Ayut­thaya sto­ries #3 : La Chao Phraya à Ayut­thaya sous une lumière d’ambre

Ayut­thaya sto­ries #3 : La Chao Phraya à Ayut­thaya sous une lumière d’ambre

Ayut­thaya est une ville étrange, entiè­re­ment entou­rée d’eau, un île-ville, à moins que ce ne soit le contraire. Du nord des­cendent deux rivières, la Lop­bu­ri (แม่น้ำ ลพบุรี) et la Pa Sak (แม่น้ำป่าสัก), du nord-ouest des­cend la majes­tueuse Menam Chao Phraya (แม่น้ำเจ้าพระยา), le fleuve sur lequel est assise Bang­kok, sépa­rant la méga­lo­pole de l’an­cienne capi­tale Thon­bu­ri, beau­coup plus dis­crète et char­mante avec ses khlongs (คลอง) sillon­nant les quar­tiers pauvres et luxu­riants de végé­ta­tion. La Chao Phraya contourne la ville par l’ouest, la Pa Sak par l’est, encer­clant la ville en une forme de poche où, au sud, elles se rejoignent ; la Chao Phraya prend le des­sus et des­cend seule vers la mer. Un canal a été creu­sé au nord, reliant les deux rivières et trans­for­mant ain­si la ville en île, l’eau enser­rant dans ses bras l’an­tique ville royale. En y regar­dant de plus près, on se rend compte à quel point le réseau flu­vial est émi­nem­ment plus com­pli­qué, ce qui n’a pas jamais vrai­ment faci­li­té le tra­vail de nos car­to­graphes occi­den­taux lors des pre­mières ten­ta­tives aux XVIIè et XVIIIè siècles.

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Au pied de l’hô­tel bai­gnant ses pieds dans la rivière sacrée, une petite barque moto­ri­sée, en fait un long-tail boat (Ruea Hang Yaoเรือหางยาว) cou­vert attend l’heure du départ pour visi­ter la ville par les rives. Il est 16h00 et la lumière com­mence déjà à revê­tir ses habits de nuit. Lorsque je revien­drai, l’heure dorée écla­te­ra de mille feux. En par­cou­rant la vieille ville dans le sky­lab de Mr Sihn, je découvre la vie du quar­tier dans lequel je vis et notam­ment U‑Thong Road, qui a ce mérite de faire tout le tour de la ville.

Thaïlande - Ayutthaya - 113 - Rues d'Ayutthaya

Thaïlande - Ayutthaya - 115 - Rues d'Ayutthaya

Thaïlande - Ayutthaya - 118 - Rues d'Ayutthaya

Ven­deurs de fruits, échoppes rou­lantes pro­po­sant des plats à empor­ter, répa­ra­teurs de 2 roues consti­tuent la majo­ri­té de ce qu’on peut trou­ver ici. La plu­part des com­mer­çants sont musul­mans, ce qu’on peut remar­quer par leur façon de s’ha­biller ou l’ab­sence des sem­pi­ter­nels por­traits des ancêtres dont les boud­dhistes décorent leur inté­rieur, ou des petits temples rouges entur­ban­nés par la fumée épaisse des com­merces chi­nois. On trouve ici les Roti Sai Mai (โรตีสายไหม), la spé­cia­li­té d’Ayut­thaya. Pas facile de com­prendre ce que sont ces sacs gon­flés d’air, conte­nant des fils enche­vê­trés de toutes les cou­leurs et ali­gnés sur les étals. C’est en réa­li­té du sucre can­di, ou plu­tôt comme des fils de barbe-à-papa colo­rés et par­fu­més à tout ce qu’on veut (banane, noix de coco, fraise, pis­tache — arômes arti­fi­ciels bien évi­dem­ment…) que l’on mange dans des petites crêpes qui peuvent elles-mêmes être par­fu­mées. Pour ma part, j’ai goû­té des crêpes à la pis­tache avec du sucre can­di aro­ma­ti­sé à la fraise. Rien de trans­cen­dant ; ce n’est que du sucre par­fu­mé, mais je ne suis pas si éton­né que ça de voir le suc­cès que ça peut avoir auprès des Thaïs, très friands de sucre en géné­ral (sur­tout dans les sodas qui sont hor­ri­ble­ment plus sucrés qu’en France).

Thaïlande - Ayutthaya - 119 - Sur la Chao Phraya

Thaïlande - Ayutthaya - 122 - Sur la Chao Phraya

Thaïlande - Ayutthaya - 123 - Sur la Chao Phraya

Pour l’ins­tant, me voi­ci par­ti sur la petite barque pro­pul­sée par un bruyant moteur de voi­ture mon­té sur une perche. Sur les rives de la Chao Phraya, on peut voir les mai­sons construites sur pilo­tis, les pieds dans l’eau la plu­part du temps lorsque le ter­rain le per­met. Si beau­coup ont une appa­rence assez misé­rables, rafis­to­lées de plaques de tôle bran­lantes et de planches pour­ries, recou­vertes de bâches en plas­tique bleu, d’autres sont très bien entre­te­nues, en bois le plus sou­vent, peintes dans des cou­leurs vives et équi­pées de petites ter­rasses où sèche tant bien que mal le linge domes­tique. L’eau trouble de la rivière char­rie des îles entières de jacinthes d’eau qui pul­lulent tran­quille­ment mal­gré les remous des embar­ca­tions. Le bateau sur lequel je me trouve fait le tour de la ville dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. A l’ho­ri­zon, un temple immense se des­sine, avec ses toits à plu­sieurs étages poin­tus, juste sur la rive, à l’embouchure de la Pa Sak et de la Chao Phraya. C’est la sil­houette du Wat Pha­nan Choeng Wora­wi­han (วัดพนัญเชิง), dont le plus haut bâti­ment est presque deux fois plus grand que tous les autres. L’é­trave tout en finesse se taille une route dans les îles de jacinthes, qui ne cha­virent pas pour autant. Lorsque j’ar­rive sur le quai, une petite dame ron­douillarde dans sa gui­toune per­çoit un droit d’en­trée pour l’ac­cès au temple, par lequel on peut par ailleurs accé­der gra­tui­te­ment en arri­vant par la terre et indique une direc­tion en bre­douillant quelques mots dans un anglais mâché que je ne sai­sis pas vrai­ment, mais j’i­ma­gine que le plus haut des wat est la direc­tion qu’il faut suivre.

Thaïlande - Ayutthaya - 124 - Wat Phanan Choeng

Thaïlande - Ayutthaya - 125 - Wat Phanan Choeng

Je remonte la rivière avec l’es­poir d’une pro­messe qui sera tenue. Il fait encore très chaud et ma che­mise conti­nue d’ab­sor­ber en silence la sueur qui coule dans le creux de mes reins. J’ai la sen­sa­tion d’ar­pen­ter des lieux en dehors du temps, mal­gré la foule qui se rend ici dans l’op­tique de ser­vir les icônes de leur reli­gion, ou peut-être d’ob­te­nir des grâces que leur vie simple ne leur offre pas. Il règne une sorte de fébri­li­té dis­crète et de joies déli­cates d’être ensemble en famille.

Thaïlande - Ayutthaya - 126 - Wat Phanan Choeng

Une foule de Thaïs se presse devant l’en­trée où tout le monde converge vers une porte étroite qui ne laisse pas­ser que deux ou trois per­sonnes à la fois. On per­çoit une fer­veur intense, un je-ne-sais-quoi de pro­fon­dé­ment fébrile à l’i­dée d’en­trer dans ce lieu qui n’a d’ex­cep­tion­nel que la taille du Boud­dha doré qui se trouve assis sous la voûte du toit, dont les genoux font deux fois ma taille. Mal­gré son aspect ruti­lant, c’est un Boud­dha beau­coup plus vieux que la plu­part de ceux qu’on peut voir en Thaï­lande, puis­qu’il date de 1324 ; il porte le doux nom de Luang Pho Tho (หลวงพ่อโต) pour les Thaïs et Sam Pao Kong (ซำเปากง) pour les Thaïs d’o­ri­gine chi­noise et se trouve être le pro­tec­teur des marins (d’eau douce, en l’oc­cur­rence). Les Bir­mans l’ont plu­sieurs fois sac­ca­gé, mais il a été res­tau­ré pour revê­tir l’ap­pa­rence majes­tueuse qu’on peut voir aujourd’hui.

Thaïlande - Ayutthaya - 128 - Wat Phanan Choeng

Thaïlande - Ayutthaya - 131 - Wat Phanan Choeng

Les Thaïs le contournent par la gauche, comme il se doit, avant de frap­per la peau d’un immense tam­bour dont je res­sens les vibra­tions dans la poi­trine, et qui est cen­sé por­ter chance. Der­rière le grand homme doré, des femmes s’af­fairent à plier les kilo­mètres de toile cou­leur safran que les fidèles offrent en signe de véné­ra­tion. Toute une équipe est dédiée, par un sys­tème ingé­nieux de cordes, à dévê­tir le prince pauvre pour le revê­tir de linge propre et d’un orange écla­tant. Tout se passe dans une ambiance à la fois bon-enfant et res­pec­tueuse. Je m’a­muse plus à obser­ver la pié­té des fidèles devant cette gigan­tesque masse si impo­sante qu’on n’ar­rive pas en voir toutes les par­ties au niveau du sol plu­tôt que m’ex­ta­sier devant un Boud­dha qu’il est dif­fi­cile d’ap­pré­hen­der. Les enfants s’a­musent à faire réson­ner le tam­bour le plus fort possible.

