Moka au bar à l’aube de l’hi­ver flamboyant

Lulea SWEDEN_11_2011_2_HDR2

Pho­to © Kons­tan­ti­nos Kazantzoglou

Les portes de l’é­té se sont refer­mées depuis long­temps déjà. Bou­clées, triple-bou­clées à triple-tour et rien ne pour­ra plus les ouvrir jus­qu’au pro­chain cycle. Le soir on peut sen­tir l’o­deur des pre­miers feux de bois dans les chau­mières, l’ombre de l’hi­ver s’as­seoir sur le pay­sage, naï­ve­ment, comme un majes­tueux génie sans mau­vaises intensions.
La lumière fuit, relayée aux mystères.
J’empêche le vent de ren­trer, je mets de l’é­toupe dans les inter­stices et tant pis si les mau­vaises herbes poussent des­sus, on les reti­re­ra le prin­temps venu. Je jette des pages et des pages sur la cou­ver­ture de mon lit pour me sen­tir bien, pour sen­tir la cha­leur m’en­va­hir, l’o­deur du bois et de la pein­ture fraîche appor­tant un renou­veau dans mon environnement.
On pour­rait vivre loin de tout, fina­le­ment, que per­sonne ne vien­drait vous y cher­cher. A se deman­der si on a remar­qué votre pré­sence… Je tiens à nou­veau mon jour­nal, des fois que quelque chose sur­vienne, mais sachez-le, plus grand-chose ne pour­ra m’atteindre…

Read more

Moka au bar avec le fan­tôme de Fix Creek à Lib­by, Mon­ta­na, ou prendre un thé, seul, avec Paul Bowles

Par des­sus l’é­paule, assis dans un fau­teuil, je sens une pré­sence, plus que ça, une odeur qui me rap­pelle des sou­ve­nirs et tout à coup, le visage d’une per­sonne appa­raît dans un long che­mi­ne­ment de pen­sée. Je suis ter­ri­fié à l’i­dée que l’on puisse être ain­si sai­si par ce que j’ap­pelle un fan­tôme et qui prend cette appa­rence, parce que ça n’a pas d’autre nom. D’autres pour­raient appe­ler cela un démon ou un fan­tasme, pour moi c’est un fan­tôme, ce qui ajoute une dimen­sion mys­té­rieuse et folk­lo­rique de châ­teau écossais…

Ghost house

Rick Bass, per­du dans une petite ville du Mon­ta­na, tout près de la fron­tière avec le Cana­da, raconte cette his­toire de fan­tôme pour le moins éton­nante tan­dis qu’il passe l’hi­ver dans un petit cha­let sans commodités :

[…] Presque toutes les nuits j’ai fait le même cau­che­mar ; quel­qu’un gra­vis­sait l’es­ca­lier très len­te­ment, quel­qu’un qui était en colère — et moi, comme cela arrive dans ces rêves affreux, j’é­tais inca­pable de bou­ger, inca­pable d’é­mettre le moindre son, la moindre pro­tes­ta­tion. La per­sonne, la force en ques­tion, était un vieillard qui venait s’as­seoir au bord de mon lit. Il y a eu un nuit par­ti­cu­liè­re­ment mau­vaise — et ça, je l’ai sen­ti plus sûre­ment que j’aie jamais sen­ti quoi que ce soit —, une nuit où la main de ce vieillard assis sur le lit m’a empoi­gné la che­ville, et même s’il ne l’a pas tor­due, il ne vou­lait pas non plus la lâcher. […] En plus de quoi, il y avait une autre chose, autre chose de pire encore que la puis­sante étreinte de cette main ; j’ai sen­ti dans la pièce un cou­rant gla­cé de pure méchan­ce­té, à vous faire dres­ser les che­veux sur la tête et coa­gu­ler le sang — un cou­rant dont l’élec­tri­ci­té est res­tée sus­pen­due dans les airs comme un écho sonore, mais qui en même temps gran­dis­sait, aug­men­tait, comme un chien qui res­pire très fort, un cou­rant qui empi­rait, qui deve­nait de plus en plus menaçant. […]

