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Lettres de voyage

Lettres de voyage

Alors que ma main tremble légè­re­ment à cause d’une ten­di­nite qui a cru bon de s’ins­tal­ler et ne pas vou­loir reprendre son envol depuis deux mois, alors que mon bras est endo­lo­ri et réclame le repos qui lui est dû, je conti­nue d’é­crire sur mon car­net avec une cer­taine emphase, vidant la car­touche d’encre qui se répand sur le papier épais, et contre toute attente, il me semble écrire si vite que l’encre peine à des­cendre de son fût au bon rythme, la plume racle alors le papier dans un désa­gréable cris­se­ment lisse qui m’a­gace autant par son bruit mal­ve­nu que par cette inca­pa­ci­té de l’ou­til à suivre mon désir. Je ne pen­sais pas pou­voir réécrire un jour autant, si vite, avec autant d’ai­sance, moi qui suis deve­nu l’es­clave au quo­ti­dien d’un cla­vier habi­tué désor­mais à ne plus taper que des compte-ren­dus de réunions, dres­ser des tableaux de cal­culs imbi­tables et rem­plir des cases dans des dos­siers de demandes de sub­ven­tions. Le flux ne m’a visi­ble­ment jamais quit­té. Ce n’é­tait appa­rem­ment qu’une ques­tion de paresse.

Ce n’est une bonne nou­velle que pour moi, qui n’a pas vrai­ment d’in­ci­dence sur l’ordre des choses, ni sur le cours de l’exis­tence. Mon jour­nal troué a repris vie là où je m’é­tais arrê­té, aga­cé cer­tai­ne­ment par des tranches de vie où je ne sup­por­tais plus d’a­voir sur le dos des emmerdes dans les­quelles je m’é­tais four­ré seul, et non content de les avoir exor­ci­sées, j’ai fini par croire que la fata­li­té n’est pas une orien­ta­tion qu’il faut suivre aveu­glé­ment. Rien n’ar­rive pas hasard, mais rien non plus n’est défi­ni­tif, et les revers de for­tune ne sont que des pierres blanches que le temps finit par recou­vrir de mousse. Oui, il faut avoir l’es­prit dis­po­nible et pour cela, on doit par­fois éva­cuer les gens qui vous pol­luent, parce que mal­veillants, sots, ou cal­cu­la­teurs. Hop. Fini. Der­rière. J’ai pris soin de relire ce que j’a­vais écrit là où j’a­vais lais­sé les choses se faire ; j’ai alors mesu­ré à quel point j’ai été idiot. Aujourd’­hui, je reprends l’é­cri­ture, mais pas que. J’é­cris des lettres de mes voyages, illus­trées. Le livre que j’ai écrit est figé dans le temps, il cor­res­pond à une époque et sera sans suite. Je passe à autre chose, qui me pren­dra du temps mais qui cor­res­pond plus désor­mais à ma façon de voya­ger. Ce que j’y recherche n’est pas tant le goût du dépay­se­ment que le sou­hait de me confron­ter à l’in­con­nu. Il y a mille façon de se faire cha­hu­ter au quo­ti­dien, mais rien ne cha­hute autant que l’in­des­crip­tible monde facé­tieux qui s’ouvre aux fron­tières de chez nous ; et quand je dis aux fron­tières, c’est à la porte, là, dehors, une fois le seuil pas­sé du por­tail. Alors voi­là, je n’ai plus de limites, je m’en­traîne là où j’ai le désir d’al­ler, dans des péré­gri­na­tions réelles ou ima­gi­nées, au fil de pages qui seront l’ex­pres­sion sin­cère de mes envies et de mes dési­rs, avec de temps en temps des extraits de L’u­sage du monde, de Nico­las Bou­vier, comme celui-ci où il est ques­tion des mouches asia­tiques, dont seul lui sait par­ler avec autant de réa­lisme et de poé­sie mêlés. 
Lettres de voyages — Car­net. Page 1
J’aurai long­temps vécu sans savoir grand-chose de la haine. Aujourd’hui j’ai la haine des mouches. Y pen­ser seule­ment me met les larmes aux yeux. Une vie entiè­re­ment consa­crée à leur nuire m’apparaîtrait comme un très beau des­tin. Aux mouches d’Asie s’entend, car, qui n’a pas quit­té l’Europe n’a pas voix au cha­pitre. La mouche d’Europe s’en tient aux vitres, au sirop, à l’ombre des cor­ri­dors. Par­fois même elle s’égare sur une fleur. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, exor­ci­sée, autant dire inno­cente. Celle d’Asie, gâtée par l’abondance de ce qui meurt et l’abandon de ce qui vit, est d’une impu­dence sinistre. Endu­rante, achar­née, escar­bille d’un affreux maté­riau, elle se lève matines et le monde est à elle. Le jour venu, plus de som­meil pos­sible. Au moindre ins­tant de repos, elle vous prend pour un che­val cre­vé, elle attaque ses mor­ceaux favo­ris : com­mis­sures des lèvres, conjonc­tives, tym­pan. Vous trouve-t-elle endor­mi? elle s’aventure, s’affole et va finir par explo­ser d’une manière bien à elle dans les muqueuses les plus sen­sibles des naseaux, vous jetant sur vos pieds au bord de la nau­sée. Mais s’il y a plaie, ulcère, bou­ton­nière de chair mal fer­mée, peut-être pour­rez-vous tout de même vous assou­pir un peu, car elle ira là, au plus pres­sé, et il faut voir quelle immo­bi­li­té gri­sée rem­place son odieuse agi­ta­tion. On peut alors l’observer à son aise : aucune allure évi­dem­ment, mal caré­née, et mieux vaut pas­ser sous silence son vol rom­pu, erra­tique, absurde, bien fait pour tour­men­ter les nerfs – le mous­tique, dont on se pas­se­rait volon­tiers, est un artiste en com­pa­rai­son. Cafards, rats, cor­beaux, vau­tours de quinze kilos qui n’auraient pas le cran de tuer une caille; il existe un entre-monde cha­ro­gnard, tout dans les gris, les bruns mâchés, beso­gneux aux cou­leurs minables, aux livrées subal­ternes, tou­jours prêts à aider au pas­sage. Ces domes­tiques ont pour­tant leurs points faibles – le rat craint la lumière, le cafard est timo­ré, le vau­tour ne tien­drait pas dans le creux de la main – et c’est sans peine que la mouche en remontre à cette pié­taille. Rien ne l’arrête, et je suis per­sua­dé qu’en pas­sant l’Ether au tamis on y trou­ve­rait encore quelques mouches. Par­tout où la vie cède, reflue, la voi­là qui s’affaire en orbes mes­quines, prê­chant le Moins – finissons-en…renonçons à ces pal­pi­ta­tions déri­soires, lais­sons faire le gros soleil – avec son dévoue­ment d’infirmière et ses mau­dites toi­lettes de pattes. L’homme est trop exi­geant: il rêve d’une mort élue, ache­vée, per­son­nelle, pro­fil com­plé­men­taire du pro­fil de sa vie. Il y a tra­vaille et par­fois il l’obtient. La mouche d’Asie n’entre pas dans ces dis­tinc­tions-là. Pour cette salope, mort ou vivant c’est bien pareil et il suf­fit de voir le som­meil des enfants du Bazar (som­meil de mas­sa­crés sous les essaims noirs et tran­quilles) pour com­prendre qu’elle confond tout à plai­sir, en par­faite ser­vante de l’informe. Les anciens, qui y voyaient clair, l’ont tou­jours consi­dé­rée comme engen­drée par le Malin. Elle en a tous les attri­buts : la trom­peuse insi­gni­fiance, l’ubiquité, la pro­li­fé­ra­tion fou­droyante, et plus de fidé­li­té qu’un dogue (beau­coup vous auront lâché qu’elle sera encore là). Les mouches avaient leurs dieux : Baal-Zeboub (Bel­zé­buth) en Syrie, Mel­kart en Phé­ni­cie, Zeus Apo­myios d’Elide, aux­quels on sacri­fiait, en les priant bien fort d’aller paître plus loin leurs infects trou­peaux. Le Moyen-Age les croyait nées de la crotte, res­sus­ci­tées de la cendre, et les voyait sor­tir de la bouche du pécheur. Du haut de sa chaire, saint Ber­nard de Clair­vaux les fou­droyait par grappes avant de célé­brer l’office. Luther lui-même assure, dans une de ses lettres, que le Diable lui envoie ses mouches qui “ “conchient son papier” “. Aux grandes époques de l’empire chi­nois, on a légi­fé­ré contre les mouches, et je suis bien cer­tain que tous les Etats vigou­reux se sont, d’une manière et de l’autre, occu­pés de cet enne­mi. On se moque à bon droit – et aus­si parce que c’est la mode – de l’hygiène mala­dive des Amé­ri­cains. N’empêche que, le jour où avec une esca­drille les­tée de bombes DDT ils ont occis d’un seul coup les mouches de la ville d’Athènes, leurs avions navi­guaient exac­te­ment dans les sillages de saint Georges.
 
