Notes hiver­nales #1

J’a­vais entre­pris mon blog comme un bloc-notes, mais je n’ai jamais réel­le­ment retrans­crit ces web-notes ici. Aus­si, j’ai des tonnes de liens qui pour­rissent dans un coin que j’ai appe­lé la Malle des Indes. Il serait peut-être temps pour moi de com­men­cer à les déli­vrer, d’au­tant que ça ne sert que si c’est partagé.

1. Archéo­lo­gie de l’abandon

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Sebas­tian Schu­ty­ser — Ermita

Sebas­tian Schu­ty­ser a pho­to­gra­phié 575 cha­pelles romanes à tra­vers l’Eu­rope avec un sté­no­pé (ou “pin­hole came­ra”). Toutes ces struc­tures ont pour point com­mun d’être des lieux construits à l’é­cart du monde. Un tra­vail superbe sur l’ar­chi­tec­ture de l’hu­mi­li­té et de la sim­pli­ci­té, ren­for­cé par le cadre simple de l’en­vi­ron­ne­ment de ces lieux hors du temps, hors des lieux des hommes. Tout ceci est fort bien expli­qué par Geoff Manaugh sur son superbe site BLDG­BLOG.

A voir éga­le­ment un tra­vail superbe sur les mos­quées en adobe du Mali.

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Mère et tête de toutes les églises de la ville et du monde

L’Archi­ba­si­lique du Très-Saint-Sau­veur, plus connue sous le nom de basi­lique Saint-Jean-de-Latran est omnium urbis et orbis eccle­sia­rum mater et caput, Mère et tête de toutes les églises de la ville et du monde. Moins connue dans les esprits que la basi­lique Saint-Pierre, elle est pour­tant la pre­mière des églises dans l’ordre pro­to­co­laire, avant Saint-Pierre et fait par­tie des quatre basi­liques papales de Rome. Détruite à de mul­tiples reprises, elle est aujourd’­hui recons­truite dans un style majo­ri­tai­re­ment baroque ita­lien (c’est à dire à mon sens, pas tou­jours de très bon goût). On peut tou­te­fois encore admi­rer dans la cha­pelle du bap­tis­tère les restes de la basi­lique pri­mi­tive, com­men­cée en 315, avec une construc­tion d’ins­pi­ra­tion byzan­tine et des mosaïques dorées de toute beau­té qui font oublier la gran­di­lo­quence fas­tueuse de la basi­lique elle-même. Il est à noter que la mosaïque de l’ab­side date du IVème siècle, même si elle a été pro­fon­dé­ment res­tau­rée au XIIème siècle. On peut aujourd’­hui grâce au site du Vati­can visi­ter vir­tuel­le­ment (avec une musique tout ce qu’il y a de plus adap­tée) l’en­semble du bâti­ment comme vous ne le ver­rez cer­tai­ne­ment jamais, comme par exemple la cha­pelle Lan­cel­lot­ti ou la cha­pelle Cor­si­ni, qui ne sont pas ouvertes au public. Même si le lieu est impres­sion­nant de gran­diose et de faste, il reste une des mani­fes­ta­tions les plus flam­boyantes d’un art baroque qui ne s’est jamais embar­ras­sé de sim­pli­ci­té et qui n’hé­site pas à user d’une cer­taine théâ­tra­li­té qui sied mal à un lieu de recueille­ment, fût-il à la tête des autres…

Il est à noter que le Pré­sident de la Répu­blique Fran­çaise reçoit pour comme titre celui de Cha­noine d’Hon­neur de Saint-Pierre-de-Latran. Les deux seuls pré­si­dents de la cin­quième répu­blique à avoir refu­sé leur intro­ni­sa­tion sont Georges Pom­pi­dou et Fran­çois Mitterrand.