Thaïlande - Ayutthaya - 132 - Wat Phanan Choeng

Thaïlande - Ayutthaya - 135 - Wat Phanan Choeng

Thaïlande - Ayutthaya - 136 - Wat Phanan Choeng

Thaïlande - Ayutthaya - 137 - Wat Phanan Choeng

Dehors, un petit temple peint en rouge arbore des idéo­grammes chi­nois sous les­quels brûlent des cen­taines de bâtons d’en­cens. C’est un temple boud­dhiste chi­nois, appa­rem­ment très fré­quen­té. Je retourne vers la bateau qui m’at­tend au pon­ton, où une troupe de Thaïs s’a­muse à jeter par poi­gnées entières des boules de cou­leurs aux énormes pois­sons-chats qui se che­vauchent pour attra­per leur nour­ri­ture. Plus qu’une habi­tude, c’est un geste sacré de nour­rir ces pois­sons (Pan­ga­sia­no­don gigas) dont les plus gros spé­ci­mens dépassent le mètre. Il paraît qu’un pêcheur a sor­ti de l’eau un spé­ci­men mesu­rant plus de trois mètres pour 293 kilos. On les voit pul­lu­ler ici, mais aus­si en plein Bang­kok, et leur nombre paraît si impres­sion­nant qu’il masque tota­le­ment le fait que c’est une espèce en voix d’ex­tinc­tion, vic­time de la sur­pêche. Cer­tains de ces pois­sons n’hé­sitent pas à se mon­ter les uns sur les autres pour attra­per la nour­ri­ture, mon­trant par­fois leur ventre blanc rebon­di au ciel… Le fait de savoir ces fleuves majes­tueux infes­tés de ces gros pois­sons les rendent un peu inquié­tants ; même si ces bêtes sont loin d’être car­ni­vores, l’i­dée de les côtoyer, moi qui adore l’eau mais uni­que­ment lorsque je suis des­sus et non dedans, me donne des sueurs froides.

Thaïlande - Ayutthaya - 138 - Sur la Chao Phraya

Thaïlande - Ayutthaya - 140 - Sur la Chao Phraya

Thaïlande - Ayutthaya - 141 - Sur la Chao Phraya

La petite embar­ca­tion remonte la rivière Pa Sak vers le nord, à contre-cou­rant, le long des rives dont cer­taines sont plan­tées de petits temples entou­rant un che­di blanc, soli­taire, se décou­pant sur le ciel cou­leur de miel. Des barges pour­rissent, encore atta­chées à leur pon­ton, par­mi les jacinthes d’eau qui enva­hissent tout, au pied de mai­sons en bois dont les ter­rasses laissent libre cours à la flâ­ne­rie de ceux qui s’y pré­lassent. Des entre­pôts en bois doit les pieds baignent dans la rivière semblent sur le point de s’é­crou­ler au pre­mier coup de vent, mais les Thaïs sont des bâtis­seurs de pre­mier ordre, et même si leurs construc­tions ne sont pas faites pour durer dans le temps, elles sont au moins pré­vues pour durer le temps de leur uti­li­sa­tion. Rien de plus, rai­son pour laquelle on peut voir des usines entières som­brer dans l’eau des maré­cages, désor­mais inutiles et inuti­li­sables, leur longues che­mi­nées de briques dai­gnant encore poin­ter leurs doigts effi­lés vers le ciel.

Thaïlande - Ayutthaya - 143 - Sur la Chao Phraya

Thaïlande - Ayutthaya - 144 - Sur la Chao Phraya - Elephant

Thaïlande - Ayutthaya - 146 - Sur la Chao Phraya

Sur les berges, on peut voir des élé­phants lon­ger la rive en se balan­çant comme le font les ani­maux en cap­ti­vi­té ; des chaînes entravent les pieds mas­sifs de ces énormes pachy­dermes qu’on contraint à res­ter au même endroit pour le spec­tacle, mais cette exhi­bi­tion me désole. Je pré­fère ne rien rete­nir de ces moments qui ne me sont pas des­ti­nés. Je fais signe au nau­to­nier de conti­nuer son che­min et je m’en­gouffre dans ce canal plus étroit qui a été creu­sé au nord pour relier les deux rivières, entou­rant ain­si la vieille ville d’eau pour en faire une île, un immense navire pro­té­gé natu­rel­le­ment du reste du pays. L’embarcation file jus­qu’à rejoindre un lieu beau­coup plus boi­sé, où les ter­rasses de petits res­tau­rants coquets, déjà fré­quen­tés par ceux qui ne tra­vaillent plus, avancent dans l’eau et la surplombe.

Thaïlande - Ayutthaya - 147 - Wat Chaiwatthanaram

Un immense che­di blanc et doré (Che­di Sri Suriyo­thai) se pro­file sur la gauche ; c’est l’u­nique ves­tige d’une rési­dence royale, por­tant le nom d’une reine du Siam ayant vécu au XVIè siècle, icône d’un cer­tain natio­na­lisme un peu dépla­cé. La moi­tié supé­rieure de monu­ment, entiè­re­ment recou­verte d’or, res­plen­dit dans l’air du soir, ren­voyant la lumière du soleil alen­tour, tel un phare immo­bile au pied de la rivière sacrée.

Thaïlande - Ayutthaya - 149 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 150 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 152 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 153 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 155 - Wat Chaiwatthanaram

Tan­dis que le soir est prêt à tom­ber, que le soleil plonge vers l’ouest, il reste sus­pen­du dans l’air vapo­reux au-des­sus de la sil­houette pas tout à fait incon­nue d’un grand temple, le cei­gnant d’une cou­ronne de lumière d’ambre. Je dis pas tout à fait incon­nue car je me trouve face à un temple, le Wat Chai Wat­tha­na­ram, qui peut faire pen­ser aux ombres dan­santes des temples khmers d’Ang­kor, même si celui-ci est plus tar­dif. Son prang prin­ci­pal, construit dans le style Khom, est un chef‑d’œuvre d’ar­chi­tec­ture qui culmine à 35 mètres de haut. Sa construc­tion géo­mé­trique lui donne fière allure et les huit che­di qui l’en­tourent forment une pro­me­nade un peu déso­lante, car les sta­tues de Boud­dha qui la jonchent sont elles aus­si meur­tries, déca­pi­tées depuis l’in­va­sion des Birmans.

Thaïlande - Ayutthaya - 156 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 157 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 158 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 160 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 164 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 167 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 169 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 172 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 173 - Wat Chaiwatthanaram

Le temple n’a été res­tau­ré et rou­vert au public que depuis 1992. Les plus grandes sta­tues ont été res­tau­rées elles aus­si, sur­mon­tées de têtes en ciment inex­pres­sives et sans charme. Cer­taines des sta­tues servent de repo­soirs à oiseaux qui ne se gênent pas pour s’ou­blier sur les épaules du Prince Sid­dhar­tha. La brique affleure par­tout, seuls quelques che­di arborent encore des traces de stuc blanc, entre les mau­vaises herbes qui poussent dans l’ap­pa­reillage de briques bran­lantes. L’air sent bon la fraî­cheur des maré­cages, un je-ne-sais-quoi de végé­tal chaud, de terre char­gée d’his­toire, enro­bée de la cha­leur moite d’une fin de jour­née au cœur de la Thaï­lande. Le soleil se cache der­rière une brume épaisse qui donne au pay­sage une cou­leur intem­po­relle dans une fin de jour­née qui s’é­tire dans un soir éter­nel. Le disque orange se montre dans toute sa beau­té, illu­mi­nant les pierres aban­don­nées dans un décor de fin du monde…

Thaïlande - Ayutthaya - 175 - Wat Phutthaisawan

Thaïlande - Ayutthaya - 176 - iuDia

La ter­rasse de la suite Okun, hôtel iuDia, ma chambre…

Thaïlande - Ayutthaya - 177 - iuDia

Le long-tail boat me ramène au pied de l’hô­tel tan­dis que le soleil a fini par s’é­va­nouir der­rière l’ho­ri­zon. La sil­houette éti­rée du Wat Phut­thai­sa­wan semble attendre la nuit dans son écrin arbo­ré. Le corps four­bu, la peau cuite par un soleil que je n’ai même pas vu, je pro­fite des der­niers ins­tants du jour pour plon­ger dans la pis­cine de l’hô­tel depuis laquelle je vois les pre­mières lumières s’illu­mi­ner sur le temple de l’autre côté de la rivière sacrée. C’est un moment unique, un de ceux que l’on aime­rait voir durer toute une vie et qui ne sont au final que les touches finales qui servent à don­ner au voyage une cou­leur que les rudes ins­tants de la vie n’ar­rivent pas à effa­cer. Tan­dis que je flotte sur l’eau claire de la pis­cine, les yeux tour­nés vers le ciel, je me remé­more cette chaude jour­née, ma pre­mière en Thaï­lande dans ce nou­veau périple, pas­sant mes doigts sur ma poi­trine libre comme pour mieux lais­ser mon cœur se repaître de ce pays aux accents magiques. J’en­tends l’ap­pel du muez­zin, quelque peu incon­gru dans un pays où les boud­dhistes sont rois, en regar­dant la rivière dont je me demande si le cou­rant n’a pas chan­gé de sens depuis ce matin…

Le soir venu, je remonte U‑Thong road vers les res­tau­rants qui flottent sur la rivière et jette mon dévo­lu sur une adresse que je ferai tout pour oublier, le Sai­thong River. Ce n’est ni plus ni moins qu’une can­tine sans charme dans laquelle je pen­sais pou­voir trou­ver mon compte, mais ce n’est qu’une usine à tou­ristes où les ser­veuses poussent à la consom­ma­tion en rem­plis­sant mon verre de bière à chaque gor­gée, où la nour­ri­ture est grasse et sans raf­fi­ne­ment ; ambiance pour Chi­nois affai­rées à se rem­plir de whis­ky coca fas­ci­nés par un gui­ta­riste folk qui reprend des stan­dards occi­den­taux pour évi­ter le dépay­se­ment. Je me rem­plis l’es­to­mac et quitte l’en­droit avec empres­se­ment pour rejoindre la ter­rasse de ma chambre sur la rivière ; ici il fait calme et doux, seul le cla­po­tis de la rivière vient per­tur­ber mes doux rêves d’Ayut­thaya, et la bière ache­tée au 7/11 prend tout de suite une autre saveur…

