Jan 2, 2015 | Sur les portulans |
La mer a généré en son temps des hordes de personnages étranges. Petit glossaire des gens de la mer.

Willem van de Velde le Jeune — Bataille navale de la guerre anglo-hollandaise
Pirate: Le pirate est le personnage malfaisant par définition. Il agit sans ordre d’une nation, mais pour son propre compte dans l’unique but de s’enrichir. Il s’attaque principalement aux navires battant pavillon de nations puissantes pour leur arracher leur butin, mais parcourt aussi les côtes. Parmi les plus redoutés, on compte Blackbeard (Barbe-Noire), mais les pirates ont aussi connu leurs losers. Le plus célèbre d’entre eux est sans conteste Stede Bonnet, qui a vécu à la même époque que le terrifiant Edward Teach qui trouva le moyen de se faire piller plusieurs fois par Barbe-Noire et à se faire pendre haut et court tandis que son ennemi juré fut décapité sur son navire La Revanche de la Reine Anne
par Maynard.
L’image traditionnelle du pirate est née dans les Caraïbes et a généré tout un imaginaire que des écrivains tels que Stevenson dans l’île au trésor ont su exploiter.
Corsaire: Le corsaire, à la différence du pirate, est mandaté par sa nation pour piller les richesses des nations ennemies. Le corsaire est porteur d’une lettre de course qui légitime son action. Les premiers corsaires français sont mandatés par François 1er à une époque où l’hégémonie ibérique sur les territoires du Nouveau-Monde devient insupportable.
Flibustier: Voici l’influence des Pays-Bas dans cette histoire. Ce terme vient du flamand vrij buiter
, ce qui correspond à peu près à qui s’enrichit de manière ponctuelle, libre et impunie. La flibuste se développe dans la mer des Caraïbes par des hommes peu scrupuleux naviguant sur des embarcations légères (sloops, pinasses) et rapides, vivant de rapines et n’ayant généralement pas l’étoffe de ces grands que l’on appelait pirates
. L’originalité de la flibuste, c’est l’organisation sociale très structurée et l’établissement d’une base sur la terre ferme.
Boucanier: Contrairement à l’idée reçue, le boucanier n’est pas forcément un marin. Il est souvent sédentarisé et sert de base arrière à la piraterie et à la flibuste. Le terme boucan désigne à l’origine la viande de bœuf frottée d’épices et séchée au-dessus d’un feu lent sur de longues perches installées sur les plages des petites îles caribéennes. Également hiérarchisés, les boucaniers approvisionnent les marins en vivres, nourriture et boisson.
Boucaniers et flibustiers constituent la population des “Frères de la Côte”.
L’émergence des ces populations étranges de mers prend ses racines dans le nouvel ordre mondial généré par la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. L’Espagne et le Portugal se partagent alors le monde et affrètent des galions pour vider le continent nouveau de son or. Ce trafic est incertain et soumis au vent. Dans un premier temps, les pirates vont infester les mers et les rivages pour guetter ces navires chargés d’or, mais aussi d’épices et de rhum. Ensuite, c’est sous l’impulsion de la France, des Pays-Bas et de l’Angleterre, indignés d’être ainsi écartés de cette course à la puissance, que la Guerre de Course va s’engager. Tout prend naissance dans ce creuset, entre les comptoirs établis dans les ports et la route maritime qui mène à l’Europe, dans la mer des Caraïbes, beaucoup moins armée et protégée que les côtes de l’Espagne ou du Portugal.
La distinction entre pirate et corsaire s’efface quelque fois, selon les humeurs des gouvernants. Ainsi, Francis Drake s’enrichit personnellement et abreuve la couronne d’Angleterre de richesses, tandis que le frère de la Reine, l’espagnol Philippe II mugit contre ses déprédations et finit par perdre la face en 1588 lorsque son Invincible Armada est défaite par le célèbre corsaire britannique. Pourtant, celui-ci finira empoisonné, considéré comme pirate alors que jamais il ne s’est enrichi au détriment de son pays.