The Great Beyond

Je n’ai jamais vu son visage et je ne crois pas que je le ver­rai jamais. Je pense que nous avons fait notre paix. Je pense aus­si que le fan­tôme, la force, l’éner­gie, les anciens restes d’é­mo­tion que le vieux Fix éprou­vait pour notre val­lée — tout cela est apai­sé. […] Il y a eu des soirs, cepen­dant, où je suis allé me pro­me­ner dans les bois qui s’é­lèvent der­rière la mai­son, sur un vieux sen­tier de bûche­rons cou­vert d’un dais de grands cèdres et de mélèzes à aiguilles den­te­lées — où j’ai pous­sé plus haut, au delà de l’é­tang, trop loin à l’in­té­rieur des bois — et où j’ai sen­ti quelque chose, quel­qu’un der­rière moi. Je me retour­nais pour scru­ter la piste que je venais de suivre — le vieux sen­tier des bûche­rons vei­né de bleu par des traî­nées de clair de lune brillant entre les ombres dures et noires — et il était évident qu’il n’y avait per­sonne. Et pour­tant, j’en­ten­dais quel­qu’un, je le sen­tais, je le devi­nais, debout en plein milieu de la route, qui m’ob­ser­vait, les yeux bra­qués droit sur moi, comme un ani­mal — les mains sur les hanches peut-être, et une étrange impres­sion de mal­veillance dans l’air. […]
Nous sommes ici, nous sommes vivants. Fix ne l’est plus. Évi­dem­ment qu’il est en colère.

Rick Bass, Win­ter (Notes from Mon­ta­na) 1991

Hier encore, on me demande ce que j’aime et ce que je n’aime pas. J’aime, comme Domi­nique Pinon, ouvrir un livre plu­sieurs mois après les vacances et retrou­ver du sable entre les pages…

Je garde en moi le désir de me perdre dans le désert, dans une tem­pête de sable avec à la main le texte ori­gi­nal de The shel­te­ring sky dont les pages seraient pleines de grains d’un sable fin. Dans l’autre main, une bous­sole qui n’au­ra ser­vi à rien puisque déjà je serais perdu.
Au beau milieu de rien, une mai­son simple sans toit, un puits de lumière venant du zénith, et au centre de la cour, un homme et une théière, un vase et quelques pots, et la sim­pli­ci­té d’un sol de terre battue.

Read more

Tra­ver­ser des rivières, regar­der sous la glace, fuir par delà les mon­tagnes… Avant d’en arri­ver au baron fou

Avant

Mayn River

Fuir jus­qu’à en perdre la tête dans le froid, s’é­va­der de la pri­son qu’est son corps lors­qu’on est dif­fé­rent, qu’on ne sou­haite pas pen­ser comme l’ar­mée des autres, pas­ser par tous les états de la peur pour en sor­tir trans­fi­gu­ré, par­cou­rir l’in­con­nu et voir la nature folle l’a­gres­ser, c’est un peu le des­tin de Fer­dy­nand Ossen­dow­si, un uni­ver­si­taire par­lant sept langues, habi­tué de la contes­ta­tion depuis le plus jeune âge. Enga­gé auprès des contre-révo­lu­tion­naires russes puis dénon­cé au pou­voir cen­tral, il s’en­fuit avec un fusil et quelques car­touches en s’en­fon­çant vers l’est, jus­qu’à frô­ler la mort dans la Mon­go­lie inter­dite. Il affronte alors les hommes assoif­fés de sang, et une nature en furie…

[audio:partisans.mp3]