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Les Heures Claires

On a, je crois, cer­tai­ne­ment déjà tout dit sur Le Cor­bu­sier et la belle et immense mai­son qu’il a des­si­né pour les époux Savoye à Pois­sy. On a, je crois, déjà expli­qué en long, en large et en tra­vers tout ce qui fait le génie de Cor­bu, ses fenêtres ban­deaux, le fait de construire un jar­din-ter­rasse sur le toit, les pilo­tis et la libre-cir­cu­la­tion qu’ils engendrent, ses plans libres de toute contrainte de por­tance et ses façades indé­pen­dantes. On sait par contre un peu moins qu’il conce­vait abso­lu­ment tout : inté­gra­tion de tablettes dans les murs pour créer des espaces de tra­vail, prises élec­triques, appliques murales, poi­gnées de porte, et bien évi­dem­ment, le mobi­lier : dans la Vil­la Savoye, moins connue sous le nom de Les Heures Claires sont expo­sés et lais­sés libre à l’u­sage la chaise LC1 (LC comme Le Cor­bu­sier…), le fau­teuil LC2 et la très confor­table chaise longue LC4, ou encore la table LC6. Tout ici est en situation.

Le Cor­bu­sier avait éga­le­ment conçu la mai­son du jar­di­nier à par­tir du modèle qu’il avait créé de mai­son mini­mum uni­fa­mi­liale à voca­tion sociale, pré­sen­té au congrès des CIAM de 1929 avec son cou­sin Pierre Jean­ne­ret. Construite entre 1928 et 1931, ce lieu est d’un incroyable moder­nisme, inéga­lé aujourd’­hui, mais soyons hon­nête, le lieu est incroya­ble­ment froid et serait à mon sens peu agréable à vivre. C’est un des seuls monu­ments his­to­riques clas­sé du vivant de son créateur.
J’ai visi­té le lieu en 1993 alors que sa longue res­tau­ra­tion était encore en cours et qu’il fal­lait pré­ve­nir pour la visi­ter, et déjà à l’é­poque, le charme avait opé­ré. 36 pho­tos sur Fli­ckr
Loca­li­sa­tion sur Google Maps.

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Trous de boulin

Avec mon grand-père, on aimait bien par­ta­ger toutes les choses nou­velles qu’on pou­vait apprendre cha­cun de notre côté. Par­fois, les dis­cus­sions pou­vaient se com­plé­ter et s’ap­por­ter elles-mêmes des infor­ma­tions qui enri­chis­saient le tronc com­mun. Une des der­nières dont il m’ait par­lé concer­nait une solu­tion à ses mots croi­sés, un mot que nous igno­rions l’un comme l’autre ; le bou­lin. Voi­ci la défi­ni­tion que j’en ai trou­vé sur Wikipédia:

Un bou­lin est une pièce d’é­cha­fau­dage en bois, hori­zon­tale, enga­gée dans la maçon­ne­rie par une ouver­ture nom­mée trou de bou­lin. Le bou­lin porte le plan­cher de l’é­cha­fau­dage. C’est une pièce en bas­cule sou­la­gée à son extré­mi­té oppo­sée par des pièces de bois ver­ti­cales nom­mée échasse. Les trous de bou­lin sont pré­sents dans l’ar­chi­tec­ture depuis la plus haute anti­qui­té. Borgnes ou tra­ver­sants, ils marquent les points où l’é­cha­fau­dage était fixé, don­nant ain­si de indi­ca­tions sur les tech­niques utilisées.