Je m’en­dors en me deman­dant ce qu’il peut y avoir au cœur de tous ces prang

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Ayut­thaya sto­ries #2 : Boud­dhas, viharns et ubo­soths à Ayutthaya

Ayut­thaya sto­ries #2 : Boud­dhas, viharns et ubo­soths à Ayutthaya

Lorsque j’ouvre les yeux, il est déjà 9h00. Trop tard pour moi, le monde alen­tour s’a­muse déjà sans m’at­tendre. Il fait bon dans la chambre et la nuit a été repo­sante, mais dehors il fait déjà chaud, et la lumière du matin revêt des appa­rences de sable maré­ca­geux, un ocre jaune qui teinte ma peau d’une étrange cou­leur. Je vais devoir m’y habi­tuer, la lumière d’i­ci est incom­pa­rable, ne res­semble à rien de ce que je connais. Quelques bateaux passent à une dizaine de mètres de ma ter­rasse sur laquelle je me pré­lasse après un petit déjeu­ner somme toute assez moyen et une douche qui me décrasse de l’at­mo­sphère pois­seuse de l’a­vion. Deux écu­reuils for­niquent dans le fran­gi­pa­nier qui me sert de para­sol tan­dis que j’en­tends mon­ter les pirith d’un moine priant dans le temple de l’autre côté de la rivière. Dans la lumière du matin, je me rends compte que plu­sieurs des che­di du Wat Phut­thai­sa­wan sont en réa­li­té en brique nue, un seul est encore recou­vert de ciment blan­chi. C’est un temple qui reste magni­fique mal­gré le peu d’in­té­rêt que lui portent les touristes.

Thaïlande - Ayutthaya - 001 - Pont dans la vieille ville

Thaïlande - Ayutthaya - 002 - Elephants

Ayut­thaya est une ancienne ville royale. Son vrai nom est Phra Nakhon Si Ayut­thaya, (พระนครศรีอยุธยา). Le début de l’his­toire de cette ville remonte à 1350, date de sa fon­da­tion pour le roi U‑Thong (Rama­thi­bo­di Ier) , d’o­ri­gine chi­noise et pre­mier roi du Royaume d’Ayut­thaya qui fut pen­dant quelques temps la capi­tale de ce qu’on appelle aujourd’­hui la Thaï­lande. Mais les Bir­mans, conduits par le roi Bayin­naung (ဘုရင့်နောင်), détrui­sirent la ville en 1569 après un long siège qui fit alors du Siam une pro­vince vas­sale de son empire. Exsangue, la ville d’Ayut­thaya fut détruite à nou­veau par les Bir­mans et défi­ni­ti­ve­ment aban­don­née comme capi­tale en 1767, date à laquelle le géné­ral Tak­sin (Borom­ma Rat­cha­thi­rat VI — สมเด็จพระเจ้าตากสินมหาราช) se replie sur Thon­bu­ri, sur la rive droite de Bang­kok, pour en faire sa capi­tale et s’y faire couronner.
Le nom d’Ayut­thaya est direc­te­ment issu du nom de la ville indienne Ayod­hya (अयोध्या , qui ne peut être conquise), ville mythique et capi­tale du grand Rāmā, héros du Rāmāya­na.

Thaïlande - Ayutthaya - 003 - Skylab

Thaïlande - Ayutthaya - 004 - Promenade dans la ville

Voi­là pour­quoi je suis ici, parce que c’est une ville d’im­por­tance majeure et qu’il en reste quelques ruines, même si la proxi­mi­té avec la Pa Sak et la Chao Phraya l’a plu­sieurs fois inon­dée au point que les fon­da­tions des plus beaux temples sont aujourd’­hui for­te­ment mena­cées. Les temples s’en­foncent tout dou­ce­ment dans le sol maré­ca­geux, les stucs s’ef­fritent et les sta­tues de Boud­dha déca­pi­tées par les Bir­mans lors de leurs raz­zias suc­ces­sives assistent avec impuis­sance à la chute de la gran­deur de cette ville royale qui dis­pa­raît avec une len­teur inexo­rable dans un sol regor­geant du sang des sol­dats. En 2011, toute la région dis­pa­raît sous l’eau de la mous­son, pro­vo­quant des glis­se­ments de ter­rains et rava­geant des terres agri­coles. 270 per­sonnes ont péri dans cette catas­trophe. Il ne reste que des amas de briques bran­lantes, des che­di tor­dus, des murs qui ondulent, des colonnes bri­sées, des espla­nades qui ont été fou­lées par des rois, des moines, une armée de sol­dats, qui tous, ont fait l’his­toire. Alors je suis venu ici parce que je serai peut-être un des der­niers témoins de la gran­deur de cette ville dont les pierres me susurrent à l’o­reille qu’il ne faut pas oublier les lieux qui ont fait les peuples, et les peuples qui ont don­né vie aux lieux.

Thaïlande - Ayutthaya - 005 - Banian

Thaïlande - Ayutthaya - 006 - Wat Maha That

A Ayut­thaya, pas de tuk-tuk comme à Bang­kok, mais des Sky­lab. C’est à peu près la même chose sauf qu’au lieu d’être (mal) assis dans le sens de la route, on se tient de chaque côté de la petite chose péta­ra­dante, sur des ban­quettes par­fai­te­ment incon­for­tables, mais cela reste le moyen le plus (non pas éco­lo­gique, même si ces bébêtes roulent au gaz pro­pane) (non pas confor­table, non non)… je ne sais pas, pit­to­resque ? Agréable ? Le plus pra­tique… pour visi­ter la ville. Contrai­re­ment à la vieille ville de Sukh­to­thaï qui n’est pas habi­tée à l’in­té­rieur, Ayut­thaya reste vivante et les habi­tants de la ville ne font qu’un avec leur patri­moine. Je monte à l’in­té­rieur d’un de ces petits sky­labs, un tout bleu mis à dis­po­si­tion par l’hô­tel pour me rendre dans les temples. Si la ville paraît petite sur le plan, par­cou­rir la ville à pied serait absurde. Les dis­tances sont beau­coup trop longues et arpen­ter de longues ave­nues droites et sans charme, et sur­tout sans trot­toirs, serait une perte de temps mani­feste ; et pour­tant, je reste un grand par­ti­san de la marche à pied (mon aven­ture de Yogya­kar­ta res­te­ra dans les annales de la ran­don­née). Le chauf­feur s’ap­pelle Mr Sinh, c’est un grand bon­homme qu’on sent bon vivant, la cin­quan­taine asia­tique (il fait dix ans de moins), ser­viable et dis­cret ; il se fait payer à l’heure et me fait bien com­prendre qu’il peut m’emmener par­tout où je le désire. Plu­sieurs fois, il sera assez sur­pris de ce que je lui demande…

Thaïlande - Ayutthaya - 007 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 011 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 014 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 018 - Wat Maha That

Le pre­mier temple que je choi­sis est assu­ré­ment un des plus connus, un des plus grands aus­si. Une fois sur place, je suis assez éton­né de voir qu’il n’y a pas grand-monde, ce qui n’est pas pour me déplaire. Il fait une cha­leur de four­naise sous un soleil déjà haut, même si le ciel reste cou­vert tout le temps. Le Wat Maha That est situé en plein cœur de la ville. Sa construc­tion remonte à l’é­poque de sa fon­da­tion ; le roi Som­det Phra Borom­ma­ra­cha­thi­rat, troi­sième roi d’Ayut­thaya, en com­mence l’é­di­fi­ca­tion en 1374, à deux pas du Palais Royal. Le plan en est, comme sou­vent dans les Wat les plus anciens, émi­nem­ment simple. On y entre par le côté sud pour y cir­cu­ler dans le sens inverse des aiguilles d’une montre (ce qui n’est pas très boud­dhiste puisque la cir­cu­mam­bu­la­tion — Pra­dak­shi­na — se fait tou­jours par la gauche, dans le sens de la marche du soleil, la sta­tue du Boud­dha ou le che­di à sa droite). Au centre, se trouve le Prang1 prin­ci­pal, entou­ré d’une cour car­rée. A l’est, le grand viharn (salle de prière) et à l’ouest, le ubo­soth (salle d’or­di­na­tion). Les autres viharn sont dis­po­sés de chaque côté mais de manière assez aléa­toire, de même que les che­di et les petits prang.

Thaïlande - Ayutthaya - 019 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 021 - Wat Maha That

Non loin de l’en­trée, on trouve la fameuse tête de Boud­dha empri­son­née dans les racines d’un ficus. Per­sonne aujourd’­hui ne sait d’où vient cette tête ni ce qu’elle fait là, mais ce qui est cer­tain, c’est qu’a­près le pas­sage des Bir­mans qui se sont achar­nés à détruire toutes les têtes les plus acces­sibles, celle-ci fait office de miraculée.

Thaïlande - Ayutthaya - 024 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 025 - Wat Maha That

La nature ici reprend ses droits et les arbres qui poussent de manière assez anar­chique dans la cour du temple sont consi­dé­rés comme sacrés, même s’ils s’emploient assez inexo­ra­ble­ment à déchaus­ser les pierres dans les­quelles ils poussent et à consti­tuer un par­fait par­cours du com­bat­tant pour le mal­adroit que je suis. Plu­sieurs fois, je manque de me retrou­ver face contre terre à cause de ces mau­dites racines qui ne trouvent rien de mieux à faire que labou­rer la terre dans l’a­nar­chie la plus totale.