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Une pluie de Bouddhas

Une pluie de Bouddhas

Des Boud­dhas comme s’il en pleu­vait, un mil­lion peut-être, peut-être plus, mais des myriades de Boud­dhas. Des Boud­dhas dans des niches dorées, accom­pa­gnés dans leur éveil de cen­taines de petits bâton­nets rouges à la pointe incan­des­cente des­si­nant dans l’air chaud des volutes incom­pré­hen­sibles et poin­tant du doigt le sens du vent, char­riant une odeur âcre et par­fu­mée qui embaume l’air où que l’on se trouve. Ici ou là, tout nous rap­pelle que la terre que nous fou­lons n’est ni plus ni moins qu’un espace de tran­si­tion entre notre exis­tence faite de chair et le monde vapo­reux des esprits et des dieux ; l’exis­tence des dieux ne fait pas de doutes, ils sont par­tout autour de nous et on nous rap­pelle sans cesse que le Prince Sid­dhar­tha passe son temps à se battre contre la ten­ta­tion de Māra et qu’il prend la terre à témoin dans la posi­tion du Bhû­mis­par­sha-Mudrā. Toute vie ne dure, en réa­li­té, qu’un seul et bref ins­tant de conscience…

Peu importe le nombre qu’ils repré­sentent, c’est la myriade qui fait sens, l’in­con­grue et imper­ma­nente mul­ti­pli­ci­té singulière.

Sym­bole de la dynas­tie Chakri

Pen­dant ce temps, la Thaï­lande mil­lé­naire vit son petit bon­homme de che­min dans l’ère moderne. Le bon roi Rama IX, Bhu­mi­bol Adu­lya­dej (ภูมิพลอดุลยเดช), mort en 2016 après un règne d’une lon­gé­vi­té excep­tion­nelle (70 ans, 4 mois et 4 jours, pen­dant les­quels il a tout de même épui­sé 26 pre­miers ministres) et une fin de règne mar­quée par un teint cireux et figé, a fina­le­ment lais­sé sa place à son suc­ces­seur. Dans la dynas­tie Cha­kri qui tient le pou­voir (oui enfin plus trop) depuis 1792, il reste quatre des­cen­dants, tous affu­blés de petits noms faciles à retenir.

  • Une pre­mière fille : Ubol­ra­ta­na Raja­ka­nya Siri­vadha­na Bar­na­va­di (อุบลรัตนราชกัญญา สิริวัฒนาพรรณวดี)
  • Un pre­mier fils : Maha Vaji­ra­long­korn Bodin­dra­de­baya­va­rang­kun (มหาวชิราลงกรณ บดินทรเทพยวรางกูร)
  • Som­dech Phra Deba­rat­ta­na­ra­ja­su­da Chao Fa Maha Cha­kri Sirind­horn Rat­tha­si­ma­gu­na­korn­piya­jat Sayam­bo­ro­ma­ra­ja­ku­ma­ri (สมเด็จพระเทพรัตนราชสุดา เจ้าฟ้ามหาจักรีสิรินธร รัฐสีมาคุณากรปิยชาติ สยามบรมราชกุมารี)
  • Som­det Phra­chao Luk Thoe Chao­fa Chu­labhorn Walai­lak Agra­ra­ja­ku­ma­ri (สมเด็จพระเจ้าลูกเธอ เจ้าฟ้าจุฬาภรณวลัยลักษณ์ อัครราชกุมารี)

Et c’est bien évi­dem­ment le gar­çon qui a rem­por­té le coco­tier sous le nom de Rama X et qu’on appel­le­ra pour plus de com­mo­di­té, Vaji­ra­long­korn. Mais voi­là, ce n’est pas un roi comme les autres. On l’a vu des­cendre d’un avion sim­ple­ment vêtu d’un top crop lais­sant appa­raître ses tatouages et d’un jean taille basse, pre­nant dans ses bras un caniche cer­tai­ne­ment royal. Pour faci­li­ter la vie à la famille royale, il s’est marié à une rotu­rière dont la moi­tié de la famille a été accu­sée de cor­rup­tion et crou­pit actuel­le­ment dans une geôle tro­pi­cale. Peu inté­res­sé par les choses du pou­voir, il a déci­dé de gou­ver­ner la Thaï­lande depuis son nid d’aigle bava­rois en lais­sant les affaires cou­rantes à ses sœu­rettes. Voi­là la Thaï­lande dans de beaux draps. Per­sonne ne vous le dira, mais tout le monde regrette le bon roi Rama IX, modèle de ver­tu et de sagesse…

Alors voi­là. La Thaï­lande revient dans la dis­cus­sion. J’aime les redites lorsque tout me convient. J’aime mar­cher à nou­veau dans mes pas et tant que je ne me lasse pas, je peux remettre ça autant de fois que je le sou­haite. Je fais la liste de toutes ces villes tra­ver­sées, de tous ces temples dans les­quels j’ai pu m’as­seoir, les pieds tour­nés à l’exact oppo­sée des Boud­dhas hié­ra­tiques, de tous ces wat, ubo­sot, che­di et viharn croi­sés sur le bord des routes, des Boud­dhas de la semaine (si vous êtes né un mar­di comme moi, sachez que c’est le jour du Pang Sai Yat, et que si Boud­dha est allon­gé ce jour-là, c’est parce qu’il a rabais­sé la fier­té de Asu­ra Rahu, eh oui…) Je me remé­more les lieux per­dus dans les­quels je me suis moi-même per­du, les petits quar­tiers où l’on mange un bouillon de pou­let et des nouilles sous des bâches sombres qui ont cette fâcheuse ten­dance à gar­der la cha­leur étouf­fante, les places gigan­tesques où la misère a du mal à se ter­rer et que l’on peine à sup­por­ter sous ces lati­tudes tro­pi­cales. Je me refais la liste de toutes ces choses que j’ai vues et dont je n’ai pas par­lé ici, parce que le temps est pré­cieux et que je ne sais même plus par où commencer.