Un autre corsaire célèbre, Surcouf aura une phrase qui définit bien ce qui se passait sur les mers pendant ces longs siècles. A un Anglais qui lui dit: Vous vous battez pour l’argent alors que nous autres soldats de la Marine nous nous battons pour l’honneur !
, il rétorquera: Alors nous nous battons tous les deux pour ce que nous n’avons pas…
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Quelques liens:
Billet sauvé de la noyade depuis Empty Quarter.
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Sep 2, 2014 | Histoires de gens |
5 septembre 1914, la guerre a été déclarée deux mois auparavant. La suite on la connaît (enfin, j’espère) ; des milliers de morts, une boucherie sans nom, des hommes qui se battent pour des gens qu’ils ne connaissent pas et dont ils ne connaissent pas les intentions. L’Europe finira exsangue et meurtrie. La France, elle, ravagée, fera le terreau du nazisme en saignant une population allemande aux abois et mourant de faim.
5 septembre 1914, donc, la guerre vient de commencer. La 19e compagnie du 276e régiment d’infanterie (VIe armée Maunoury) est mobilisée dès le mois d’août et les soldats et officiers réservistes sont envoyés sur le front, dans la fournaise de ce qu’on appellera par la suite la Première Bataille de la Marne, une tuerie qui durera sept jours complets. Un des premiers hommes à tomber ce premier jour de la bataille est un des officiers, un lieutenant, à la tête d’une colonne de quelques hommes, un homme fier qui tançait ses soldats en les priant de ne pas céder la moindre parcelle à l’ennemi et l’on sait par la suite que la mémoire de cet homme fut récupéré par le gouvernement de Vichy pour en faire un martyr national, lui qui n’était qu’un pauvre bougre qui ne devait certainement pas savoir qu’on l’enverrait se faire descendre et qui tombera d’une balle dans le front qui a certainement dû stopper net un geste peut-être trop théâtralisé pour être sincère. Il ne reviendra pas chez lui, tué dans les premiers instants de cette guerre terrible, et ne verra pas son fils qui naîtra en février 1915.
Cet homme, c’est un de ses soldats qui en parle avec des trémolos dans la voix et une fierté délicate d’homme qui a été pris dans le tourment et qui ne s’attendait à voir un homme bien tomber aussi rapidement, avec cette emphase un peu gouailleuse qu’avaient les hommes de cette époque et dont la dignité s’affichait sur le plastron comme une médaille d’honneur, malgré quelques dents absentes ou gâtées qu’une fine moustache vient à peine voiler. Cet homme, c’est Victor Boudon, qui racontera les derniers instants de son lieutenant dans son livre, Mon Lieutenant Charles Péguy.
Non, on n’a pas eu peur, mais la peur est un sentiment que tout homme connaît, que tout soldat connaît, ceux qui viendront vous dire je n’ai pas eu peur, mais ils mentent ceux-là…
Charles Péguy ne sera jamais inscrit au titre des morts de la bataille de la Marne car il est mort le 5 septembre. Le début officiel de cette bataille est le 6 septembre.
http://youtu.be/9ge3Ksd4Dsc
Photo d’en-tête © 2010 Préfecture de Paris et d’Ile-de-France
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Jan 11, 2014 | Livres et carnets |
William T. Vollmann, c’est un peu l’écrivain fou. Physique de bûcheron aux origines consanguines, habillé comme s’il revenait de l’équarrissage des chevaux perdus dans les monts ténébreux du Montana, l’écrivain est un personnage hors-norme. Hors-norme aussi est son œuvre, composée de pavés surnuméraires en terme de pages, mais sa prolixité cache à demi-mots le souhait d’exhumer de l’histoire de son pays les origines d’un phénomène polymorphe qui tourne autour de l’investissement par l’Europe des terres américaines, la civilisation en quelque sorte, et c’est dans ce sens qu’il conduit cet énorme projet des « sept rêves », dont La tunique de glace est le premier volet. L’auteur est clair, personne n’est obligé de les lire dans l’ordre, mais la fresque est là, à disposition, même si elle n’est pas encore terminée.
[audio:fram.xol]
Ragnheiður Gröndal chante Fram á reginfjallaslóð
Album Þjóðlög (2006)

