Nasr Eddin Hodja est un personnage mythique de la culture musulmane, dont les innombrables aventures qu’on lui prête ont été traduites, voire écrites dans des dizaines de langues. Ayant rarement des vertus morales, ses historiettes sont la plupart du temps drôles, voire coquines. Le Hodja est associé à la ville turque de Akşehir, où il a sa tombe, réputée n’être qu’un canular.
Nasr Eddin, un jour, est de passage dans une petite ville dont l’imam vient de mourir. Les habitants, prenant le voyageur pour un saint homme, lui demandent de prononcer le sermon du vendredi. Il monte en chaire et interpelle la nombreuse assistance :
— Chers frères, savez-vous de quoi je vais vous parler ?
— Non, non, font les fidèles, nous ne le savons pas.
— Comment ? s’écrie Nasr Eddin en colère, vous ne savez pas de quoi je vais vous parler dans ce lieu consacré à la prière ! Je n’ai rien à faire avec de tels mécréants.
Et le voilà qui descend de la chaire et quitte la mosquée.
Impressionnées par cette sortie qui les confirme dans leur conviction que l’homme est d’une grande piété, les gens s’empressent d’aller rattraper le Hodja et le supplient de revenir prêcher. Il remonte alors en chaire :
— Chers frères, vous savez peut-être à présent de quoi je vais vous parler ?
— Oui, oui, répondent en chœur les fidèles, nous le savons !
— Fils de chiens ! tonne Nasr Eddin. Par deux fois, vous m’importunez pour que je prenne la parole, et vous prétendez savoir ce que je vais dire !
Il quitte alors de nouveau les lieux, laissant derrière lui l’assemblée stupéfaite : que faut-il donc répondre pour qu’un tel saint accepte de répandre ses lumières ?
Une des personnes de l’assistance propose que si la question est encore posée, les uns crient : « Oui, oui, nous le savons ! », et les autres : « Non, non, nous ne le savons pas ! » L’idée est retenue, et l’on court chercher le Hodja, qui monte en chaire pour la troisième fois :
— Chers frères, savez-vous enfin de quoi je vais vous parler ?
— Oui, oui, répondent certains, nous le savons !
— Non, non, crient d’autres, nous ne le savons pas !
— A la bonne heure, conclut Nasr Eddin. Dans ces conditions, que ceux qui savent le disent aux autres.
Sublimes paroles et idioties de Nasr Eddin Hodja,
trad. J.-L. Maunoury, Phébus Libretto, 1990
Je dédie ce billet à mon grand-père, qui, j’en suis certain, l’aurait beaucoup fait rire.
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il faut que j’apprenne à crier “fils de chiens !” pour quand je veux insulter les gens 🙂
Tu peux dire plus simplement “chiot”, mais je suis pas certain que ça ait la même portée (de chiots mouwahaaa).