Pho­to © Revue archéo­lo­gique du centre de la France
Mise en évi­dence des ali­gne­ments de trous de bou­lins sur une mai­son de la rue du Géné­ral Meus­nier à Tours

J’a­voue que ce n’est pas le genre d’in­for­ma­tion dont on se sert cou­ram­ment, aus­si j’en avais oublié le sens mais pas la sono­ri­té, et lorsque je suis tom­bé sur le pas­sage de ce livre [1], tout m’est reve­nu en mémoire, car bien évi­dem­ment, mon grand-père devait savoir:

Le plus sou­vent, l’é­cha­fau­dage n’ap­pa­raît dans les textes qu’à l’oc­ca­sion d’un acci­dent : ici le maître d’œuvre y fait une chute ; là, une pièce de bois choit sur un ouvrier ou sur un jeune moine que par­fois le com­man­di­taire, un saint abbé, rend à la vie. Ses carac­té­ris­tiques maté­rielles son très rare­ment évo­quées : la vie de Gauz­lin fait état des claies, uti­li­sées concur­rem­ment avec les planches et les pla­te­lages (sur­faces de cir­cu­la­tion). L’ar­chéo­lo­gie des élé­va­tions en res­ti­tue la struc­ture et l’his­toire. En effet, les édi­fices romans laissent voir sur leurs élé­va­tions des séries assez régu­lières de trous qua­dran­gu­laires défi­nis­sant des hori­zon­tales et des ver­ti­cales. Il s’a­git de « trous de bou­lin », loge­ments de ces bois hori­zon­taux (« bou­lins ») qui, fixés dans le mur, soli­da­ri­saient l’é­cha­fau­dage avec la construc­tion en cours et por­taient les pla­te­lages. Véri­table néga­tif de l’ou­vrage de bois dis­pa­ru, l’en­semble de ces trous de bou­lin des­sine l’or­ga­ni­sa­tion géné­rale de l’é­cha­fau­dage, où l’on dis­tingue aisé­ment le pro­jet ini­tial des exten­sions, rajouts et reprises. Notons que l’ab­sence de trous de bou­lin peut cor­res­pondre à une absence d’é­cha­fau­de­ment ou à une écha­fau­dage libre, main­te­nu par deux rangs de perches ver­ti­cales dont on retrouve par­fois les trous de calage dans le sol.
L’a­na­lyse des trous de bou­lin est riche d’en­sei­gne­ments les plus divers : géo­gra­phie tech­nique — par exemple, les trous de bou­lin qua­dran­gu­laires dans toute l’Eu­rope romane, sont sou­vent courbes (quart ou moi­tié de cercle) dans l’ouest de la France ou bien des­sinent une meur­trière dans l’I­ta­lie méri­dio­nale, comme si on avait uti­li­sé des planches sur chant plu­tôt que des poutres ; pro­duc­tion de bois : les sec­tions de bou­lin sont assez homo­gènes et mesurent le plus sou­vent de 80mm à 140mm de côté, mais l’ex­plo­sion de la construc­tion dans des régions mal dotées en bois adap­tés a pu entraî­ner l’ap­pa­ri­tion de sec­tions extrê­me­ment variables cor­res­pon­dant à du tout-venant  mal cali­bré, notam­ment des poutres en rem­ploi ; chro­no­lo­gie rela­tive et chro­no­lo­gie abso­lue des tranches de tra­vaux : les varia­tions dans la struc­ture de l’é­cha­fau­dage des­sinent sou­vent la suc­ces­sion des phases (à Lyon, l’é­tude conjointe de l’é­cha­fau­de­ment et de la litur­gie a don­né la chro­no­lo­gie de la cathé­drale à la fin du XIIè siècle) et, lorsque le mur livre des frag­ments de bou­lin, l’a­na­lyse par den­dro­chro­no­lo­gie ou car­bone 14 rend pos­sible une data­tion abso­lue ; cahier des charges : les hau­teurs de pla­te­lage, les entraxes des bou­lins et leurs por­tées mettent en évi­dence les uti­li­sa­tions de l’é­cha­fau­dage, par­fois une forme de spé­cia­li­sa­tion ; ain­si l’é­cha­fau­dage héli­coï­dal (une rampe conti­nue en coli­ma­çon des­ti­née à la seule cir­cu­la­tion des per­sonnes) est-il spé­cia­li­sé dans la construc­tion des don­jons de plan circulaire.
[…] L’é­cha­fau­dage était uti­li­sé sur­tout par les maçons (joints et enduits), les sculp­teurs (décor sculp­té sur place), les tailleurs venant véri­fier les dimen­sions et la forme de tel bloc, les por­teurs de mor­tier figu­rés dans l’i­co­no­gra­phie romane, les gru­tiers et, bien sûr, le maître d’œuvre. Il per­met­tait un dépla­ce­ment rapide dans les par­ties hautes du chan­tier, les baies déjà réa­li­sées offrant un pas­sage d’un côté à l’autre du bâti, mais le trans­port de maté­riaux lourds devait être effec­tué sur l’a­rase du mur. Les ouver­tures (lan­cettes, roses, rosaces) pou­vaient rece­voir un écha­fau­dage propre, pour faci­li­ter le mon­tage des par­ties cla­vées et des sculp­tures, et peut-être la pose de ver­rières. À la fin des tra­vaux, l’é­cha­fau­dage était natu­rel­le­ment démon­té ; les trous de bou­lin étaient sou­vent bou­chés et l’en­duit les cou­vrant gra­vé d’une marque : on lais­sait ain­si la pos­si­bi­li­té à des pro­fes­sion­nels devant inter­ve­nir quelques dizaines ou cen­taines d’an­nées plus tard de retrou­ver les trous de bou­lin et de les rem­ployer dans le mon­tage de leur échafaudage.

