sous l’emprise de la colère, ses yeux sem­blaient jaillir de leurs orbites. Il étei­gnit sa pipe en la secouant violemment.
« Aidez-moi à m’ rele­ver ! s’écria-t-il.
– N’y comp­tez pas, répon­dit le capitaine.
– Qui va m’ai­der à m’ rele­ver ? » rugit-il.
Per­sonne ne bron­cha. En gro­gnant les pires impré­ca­tions, il se traî­na jus­qu’au porche où il par­vint à se redres­ser et à reprendre sa béquille. Puis il cra­cha dans la source.
« Voi­là c’ que j’ pense de vous ! s’é­cria-t-il. Avant une heure de temps, j’au­rai défon­cé vot’ vieux for­tin comme une bar­rique d’ rhum ! Riez, mille ton­nerres ! Riez tout votre soûl, car avant une heure vous rirez jaune. Et ceux qui mour­ront n’ s’ront pas les plus à plaindre !»

L’Île au Tré­sor, in Œuvres, tome 1
La Pléiade, Tra­duc­tion Marc Porée

  1. Chants de marins sur les Gabiers d’ar­ti­mon
  2. Illus­tra­tions par N.C. Wyeth
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Sun­derk­laas à Ameland

Saint-Nico­las en Europe — 1

Dans une des plus sep­ten­trio­nales îles de la cou­ronne des terres qui ceignent les Pays-Bas, Ame­land, sur les terres fri­sonnes de l’Ar­chi­pel des Wad­den (Wad­den­zee), se per­pé­tue une tra­di­tion direc­te­ment issue du culte puis­sant que Saint-Nico­las a ins­til­lé dans l’Eu­rope du Nord. Car si Nico­las est la plu­part du temps repré­sen­té avec sa parure d’é­vêque, on oublie sou­vent qu’il était avant tout marin, alors face à l’O­céan, on attend la venue du saint, de ses com­plices et de ses sol­dats, sur­gis­sant dans la nuit dans une sym­bo­lique de forces fécondantes.
Dès le soir du 5 décembre tom­bé, les hommes enva­hissent les rues, vêtus d’u­ni­formes blancs en papier mâché et de masques volon­tai­re­ment inno­cents assu­rant un par­fait ano­ny­mat, et emportent avec eux les jeunes hommes qui ont eu 18 ans dans l’an­née, dans une virée à voca­tion ini­tia­tique. Si on vire manu mili­ta­ri les étran­gers et les tou­ristes comme des mal­propres, c’est lit­té­ra­le­ment pour conser­ver l’her­mé­tisme de ces céré­mo­nies, mais secrè­te­ment aus­si pour ne pas éven­ter les abus qui sont per­mis aux hommes ce soir-là ; vio­lences, com­bats, courses et alcool, tout est auto­ri­sé. C’est sans dire que les femmes se doivent de ne pas sor­tir dès lors que le cor a son­né, sans quoi elles seront pour­chas­sées dans les rues et vive­ment rossées.

ameland

Sous cette exal­ta­tion pous­sée à l’ex­trême des valeurs mas­cu­lines, on assiste en fait à un rite d’i­ni­tia­tion des jeunes hommes pour leur entrée dans la vie des adultes. Cette entrée se fait la nuit, et dans l’a­no­ny­mat. Si les femmes sont chas­sées, c’est pour pré­ser­ver l’es­pace public, par défi­ni­tion masculin.
Une fois les hommes défou­lés, ils pénètrent dans la demeure des femmes et simulent des vio­lences sexuelles, avant de nocer avec force frian­dises et boissons.
Sur cette île bat­tue par les vents de la Mer du Nord au pay­sage mode­lé par le dépla­ce­ment des dunes de sable, on retrouve une com­mu­nau­té catho­lique, en plein bas­tion du pro­tes­tan­tisme le plus radi­cal, mais là ne se trouve cer­tai­ne­ment pas la rai­son de cette fête aux ori­gines mal défi­nies, mais il sem­ble­rait qu’on assiste à un savant mélange de rite cos­mo­go­nique avec la cor­res­pon­dance de la Saint-Nico­las avec le début de la période du repos des marins ; dans les contrées aux acti­vi­tés mari­times, les femmes tiennent le foyer et cette fête semble mar­quer le retour des hommes — et sym­bo­li­que­ment,  leur retour aux affaires en somme…

Loca­li­sa­tion d’A­me­land sur Google Maps.

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Hôtel de l’Océan

L’At­lan­tique est pour moi comme un immense refuge aux visages mul­tiples, comme une fron­tière entre l’i­ma­gi­naire le plus sub­til et des pays aus­si dif­fé­rents que char­mants. Où qu’il soit, je me plie à ses caprices et prend de lui tout ce qu’il peut me donner.
Quelques jours sur l’île d’O­lé­ron déployés sur Obsidienne…

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