C’est alors qu’un matin j’en­ten­dis un bruit assour­dis­sant, celui d’une for­mi­dable canon­nade, et je cou­rus voir : le fleuve venait de sou­le­ver sa chape de glace, puis l’a­vait lais­sé retom­ber pour la briser.
De la rive, j’as­sis­tais à un spec­tacle à la fois ter­rible et majes­tueux. Des­cen­dant du sud, le fleuve char­riait vers le nord une énorme masse de glace qu’il trans­por­tait sous l’é­pais cou­vercle de gel qui le recou­vrait encore par endroits. Or la ter­rible pous­sée pro­vo­quée par le dépla­ce­ment de cette masse avait rom­pu le bar­rage hiver­nal au nord : l’Ienis­séï (Енисей), fleuve-père, fleuve-héros, fleuve par­mi les plus longs d’A­sie, pro­fond et magni­fique, encais­sé tout le long de son cours moyen dans des gorges escar­pées, effec­tuait sa der­nière ruée vers l’o­céan Arc­tique. La masse énorme avait traî­né avec elle de gigan­tesques champs de glace, les pul­vé­ri­sant sur les rapides et sur les roches iso­lées, les fai­sant tour­noyer en tour­billons cour­rou­cés, sou­le­vant par por­tions entières les noires routes de l’hi­ver, empor­tant les tentes construites pour les cara­vanes qui des­cendent à cette sai­son le fleuve gelé, de Minous­sinsk (Минусинск) à Kras­noïarsk (Красноярск). De temps en temps, le flot était arrê­té dans son cours ; avec un sourd mugis­se­ment, les champs de glace écra­sés s’empilaient par­fois jus­qu’à une hau­teur de dix mètres et for­maient un bar­rage. Le fleuve, par der­rière, mon­tait si rapi­de­ment qu’il inon­dait les ter­rains bas, jetant sur le sol d’é­normes mon­ceaux de glace. Sou­dain, avec une puis­sance démul­ti­pliée, les eaux s’é­lan­çaient à l’as­saut du bar­rage et l’en­traî­naient vers l’a­val dans un épou­van­table fra­cas de verre bri­sé. Aux tour­nants des rivières, contre les rochers, c’é­tait un ter­ri­fiant chaos. D’é­normes blocs de glace s’en­che­vê­traient, se bous­cu­laient ; quelques uns pro­je­tés en l’air, venaient s’a­bî­mer tumul­tueu­se­ment contre ceux qui se trou­vaient déjà là, ou, pré­ci­pi­tés contre les falaises et les berges, en arra­chaient des rocs, de la terre et des arbres au plus haut des flancs escar­pés. Tout le long des basses rives, ce géant de la nature pou­vait éle­ver, avec une bru­ta­li­té qui don­nait à l’homme la sen­sa­tion de deve­nir aus­si petit qu’un Pyg­mée, une grand mur de glace, de cinq à six mètres de haut. Les pay­sans appellent ces impo­santes murailles à tra­vers les­quelles ils doivent se tailler un che­min des zabe­re­ga. Ailleurs, j’ai encore vu le Titan accom­plir cet exploit incroyable : un bloc de plu­sieurs pieds d’é­pais­seur et de plu­sieurs mètres de large fur pro­je­té en l’air et retom­ba hors du lit de glace, écra­sant de jeunes arbres à plus de quinze mètres de la rive.
En contem­plant cette fabu­leuse retraite des glaces, je res­tai sai­si de ter­reur et de révolte devant le tableau hor­rible qu’of­frait l’Ie­nis­séï char­riant dans sa débâcle annuelle les plus affreuses dépouilles : c’é­taient les cadavres des contre-révo­lu­tion­naires exé­cu­tés, offi­ciers, sol­dats et cosaques de l’an­cienne armée du gou­ver­ne­ment géné­ral de toute la Rus­sie anti-bol­che­vik, l’ami­ral Kolt­chak.

IMG_0745.JPG

[audio:kargyraa.mp3]

Dans cette course folle pour échap­per à leurs enne­mis, les com­pa­gnons d’in­for­tune se voient obli­ger d’af­fron­ter une fois de plus le cours de l’Ie­nis­séï, fleuve immense et impé­tueux. A che­val, la tra­ver­sée est entre­prise et donne lieu à un mor­ceau d’é­cri­ture ner­veuse et ten­due qui rend un hom­mage sen­sible et vibrant à leur mon­ture. Ce n’est pas pour rien que le titre du livre com­mence par Bêtes