Thaïlande - Ayutthaya - 028 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 030 - Wat Maha That

Même si j’ai conscience de me trou­ver dans un lieu de mémoire, je me rends à l’é­vi­dence que ce spec­tacle est assez triste. L’é­tat de déla­bre­ment du temple me pince le cœur. Boud­dhas démem­brés, déca­pi­tés, sculp­tés dans un grès patiem­ment ron­gé par les pluies, plâtres décon­fits et se déta­chant par plaques entières, le Wat Maha That s’é­va­nouit tout dou­ce­ment dans les arcanes du temps. Il ne reste que deux figures de Boud­dha com­plètes, majes­tueuses et silen­cieuses, assises de chaque côté du plus grand des Prang, dans la posi­tion du bhū­mis­parśa-mudrā.

Juste avant son Éveil, Śākya­mu­ni, assis sous l’arbre de la bod­hi, subit les assauts du « régent » du saṃsā­ra, Māra (aus­si appe­lé Pāpīyān, le « pire »). Crai­gnant de perdre son ascen­dant sur les êtres domi­nés par les pas­sions, celui-ci envoie d’abord ses armées, dont les flèches se trans­forment en fleurs dès que le futur Bud­dha les regarde ! Dépi­té, Māra déclare alors avec orgueil qu’il doit sa posi­tion insigne aux très nom­breux mérites qu’il a accu­mu­lés au cours de ses vies anté­rieures et dénie au futur Bud­dha d’en avoir autant que lui…
Le maître touche alors la terre pour prou­ver sa déter­mi­na­tion inébran­lable à res­ter sur les lieux et pour prendre à témoin la déesse-terre Sthā­varā (ou Pri­thvī). Celle-ci appa­raît, lui rend hom­mage et, tor­dant sa che­ve­lure, en extrait toute l’eau accu­mu­lée au fil des ères cos­miques, chaque fois qu’une liba­tion a été effec­tuée lors d’un don du bod­hi­satt­va. Cette eau est si abon­dante qu’elle emporte les armées de Māra.
Source : Ins­ti­tut d’é­tudes bouddhiques

Déam­bu­ler dans ces ruines donne le tour­nis. Voir ces che­di et ces prang se contor­sion­ner pour res­ter droits est peut-être une signe que Boud­dha agit sur l’ordre du monde pour que les briques ne s’é­croulent pas.

Thaïlande - Ayutthaya - 041 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 044 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 045 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 046 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 050 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 051 - Wat Maha That

Sur quelques murs, on peut encore voir le plâtre des pilastres en forme de fleurs de lotus qui autre­fois ornaient la nais­sance des plafonds.

Je viens d’ar­ri­ver et déjà la cha­leur m’ac­cable ; à peine accou­tu­mé, je manque de m’é­va­nouir avant de me vider une bou­teille d’eau sur la tête. La fatigue, la cha­leur, l’é­mo­tion, la joie aus­si sans doute, tout ceci ali­mente mon syn­drome de Jérusalem.

Thaïlande - Ayutthaya - 059 - Skylab

Je rejoins Mr Sinh à qui je demande de m’ac­com­pa­gner main­te­nant au Wat Rat­cha­bu­ra­na. Peu conscient des dis­tances indi­quées par le plan, je fais bien rigo­ler mon chauf­feur qui me montre que les deux temples sont col­lés l’un à l’autre en m’in­di­quant l’im­mense prang blanc à une cen­taine de mètres de là. Mais pas de sou­ci, il me demande de mon­ter dans le sky­lab et me voi­là trans­por­té dans un autre monde de prang en à peine dix secondes. Si je n’é­tais pas en Thaï­lande, je pour­rais dire que je ris jaune de ma bêtise…

Thaïlande - Ayutthaya - 060 - Wat Ratchaburana

Thaïlande - Ayutthaya - 063 - Wat Ratchaburana

Le Wat Rat­cha­bu­ra­na est plus récent que son voi­sin. Son édi­fi­ca­tion com­mence en 1424 sur les ordres du roi Som­det Phra Borom­ma­ra­cha­thi­rat II , cin­quième roi de la cité, sur le site même de la cré­ma­tion de ses deux frères ainés, les­quels se sont gen­ti­ment entre­tués pour la suc­ces­sion de leur roi de père. Visi­ble­ment, aucun n’a gagné.

Thaïlande - Ayutthaya - 065 - Wat Ratchaburana

Ce temple dis­pose du plus beau prang de la ville, élan­cé et fier, il est encore recou­vert des stucs d’o­ri­gine, et l’on peut encore voir Garu­da fon­dant sur un nāga sur un des coins. A l’in­té­rieur (il faut mon­ter une volée de marches peu recom­man­dables pour ceux qui souffrent de ver­tige), on peut redes­cendre à l’in­té­rieur de la cel­la par une autre volée de marche que je qua­li­fie­rais volon­tiers de casse-gueule… La décou­verte de cette cavi­té est rela­ti­ve­ment récente et si la sueur de dégou­line pas trop sur le visage et que l’at­mo­sphère suf­fo­cante du lieu per­met de ne pas s’é­va­nouir, on peut voir de magni­fiques fresques très aériennes, dont les traits noirs sont encore par­fai­te­ment visibles et les rouges aus­si écla­tants qu’au pre­mier jour.

Thaïlande - Ayutthaya - 066 - Wat Ratchaburana

Thaïlande - Ayutthaya - 068 - Wat Ratchaburana

Thaïlande - Ayutthaya - 069 - Wat Ratchaburana

Thaïlande - Ayutthaya - 072 - Wat Ratchaburana

Thaïlande - Ayutthaya - 073 - Wat Ratchaburana

De ce temple récent et du haut du prang, on peut admi­rer les ruines encore hautes du viharn et de l’ubo­soth, aux murs de brique épais et hauts, dont on voit encore l’in­cli­nai­son qui sup­por­tait autre­fois le toit en bois. Ici non plus, pas la peine de s’es­cri­mer à cher­cher le moindre Boud­dha encore entier.

Me voi­ci repar­ti dans mon petit sky­lab vers un autre temple. Le Wat Phra Si San­phet (Temple du Saint, Splen­dide Omni­scient). Voi­ci le temple le plus véné­ré de la ville, le plus éten­du en sur­face mais éga­le­ment tel­le­ment magni­fique qu’il a ser­vi de modèle au Wat Phra Kaeo de Bang­kok. A l’en­droit même où l’on peut voir aujourd’­hui les trois énormes che­di, se trou­vaient trois bâti­ments de bois construits par le fon­da­teur de la ville, U‑thong : le Phai­thun Maha Pra­sat, le Phai­chayon Maha Pra­sat et le Aisa­wan Maha Pra­sat. En 1448, le roi Borom­ma­trai­lok­ka­nat décide la construc­tion d’un nou­veau palais et conver­tit les bâti­ments royaux en che­di. Un autre temple fut construit à proxi­mi­té, ren­fer­mant une immense sta­tue de Boud­dha (Phra Si San­phet­dayan) de 16 mètres de haut, entiè­re­ment recou­verte d’or (envi­ron 343 kilos au total) et qui consti­tuait le prin­ci­pal objet de véné­ra­tion du lieu, mais tout fut détruit lors de l’in­va­sion des Bir­mans. Du fait de son rôle de temple royal, aucun moine n’a jamais occu­pé les lieux, ce qui explique l’ab­sence de salle d’or­di­na­tion (ubo­soth).

Thaïlande - Ayutthaya - 076 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 077 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 078 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 079 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 082 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 090 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 091 - Wat Phra Si Sanphet

Du côté nord du temple, des petits viharn contiennent des sta­tues déca­pi­tées de Boud­dha, que per­sonne ne vient plus visi­ter. Ce sont des petits havres de paix où seuls les chiens errants cher­chant à fuir la foule et la cha­leur viennent se réfu­gier. Et moi. La suc­ces­sion de ces che­di encore un peu blancs donne une pers­pec­tive superbe et un air de majes­té à l’en­droit. Avec leur cône sur le som­met, ils sont une par­faite repré­sen­ta­tion sty­li­sée et ani­co­nique du Boud­dha. Si les Bir­mans avaient sur ça, ils auraient fait bien plus de dégâts.

Thaïlande - Ayutthaya - 093 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 097 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 101 - Wat Phra Si Sanphet

Juste à côté des ruines du temple majes­tueux, se trouve le Viha­ra Phra Mong­khon Bophit. Comme son nom l’in­dique, ce n’est pas un temple, mais juste un viharn, une salle de prière où l’on trouve un énorme Boud­dha doré cen­sé repré­sen­ter celui qui a dis­pa­ru. C’est ici que l’on voit que cette figure un peu gros­sière et clin­quante inté­resse beau­coup plus les dévots habi­tants d’Ayut­thaya que les ruines sécu­laires. On peut voir ici les gens prier, bâtons d’en­cens et fleurs de lotus blot­tis dans leurs mains jointes, accrou­pis ou debout face à l’im­mense sta­tue jaune d’or. Je reste ici quelques ins­tants à me repaître de tous ces visages tour­nés vers leur objet de dévo­tion, des visages empreints de séré­ni­té, autant que de rési­gna­tion. Tout ce monde m’é­tour­dit, les enfants crient, les jeunes parlent forts, il n’y a visi­ble­ment aucune obli­ga­tion de dis­cré­tion aux abords du temple.