J’ai posé mes valises à Sukho­thaï où j’ai eu tout le loi­sir de me faire dévo­rer par des mous­tiques car­nas­siers, à Phet­cha­bu­ri où je suis arri­vé en train après un voyage rocam­bo­lesque et où je me suis fait cour­ser par un singe grand comme en enfant qui en vou­lait à mon appa­reil pho­to, à Lam­pang où je me suis arrê­té en rase cam­pagne sous une pluie bat­tante pour visi­ter un temple shan qu’au­cune carte ne men­tionne, qu’au­cun guide ne connaît, j’ai vu un temple tout en métal à Bang­kok et l’en­droit pré­cis où l’on décou­pait les corps pour les funé­railles célestes, des Boud­dhas géants per­dus dans les marais, tel­le­ment grands que l’on a l’im­pres­sion qu’ils ont gran­di contraints entre quatre murs, j’ai vu un che­di dans lequel j’ai pu des­cendre et admi­rer des pein­tures du 15è siècle, des élé­phants se bai­gnant dans la rivière et des enfants jeter des bouts de pain pour nour­rir les pois­sons-chats de la Chao Phraya. J’ai vu des chiens errer autour des temples, atten­dant que les moines leur jette une poi­gnée de riz. L’an­née der­nière, j’ai fait une halte à Hanoï où j’ai visi­té le très joli temple de la lit­té­ra­ture et pu contem­pler la dépouille des­sé­chée de Ho Chi Minh et à Ninh Bình où je me suis pro­me­né sur une rivière encas­trée entre des falaises escar­pées rap­pe­lant la baie de Hạ Long. J’ai vu des pagodes dont la taille sur­pas­sait de loin tout ce que j’a­vais pu voir jusque là. Et sur­tout, j’ai bu un café dont je me sou­viens encore des effluves et qui reste gra­vé à tout jamais en moi comme étant l’o­deur de Hanoï.

J’aime la beau­té du monde car cette réa­li­té-là est unique. On n’y voit que la beau­té qu’on ne cherche pas.

[audio:thai/01-CM.mp3]

Il y a cinq ans de cela, je me suis arrê­té à Chiang Mai où je suis arri­vé un jour de mar­ché, c’é­tait un dimanche, j’y ai man­gé des œufs de caille cuits sur une planche et du riz gluant dans l’en­ceinte d’un temple en plein cœur de la ville, sous une cha­leur étouf­fante. L’hymne natio­nal a reten­ti dans les hauts-par­leurs accro­chés aux lam­pa­daires et toute la ville s’est arrê­tée, figée, pour hono­rer le roi. J’ai vu des Boud­dhas, petits, grands, dor­mant, joi­gnant leurs mains, j’ai vu une pluie de Boud­dhas et je ne compte pas m’ar­rê­ter là. Je pars bien­tôt au pays de la pluie de Boud­dhas, des myriades de Boud­dhas.… Peu importe leur nombre…

Pho­to d’en-tête © Chùa Bái Đính (Viet­nam Nord — août 2017)

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Retour en Cap­pa­doce. La route d’Özkonak

Retour en Cap­pa­doce. La route d’Özkonak

Retour en Cappadoce

La route d’özkonak

La Tur­quie est déjà loin. J’ai lais­sé der­rière moi Istan­bul, ses mos­quées et ses église, la côte sud et ses miracles, la Cap­pa­doce avec ses abri­cots juteux et la terre jaune qui s’est infil­trée sous ma peau. Depuis quelques mois déjà. Un mois pas­sé en Tur­quie, en plein mois de Rama­dan, c’est quelque chose qui laisse des traces. Mais il fal­lait que j’y retourne, m’a­ban­don­ner encore sur des pistes que je n’a­vais pas par­cou­rues, me repaître d’une terre désor­mais fami­lière et hospitalière.

Mais d’a­bord, un peu de musique pour se mettre dans l’am­biance, avec Kud­si Ergü­ner, vir­tuose du ney, cet étrange ins­tru­ment au col éva­sé qui se joue en souf­flant dedans en biseau. 

Cette fois-ci, j’at­ter­ris à Kay­se­ri, pré­fec­ture de la pro­vince du même nom et capi­tale éco­no­mique de la Cap­pa­doce, grosse ville de 1,35 mil­lions d’ha­bi­tants, sans charme mais pas sans his­toire puis­qu’on la retrouve sous l’an­tique nom chré­tien de Césa­rée, dont elle a tiré son nom turc moderne. La der­nière fois que je suis venu en Cap­pa­doce, j’é­tais arri­vé de nuit par Nevşe­hir après un tra­jet pour le moins pica­resque. Dans l’a­vion, j’ai tout de même réus­si à ren­ver­ser mon thé sur mon pan­ta­lon. Lorsque l’a­vion des­cend, il fait un soleil splen­dide sur la par­tie euro­péenne d’Is­tan­bul, sur un pay­sage de champs culti­vés et de lacs, où de temps en temps, émerge les mina­rets élan­cés des mos­quées qui, toutes, ont été construites selon la tra­di­tion ini­tiée par Mimar Sinan.

Turquie mai 2013 - Cappadoce 08 - Vol Istanbul Kayseri

Je ne fou­le­rais pas la terre d’Is­tan­bul tout de suite. J’at­tends mon trans­fert vers Kay­se­ri Erki­let Hava­li­manı (ASR) en siro­tant une limo­na­ta, fraîche et acide et un café turc, dans le grand hall du ter­mi­nal 3 d’Atatürk. L’a­vion qui repart vers l’est s’ap­pelle Afyon­ka­ra­hi­sar, petite ville à mi-che­min entre Konya et Izmir. Dehors il fait 23°C et une fois ins­tal­lé dans l’a­vion, je note le pré­nom des hôtesses de la com­pa­gnie Tur­kish Air­lines ; elles portent des pré­noms qui laissent rêveur : Bunu, Akma­ral… Je bois mon pre­mier Ayran au-des­sus des val­lons arron­dis de l’Anatolie…

Turquie mai 2013 - Cappadoce 11 - Vol Istanbul Kayseri

L’a­vion des­cend sur une plaine arro­sée par la pluie ; la Cap­pa­doce m’ac­cueille sous une pluie fine qui n’est pas sans me rap­pe­ler la Bre­tagne, ce qui a le don de me rendre morose. A l’aé­ro­port, je rejoins le comp­toir qui va me per­mettre d’en­le­ver ma voi­ture de loca­tion. Le type m’emmène cher­cher la voi­ture, c’est une grosse Ford Mon­deo à boîte auto­ma­tique. Vu que je ne sais pas conduire ce genre de véhi­cule j’in­siste pour qu’il me cède une boîte manuelle, ce qui le sur­prend pas­sa­ble­ment, il ne doit pas être habi­tué à tom­ber sur ce genre de per­sonnes. Et tout ceci se passe dans le vent frais d’un trou per­du de Tur­quie, au pied de l’Er­ciyes (du grec argy­ros qui signi­fie argent), mon­tagne iso­lée comme un téton dans la plaine, au toit de neige culmi­nant à 3916 mètres et qui se perd dans les nuages sombres char­gés de pluie.