Alors com­men­ça la plus ter­rible nuit de notre voyage. Nous sug­gé­râmes au colon de n’embarquer que notre nour­ri­ture et nos muni­tions : nous pas­se­rions à la nage avec nos che­vaux, pour évi­ter de faire plu­sieurs voyages. La lar­geur de l’Ie­nis­séï à cet endroit est d’en­vi­ron trois cents mètres. Le cou­rant est extrê­me­ment rapide et la rive plonge à pic. La nuit était abso­lu­ment noire, sans une étoile au ciel. Le vent sif­flait en rafales, la neige nous fouet­tait vio­lem­ment le visage. Le fleuve se dérou­lait devant nous, tel un tour­billon d’eau noire, entraî­nant dans ses remous de minces plaques de glace cou­pante. Long­temps mon che­val refu­sa de des­cendre la rive abrupte, s’é­brouant et se rai­dis­sant. De toute ma force je dus lui fouet­ter l’en­co­lure pour qu’il se jette, avec un gémis­se­ment pitoyable, dans le fleuve gla­cé. Nous nous immer­geâmes à moi­tié tous les deux et j’eus grand’­peine à me tenir en selle. Nous fîmes quelques mètres en nous éloi­gnant du rivage ; la bête ten­dait déses­pé­ré­ment son col pour avan­cer, souf­flant bruyam­ment. Je sen­tais chaque mou­ve­ment de ses jambes bat­tant l’eau, chaque contrac­tion de ses muscles dans l’ef­fort. Nous par­vînmes enfin au milieu de la rivière, à l’en­droit où le cou­rant était le plus rapide et ris­quait de nous entraî­ner. Dans la nuit lugubre réson­naient les cris de mes com­pa­gnons et les sourds gémis­se­ments que la ter­reur et la souf­france arra­chaient aux che­vaux. L’eau gla­cée for­mait un étau autour de ma poi­trine. J’é­tais grif­fé par les gla­çons, giflé par les vagues qui venaient me frap­per au visage. Je ne voyais plus rien, je ne sen­tais même plus le froid. Seul m’a­ni­mait désor­mais l’ins­tinct de conser­va­tion ; je ne pen­sais plus qu’à une chose : que mon che­val fai­blisse dans sa lutte et j’é­tais per­du ! Concen­tré sur ma bête pour la sou­te­nir dans ses efforts, je l’en­ten­dis bru­ta­le­ment gémir et la sen­tis qui cou­lait. L’eau qui ren­trait dans les naseaux l’empêchait de s’é­brouer et sa tête venait de heur­ter un gros gla­çon. Nous nous mîmes à déri­ver. Je ten­tais à grand’­peine, m’y repre­nant à plu­sieurs fois, de diri­ger de nou­veau sa course vers le rivage, mais j’a­vais beau tirer sur les rênes comme un for­ce­né, ses der­nières forces sem­blaient l’a­voir aban­don­née ; sa tête dis­pa­rais­sait de plus en plus sou­vent sous les remous. Je n’a­vais pas le choix : je me lais­sais rapi­de­ment glis­ser de la selle et, m’y accro­chant de la main gauche, je me mis à nager en m’ai­dant de mon autre main, entraî­nant ma mon­ture et l’en­cou­ra­geant de la voix. Un moment elle flot­ta, les lèvres entrou­vertes, les dents ser­rées. Dans ses yeux lar­ge­ment ouverts se lisait une indes­crip­tible ter­reur. Mais déles­tée de mon poids, elle par­vint à remon­ter à la sur­face et se mit à nager à son tour, plus cal­me­ment et plus rapi­de­ment. Enfin ses fers heur­taient les rochers. Les uns après les autres, mes com­pa­gnons abor­daient le rivage. Les che­vaux bien dres­sés avaient fait pas­ser leurs cavaliers.

Nous n’a­vons pas encore fait connais­sance avec le baron fou, mais nous sommes déjà pas­sé par les terres des Kal­mouks, des Uran­hays et des Soyotes, autre­ment dit dans l’ac­tuelle Répu­blique de Tou­va… et des Mongols…

Et lorsque la nature le sai­sit par le beau­té du pay­sage, elle rede­vient indomp­table, se cabre comme un che­val fou­gueux, les his­toires les plus folles sont racon­tées à son sujet…

Du haut des mon­tagnes entou­rant le lac Kos­so­gol, nous ne pûmes rete­nir notre admi­ra­tion devant le spec­tacle splen­dide qui s’of­frait à nos yeux : un vrai lac alpin, ser­ti comme un saphir dans le vieil or des col­lines envi­ron­nantes, rehaus­sé de sombres et riches forêts. Le soir, nous appro­châmes de Kha­tyl avec de grandes pré­cau­tions et fîmes halte sur le bord du cours d’eau qui des­cend du Kos­so­gol : le Yaga ou Egiyn Gol. Nous trou­vâmes un Mon­gol prêt à nous mener de l’autre côté de la rivière gelée par une route sûre qui pas­sait entre Kha­tyl et Mou­ren Koure. Par­tout, le long des rives, se trou­vaient de grands obos et de petits autels dédiés aux démons des eaux.
— Pour­quoi y a‑t-il tant d’o­bos(1) ? deman­dâmes-nous à notre guide.
— C’est la rivière du Diable, dan­ge­reuse et rusée, répli­qua l’homme. Il y a deux jours, un train de char­rettes a fait cra­quer la glace ; trois d’entre elles ont été englou­ties avec cinq soldats.
Nous com­men­çâmes la tra­ver­sée. La sur­face du fleuve res­sem­blait à une épaisse plaque de verre, lim­pide et sans neige. Nos che­vaux avan­çaient avec pré­cau­tion, mais quelques uns tom­bèrent et pati­nèrent quelque peu avant de se remettre debout. Nous les menions par la bride. Tête bais­sée, trem­blant de tout leur corps, ils ne quit­taient pas la glace des yeux, ter­ri­fiés. Je regar­dai à mon tour et com­pris leur frayeur. A tra­vers la couche de glace trans­pa­rente, épaisse de trente cen­ti­mètres envi­ron, on pou­vait voir très clai­re­ment le fond de la rivière. Sous la lumière de la lune, les pierres, les trous d’eau et les herbes aqua­tiques étaient visibles à une pro­fon­deur de dix mètres et plus. Le Yaga rou­lait ses flots furieux sous la glace à une vitesse ter­ri­fiante, mar­quant son cours de longues stries d’é­cume bouillon­nante. Bru­ta­le­ment je fis un bon et m’ar­rê­tait net, comme para­ly­sé. A la sur­face de l’eau écla­ta ce qui res­sem­blait à un coup de canon, sui­vi d’un second, puis d’un troisième.
— Vite ! Vite ! s’é­cria notre Mon­gol nous fai­sant signe de la main.
Un nou­veau coup de canon sui­vi d’un cra­que­ment reten­tit tout près de nous. Les che­vaux se cabrèrent et tom­bèrent, plu­sieurs se cognant la tête contre la glace. Une seconde après, elle se déchi­rait sur près d’un mètre. Aus­si­tôt, par l’ou­ver­ture béante, l’eau se mit à jaillir avec une vio­lence inouïe.
— Vite ! Vite ! s’é­cria de plus belle le guide.
Mais les che­vaux refu­saient d’al­ler plus loin. Ils trem­blaient, n’o­béis­saient plus ; seul le fouet pou­vait leur faire oublier leur ter­reur et les for­cer à avancer.
Quand nous fûmes sains et saufs sur l’autre rive, au milieu des bois, notre guide mon­gol nous racon­ta com­ment le fleuve s’ouvre par­fois de cette façon mys­té­rieuse, vouant aus­si­tôt à la mort les hommes et les ani­maux qui par­courent son lit gelé. Le cou­rant froid et rapide entraîne sous la glace. Quand le cra­que­ment infer­nal se pro­duit juste sous les pieds du che­val, celui-ci en vou­lant s’é­car­ter tombe presque à coup sûr dans l’eau, et les mâchoires de glace, se refer­mant brus­que­ment, lui coupent net les jambes.

