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Hors les murs de Théo­dose se trou­vait autre­fois une petite ville deve­nue aujourd’­hui un des quar­tiers d’Is­tan­bul et un haut-lieu de l’Is­lam tra­di­tion­nel. Cette ville d’Eyüp a vu tom­ber le com­pa­gnon du Pro­phète Abu Ayyub al-Ansa­ri lors du pre­mier siège de Constan­ti­nople en 670. Enter­ré sur place, il repose aujourd’­hui en bonne place dans le mau­so­lée au cœur de la cour de la mos­quée por­tant son nom. La mos­quée en elle-même n’a rien d’ex­cep­tion­nel, si ce n’est qu’elle est très élé­gante et s’é­lève fiè­re­ment au pied de la col­line sur laquelle sont sau­pou­drées les sépul­tures blanches en marbre de Mar­ma­ra, et sur les­quelles les habi­tants d’Is­tan­bul viennent ici en nombre pour prier et se recueillir. On est ici bien loin de l’Is­tan­bul moderne et pleine de vie. Le temps s’est arrê­té, on vit au rythme des adhan, loin du tumulte.

Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 084a - Eyüp - Teleferık Silahtarağa Caddesi

Je suis arri­vé à Eyüp en bus, en lon­geant la ligne de la Corne d’Or (Haliç) et puis au pied du télé­phé­rique qui mène à la ter­rasse. C’est assez étrange de voir ici ce genre de moyen de loco­mo­tion, mais il faut dire que la pénin­sule de l’Is­tan­bul euro­péenne est très haute en alti­tude et gra­vir les rues pour rejoindre le haut des col­lines peut être par­fois un exer­cice fran­che­ment phy­sique. Dans les cabines qui nous trans­portent rapi­de­ment en haut, on peut voir le patch­work des tombes enche­vê­trées dans tous les sens ; drôle d’en­droit pour un cime­tière. De loin, c’est un étrange pay­sage d’ho­ri­zon­tales mar­quées par les tombes et de ver­ti­cales sym­bo­li­sées par des cyprès. Le pay­sage a vrai­ment quelque chose d’é­nig­ma­tique. On arrive à la ter­rasse où les stam­bou­liotes aiment venir le dimanche, les hommes encos­tu­més, les femmes parées de ces longs man­teaux sombres, spé­cia­le­ment conçus pour mas­quer leurs formes, fou­lard sur les che­veux… Ici, c’est la tra­di­tion qui prime. Le café Pierre Loti, qui aimait à venir ici avec ses amis, s’é­tend le long de la ter­rasse et offre la pos­si­bi­li­té de boire un café turc ou un thé récon­for­tant avant d’en­ta­mer la des­cente du cime­tière, Eyüp Sul­tan Mezarlığı. C’est plus une curio­si­té qu’un véri­table lieu d’in­té­rêt, le café lui-même étant réduit à sa plus simple expres­sion. Content d’être pas­sé là, je n’ai tout de même pas l’im­pres­sion d’a­voir réus­si à y cap­ter quelque chose, si ce n’est d’être entou­ré de stam­bou­liotes en goguette, en pro­me­nade dominicale.

Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 086a - Eyüp

Nous des­cen­dons la voie qui ser­pente au milieu des tombes, dans une ambiance repo­sante, sereine. Les vivants fleu­rissent avec goût les tombes de leurs défunts, en plan­tant direc­te­ment des fleurs dans la terre réser­vée entre les parois. Pen­sées, jon­quilles et sur­tout tulipes, la tulipe qui est la véri­table star de cette ville. De très belles tulipes sty­li­sées ornent bon nombre de tombes à côté des ins­crip­tions. On vient en famille au cime­tière pour net­toyer la sépul­ture, y arran­ger les fleurs qui y poussent natu­rel­le­ment, mais la plu­part du temps, les cime­tières sont si exi­gus qu’on ne peut y circuler.

Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 107 - Eyüp Mezarlığı

En arri­vant sur la ville, on entend une mélo­pée scan­dée dans un haut-par­leur, quelque chose qui res­semble à un appel à la prière mais qui n’en est pas un. Jus­qu’en arri­vant sur la place de la mos­quée, la plainte reten­tit et fina­le­ment, nous voyons un cor­tège sor­tant de la mos­quée por­tant cer­cueil de bois dra­pé de vert, s’en­fuit rapi­de­ment vers la voie qui remonte dans le cimetière.
La jeu­nesse a fui ce lieu, nous sommes entou­rés de per­sonnes d’un cer­tain âge, le lieu a quelque chose de bien­veillant. Dans la cour de la mos­quée, je croise un petit gar­çon plus jeune que mon fils, tout vêtu de blanc et d’or, por­tant un étrange cha­peau et un sceptre ; c’est une tra­di­tion ici que d’a­me­ner son enfant la veille de sa cir­con­ci­sion. Le pauvre a l’air bien insou­ciant et ne se doute pas de ce qui l’attend.
Deux dames pas toutes jeunes s’as­soient sur le banc à côté de moi, un mon­sieur avec elle. Je tente une sou­rire à la dame sur ma droite, elle me regarde étran­ge­ment puis me sou­rit de toutes ses dents avant de se cacher.

Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 112 - Eyüp Mezarlığı

Je reste long­temps sur cette place et consomme un mene­men froid et un mor­ceau de pain avant de sor­tir de la place blanche et de rejoindre le quai en pas­sant par l’al­lée des mau­so­lées (S.Reşat Cad­de­si) où sont enter­rés de nom­breux digni­taires otto­mans. Juste avant le départ, je filme l’adhan, per­tur­bé par une maman qui cher­chait son fils dans le petit square et ter­mi­né par une bataille de chats en règle, juste der­rière mon dos. Cet appel-là avait aus­si quelque chose de particulier.

Nous pre­nons le vapur pour rejoindre Emi­nonü, allant d’une berge à l’autre de la Corne d’Or, là où se trou­vaient autre­fois les chan­tiers navals de l’é­poque byzan­tine et sur les rives de laquelle la ville a pris vie. D’i­ci on peut sen­tir l’o­deur du linge qui sèche, l’o­deur du pois­son pris dans les filets des petites embar­ca­tions tra­di­tion­nelles, l’o­deur du mazout brû­lé par les moteurs, et sur­tout sen­tir le cœur de la ville battre…
Le temps n’é­tait pas ter­rible ce jour-là, le soleil ayant eu un mal fou à per­cer. Il en reste que c’é­tait un des plus agréables moments pas­sés à Istan­bul, un des plus authentiques.

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