Jul 9, 2010 | Histoires de gens, Sur les portulans |
Il se tient en ce moment au musée Guimet une exposition tout à fait magique sur l’art du Gandhāra, cet étrange chose qui s’est étendue dans les plaines du Pakistan et de l’Afghanistan, dans les vallées de la Swât et de la Kâboul. L’art du Gandhāra est un syncrétisme dans lequel les formes de l’hindouisme et du bouddhisme se sont développées sur des sources artistiques grecques et moyen-orientales. L’art sculptural qui en émane est un des seuls reliquats de cette civilisation qui a vu son heure de gloire au Ier siècle et qui a disparu sous la brutalité des invasions des Huns Shvetahūna .
Étrangement, celui par lequel ces influences se sont frayées un chemin jusqu’au delta du Gange est le plus grand conquérant de tous les temps, Alexandre, fils de Philippe II, roi de Macédoine et qui a parcouru le monde jusqu’aux rives du fleuve sacré. L’histoire de ce personnage mythique est maculée d’une série de légendes qui seront portées jusqu’au Moyen-Âge sous forme de récit épique et fortement romancé, dans lequel tout est fait pour magnifier l’homme qui selon la légende finit empoisonné alors qu’il périra en fait à Babylone, terrassé par la malaria.
C’est ce texte qu’a traduit et commenté Jacques Lacarrière dans la Légende d’Alexandre pour transcrire la vision que l’homme a véhiculé au travers des siècles. La réalité est moins belle ; Alexandre, malgré sa jeunesse et sa fougue, ressemblait plus à une brute avinée et orgueilleuse qu’au bellâtre conquérant des médailles et des bustes à son effigie.

L’entreprise d’Alexandre permit donc à l’hellénisme de s’implanter durablement dans ces régions et de créer une culture originale, encore peu étudiée, un riche métissage d’hellénisme, d’iranisme et d’hindouisme qui s’exprima surtout dans le domaine de l’art. Ce sont ces grecs implantés en Bactriane et en Sogdiane qui, les premiers, donnèrent un visage au Bouddha. Jusqu’alors, les Indiens ne le figuraient que par des symboles. Et ce visage serein et pur, ce visage si révélateur de ce qu’on nomme l’art gréco-indien du Gandhara est l’œuvre d’artistes grecs venus d’Alexandrie qui l’empruntèrent aux statues et au visage d’Apollon ! Les premières statues du Bouddha ne sont pas en marbre, matériau inexistant dans ces régions, mais en schiste et en stuc — mélange de chaux vive et de sable — dont la technique est originaire d’Alexandrie. Si les artistes grecs s’inspirèrent d’Apollon pour donner des traits au Bouddha, c’est qu’avec son fin sourire, ses traits sereins, sa tunique sobrement plissée, le Dieu de la Lumière proposait une sorte d’esquisse grecque de l’illumination bouddhique. Le Lumineux prêta ses traits à l’Illuminé. Où trouver symbole plus riche et plus fort de la rencontre harmonieuse de deux cultures et de deux religions ?

Le roi Darius n’écouta pas les paroles de Candarcousis. Il dépêcha Clitéus, son bien-aimé, vers Alexandre pour qu’il le voie et qu’il lui donne son avis. Il lui fit porter aussi une petite poupée en bois qu’on fait tourner avec une baguette, deux coffrets vides, deux sacs de graines et la lettre suivante :
« Darius, le roi des rois, dieu de Perse, à son enfant Alexandre, salut. Il me semble Alexandre que tu te sois fâché de ma première lettre dans laquelle je t’écrivais de me servir. Aussi je t’envoie aujourd’hui un jouet, un petite poupée en bois que l’on fait tourner avec une baguette, pour que tu joues avec. Je t’envoies aussi deux coffrets vides et deux sacs de graine. Les coffrets, remplis-les avec les impôts de trois années, et les graines contenues dans les sacs, dénombre-les si tu le peux et tu sauras combien j’ai de soldats. Je te pardonne pour cette fois, mais si tu ne veux pas te retrouver devant moi, prisonnier, veille bien à m’envoyer les impôts et les soldats qui doivent servir dans mon armée, comme ton père le faisait. »
Clitéus remit la lettre à Alexandre et se prosterna devant lui. Il lui remit aussi les coffrets, les graines et la poupée. Alexandre lut la lettre et, cependant qu’il la lisait, hocha la tête et dit : « L’insensé, l’orgueilleux Darius, tout dieu qu’il se nomme lui-même, tombera comme un simple mortel. Pour s’être élevé jusqu’au ciel, il chutera ensuite jusqu’au fond de l’Hadès. » Il brisa les coffrets, mâcha les graines, puis répondit à Darius :