Notes :
1 — Obo : Monu­ment sacré éle­vé aux endroits dan­ge­reux pour apai­ser les dieux.

Note de bas de page : La pré­sence sur cette page d’un mor­ceau des chœurs de l’Ar­mée Rouge est pour le moins iro­nique et va à contre-emploi de la situa­tion dans laquelle s’est trou­vé l’au­teur pen­dant sa fuite, mais avouez que le chant des par­ti­sans russe est réel­le­ment un chant magnifique…
Note (bis) : Pour écou­ter des chants par­ti­sans russes, c’est par ici

Fer­dy­nand Ossen­dows­ki, Bêtes, hommes et dieux
A tra­vers la Mon­go­lie inter­dite, 1920–1921
Edi­tions Phe­bus Libretto

Après…

Read more

La neige à tra­vers la brume

Snow

La neige à tra­vers la brume
Tombe et tapisse sans bruit
Le che­min creux qui conduit
À l’é­glise où l’on allume
Pour la messe de minuit.

Londres sombre flambe et fume :
Ô la chère qui s’y cuit
Et la bois­son qui s’ensuit !
C’est Christ­mas et sa coutume
De minuit jus­qu’à minuit.

Sur la plume et le bitume,
Paris bruit et jouit.
Ripaille et Plai­sant Déduit
Sur le bitume et la plume
S’exas­pèrent dès minuit.

Le malade en l’amertume
De l’hos­pice où le poursuit
Un espoir tou­jours détruit
S’é­pou­vante et se consume
Dans le noir d’un long minuit…

La cloche au son clair d’enclume
Dans la tour fine qui luit,
Loin du péché qui nous nuit,
Nous appelle en grand costume
A la messe de minuit.

Paul Ver­laine (1844–1896)

Read more

Vierge froide et racon­tars arctiques

On a le droit de ne jamais avoir lu Jørn Riel, et on a le droit de n’a­voir jamais plon­gé tout entier dans ses pages cha­leu­reuses d’é­cri­vain explo­ra­teur per­du sur les côtes orien­tales de cette terre gelée qu’on appelle Groen­land (/gʁɔɛn.lɑ̃d/, Kalaal­lit Nunaat en groen­lan­dais) — il me sem­blait bien avoir déjà lu le mot ortho­gra­phié Groën­land, mais c’é­tait avant 1850 — et sur­tout, on a le droit de ne jamais avoir goû­té à cette expé­rience, mais c’est cer­tain, si on ne le fait pas, on risque de pas­ser à côté d’une for­mi­dable épo­pée aux allures de saga islan­daise car on consi­dère cette homme, d’o­ri­gine nor­mande et danoise, comme le plus grand témoin de la culture des inuits du Groen­land et des his­toires des pêcheurs et des chas­seurs ins­tal­lés sur cette terre sté­rile et gla­ciale. (more…)

Read more