Turquie mai 2013 - Cappadoce 16

Une fois la voi­ture en main, je file vers Çavuşin où m’at­tend ma chambre d’hô­tel. Le pay­sage n’est pas vrai­ment gai sous ce ciel de plomb. Ce ne sont que des cam­pagnes sans charme, une longue suc­ces­sion de vil­lages inhos­pi­ta­liers, d’u­sines en bord de route, de sta­tions-ser­vice et de camions char­gés à ras-bord. Tout le charme d’une auto­route.
Le type qui me reçoit à l’hô­tel parle un fran­çais impec­cable et m’emmène dans une chambre basse de pla­fond, entiè­re­ment creu­sée dans le grès de la mon­tagne ; ce qui m’in­ter­pelle immé­dia­te­ment, c’est la pré­sence d’un poêle à pétrole et l’in­croyable humi­di­té de la pièce. Je ne me trompe pas, les draps sont trem­pés… Je prends juste le temps de dépo­ser ma valise et salue un type qui me demande si tout va bien. C’est la réplique exacte de Joseph Kes­sel, un homme à la face buri­née qui se serait per­du dans ce trou de Cappadoce.

En 5 minutes de route, je suis à Göreme où je mange des mezze, une bro­chette de pou­let et un ayran. La ville semble déser­tée alors que j’ai eu du mal à trou­ver une chambre d’hô­tel… C’est incompréhensible.

A l’heure qu’il est, tout ce qui m’im­porte, c’est d’être ici à nou­veau, c’est comme si je me retrou­vais chez moi alors qu’au fond, il me semble que je ne connais rien, que je n’ai aucune idée de ce qui m’at­tend, que je ne sais pas tous les secrets et toutes les aven­tures, je ne sais rien du tout, mais tout me semble fami­lier, comme si on m’at­ten­dait, ou comme si moi j’at­ten­dais quelque chose. Je pro­fite de mon repas, un peu exté­nué par les mil­liers de kilo­mètres de cette jour­née, l’a­vion, deux fois, plus de 80km en voi­ture, l’im­pres­sion de bouf­fer de la route en tirant sur la corde pour arri­ver là où on a envie d’être… Demain, je serai sur les routes pour com­prendre ce que je fais là.

Au petit matin, il est 4h00, je n’ar­rive plus à dor­mir, mais je me force à res­ter au lit, dans des draps trem­pés et au beau milieu du gra­vier tom­bé du pla­fond. Si je reste ici, je vais finir par tom­ber malade. Mal­gré le charme de l’hô­tel, j’ai l’im­pres­sion de me retrou­ver à la cam­pagne, dans des draps de coton gros­sier que le maigre poêle n’ar­rive pas à sécher. Je trans­pire mal­gré l’at­mo­sphère insup­por­table. La pierre est si froide par terre que j’en ai mal aux pieds et la douche gla­cée ne fait rien pour me mettre de bonne humeur. J’ai l’im­pres­sion d’a­voir dor­mi dans une grotte et sor­tir au soleil est presque une tor­ture. Étrange lieu.

Après un petit déjeu­ner pris sur le pouce, je file d’i­ci, presque mal­gré moi et je me rends à Ava­nos où je vais rendre visite à Meh­met Körük­çü, le potier qui parle un peu fran­çais, dans sa grotte lui aus­si, là où il passe ses jour­nées les mains dans la terre à tour­ner. Il est rayon­nant comme la der­nière fois que je l’ai vu et semble sur­pris de me revoir. Pas­sé la sur­prise, il me prend dans ses bras et me tape dans le dos en pro­fé­rant de longues ran­gées de “Selam !” qu’il n’ar­rive plus à conte­nir. “Arka­daşım ! Arka­daşım !” (mon ami, mon ami !). Les larmes lui montent aux yeux et je suis tout autant sur­pris que lui de voir à quel point il est heu­reux de me revoir. Une vraie bonne sur­prise pour tous les deux.

 

Turquie mai 2013 - Cappadoce 22 - Avanos

Turquie mai 2013 - Cappadoce 32 - Avanos

Après m’a­voir offert une tasse de thé qu’il fait chauf­fer sur son petit réchaud élec­trique, il se remet au tra­vail et me laisse le prendre en pho­to, tou­jours sou­riant avec ses dents du bon­heur et ses yeux légè­re­ment bri­dés. Je le laisse un peu tan­dis que des tou­ristes viennent visi­ter sa bou­tique et je vais me pro­me­ner dans la ville pour revoir ces vieilles mai­sons grecques qui tombent en ruine entre les grands konak flam­bant neufs. Le soleil est reve­nu et je pro­fite de ces quelques ins­tants pour retrou­ver la dou­ceur des jours que j’ai pas­sés ici l’é­té der­nier. Une belle mos­quée aux murs épais reste impé­né­trable, impos­sible d’y entrer. Pen­dant ce temps, l’e­zan (appel à la prière) reten­tit entre les murs de la petite ville. On dit que les plus beaux chants d’ap­pel à la prière peuvent s’en­tendre en Tur­quie ; ce n’est pas qu’une légende. Je retourne voir Meh­met et nous buvons encore et encore du thé noir. Il semble pré­oc­cu­pé, se plaint du dos, lui, me dit que ce sont ses pou­mons, il tousse beaucoup…

Turquie mai 2013 - Cappadoce 33 - Avanos

Turquie mai 2013 - Cappadoce 44 - Avanos

Turquie mai 2013 - Cappadoce 45 - Avanos

Turquie mai 2013 - Cappadoce 37 - Avanos

Il me demande de l’at­tendre là, pen­dant que lui s’en­fuit sur sa moto sans casque avec ses san­dales pleines de terre aux pieds. Je l’at­tends sous un aca­cia en fleurs, à l’ombre duquel je m’en­dors presque en écou­tant les bruits de la rue, en cares­sant une énorme chat débon­naire. Meh­met revient avec un petit paquet duquel il sort un sachet d’a­lu­mi­nium, qu’il déroule, encore et encore et dont il sort de la viande séchée décou­pée en fine lamelles et à la cou­leur rouge safra­née. Il m’ex­plique que c’est une spé­cia­li­té d’i­ci, le Pastır­ma. Je ne connais­sais abso­lu­ment pas. Il m’ex­plique que c’est lui qui le fait avec de la viande de bœuf qu’il fait sécher à l’air et qu’il frotte avec un mélange d’é­pices fait d’ail, de piment, du cumin et de papri­ka. Il me parle aus­si d’une épice dont il ne connaît pas le nom fran­çais, il dit çemen, çemen… en cher­chant sur mon petit dic­tion­naire, je m’a­per­çois que c’est en réa­li­té du fenu­grec. Je ne suis pas plus avan­cé, car je ne sais pas ce que c’est non plus. La viande est déli­cieuse et nous la man­geons en riant. Il me confie le paquet en me disant que le reste est pour moi. Et il se remet au tra­vail tan­dis que je bois du thé et som­nole en le regar­dant tour­ner. Il me pré­sente ses fils ; le plus jeune, Oğuz tra­vaille avec lui et ouvrage les pote­ries avec une petite lame. Ömer, lui, n’aime pas la terre, il fait des études mais pro­fite de ses vacances pour aider son père à l’atelier.