William T. Vollmann en 2005. Photo Kent Lacin / pour LA Times
Pour revenir au livre lui-même que je n’ai pas encore terminé, c’est une immense épopée qui remonte aux premiers temps des grandes sagas vikings et islandaises depuis les origines sombres jusqu’au frémissement de la découverte de ce territoire inconnu, presque mythique qu’est le Vinland, qu’on appellera plus tard l’Amérique, mais qui n’est certainement que Terre-Neuve ou le golfe du Saint-Laurent. Le texte s’appuie sur des sources réelles et en fait une synthèse bouillonnante d’histoires entrecroisées, du temps des premiers colons mais aussi dans les temps contemporains sur les terres du Groenland.
Si j’ai eu du mal à commencer le livre, parce qu’il me semblait trop abstrait, trop touffu, je trouve l’écriture non pas belle, mais sauvage, ardue parfois, terriblement terrienne, c’est une écriture organique et sensuelle, qui pue autant la glace que la mort et la graisse de phoque ou la pelisse d’ours. C’est une écriture chamanique qui racle et qui renâcle. J’en veux pour preuve cet extrait grandiose qui n’a qu’une seule vocation, parler de la boue…

Le havre de son âme, la baie de Fundy 1987
L’herbe, aussi marron que si elle avait mariné, est tout aplatie par la main énorme de la marée. Il s’en étend une plate étendue à perte de vue. La moitié du temps, elle est recouverte par la mer, et l’eau est pareille au climat, et l’on ne peut discerner la nature profonde de Freydis, mais comme la marée s’est à présent retirée, nous pouvons avancer et pénétrer loin à l’intérieur de Ferydis, nos pas s’enfonçant dans cette herbe élastique et accueillante, criblée çà et là de flocons de boue épars ; il y a de la boue dans les petits méandres remplis d’une eau de mer couleur de vinaigre. Dans ces méandres, l’eau est très calme, reflétant les herbes qui la surplombent, sauf aux endroits où des accrétions d’algues flottent, comme dissoutes, et barbouillent le tableau. Les méandres se jettent dans de plus grands lagons d’eau brune. La mer est si calme qu’il est difficile d’apercevoir la moindre vague. Une herbe verte et luxuriante pousse sur les rives boueuses ; des sternes grises survolent l’herbe. Dans la boue se dressent de fins morceaux d’ardoise pointus. – A la lisière de l’herbe brune s’alignent des petits monticules de boue duveteuse, qu’on pourrait prendre à première vue pour les restes épars de quelque animal mort. Puis survient une petite butte boueuse, montant jusqu’à la taille, du haut de laquelle on peut apercevoir une plaine de boue grise et détrempée, piqueté de chaume vert, tachée d’algues vertes et d’argile rouge, parsemée de pierres et de flaques duveteuses suintantes. Une pierre qu’on y jette s’y enfonce presque complètement, avec un bruit humide et visqueux. Cette boue a la consistance de la diarrhée. – Le long des rives du lagon, l’herbe est rase par endroits, comme pelée, et révèle un lit de sable ; on peut y apercevoir de minuscules coquillages blancs. – Il est possible de sauter sur les bancs de terre humide et marbrée de quelque cours d’eau étroit et de se tenir debout sur la boue dans l’espoir de voir l’océan enfui, mais alors l’herbe se dérobe et l’on glisse inexorablement, de longs cheveux d’herbe brune accrochés aux chaussures, dans les profondeurs de l’onde sale, au fil de laquelle nage un long filament vert d’algues à moitié dissoutes, premier indice annonciateur de la marée montante. Tout sera bientôt dissimulé de nouveau.
Bien à l’intérieur des terres, debout sur un solide pré d’herbe et de pissenlits, on pourrait croire qu’on a mis derrière soi cet enfer boueux, mais c’est alors qu’on tombe sur d’inexplicables empilements de flocons rocheux, chacun de ces flocons plus fin qu’une tuile au gingembre, et l’on comprend que l’on ne s’en est pas encore débarrassé et qu’on ne s’en débarrassera jamais.
William T. Vollmann, La Tunique de Glace
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty,
The ice-shirt (1990)
Le cherche-midi, collection Lot 49, 2013
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Jan 10, 2014 | Arts |
A ce jour, ce sont 562 vidéos, 302 essais et des centaines d’œuvres d’art décrites qui sont présentés sur le site de la Khan Academy, une grande université ouverte et gratuite en ligne habituellement tournée vers les sciences. Les vidéos sont courtes et très bien expliquées (en anglais) ; du grain à moudre pour ceux qui veulent avoir une bonne introduction à l’histoire de l’art, réviser leur anglais et naviguer sur un site fluide. Smarthistory.

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Jan 1, 2014 | Sur les portulans |

Ebenezer Howard
Le concept de cité-jardin nous vient de l’imagination fertile et de l’observation de la difficulté de mettre en place une politique sociale de l’urbaniste britannique Ebenezer Howard. L’homme part s’installer aux États-Unis et se confronte au milieu rural et agricole en travaillant dans les champs, puis à Chicago juste après le grand incendie de 1871, où il assiste à la reconstruction de l’espace urbain et où il fait la connaissance de Frederick Law Olmsted, un architecte paysagiste qui sera à l’origine de Central Park en plein cœur de New-York. Le véritable tournant de son histoire prend forme à son retour au Royaume-Uni ; en trouvant un emploi de rédacteur des rapports officiels du Parlement, il passe une grande partie de son temps à rédiger des rapports sur les comités et les commissions. Dans une Angleterre peu habituée à traiter la question du logement aussi bien que la question sociale, il se rend bien compte, depuis sa position, que le pays est bien mal en point pour traiter ces questions. (more…)
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