Pho­to © Monu­ments his­to­riques de PACA

J’aime beau­coup l’i­dée que le bou­lin soit un outil en propre et que l’é­cha­fau­dage qu’il per­met de sou­te­nir fait corps avec le bâti en cours et ne l’é­pouse pas comme c’est le cas de la plu­part des écha­fau­dages d’au­jourd’­hui. La struc­ture ne peut ain­si être mon­tée qu’a­vec le mur, sur le même rythme. Éga­le­ment, l’i­dée que les maçons de l’é­poque lais­saient à leur des­cen­dant la pos­si­bi­li­té de retra­vailler l’ou­vrage avec les trous exis­tant montre à quel point la construc­tion en pierre est à ce point ancrée dans la civi­li­sa­tion et se trans­met dans le temps comme un tré­sor de famille.

Pho­to © Lan­kaart.
Trous de bou­lin sur les pans dépri­més (lésènes[2]) de l’Ab­baye de Gel­lone ou Abbaye de Saint-Guil­hem-Le-Desert. On peut voir éga­le­ment sur ce même billet les trous de bou­lins sur les élé­va­tions à l’in­té­rieur de l’abbaye.

Liens:

  1. Site de l’inven­taire du patri­moine archi­tec­tu­ral de la Région de Bruxelles ; on y apprend la fonc­tion des cache-bou­lin sur les mai­sons belges, notam­ment rue de Lis­bonne.
  2. Site du pro­jet Mar­ti­net qui vise à réha­bi­li­ter les trous de bou­lin en nichoirs.
  3. Site de la com­mune de Préaut, près de la Roche-sur-Yon en Ven­dée ; on y explique la fonc­tion des trous de bou­lin, mais aus­si des bou­tisses tra­ver­santes et des ren­forts de murs, leur évi­tant de “prendre du ventre”.

Notes:

(1) Ini­tia­tion à l’art Roman, archi­tec­ture et sculp­ture. Sous la direc­tion d’Anne PRACHE, Phi­lippe Pla­gneux, Nico­las Revey­ron, Danielle V. John­son. Edi­tions Zodiaque. 2002, p.34–35.
(2) La lésène (éga­le­ment appe­lée bande lom­barde) est un élé­ment archi­tec­tu­ral déco­ra­tif très uti­li­sé sur les façades des églises romanes. On les nomme éga­le­ment pans dépri­més car ces élé­ments sont en retrait par rap­port à la façade.
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