 

Turquie mai 2013 - Cappadoce 49

Turquie mai 2013 - Cappadoce 51

Il est temps pour moi de le lais­ser tra­vailler et de par­tir battre la cam­pagne. J’ai repé­ré un petit monas­tère aban­don­né sur la route d’Öz­ko­nak, por­tant le nom de Beh­la Kilise. Le temps tourne au vinaigre ; au loin je peux voir la cam­pagne chan­ger de cou­leur, et des colonnes d’eau se déver­ser par endroits. Le ciel devient noir et ne laisse que peu d’es­poir de se lever. La route est défon­cée et je com­mence à sol­li­ci­ter les sus­pen­sions de la Ford qui ne bronche pas, elle monte sévè­re­ment après une por­tion de route où l’on trouve des usines de fabri­ca­tion de briques rouges, façon­nées avec la terre des envi­rons, que le fleuve Kızılır­mak (fleuve rouge en turc) conti­nue de char­rier dans la val­lée. La vue est superbe sur la val­lée où l’o­rage com­mence à zébrer l’ho­ri­zon. Je finis par trou­ver le monas­tère en contre­bas de la route. C’est un monas­tère aux grandes arches de pierre. La hau­teur sous pla­fond est impres­sion­nante pour un bâti­ment de cette époque (entre le Vè et le XIIè siècle) et les murs sont encore recou­verts de suie. Sur le côté, une voûte s’est écrou­lée et laisse voir un grand espace décou­vert. Un type m’ac­coste et me parle dans un fran­çais bal­bu­tiant, mêlé de turc ; il me dit s’ap­pe­ler Ser­kan et je ne sais pas pour­quoi, mais ça sent le mar­gou­lin. Bref, il me fait la visite du bâti­ment et me dit que le monas­tère a ser­vi d’a­sile psy­chia­trique pen­dant de longues années. Sa pré­sence me dérange, j’au­rais pré­fé­ré visi­ter seul, d’au­tant que les indi­ca­tions qu’il me donne ne sont d’au­cune uti­li­té. Il m’offre une tasse de thé et je tente de m’en débar­ras­ser en lui filant un billet de 20TL, ce qui est déjà beau­coup, mais l’ef­fron­té me réclame plus. Je l’en­voie bala­der en lui ren­dant son verre de thé.

Turquie mai 2013 - Cappadoce 53 - Özkonak

De l’autre côté, le pay­sage est ver­doyant et s’é­tend au pied de ce qui res­semble au lit d’une petite rivière. Je crois bien qu’à part le Kızılır­mak et le lac arti­fi­ciel de Bay­ram­hacı, je n’ai jamais vu de cours d’eau dans cette région. Même un peu val­lon­né, le pay­sage offre un bel hori­zon et je peux consta­ter que le temps ne s’ar­range pas vraiment.

Turquie mai 2013 - Cappadoce 59 - Özkonak

Turquie mai 2013 - Cappadoce 60 - Özkonak

Turquie mai 2013 - Cappadoce 63 - Bağlı dere

Turquie mai 2013 - Cappadoce 65 - Bağlı dere

Turquie mai 2013 - Cappadoce 68 - Bağlı dere

Je reprends la route en pre­nant le che­min de Paşa­bağ que j’ai visi­té l’é­té der­nier et je me rends compte que la val­lée de Zelve, que je connais pas encore n’est pas si éloi­gnée que ça. Mais il est tard à pré­sent et ce sera pour un autre jour. En rebrous­sant che­min, je trouve éga­le­ment le che­min de la bağlı dere, la val­lée blanche, dont m’a­vait par­lé Abdul­lah au Karlık Evi, et que j’ai bien réus­si à voir depuis mon vol en mont­gol­fière. Je retiens l’en­droit pour y reve­nir et je file sur Göreme pour me boire une bière en ter­rasse. L’o­rage est pas­sé au large. Je dîne au res­tau­rant Özlem où j’é­tais déjà venu man­ger un tes­ti kebab brû­lant dans son vase en terre. La ser­veuse s’ap­pelle Bişra, elle est jeune, radieuse, mais s’ap­proche de moi alors que j’es­saie de bara­goui­ner en turc et me demande avec son petit air effron­té si elle peut être prise en pho­to avec moi, ce que j’ac­cepte volon­tiers. Je peux sen­tir le par­fum de ses che­veux qu’elle a coif­fés dans une queue de che­val sur le côté. Je lui com­mande un bar­dak şarap, un verre de vin rouge à la cerise, avant de reprendre ma route alors que la nuit est en train de tomber.

Turquie mai 2013 - Cappadoce 69 - Bağlı dere

Lorsque je m’ar­rête devant le Karlık Evi, j’ai dans l’i­dée de me prendre une chambre qui me per­met­trait de fuir l’hô­tel de Çavuşin et sa grotte humide. Bukem et Fatoş se sou­viennent de moi, elles ont l’air heu­reuses de voir que j’ai retrou­vé le che­min de leur hôtel et me retrou­ver ici me rem­plit de sou­ve­nirs. Pas de chambre pour ce soir, l’hô­tel est plein d’In­diens dont elles se plaignent car ils sont bruyants et pas­sa­ble­ment mépri­sants, mais pour demain soir, aucun pro­blème. Je vais même pou­voir dor­mir à nou­veau dans la grande chambre orange dans laquelle j’a­vais déjà dor­mi cet été, celle qui a deux bal­cons don­nant sur la val­lée. Elles m’offrent un verre de thé et nous par­lons en anglais pour évo­quer Abdul­lah qui n’est pas là en ce moment, ces ins­tants pré­cieux où il m’of­frait des abri­cots secs avant de par­tir en ran­don­née et des tranches de pas­tèque lorsque je reve­nais tard le soir.

Dans mes draps humides, je me prends à rêver de venir habi­ter ici, auprès de ces gens si cha­leu­reux, dans ces mon­tagnes creu­sées par la pluie et j’i­ma­gine que cette Tur­quie-là, tout au long de l’hi­ver, est recou­verte par les neiges. Les chré­tiens qui sont venus sur ces terres pour fuir les per­sé­cu­tions n’ont pas choi­si les lieux les plus hos­pi­ta­liers en ce qui concerne le cli­mat. Et dire que cette Tur­quie-là, si l’on remonte six cents ans en arrière, était encore la Grèce…

Voyage effec­tué en 2013. Voir les 68 pho­tos sur Fli­ckr.

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Pipes d’o­pium #7

Pipes d’o­pium #7

Où il est ques­tion d’un poète indien, d’une femme chi­noise qui n’a jamais exis­té, des paroles du Boud­dha et d’une chan­teuse islan­daise qui chante à la manière des scaldes.

Pre­mière pipe d’o­pium. Rabin­dra­nath Tha­kur dit Tagore (রবীন্দ্রনাথ ঠাকুর), prix Nobel de lit­té­ra­ture en 1913. Des mots trou­vés au hasard dans les pages d’Élodie Ber­nard, que je ramène dans mon giron, des mots attra­pés au vol, pour ne pas les perdre. On ne connait pas assez ces auteurs asiatiques…

J’es­saie avec toute mon âme alté­rée d’une soif inapai­sable de péné­trer ce mince mais inson­dable mys­tère, comme ces étoiles qui épuisent les heures, nuit après nuit, espoir de per­cer le mys­tère de la sombre nuit avec leur regard bais­sé qui ne dort pas et ne cli­gnote pas.