« Le roi des Macédoniens, Alexandre, à Darius, roi des Perses, salut. Tu m’as fait grand honneur et grande considération en m’envoyant cette poupée comme jouet. Tu te gonfles d’orgueil et c’est pourquoi tu tomberas de très haut. C’est un bon jouet que tu m’as adressé, à ce qu’il semble, car un jour je ferai tourner l’univers comme je fais tourner cette poupée. Sache aussi que j’ai mâché les graines, qu’ensuite je les ai recrachées et qu’ainsi je réduirai en miettes ton armée, avec la volonté du Ciel et du Seigneur Sabaoth. J’ai reçu les coffrets comme un cadeau précieux à l’image des forteresses que je prendrai. Limite-toi donc au Levant et au pays des Perses et renonce, une fois pour toutes, au Ponant. »
Il remit la lettre à Clitéus et le renvoya en Perse avec un boisseau de poivre, en guise de présent pour Darius. Avant son départ, Alexandre lui dit : « Tu as vu par toi-même comment j’ai mâché les graines et comment je les ai recrachées. Que Darius compte les grains d’une cosse de ce poivre : j’ai autant de soldats. »
Clitéus retourne chez Darius.
Cette correspondance entre Alexandre et Darius est entièrement imaginaire. Ce Clitéus, « bien-aimé de Darius » était en réalité le bien-aimé et le favori d’Alexandre. Il s’agit de Kleitos, un Noir qui servit comme officier sous le règne de Philippe et commandait un escadron nommé « L’Île royale ». Il suivit Alexandre dans toutes ses campagnes et lui sauva même la vie à la bataille du Granique. Des années plus tard, au cour d’un banquet à Samarcande, Alexandre le poignarda dans un moment d’ivresse.
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Jun 16, 2010 | Arts, Livres et carnets |
Au creux des reins de cette période sensuelle qu’est le Moyen-Âge se nichent des hommes qui avaient le don des belles choses et qui ont passé leur vie à employer leur don exceptionnel pour le dessin et la peinture afin d’illustrer la vie de leur époque, les événements qui ont marqué l’histoire et les récits et les hauts-faits des Grands Hommes. Concrétion des arts graphiques de cette période qu’on appelle la Première Renaissance, l’Enluminure recèle toutes les splendeurs et les plus belles techniques d’une période plus romantique qu’il n’y paraît. Les instruments et les couleurs eux-mêmes sont porteurs de noms fantasmatiques ; calame, vélin, lettrine, sépia, azurite et orpiment…
Voici un tour d’horizon des plus belles œuvres et des plus grands faiseurs de lumière de cette forme d’art graphiquement et naturellement haute en couleurs.

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May 18, 2010 | Arts, Sur les portulans |

Photo © Jaime Pérez
Les muqarnas (مقرنص — Mocárabes en castillan) sont des ornements en stuc peint que l’on trouve en particulier dans les palais de l’Alhambra, venant de Perse et diffusées tout le long du monde arabe. Leur construction en nid d’abeille évoque inévitablement la voûte céleste constellée d’étoiles. C’est un des ornements les plus complexes et les plus raffinés qui soit, surtout lorsque sa légèreté emplit des voûtes entières.
Une simple recherche sur muqarna ou sur mocárabes emmène vers des choses tout à fait surprenantes. (more…)
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May 15, 2010 | Arts, Sur les portulans |
La civilisation mycénienne — grande pourvoyeuse de poteries et de vases — a vécu son déclin commencer et son homogénéité perdre de la consistance lorsque les styles locaux sont apparus.
Parmi ces styles, le style dit “à poulpes” dont les vases sont décorés de poulpes aux tentacules recouvrant la plus grande partie de l’œuvre. Ces vases ont parfois des dimensions impressionnantes. Le second vase est lui représentatif d’une représentation plus figurée.

Gourde de pèlerin, Musée d’Héraklion
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May 4, 2010 | Sur les portulans |
La grotte qui restera dans l’ombre
En 2000, une grotte de grande importance a été découverte — on dit inventée, et le découvreur devient inventeur — entre Bergerac et Sarlat-la-Canéda, sur le commune de Le Buisson-de-Cadouin. La grotte de Cussac renferme plus de cent cinquante gravures du Gravettien. L’âge des gravures — on y trouve également quelques rares traces de ponctuation de couleur — remonte à 25 000 ans et sa spécificité consiste en l’association des gravures et de sépultures aménagées dans les bauges à ours (cavités de trois à quatre mètres de diamètre, creusées par les ours dans l’argile meuble pour leur hibernation). Contrairement à d’autres grottes, l’accès en aurait été comblé après les inhumations, ce qui étaie l’idée que ce lieu était une sépulture ; la présence de gravures sur les murs renforce la présupposition que cette forme d’art est associée sinon à une religion, au moins à des croyances certainement chamaniques (voir Clottes et Lewis-Williams).
Cette grotte est encore sous surveillance scientifique car tous les relevés n’ont pas encore été effectués à ce jour. De plus, de fortes émanations de dioxyde de carbone en interdisent l’accès et pour cette raison, ce chef-d’œuvre ne pourra certainement jamais être ouvert au public.