Thaïlande - Ayutthaya - 104 - Vihara Phra Mongkhon Bophit

Thaïlande - Ayutthaya - 106 - Vihara Phra Mongkhon Bophit

La jour­née avance et mon esto­mac com­mence à crier famine. Je demande à Mr Sinh de me rame­ner au Wat Rat­cha­bu­ra­na, mais il semble ne pas com­prendre. On en vient !!! Oui mais je lui explique que je veux aller déjeu­ner et que c’est là-bas que je veux retour­ner. Lorsque je lui parle du res­tau­rant Chi­cken noo­dles, il com­prend mieux. A l’ombre d’une ton­nelle en métal, sur un petit siège en plas­tique, je me régale d’une soupe de pou­let aux nouilles que je m’empresse de subli­mer avec de la sauce soja et de la purée de piment. Pour quelques bahts de plus, je bois un soda trop sucré. Mr Sinh s’est assis à une table près du trot­toir pour se rafraî­chir d’un coca noyé dans les cubes de glace. Prêt à bon­dir si tou­te­fois je déci­dais d’al­ler ailleurs. Je l’in­vi­te­rais bien à ma table, mais ce sont des choses qui ne se font pas. Ce que je ferais par hos­pi­ta­li­té, lui pren­drait ça pour un geste d’ir­res­pect à mon égard… Je déteste cette impres­sion d’être à la fois un enva­his­seur et un pro­fi­teur… autant qu’un porte-mon­naie ambulant…

Thaïlande - Ayutthaya - 108 - Etudiants

Thaïlande - Ayutthaya - 109 - Chicken noodles

Thaïlande - Ayutthaya - 110 - Chicken noodles

Thaïlande - Ayutthaya - 111 - Chicken noodles

Une fois ras­sa­sié, je lui demande de me rame­ner à l’hô­tel, mais la jour­née est loin d’être terminée.

Notes :

1 — Le Prang se dis­tingue du Stu­pa par le fait qu’il est géné­ra­le­ment ouvert et per­met l’ac­cès à une cel­la. Son rôle est le même, c’est une tour sanc­tuaire ren­fer­mant géné­ra­le­ment des reliques.

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Oku­no-in, der­nière rési­dence de deux-cent-mille moines

Oku­no-in, der­nière rési­dence de deux-cent-mille moines

Nous sommes à Koya-san, un vieux vil­lage caché dans les mon­tagnes de la pré­fec­ture de Wakaya­ma, au Japon. Dans cette forêt ances­trale se trouve un lieu iso­lé, caché sous des arbres plu­sieurs fois cen­te­naires, un lieu sacré du culte shintō, objet de mul­tiples pèle­ri­nages. Ici, sous les arbres, reposent les corps de près de deux-cent-mille moines depuis près de mille-cinq-cents ans, atten­dant pai­si­ble­ment la résur­rec­tion du Boud­dha. C’est un lieu de toute beau­té, où les vivants viennent rejoindre les morts dans une com­mu­nion avec la nature ; cer­tains le trouvent effrayant, d’autres viennent ici admi­rer les sta­tues recou­vertes de mousse et de mor­ceaux de tis­sus qu’on appelle Jizō bosat­su (地蔵菩薩), dont la voca­tion est d’ai­der les âmes per­dues à retrou­ver leur salut. Les étoffes confec­tion­nés comme des bavoirs pour enfants sont autant de pro­tec­tions contre le froid et les agres­sions de l’ex­té­rieur. Jizō bosat­su n’est ni un dieu, ni un Boud­dha, mais plu­tôt un saint dans un corps d’en­fant, un bod­hi­satt­va. C’est une croyance direc­te­ment issue de l’Inde, pro­té­geant les enfants et les voya­geurs, mais plus lar­ge­ment les âmes de cha­cun et en l’oc­cur­rence, celle des moines, dont le nom ori­gi­nel est Kshi­ti­garb­ha. Sa pré­sence ici n’est pas ano­dine ; le terme san­krit signi­fie « matrice de la terre », et son but est de gui­der les âmes pen­dant la période de souf­france allant du Pari­nirvāṇa à l’ar­ri­vée du Boud­dha réin­car­né (Mai­treya) qui advien­dra lorsque l’en­sei­gne­ment du Boud­dha Sha­kya­mu­ni (Dhar­ma) aura dis­pa­ru sur Terre. C’est pour cette rai­son que les moines reposent ici et qu’ils sont pro­té­gés par ces sta­tues aux­quelles on voue un culte si res­pec­tueux. Les petites sta­tues sont far­dés de rouge ou de rose sur les joues, et portent par­fois des bon­nets ; ce sont comme de petits enfants dont on prend soin.

Koya-san n’est pas qu’un simple lieu de pèle­ri­nage, c’est l’é­pi­centre d’une forme ances­trale de boud­dhisme tan­trique (vaj­rayā­na) et éso­té­rique, le Shin­gon (眞言), dont l’en­sei­gne­ment se nomme mik­kyō (密教), véhi­cule des secrets ou tan­trisme de la main droite (sans pra­tiques sexuelles).

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Pho­to © Mitch Huang

Lieu miné­ral par excel­lence, rem­pli de stèles man­gées par la mousse, de lan­ternes cen­sées appor­ter lumière et récon­fort dans le monde des appa­rences, lieu de recueille­ment devant la quan­ti­té d’âmes qui reposent ici dans l’es­poir d’une nou­velle ère, lieu où la pierre se confond avec la pro­fonde force tel­lu­rique qui se dégage de l’es­pace, le cime­tière d’O­ku­noin est une des étapes du Kōya­san chōi­shi-michi (高野山町石道), ins­crit au Patri­moine mon­dial de l’U­nes­co dans l’en­semble des Sites sacrés et che­mins de pèle­ri­nage dans les monts Kii. Le mont Kōya (高野山) lui-même est le centre de rayon­ne­ment du Shin­gon, insuf­flé par le moine Kūkai (空海, VIIIè-IXè siècle), com­por­tant dans son exten­sion pas moins de 117 temples.

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Pho­to © Mitch Huang

Pho­to d’en-tête © Al Case

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Le récit du Gange à la lumière du Râmâyana

Le récit du Gange à la lumière du Râmâyana

La lec­ture est un souffle qui nous trans­porte sur des rivages dont on ne voit pas tou­jours les contours, mais finit tou­jours par nous faire tou­cher terre, et cer­tains livres arrivent là un peu par hasard, sans qu’on en com­prenne vrai­ment la raison.

Lors de ce voyage en Thaï­lande, je me suis plon­gé à corps per­du dans la lec­ture d’un livre sacré : le Râmâya­na. Épo­pée fon­da­men­tale dans la reli­gion hin­doue, c’est un long poème rela­tant la voie de Rama, au sens de par­cours. Quel rap­port entre la Thaï­lande et le Râmâya­na ? Une longue his­toire à laquelle les gens sont atta­chés dans tout le bas­sin de l’A­sie du sud-est, et ce, jus­qu’à Bali, îlot hin­douiste au cœur du plus grand pays musul­man du monde. Pour­tant la Thaï­lande est majo­ri­tai­re­ment boud­dhiste, mais le boud­dhisme et l’hin­douisme ne sont pas très éloi­gnés, puisque le Boud­dha Sha­kya­mu­ni, Sid­dhār­tha Gau­ta­ma, est un per­son­nage dont l’exis­tence est attes­tée ; né sur la route de Kapi­la­vas­tu, à Lum­bi­ni exac­te­ment, entre 1029 et 383 av; J.-C. dans l’ac­tuel Népal, il passe une grande par­tie de sa vie en Inde du Nord. La dif­fu­sion de la pen­sée qui devien­dra reli­gion majo­ri­taire en Asie du sud-est (de la Chine au Japon, et de la Mon­go­lie à la Malai­sie) prend donc ses sources en Inde, et même au cœur de la reli­gion hin­douiste. Aucun para­doxe dans tout cela. Le boud­dhisme, long­temps consi­dé­ré comme une reli­gion déviante de la part des hin­dous, a été au centre d’une longue période ico­no­claste, pen­dant laquelle les visages du Boud­dha ont été buri­nés, les têtes fra­cas­sées, les corps pilon­nés. Aujourd’­hui, les intri­ca­tions des deux reli­gions ne sont plus consi­dé­rées que comme naturelles…

Il faut noter éga­le­ment que l’ac­tuelle dynas­tie régnante de Thaï­lande (l’ac­tuel roi Bhu­mi­bol Adu­lya­dej, Rama IX, est le sou­ve­rain qui a régné le plus long­temps jus­qu’à pré­sent puis­qu’il est sur le trône depuis plus de 70 ans), les Cha­kri, portent tous le nom dynas­tique de Rama, depuis 1782, et que le pre­mier sou­ve­rain de la dynas­tie, Rama Ier (Bud­dha Yod­fa Chu­la­loke) a réécrit l’é­po­pée du Râmâya­na pour la trans­po­ser dans le contexte thaï­lan­dais sous le nom de Rama­kien.

Alors ce fameux Râmâya­na, que j’ai retrou­vé dans les danses bali­naises des palais d’Ubud ou dans les ruines de Pram­ba­nan, sur les murs des temples thaï­lan­dais ou dans les ruelles sombres de Bang­kok où l’on arrive encore à trou­ver de très beaux masques en bois à l’ef­fi­gie du roi Ramā et de sa femme Sītā, du singe Hanumān et du démon Rāvaṇa, et encore à plu­sieurs reprises dans les masques et les repré­sen­ta­tions en terre cuite du Suan Pak­kad Palace, qu’est-ce exac­te­ment ? C’est un récit mytho­lo­gique autour d’un per­son­nage qui a peut-être exis­té, un poème fai­sant par­tie de la tra­di­tion orale hin­douiste et dans lequel est rela­tée la vie pour le moins tour­men­tée du prince Ramā qui n’est autre que le sep­tième ava­tar du dieu Vish­nu. Mis à part le fait que le récit qu’en livre Serge Démé­trian au tra­vers de la ver­sion qu’il a rédi­gée est d’une lec­ture tout à fait agréable, le Râmâya­na est un mythe au tra­vers duquel sont mis en lumière les quatre buts de la vie pour tout hin­douiste (Puruṣār­tha), c’est à dire :

  • Dhar­ma : le sens du devoir et de la jus­tice, le sens moral, la loi et la ver­tu, c’est ce qui est à l’o­ri­gine de l’har­mo­nie universelle.
  • Artha : injus­te­ment tra­duit par­fois sous le terme de richesse, il s’a­git plu­tôt de faire en sorte de main­te­nir ses moyens de sub­sis­tances et de les faire évo­luer, ce qui implique la sécu­ri­té finan­cière plu­tôt que l’enrichissement.
  • Kama : la recherche du plai­sir, de l’é­mo­tion esthé­tique, de la beau­té. Il n’y a dans ce terme aucune conno­ta­tion sexuelle. Le Kama qui vio­le­rait le Dhar­ma et l’Ar­tha empê­che­rait d’at­teindre le Moksha.
  • Mok­sha : la libé­ra­tion finale, la déli­vrance du cycle des réin­car­na­tions, mais on peut y entendre éga­le­ment le fait de se réa­li­ser soi-même et de s’é­man­ci­per des tutelles extérieures.