Rabin­dra­nath Tagore, Gitan­ja­li, l’of­frande lyrique
Gal­li­mard, 1971

 

Deuxième pipe d’o­pium. Tăng Tuyết Minh (Zēng Xuěmíng), la femme qui n’a­vait jamais exis­té. Dans la longue réécri­ture de l’his­toire à laquelle s’est adon­née le peuple viet­na­mien pen­dant de longues années d’er­rances com­mu­nistes (n’en est-on pas encore là aujourd’­hui ?), il existe une his­toire que j’ai décou­verte cet été tan­dis que je m’ap­prê­tais à rendre visite à la dépouille immor­telle de l’oncle Hồ… Celui qui fut le grand révo­lu­tion­naire, encore adu­lé aujourd’­hui, d’un Viet­nam frac­tu­ré par une guerre civile qui laisse encore des traces de nos jours, fut marié dès 1926 à une jeune fille chi­noise et catho­lique de Guangz­hou mais il furent sépa­rés six mois plus tard tan­dis que Hồ Chí Minh pris la fuite suite au coup d’é­tat des natio­na­listes mené par Tchang Kaï-chek. Mal­gré des ten­ta­tives nom­breuses de l’une et de l’autre, les époux ne furent jamais réunis et tan­dis que Hồ s’é­tei­gnit en 1969, Tăng Tuyết Minh mou­rut en 1991 à l’âge de 86 ans. A ce jour, le gou­ver­ne­ment viet­na­mien fait tou­jours son pos­sible pour que cette his­toire d’a­mour ne figure pas au titre de l’his­toire offi­cielle, de la même manière qu’il est jeté un voile sombre sur les rela­tions sexuelles qu’en­tre­te­nait le lea­der avec des jeunes filles à peine pubères… D’ailleurs, c’est bien simple, Tăng Tuyết Minh n’a jamais existé… 

Troi­sième pipe d’o­pium. Le Boud­dha Sha­kya­mu­ni a dit Celui qui inter­roge se trompe. Celui qui répond se trompe. Alors je ne m’in­ter­roge plus, je laisse faire, mais devant l’im­pas­si­bi­li­té du boud­dhiste qui, pris dans le Mahāyā­na, a cette fâcheuse ten­dance à ne pas vou­loir déro­ger à l’ordre du monde éta­bli et finit par tom­ber dans une sorte de fata­lisme qui ne me convient pas, je cherche jour après jour à sor­tir du saṃsā­ra. Est-ce que ça compte vrai­ment si c’est soi-même qu’on inter­roge ? Et puis après tout, quel mal y a‑t-il à vou­loir sor­tir des cadres, sur­tout s’il est ques­tion de reli­gion ? Je suis dans un état tran­si­toire, pris entre l’en­vie de par­tir pour retrou­ver les sen­sa­tions à pré­sent dis­pa­rues et l’en­vie de res­ter et de construire quelque chose ici, tou­jours dans un écart inso­luble, alors je tente de retrou­ver au tra­vers de mes car­nets de voyage les lieux et les sen­sa­tions, je recons­truis, je rééla­bore le voyage en ima­gi­nant ce qu’il aurait pu être. Je me sou­viens de mon troi­sième voyage en Tur­quie, en pleines émeutes du parc Gezi, der­nière fois où j’y ai mis les pieds — le manque —, je me sou­viens des heures chaudes dans le parc his­to­rique de Sukho­thai que je par­cou­rais à vélo le long des larges ave­nues vides et entre les murs du Wat Si Chum — le manque —, je me sou­viens de Hanoï avec ses rues bruyantes et les ven­deurs de rue assou­pis sur le trot­toir pen­dant que je me repo­sais sur les bords du lac de l’é­pée res­ti­tuée, je me sou­viens de la moi­teur du matin à Chiang Mai quand je sor­tais de ma chambre d’hô­tel en même temps que les moines du Wat Che­di Luang et les chiens errants, au temps où dor­mir était une option inef­fi­cace — le manque. Mon corps a goû­té les plai­sirs de cette chair qui reste ancrée en moi comme le nom de Chu­la­long­korn.

Wat Sri Chum. Fan­tas­tique Boud­dha de 14 mètres de haut dont la seule main est plus haute qu’un homme

Une publi­ca­tion par­ta­gée par Romuald (@swedishparrot) le

Qua­trième pipe d’o­pium. Björk. Un amour de jeu­nesse qui m’ac­com­pagne depuis 1996 tan­dis que je décou­vrais avec un peu de retard l’al­bum Debut. Jus­qu’au jour où vous vous ren­dez compte que le nom de celle que vous appe­liez de la même manière qu’une marque de pro­duits ali­men­taires bio doit fina­le­ment se pro­non­cer Beyerk

Björk c’est avant tout la ríma (rímur au plu­riel), cette poé­sie scal­dique venue d’Is­lande et qui se base sur une ver­si­fi­ca­tion alli­té­ra­tive, comme le sont les plus anciens textes anglo-saxons comme Beo­wulf par exemple. La manière de réci­ter les rímur consiste à bien décol­ler les syl­labes pour une com­pré­hen­sion aisée. Dans les chan­sons de Björk, on retrouve exac­te­ment cet art et cette dic­tion toute par­ti­cu­lière (on l’en­tend par­ti­cu­liè­re­ment bien dans cet extrait d’une émis­sion de télé­vi­sion islan­daise où elle chante Unra­vel, sim­ple­ment accom­pa­gnée d’une épi­nette), avec son anglais tein­té d’un accent islan­dais dont elle n’ar­ri­ve­ra jamais, et c’est tant mieux, à se départir.

https://youtu.be/yDYMfm0JQOE

Nous sommes le 21 jan­vier 2018, les arbres nus dégou­linent d’une pluie qui s’in­si­nue par­tout et le soleil semble avoir dis­pa­ru pour tou­jours. Cela me rap­pelle la lec­ture d’un livre somp­tueux mais triste, datant de 1937 et écrit par l’é­cri­vain hel­vète Charles-Fer­di­nand Ramuz, Si le soleil ne reve­nait pas. Mais il revien­dra, c’est écrit dans les livres. Per­sonne n’a dit que ce sera facile, mais il reviendra.

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Ubud, au bout du monde

Ubud, au bout du monde

Ubud. Évi­dem­ment, ça ne se pro­nonce pas à la fran­çaise, mais avec des “ou” bien ronds et bien rebon­dis comme le ventre d’un macaque. Ubud. Un nom impro­bable, pas impro­non­çable, mais qui fait pen­ser à une boule, douce et presque un peu trop ven­true. Ubud, c’est une petite kelu­ha­ran d’un kaca­ma­tan d’une kebu­pa­ten de la pro­vince de Bali, île impro­bable d’un pays qui l’est encore plus. Voi­ci un bout du monde à mille lieues de ce qui est fami­lier pour moi, l’exact oppo­sé, l’in­con­ci­liable, pour ne pas dire l’im­pen­sé total. Je ne sais même plus com­ment il a pu se pro­duire cet évé­ne­ment aus­si impro­bable pour moi que de me rendre en Indo­né­sie. Cer­tai­ne­ment une absence momen­ta­née, le doigt qui glisse sur le cla­vier et qui sug­gère une autre des­ti­na­tion que celle pré­vue, l’ac­ci­dent ori­gi­nel et impu­dique d’une nais­sance qu’on n’au­rait pas eu le temps d’avorter…

Logo de la Com­pa­gnie néer­lan­daise des Indes orien­tales (Veree­nigde Oost-Indische Compagnie)

Le dra­peau rouge et blanc du pays vient d’une des plus grandes îles de l’ar­chi­pel, de Java pré­ci­sé­ment, et marque l’a­vè­ne­ment du royaume Maja­pa­hit suite à la rébel­lion de Jaya­kat­wang de Kedi­ri contre Ker­ta­ne­ga­ra de Sin­ga­sa­ri en 1292. Ça pour­rait presque paraître anec­do­tique, mais c’est là un mor­ceau d’une his­toire qui nous est incon­nue, parce que l’In­do­né­sie nous est incon­nue et son his­toire en par­ti­cu­lier. On n’a peut-être rete­nu que l’his­toire de la Veree­nigde Oost-Indische Com­pa­gnie, la Com­pa­gnie des Indes Orien­tales, des Moluques et de ses giro­fliers, et encore, ça ne parle cer­tai­ne­ment pas à grand-monde. De toute façon, l’His­toire en géné­ral nous est incon­nue. On ne sait rien. On ne sait plus rien, on oublie jus­qu’à notre propre nom qui fini­ra dans le cani­veau des grandes antho­lo­gies. Alors l’His­toire, celle avec un grand H, tout le monde s’en tamponne.