La ville de lumière
Non loin de la légendaire péninsule du Yucatán, près de la petite ville de Tapijulapa coule une rivière laiteuse, d’une vague couleur turquoise, portant le nom prédestiné d’Azufre (souffre). Cette rivière provient des confins de la terre et lorsqu’on en remonte le cours d’eau vers sa source, une affreuse odeur d’œuf pourri saisit à deux kilomètres à la ronde, à tel point qu’aucune avancée n’est possible sans masque à gaz. La rivière prend sa source dans une grotte nommée Villa Luz (ville de lumière), en raison des grandes cavités qui lui confèrent une source lumineuse non négligeable, et elle est alimentée par une vingtaine de sources sulfurées dont on ne connait pas l’origine, puits pétrolifère ou proximité avec le volcan El Chichón…? Ici, la faune microbienne transforme l’hydrogène sulfuré en acide sulfurique et se nourrit de cet environnement particulièrement hostile. D’affreuses bactéries blanches collées aux parois pendouillent en se repaissant de cet air particulièrement nocif qui ne contient plus à certains endroits que 9,6% d’oxygène. Ces concrétions sont appelées prosaïquement « stalactites de morves » et contribuent à l’appellation d’une des caves de « paradis de morve ». La présence de lumière dans cette grotte à l’atmosphère particulièrement irrespirable (les cavités à l’air libre ont été creusées par le gaz, augmentant rapidement le volume de la grotte) est à l’origine de cette vie étrange qui s’est développée ici, comme par exemple Poecilia Mexicana, une sorte de Molly qui prend une coloration rouge vif en raison du fort taux d’hémoglobine lui permettant de capturer le peu d’oxygène des lieux, ou une espèce de diptère chironomide, envahissant la grotte à raison de dix individus par centimètre carré. L’espèce adulte ne se nourrit pas, puisant ses réserves accumulées à l’état larvaire. Une partie de la population est de couleur verte, l’autre de couleur rouge, sans raison apparente, ou connue en tout cas. D’autre part, fait étrange, deux couloirs inaccessibles fourmillent d’un bourdonnement intense, et on imagine que c’est le diptère qui en est à l’origine, mais à l’endroit où on peut l’observer, il reste silencieux.

Une civilisation révélée grâce au poison
En 1996, Robert Duane Ballard, le découvreur des épaves du Titanic et du Bismark, se lance dans un projet qui consiste à comprendre les origines de la Mer Noire. On savait depuis que certains relevés avaient été faits dans le bassin que plusieurs couches d’eau différentes se superposaient. La première plongeant à 200 mètres est une couche oxygénée. Le seconde, entre ‑200 et ‑600 mètres est une couche mixte fluctuante. La troisième sous 600 mètres est totalement anoxique (privé d’oxygène). Il y a des milliers d’années, la Mer Noire était un lac d’eau douce faisant environ les deux tiers de sa taille actuelle, une oasis féconde entourée par un paysage de steppes sèches. Avec les images satellites, on voit bien la limite de l’ancien lac. Il y a environ 12000 ans, la fin de la période glaciaire fait monter le niveau des océans. La Mer de Marmara se forme et il y a environ 7500 ans, ouvre une brèche dans une langue de terre qu’on appelle le Bosphore. En 1998, deux scientifiques, William Ryan et Walter Pitman découvrent, après avoir trouvé des restes de coquillages d’eau douce que le phénomène n’a pas été graduel mais au contraire d’une rare violence. Une cascade impétueuse se met alors en branle et déverse l’eau salée dans la cuvette avec un débit estimé à deux cents fois celui des chutes du Niagara. Le niveau de l’eau aurait monté de 15 cm/jour et aurait refoulé les riverains des rivages d’un kilomètre par jour jusqu’à ce que le niveau de l’eau monte jusqu’à 180 mètres au-dessus du niveau initial.
Les résidus trouvés sur les rivages par l’expédition Ballard ont mis en évidence qu’une activité commerciale a fleuri sur ces rives pendant 3000 ou 4000 ans. Des restes d’habitations de bois et de boue ont été découverts en dehors de la zone anoxique sulfurée, à quelques centaines de mètres du rivage, ce qui indique clairement que la nappe se déplace, tuant les poissons et noircissant les filets des pêcheurs. La particularité de cette couche empêchant la prolifération de la vie et notamment des espèces perceuses de bois comme le taret, est qu’elle permet la conservation des matières organiques et donc du bois. L’expédition a pu ainsi mettre à jour les restes de navires datant de l’empire romain et de l’empire byzantin datant de 1500 ans. Aucun autre milieu n’aurait pu amener jusqu’à notre époque de tels vestiges.

Photo © Caucas
Rivages de la Mer Noire à Sinop, Turquie
Ce déluge d’eau salée a balayé des populations vers de nouvelles terres, expulsant des milliers de personnes en étoile qui auraient colporté le récit de cette invasion d’eau. C’est très certainement de là que viennent les récits bibliques du Déluge (le Mont Ararat ne se trouve qu’à 200 kilomètres des rives de la Mer Noire), mais également le passage du Déluge de l’Épopée de Gilgamesh ou encore le mythe de l’Atlantide.
Localisation Google Maps de la grotte de Cussac, de Villa Luz et du lieu des recherches de l’expédition Ballard.
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