Selon la tra­di­tion, ce livre a été écrit par le poète indien Vâl­mî­ki, lequel se met lui-même en scène dans le récit puis­qu’il devient le pré­cep­teur des deux enfants de Ramā. La rédac­tion du livre est esti­mée de manière assez peu sure entre 500 et 100 avant J.-C. et com­porte sept par­ties distinctes :

  1. Bâla­kân­da (बालकाण्डम्) ou le Livre de la jeunesse
  2. Ayod­hyâ­kân­da (अयोध्याकाण्डम्) ou le Livre d’Ayodhyâ
  3. Ara­nya­kân­da (अरण्यकाण्डम्) ou le Livre de la forêt
  4. Kish­kind­hâ­kân­da (किष्किन्धाकाण्डम्) ou le Livre de Kish­kind­hâ (le royaume des singes)
  5. Sun­da­ra­kân­da (सुन्दरकाण्डम्) ou le Livre de Sun­da­ra (un autre nom d’Hanuman)
  6. Yud­dha­kân­da (युद्धकाण्डम्) ou le Livre de la guerre (de Lanka)
  7. Utta­ra­kân­da (उत्तरकाण्डम्) ou le Livre de l’au-delà

Si la lec­ture de ce très grand livre m’a empor­té pen­dant une bonne par­tie de mes vacances, elle m’a per­mis éga­le­ment d’a­voir un sujet de dis­cus­sion sup­plé­men­taire avec plu­sieurs per­sonnes tout à fait éton­nées que je puisse ne serait-ce que connaître les noms de Phra Ramā et de Sītā. J’y ai éga­le­ment trou­vé le très beau récit de la dérive du Gange que je repro­duis ici, issu du pre­mier livre (Bâla­kân­da), qui nous per­met de com­prendre pour­quoi le Gange est un fleuve si impor­tant dans la reli­gion hin­doue. C’est une épo­pée dans l’é­po­pée, un récit flo­ris­sant et mer­veilleux qui donne le ton du reste du livre. On est empor­té comme dans le flot des ondes légères de la rivière Gangâ…

Ramaya­na — Le départ de Rama. Wat Phra Khaew. Bangkok

Le len­de­main, Râma, Lak­sha­ma, Vish­vâ­mi­tra et leurs com­pa­gnons par­tirent donc vers Mithi­lâ. Ils retra­ver­sèrent le Gange ; au cré­pus­cule, Râma inter­ro­gea Vish­vâ­mi­tra : « Pour­quoi, grand sage, Gan­gâ, la très sainte rivière, coule-t-elle à tra­vers les Trois Mondes, avant de se mêler à l’Océan ? »
Vish­vâ­mi­tra, en réponse à la curio­si­té de Râma, com­men­ça ainsi :

« Au nord de notre vaste pays, Râma, s’é­lève l’Hi­mâ­laya, la reine des mon­tagnes. Hima­vat, le puis­sant esprit qui l’a­nime, avait deux filles, Gan­gâ, l’ai­née, et Ûma, la cadette. Gan­gâ était un fleuve capable de puri­fier tous les êtres de leurs péchés les plus sombres. Connais­sant ce don mer­veilleux, les dieux prièrent Hima­vat de leur prê­ter Gan­gâ pour un temps : ses eaux lave­raient le fir­ma­ment entier de ses souillures. Le père de Gan­gâ accep­ta. Mon­tée au ciel, Gan­gâ brilla à tra­vers la voûte étoi­lée, là où tu peux la voir aujourd’­hui encore. »

Vish­vâ­mi­tra leva la main vers le fir­ma­ment et dési­gna à Ramâ le Gange céleste, la Voie lac­tée, avant de reprendre :