L’In­do­né­sie est un pays impro­bable. Il n’existe pas tant qu’on n’en a pas fait la connais­sance. Une langue offi­cielle qui s’ap­pelle baha­sa indo­ne­sia, 742 langues dif­fé­rentes répar­ties entre 258 mil­lions d’ha­bi­tants eux-mêmes dis­sé­mi­nés sur 13466 îles, pays le plus musul­man du monde au regard du nombre d’ha­bi­tants… rien que ces don­nées sonnent comme des étran­ge­tés de l’es­prit, des biais, des Égyptes men­tales. Mais reve­nons-en à Ubud, car c’est la des­ti­na­tion de mon voyage, pour l’ins­tant. Ubud vient d’un mot indo­né­sien, ubad, signi­fiant méde­cine. Il fal­lait se méfier dès le départ de cette incon­grui­té. Une ville qui se nomme méde­cine ne peut être tota­le­ment dans l’u­sage entier de ses facul­tés, il y a quelque chose de caché qui ne se donne pas for­cé­ment à voir du pre­mier coup, un mys­tère à lever. Il me semble qu’il m’est venu à l’i­dée de par­tir en Indo­né­sie à la lec­ture d’ar­ticles sur Suma­tra, les Célèbes, les Moluques, des noms qui sont autant de reli­quats des anciennes courses aux épices, du temps où les navi­ga­teurs fla­mands gar­daient pré­cieu­se­ment pour leur empire le secret inavouables de la culture du Syzy­gium aro­ma­ti­cum, cet arbre endé­mique des îles qui peut atteindre la hau­teur de vingt mètres et dont le bou­ton flo­ral, avant qu’il n’ar­rive au point de flo­rai­son et séché au soleil prend le nom déli­cat de clou de girofle. Il me semble même que le déclen­cheur de tout ça a été le livre Chas­seurs d’é­pices de Daniel Vaxe­laire. Mais je ne sais plus et plus que le moyen d’y arri­ver, c’est le fait d’y arri­ver qui compte à pré­sent. Le seul fait avé­ré c’est qu’a­vant d’ar­ri­ver ici, je suis pas­sé par Istan­bul et Bang­kok ; aucune logique autre que la dia­go­nale de l’es­prit dans ces voyages, rien d’autre à rete­nir que l’his­toire, plu­tôt que les détails qui la font.

Tous les voyages com­mencent à Paris et le début du voyage prend forme dans les pre­miers jours où tout prend forme ; quelle valise, soute ou cabine, quel appa­reil pho­to, de quoi prendre des notes, de quoi bou­qui­ner aus­si, des usten­siles aus­si inutiles qu’en­com­brants, tout le pos­sible pour vous détour­ner de l’ob­jet pre­mier et qui ne compte pour rien dans l’af­faire. Ce que je retiens en pre­mier lieu, c’est cette migraine tenace qui m’a empê­ché de m’en­dor­mir dans l’a­vion qui filait vers Dubaï. J’ai tour à tour eu chaud, froid, envie de vomir, envie d’al­ler aux toi­lettes, eu ter­ri­ble­ment soif, au bord de la déshy­dra­ta­tion, chaud, des gouttes de sueur per­lant sur mon front, hypo­gly­cé­mie, voile noir… une angoisse ter­rible qui me susur­rait à l’o­reille que j’é­tais en train de mou­rir à dix-mille mètres quelque part au-des­sus de l’A­ra­bie Saou­dite ou du Golfe Per­sique ; triste fin pour le voya­geur qui n’a même pas atteint Jakar­ta. Encore une fois, j’ar­rive enfin à m’as­sou­pir lorsque l’a­vion amorce sa des­cente en tour­noyant au-des­sus du sable de Dubaï. Un café et un jus d’o­range dans l’aé­ro­port de tran­sit me reviennent à 8 euros. Pour ce prix, je m’a­muse à pen­ser que j’au­rais pu sor­tir prendre un taxi et faire le tour de la ville, his­toire de rater le pro­chain avion… mais je pré­fère ten­ter de me repo­ser en atten­dant, mais la peur de m’en­dor­mir pour de bon et de ne pas pou­voir mon­ter dans l’a­vion pour l’In­do­né­sie me rend ner­veux et ce sont de mau­vais rêves, entre deux som­meils, qui me main­tiennent éveillé, et peut-être en vie aus­si. Je déteste cet aéro­port qui n’est qu’une immense vitrine de luxe, à l’i­mage de la ville et de ces états du Golfe qui ne comptent que sur leur image pour atti­rer un cer­tain type de clien­tèle que je n’ai­me­rais pas croi­ser. Deux cachets ont rai­son de ma migraine et de tout ce qui l’accompagne.

Indonésie - jour 1 - 04 - Dubaï

Mon escale est ter­mi­née et l’a­vion des­cend enfin sur Jakar­ta dans l’air du soir, avec des trem­ble­ments de satis­fac­tion, ou de ter­reur, sur un tar­mac détrem­pé ; l’a­vion gronde, sup­plie, la grosse bête qu’est l’A380 arrive enfin à se poser en ayant pro­cu­ré quelques belles suées au voya­geur, et peut-être aus­si au per­son­nel navigant.

La pre­mière chose que je fais en arri­vant à Jakar­ta, c’est filer aux toi­lettes pour me chan­ger, pas­ser quelques vête­ments légers ; la cli­ma­ti­sa­tion du ter­mi­nal fonc­tionne bon an mal an et j’ai besoin de me faire absor­ber par l’air ambiant. Je trans­pire non pas de cha­leur mais comme si déjà j’é­tais pris dans les griffes d’un mal sor­dide, une fièvre tro­pi­cale débi­li­tante alors que je ne suis même pas encore sor­ti en ville. Une fois encore, je me trouve en tran­sit. Je n’au­rais pas l’oc­ca­sion de voir Jakar­ta puisque j’at­tends un autre avion pour me rendre à Den­pa­sar, aéro­port de Bali. J’a­vais ima­gi­né qu’en arri­vant le soir à Jakar­ta, je n’au­rais qu’à attendre patiem­ment dans un petit coin de l’aé­ro­port sur des sièges confor­tables que le temps passe en dor­mant un peu sur les sièges confor­tables d’un salon cli­ma­ti­sé ; c’é­tait sans comp­ter que Soe­kar­no-Hat­ta fait figure d’aé­ro­port pro­vin­cial, un tan­ti­net cam­pa­gnard. Rien à voir avec un Suvar­nabhu­mi au mieux de sa forme. Rien ne se passe for­cé­ment comme on l’a­vait imaginé.

Indonésie - jour 1 - 06 - Aéroport de Jakarta

Il est plus de 23h00 et la vie com­mence à ralen­tir dans le petit aéro­port. Dans les espaces fumeurs à l’ex­té­rieur, là où les taxis attendent leurs clients, cha­cun de ceux qui m’ap­prochent ont du mal à com­prendre que je ne veux pas de taxis et je suis obli­gé de me jus­ti­fier à chaque fois que je reprends un avion le len­de­main. Tous com­prennent en acquies­çant et disent « Ah !! Den­pa­sar !! ». Eh oui. Une odeur de clou de girofle baigne l’air moite, par­tout où les hommes fument. Ce sont les kre­teks, des ciga­rettes fabri­quées ici et qui sup­plantent tout le mar­ché du tabac dans le pays. Aro­ma­ti­sées aux clous de girofle, par­fu­mées d’une sauce sucrée qui rend le filtre étran­ge­ment déli­cieux, elles pro­duisent un petit cré­pi­te­ment lorsque brûlent les clous, ce qui leur donne leur nom, comme une ono­ma­to­pée dont les Indo­né­siens sont friands. L’air est pesant, il vient de pleu­voir, l’hu­mi­di­té est à son maxi­mum et la cha­leur étouf­fante même après la pluie dilu­vienne qui vient de s’a­battre. Dans la lumière jaune de la nuit illu­mi­née par les lam­pa­daires, je pro­fite de ces pre­miers ins­tants sur ce conti­nent nou­veau pour admi­rer les visages buri­nés et bruns des hommes por­tant le song­kok, les robes bigar­rées des femmes por­tant toutes le voile, la ron­deur char­mante des visages d’en­fants et chez cha­cun cet air un peu débon­naire qui tra­duit une cer­taine manière de conduire sa vie. Ce pre­mier contact avec les Indo­né­siens me ravit ; ils ont tous l’air si gentils.

Je m’ar­rête dans un petit res­tau­rant près des arri­vées pour dîner d’un Ipoh lun mee, une sorte de bouillon dans lequel flottent des nouilles plates et de la viande hachée que je ne sau­rais pas iden­ti­fier. Les épices me brûlent le gosier, mais j’ai tel­le­ment faim et suis si fati­gué que je pour­rais man­ger mes doigts sans m’en rendre compte. Dehors, la patrouille aéro­por­tuaire passe dans une espèce de taxi 4x4 qui pousse d’étranges glous­se­ments que des types assis par terre imitent en se mar­rant. J’es­saie vai­ne­ment de trou­ver un siège libre pour me poser et dor­mir un peu, mais tous les fau­teuils sont assaillis par des familles entières ; le sol est suf­fi­sam­ment sale pour que je n’ose pas m’y allon­ger. Fina­le­ment, je trouve un petit hall cli­ma­ti­sé près de la porte de la mos­quée de l’aé­ro­port où je pose ma valise sous le regard amu­sé d’une famille qui doit s’é­ton­ner de voir un occi­den­tal par­ta­ger le même espace qu’eux. Je pose ma valise et tente de trou­ver une posi­tion allon­gée pas trop dou­lou­reuse pour mon corps osseux et four­bu de fatigue. M’en­dor­mir est à la fois un pari et un dan­ger ; j’ai juste besoin de récu­pé­rer un peu avant de repar­tir et la peur de m’en­fon­cer dans un som­meil trop pro­fond serait l’as­su­rance pour moi de rater ma cor­res­pon­dance, alors je m’a­ban­donne quelques ins­tants dans un som­meil de sur­face, en léger éveil, afin de pou­voir réagir rapi­de­ment… Je dors peut-être une heure, une toute petite heure à la fois longue et dif­fi­cile, avant de me reprendre et de me diri­ger vers les comp­toirs d’en­re­gis­tre­ment encore fer­més. Après tout s’en­chaîne ; le visage char­mant des hôtesses à l’en­re­gis­tre­ment, les orchi­dées blanches posées sur les comp­toirs, les longs cou­loirs vides et les ran­gées de trol­leys qui n’at­tendent visi­ble­ment per­sonne, les bou­tiques duty-free fer­mées, les colonnes de bois sou­te­nant un toit pen­tu, les lustres en bam­bou et papier et les orchi­dées de toutes les cou­leurs, raf­fi­nées, les dis­tri­bu­teurs de billets étin­ce­lants et les pre­miers tableaux d’af­fi­chage des vols égre­nant des noms de villes dont je n’ai jamais enten­du par­ler… Balik­pa­pan, Pekan­ba­ru, Kua­la­na­mu… Plus qu’un bout du monde, j’ai l’im­pres­sion d’être dans un autre monde, étran­ger per­du, incon­gru par­fait, presque tota­le­ment hors-pro­pos. L’es­pace de l’aé­ro­port me per­met­tant d’at­tendre mon avion pour Den­pa­sar n’est pas cli­ma­ti­sé mais réfri­gé­ré. Il faut comp­ter encore une bonne heure avant que la porte ne soit ouverte ; impos­sible de s’as­sou­pir dans un froid pareil et sur­tout dans ce hall où les enfants crient comme s’il était quatre heures de l’a­près-midi et où cha­cun vit sa vie sans se pré­oc­cu­per de l’autre. Éton­nam­ment, il n’y a pas un seul Occi­den­tal à l’horizon.

Indonésie - jour 1 - 10 - Aéroport de Jakarta

Chan­ge­ment de décor. Den­pa­sar, sur l’île de Bali, aéro­port inter­na­tio­nal sans inté­rêt, ville à la fois cos­mo­po­lite et sans charme, entiè­re­ment tour­née vers la mer. Ce n’est qu’une escale éloi­gnée de plus d’une heure d’U­bud que je rejoins avec un taxi qui res­semble plus à un van déla­bré. La route qui mène jus­qu’à Ubud est droite, large et dan­ge­reuse, tout le monde y roule à une allure exces­sive ; je n’en retiens que les pre­miers pay­sages de rizières qui s’é­tendent à perte de vue, les mai­sons si carac­té­ris­tiques avec leur enceinte et les por­tails monu­men­taux taillés dans cette pierre vol­ca­nique sombre, les ven­deurs de sta­tues hin­doues et de paniers regrou­pés en cor­po­ra­tions sur le bord du che­min, der­rière les para­pets. Je suis tel­le­ment exté­nué que je ne vois plus rien, le chauf­feur de taxi sachant exac­te­ment où je vais, je n’ai plus à me pré­oc­cu­per de rien et je m’ef­fondre dans un som­meil lourd que même la beau­té du pay­sage et la nou­veau­té du lieu n’ar­rivent à pas faire taire. Je m’en­dors dans les cahots de la route pour me retrou­ver encore plus éteint sur une route de cam­pagne défon­cée, dans les rizières, à la plus extrême pointe du monde connu… quelques kilo­mètres plus loin et l’on arri­vait dans des lieux qui n’ap­pa­raissent sur aucune carte… Un peu plus et je som­brais dans le chaos.

Indonésie - jour 1 - 16 - Ubud

En tirant ma valise sur le che­mins de terre qui borde des champs de riz, je me demande ce qui m’attend…

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