« Pen­dant ce temps, Saga­ra, un autre roi de la dynas­tie solaire, un de tes ancêtres, pri­vé d’en­fants, se diri­gea vers l’Hi­mâ­laya en com­pa­gnie de ses épouses. Saga­ra sou­hai­tait ren­con­trer Bhri­gu, le grand sage. Arri­vé devant lui, le roi se pros­ter­na et implo­ra sa béné­dic­tion pour que lui naissent des héri­tiers. Bhri­gu, satis­fait de la sou­mis­sion du roi d’Ayod­hyâ, décla­ra ; “Tes épouses seront mères, mais de manière dif­fé­rente. L’une met­tra au monde un seul fils : il pro­lon­ge­ra ta lignée ; l’autre don­ne­ra nais­sance à soixante mille fils. A elles de choi­sir le sort qui leur agréé.”
La pre­mière des deux épouses royales avoua qu’elle serait heu­reuse avec un seul fils ; la seconde pré­fé­ra l’autre voie. Bhri­gu les bénit, et Saga­ra revint satis­fait dans sa capitale.
Le temps accom­pli, une des reines enfan­ta le fils pro­mis ; il s’ap­pe­la Asa­mañ­ja. L’autre accou­cha d’une boule de la gros­seur d’une cale­basse. A l’in­té­rieur dor­maient soixante mille semences humaines qui devinrent autant d’en­fants mâles. Une armée de nour­rices prit soin de tous ces fils de Saga­ra. Des années pas­sèrent. Si les soixante mille devinrent tous de beaux princes, Asa­mañ­ja, lui, à l’âge adulte, mon­tra des signes de folie. Son passe-temps favo­ri était d’at­tra­per des petits enfants et de les jeter dans la rivière ; il riait en les voyant se débattre et périr noyés.
Haï par le peuple, ce dément cruel fut ban­ni de la cité. Au sou­la­ge­ment des citoyens, son fils Amshu­mân ne res­sem­blait en rien à son père : cou­ra­geux, plein de droi­ture, il par­lait avec douceur.
Vers la fin de son règne, le vieux roi Saga­ra déci­da d’ac­com­plir le sacri­fice du che­val1. Le prince Amshu­mân devait sur­veiller de près le che­val choi­si pour la céré­mo­nie. Mais Indra2, chan­gé en démon, s’empara du cour­sier. Le roi Saga­ra fut déses­pé­ré. Il appe­la ses soixante mille fils et leur par­la ain­si : “La perte de l’of­frande n’est pas seule­ment un obs­tacle majeur au bon dérou­le­ment du sacri­fice, elle repré­sente pour nous tous un péché, une honte. Par­tez retrou­ver le che­val ; n’é­par­gnez aucun effort.”
Ses vaillants soixante mille fils par­cou­rurent le monde de long en large, mais le qua­dru­pède était introu­vable. Ils com­men­cèrent alors à fouiller tous les recoins, à retour­ner la Terre en tous sens. Ils cau­sèrent nombre d’en­nuis aux ani­maux et aux hommes et ne réus­sirent qu’à élar­gir les limites de l’O­céan. Penauds, ils revinrent à Ayodhyâ.
“Il nous faut l’a­ni­mal coûte que coûte. Cher­chez-le dans les mondes d’en bas, leur enjoi­gnit Saga­ra, des­cen­dez, si néces­saire, jus­qu’aux pro­fon­deurs des enfers.”
Les princes par­tirent aus­si­tôt, déci­dés à rame­ner le che­val, fût-ce au péril de leur vie. De leurs armes, ils se mirent à creu­ser un trou long de trois lieues sur trois. Sourds aux cris et aux pro­tes­ta­tions des ser­pents et autres rep­tiles des régions sou­ter­raines, ils avan­çaient dans les entrailles de la Terre et par­vinrent au Rasâ­ta­la, le qua­trième enfer. Là, ils aper­çurent dans un coin Kapi­la, le grand sage, assis en médi­ta­tion, et le che­val du sacri­fice qui pais­sait alen­tour. C’é­tait Indra qui, à des­sein, avait caché l’a­ni­mal en ce lieu. Les princes se pré­ci­pi­tèrent sur le sage en criant : “Voi­là donc le voleur qui se dit ermite !”
Kapi­la, trou­blé dans sa médi­ta­tion, ouvrit les yeux ; à l’ins­tant même, les soixante mille guer­riers furent trans­for­més en autant de poi­gnées de cendre, brû­lés par le cour­roux de l’ascète.
Pen­dant ce temps, Saga­ra atten­dait tou­jours ses fils. Trou­blé par leur retard, il s’a­dres­sa à son petit-fils, Amshu­mân : “Je suis inquiet ; mes soixante mille fils s’at­tardent. Tu es cou­ra­geux : va et découvre si quelque mal­heur ne leur serait pas arrivé.”
Amshu­mân prit ses armes et des­cen­dit vaillam­ment dans le trou béant par lequel avaient dis­pa­ru ses oncles.
Le che­min s’en­fon­çait de plus en plus ; il le condui­sit au qua­trième enfer. Là, Amshu­mân décrou­vrit le che­val du sacri­fice pais­sant comme si de rien n’é­tait, par­mi soixante mille petits tas de cendre. Amshu­mân res­ta figé de dou­leur : était-ce là ce qui res­tait de ses mal­heu­reux oncles ? Garu­da, l’aigle divin, se tenait, comme par hasard, per­ché sur un arbre tout proche.
“Noble prince, lui expli­qua l’oi­seau, tu contemples les restes de tes propres oncles. Ils ont été réduits en cendres par le regard cour­rou­cé de Kapi­la. Sache cette véri­té : les âmes des fils de Saga­ra ne connaî­tront pas la paix si Gan­gâ ne des­cend pas de la voûte céleste pour laver et puri­fier leurs cendres.”
Amshu­mâ emme­na le che­val, le condui­sit en hâte à la sur­face de la terre et rap­por­ta au roi les mots mêmes de Garu­da. Saga­ra accom­plit le sacri­fice tant dési­ré, mais peu après mou­rut incon­so­lé : pour­rait-on jamais entraî­ner le Gange divin au fond des enfers ?
Amshu­mân suc­cé­da à Saga­ra sur le trône d’Ayod­hyâ. Bien que toute sa vie il eût réflé­chi et prié sans cesse, il ne put décou­vrir le moyen de faire des­cendre le Gange du ciel.
Le fils d’Am­shu­mân pour­sui­vit les efforts de son père, mais en vain ; lui aus­si quit­ta le monde des vivants sans avoir réus­si à sau­ver les âmes de ses ancêtres.
Son fils, Bag­hî­ra­tha, lui suc­cé­da sous l’om­brelle blanche de la royau­té. Bag­hî­ra­tha était un vaillant jeune homme ; il réso­lut de ten­ter l’im­pos­sible. Il renon­ça à sa famille, lais­sa le royaume au soin de ses ministres, et s’en vint dans la soli­tude pour pra­ti­quer des aus­té­ri­tés. Juché sur un pic de l’Hi­mâ­laya, il se tint des années durant au milieu de quatre feux ; un cin­quième, le Soleil, brû­lait au-des­sus de sa tête. Ces ascèses, accom­plies dans un noble but, contrai­gnirent Brah­mâ, le Créa­teur, à se mon­trer aux yeux de Baghîratha.
“Je suis satis­fait de tes efforts, Bag­hî­ra­tha, décla­ra le Père des mondes : quel est ton désir ?”
Les mains jointes, celui-ci répon­dit : “Si j’ai pu conten­ter le Créa­teur, que les fils de Saga­ra reçoivent l’eau de Gan­gâ ; une fois les cendres puri­fiées par le divin fleuve, les âmes de mes aïeux gagne­ront enfin la paix céleste. Je te prie éga­le­ment de m’ac­cor­der un fils, car j’ai renon­cé à ma famille et la race des Iksh­vâ­ku menace de s’éteindre.
— Qu’il soit fait selon ton désir, approu­va Brah­mâ, mais je t’a­ver­tis : Gan­gâ, en déva­lant des cieux, risque d’a­néan­tir le monde, ce que je ne per­met­trait jamais. Sol­li­cite donc le secours de Shiva.”
Bag­hî­ra­tha, sans hési­ter, reprit ses ascèses. Il res­ta si long­temps sans nour­ri­ture et sans eau qu’il réus­sit à gagner la bien­veillance du Grand Dieu, Shi­va. Celui-ci fit son appa­ri­tion et décla­ra à Bag­hî­ra­tha : “Gan­gâ peut arri­ver, je pro­té­ge­rai le monde.”
Les dieux envoyèrent alors Gan­gâ des cieux sur la Terre. Telle une colonne de cris­tal liquide, Gan­gâ cou­lait à tra­vers les espaces ; la gigan­tesque cata­racte de lumière bous­cu­lait les étoiles. Un bruit de plus en plus assour­dis­sant accom­pa­gnait la chute.
Gan­gâ s’ap­pro­chait de la Terre et les immor­tels com­men­çaient à s’in­quié­ter lorsque Shi­va inter­vint. Il prit des pro­por­tions immenses et, cou­pant la route de Gan­gâ, reçut sans bron­cher le fleuve sur la tête. Shi­va était appa­ru si vite que Gan­gâ n’a­vait pas eu le temps de chan­ger de direc­tion ; la rivière se per­dit donc dans les che­veux emmê­lés du Grand Dieu, où elle erra plu­sieurs années. La Terre res­pi­ra, sou­la­gée. Mais Bag­hî­ra­tha était déses­pé­ré. Il implo­ra Shi­va de libé­rer Gan­gâ, pri­son­nière de sa che­ve­lure. Emu de com­pas­sion à l’é­gard de Bag­hî­ra­tha, qui ne son­geait qu’aux âmes de ses soixante mille aïeux, Celui-aux-trois-yeux per­mit au divin fleuve de quit­ter sa pri­son pour des­cendre sur terre.
Gan­gâ sui­vait, en dan­sant, le char de Bag­hî­ra­tha. L’eau lim­pide scin­tillait comme par­cou­rue de mil­lions d’é­clairs. Par­fois, le fleuve se gon­flait en tour­billons d’é­cume, hauts comme des mon­tagnes ; l’ins­tant d’a­près, il glis­sait dou­ce­ment, puis on le voyait s’é­cra­ser contre des rochers ou s’en­fon­cer dans quelque gouffre. Gan­gâ écla­bous­sait joyeu­se­ment de ses perles humides le peuple des dieux accou­rus pour l’admirer.
Gan­gâ cou­lait ain­si par jeu, soit dans l’es­pace, soit sur la Terre, lors­qu’elle abî­ma par mégarde l’au­tel du sacri­fice où Jah­nu, un grand sage, se pré­pa­rait à offi­cier. Celui-ci, pour lui don­ner un leçon, prit le gigan­tesque tor­rent dans la paume de sa main et le but d’un seul trait. Gan­gâ dis­pa­rut encore une fois. La tris­tesse de Bag­hî­ra­tha fut indi­cible ; il pleu­rait de désespoir !
Alors les dieux et les sages célestes, s’ap­pro­chant de Jah­nu, le prièrent de par­don­ner sa faute à Gan­gâ. Apai­sé, le sage consen­tit à ce que Bag­hî­ra­tha arrive au bout de ses peines ; il per­mit à l’im­mense fleuve de cou­ler par ses oreilles. Et les dieux, joyeux, bénirent ain­si Gan­gâ retrou­vée : “Sor­tie du corps de Jah­nu comme du sein d’une mère, tu por­te­ras désor­mais le nom de Jâh­na­vî, fille de Jahnu.”
Gan­gâ ne ren­con­tra plus aucun obs­tacle sur sa route. Elle des­cen­dit, à la suite de Bag­hî­ra­tha, dans le trou pro­fond creu­sé par les fils de Saga­ra ; elle péné­tra dans l’en­fer nom­mé Rasâ­ta­la. Là, avec son eau sanc­ti­fiée par le tou­cher divin de Shi­va, Bag­hî­ra­tha put s’ac­quit­ter des rites funé­raires de ses soixante milles aïeux. Puri­fiées, ren­dues légères, leurs âmes bien­heu­reuses s’é­le­vèrent dans les cieux.

Depuis ce jour, ter­mi­na Vish­vâ­mi­tra, le fleuve Gange s’ap­pelle éga­le­ment Bag­hî­ra­thî en sou­ve­nir de Bag­hî­ra­tha, celui qui n’é­par­gna aucune peine pour sau­ver les siens. »
Pen­dant ce récit, le Soleil, entou­ré d’un nuage de poudre d’or, avait glis­sé len­te­ment vers l’horizon.
« Le roi du jour se couche, mur­mu­ra Vish­vâ­mi­tra ; diri­geons nos prières du soir vers Gan­gâ, le divin fleuve, conduit par ton ancêtre du séjour des immor­tels sur la terre des hommes. »

Notes :

1 — Ash­va­med­ha. Sacri­fice réser­vé au roi, lui per­met­tant d’as­su­rer sa pros­pé­ri­té et la lon­gé­vi­té de sa lignée.
2 — Indra, roi des dieux, sei­gneur du ciel.

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Les reliques de Boud­dha du stū­pa de Piprahwa

Les reliques de Boud­dha du stū­pa de Piprahwa

L’his­toire des reliques du Boud­dha du stū­pa de Piprah­wa est une his­toire folle à laquelle on a du mal à appor­ter du cré­dit, mais tout y est authen­tique mal­gré une accu­mu­la­tion de faits abso­lu­ment improbables.
Tout com­mence dans la ban­lieue de Londres, dans une petite mai­son modeste d’un quar­tier tout aus­si modeste, à la porte de laquelle on trouve une ins­crip­tion dans une langue qu’on ne parle qu’à des mil­liers de kilo­mètres de là, dans ce qui reste des Indes… Sous un esca­lier, une boîte en bois, une can­tine mili­taire en réa­li­té, une vieille can­tine pro­ve­nant d’un héri­tage… Ce n’est pas l’his­toire d’Har­ry Pot­ter, mais ça com­mence presque pareil. L’homme qui garde ce tré­sor s’ap­pelle Neil Pep­pé (même le nom de cet homme est impro­bable…), il est le petit-fils d’un cer­tain William Clax­ton Pep­pé, un ingé­nieur et régis­seur bri­tan­nique vivant aux Indes, dans l’ac­tuelle pro­vince de l’Ut­tar Pra­desh (उत्तर प्रदेश), à la suite de son père et de son grand-père qui a fait construire la demeure fami­liale de Bird­pore (actuelle Bird­pur), un minus­cule état créé par le Gou­ver­ne­ment Britannique.

Neil Pep­pé avec les joyaux trou­vés par son grand-père dans le stu­pa de Piprahwa

Charles Allen exa­mi­nant les joyaux de Piprahwa

Dans cette can­tine, des pho­tos de son grand-père, mais ce n’est pas réel­le­ment cela qui nous inté­resse. Dans cette petite mai­son se trouve en réa­li­té un tré­sor ines­ti­mable ; cer­tai­ne­ment un des plus petits musées du monde abrite, enchâs­sés dans de petits cadres vitrés, des perles, des fleurs en or, des restes de joyaux dis­sé­mi­nés, des ver­ro­te­ries, de petites fleurs taillées dans des mor­ceaux de pierres semi-pré­cieuses, le tout pro­ve­nant d’une exca­va­tion réa­li­sées par le grand-père de Neil en 1897 dans le stū­pa de Piprah­wa, à quelques kilo­mètres de Bird­pore. L’homme, qui n’est pas exac­te­ment archéo­logue, décide avec quelques uns de ses ouvriers, de per­cer un tumu­lus iso­lé en son point le plus haut. Ce qu’il découvre là, c’est une construc­tion en pierre qui se révèle être un stū­pa, ce qui était bien son intui­tion pre­mière. Après avoir déga­gé les pierres de la construc­tion, il tombe sur ce qui res­semble à un caveau, dans lequel il trouve un sar­co­phage qu’il se décide à ouvrir. Son intui­tion, la même que celle qui l’a pous­sé à entre­prendre ces tra­vaux, lui dit qu’il est en pré­sence d’un tré­sor fabu­leux. Dans le cer­cueil de pierre, il trouve cinq petits vases, cinq urnes comme on en trouve d’or­di­naire dans la litur­gie hin­douiste, cinq objets façon­nés modes­te­ment, et dis­sé­mi­nées tout autour de ces objets, les perles et les ver­ro­te­ries que Neil exhibe fiè­re­ment dans ses cadres en verre. Il trouve éga­le­ment de la pous­sière dans laquelle sont épar­pillés des mor­ceaux d’os. Étrange découverte.

Stupa de Piprahwa

Stu­pa de Piprahwa

Reliques de Boud­dha trou­vées dans le stu­pa de Piprahwa

William Clax­ton Pep­pé est per­sua­dé d’a­voir trou­vé un vrai tré­sor et pour se faire confir­mer sa décou­verte, il décide d’en infor­mer deux archéo­logues tra­vaillant à une tren­taine de kilo­mètres de là. Le pre­mier, Alois Anton Füh­rer, se déplace immé­dia­te­ment après avoir posé une ques­tion à Pep­pé. Ce qu’on ne sait pas encore, c’est que Füh­rer, cet Alle­mand tra­vaillant à la solde du Gou­ver­ne­ment Bri­tan­nique, est en réa­li­té tout sauf archéo­logue. Même s’il a décou­vert de nom­breux sites d’im­por­tance, c’est en réa­li­té un escroc qui a fal­si­fié cer­taines pièces ayant moins d’in­té­rêt qu’elle n’en avaient après son pas­sage. Si Füh­rer se décide à se dépla­cer si rapi­de­ment, c’est parce qu’il a deman­dé à Pep­pé s’il y avait une ins­crip­tion sur un des objets. Pep­pé ne s’é­tait même pas posé la ques­tion, mais il remarque alors qu’un des petits vases porte une ins­crip­tion dans une langue qu’il ne connaît pas. Il en repro­duit fidè­le­ment l’ins­crip­tion. S’en­suit alors une période trouble pen­dant laquelle on accuse Füh­rer d’a­voir lui-même écrit sur le vase et d’a­voir fal­si­fié une fois de plus ces pièces. Mais l’homme est un piètre sans­kri­tiste et l’ins­crip­tion est suf­fi­sam­ment ancienne pour que l’homme ne connaisse pas cette langue. L’ins­crip­tion est un peu mal­adroite, son auteur n’a pas eu assez de place pour tout noter et une par­tie de la phrase conti­nue en tour­nant sur le haut de la ligne. Il y est dit : « Ce reli­quaire conte­nant les reliques de l’au­guste Boud­dha (est un don) des frères Sakya-Suki­ti, asso­ciés à leurs sœurs, enfants et épouses. » Ce qui fait dire aux spé­cia­listes que ces reliques sont authen­tiques, c’est que le mot sans­krit uti­li­sé pour dési­gner le mot reli­quaire n’est uti­li­sé nulle part ailleurs sur le même genre d’ob­jets. Ce qui est cer­tain, c’est que Füh­rer n’au­rait lui-même jamais pu connaître ce mot.

Mais alors, si ces reliques sont authen­tiques, qu’est-ce qui per­met aux scien­ti­fiques d’af­fir­mer que ces objets ont bien été ense­ve­lis avec les restes du Boud­dha ? Dans la tra­di­tion, le Boud­dha Sha­kya­mu­ni (« sage des Śākyas, sa famille et son clan ») a été inci­né­ré et ses cendres répar­ties dans huit stu­pas. Afin de prendre un rac­cour­ci bien com­mode qui nous per­met­tra de mieux com­prendre l’ins­crip­tion, voi­ci l’his­toire (source Wiki­pe­dia) :

Le Boud­dha mou­rut, selon la tra­di­tion, à quatre-vingts ans près de la loca­li­té de Kusi­nâ­gar. Il expi­ra en médi­tant, cou­ché sur le côté droit, sou­riant : on consi­dé­ra qu’il avait atteint le pari­nirvāṇa, la volon­taire extinc­tion du soi com­plète et défi­ni­tive. Le Boud­dha n’au­rait pas sou­hai­té fon­der une reli­gion. Après sa mort s’ex­pri­mèrent des diver­gences d’o­pi­nions qui, en l’es­pace de huit siècles, abou­tirent à des écoles très dif­fé­rentes. Selon le Mahā­pa­ri­nibbāṇa Sut­ta, les der­niers mots du Boud­dha furent : « À pré­sent, moines, je vous exhorte : il est dans la nature de toute chose condi­tion­née de se désa­gré­ger — alors, faites tout votre pos­sible, inlas­sa­ble­ment, en étant à tout moment plei­ne­ment atten­tifs, pré­sents et conscients. » Selon ce même sutra, son corps fut inci­né­ré mais huit des princes les plus puis­sants se dis­pu­tèrent la pos­ses­sion des sari­ra, ses reliques saintes. Une solu­tion de com­pro­mis fut trou­vée : les cendres furent répar­ties en huit tas égaux et rame­nées par ces huit sei­gneurs dans leurs royaumes où ils firent construire huit stū­pas pour abri­ter ces reliques. Une légende ulté­rieure veut que l’empereur Asho­ka retrou­va ces stū­pas et répar­tit les cendres dans 84 000 reliquaires.

Nous voi­là à peine plus avan­cés. Seule­ment, en y regar­dant de plus près, les data­tions du stu­pa révèlent que celui-ci a été construit entre 200 et 300 ans après la mort du Boud­dha, située entre 543 et 423 av. J.-C., ce qui cor­res­pond à l’é­poque à laquelle vécut le roi Asho­ka (अशोक). L’ins­crip­tion du vase elle-même cor­res­pond à une langue qui n’é­tait pas encore uti­li­sée à l’é­poque de la mort de Boud­dha. Il y a donc un creux qu’il faut expli­quer. Entre 1971 et 1973, un archéo­logue indien du nom de K.M. Sri­vas­ta­va a repris les fouilles dans le stu­pa et y a trou­vé une autre chambre, dans laquelle se trou­vait un autre vase, de concep­tion simi­laire à celle du vase sur lequel se trouve l’ins­crip­tion. Dans ce vase, des restes d’os datés de la période de la mort du Boud­dha… Le fais­ceau de preuves est là. Le stu­pa est un des huit stu­pa conte­nant bien les restes du Boud­dha, retrou­vé par le roi Asho­ka et modi­fié ; il a recons­truit un stu­pa par-des­sus en conser­vant la construc­tion ini­tiale ; le sar­co­phage dans les­quels ont été retrou­vés les cendres et les bijoux dépo­sés en offrande est carac­té­ris­tique des construc­tions de l’é­poque du grand roi.

Une ques­tion demeure. Pour­quoi ces lieux de cultes ont-ils dis­pa­rus de la mémoire des hommes alors que le boud­dhisme a connu une réelle expan­sion depuis le nord de l’Inde ? Sim­ple­ment parce que la doc­trine du Boud­dha a long­temps été consi­dé­rée comme une héré­sie par les hin­douistes qui se sont livrés par vagues suc­ces­sives à des expé­di­tions ico­no­clastes, sui­vis par les musulmans.

L’his­toire ne s’ar­rête pas là. Les auto­ri­tés bri­tan­niques, affo­lées par l’his­toire pas très relui­sante d’An­ton Füh­rer et de ses fal­si­fi­ca­tions archéo­lo­giques, ont eu peur que l’af­faire des reliques du Boud­dha ne sus­cite des sou­lè­ve­ments de popu­la­tions et ont offert en secret une par­tie de ces reliques (l’autre par­tie a été lais­sée à William Clax­ton Pep­pé) en guise de cadeau diplo­ma­tique au roi de Siam Rama V (Chu­la­long­korn), qui les fit inclure dans la construc­tion du che­di du temple de la Mon­tagne d’or à Bang­kok (Wat Saket Rat­cha Wora Maha Wihan, วัดสระเกศราชวรมหาวิหาร). Cent onze ans après ce don, les reliques du Boud­dha ont été confiées à la France en 2009, les­quelles ont été dépo­sées à l’in­té­rieur de la pagode boud­dhiste du bois de Vincennes.

Afin de com­prendre l’his­toire dans son inté­gra­li­té, on peut revoir le docu­men­taire racon­tant l’en­quête de l’é­cri­vain Charles Allen, dif­fu­sé il y a quelques temps sur Arte.

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