Café du matin #12

Café du matin #12

Café du matin

#12

Le café a un goût amer. Je n’ai jamais vrai­ment aimé les pre­miers jours de l’an­née, et encore moins les pre­miers jours de reprise du tra­vail, et cer­tai­ne­ment encore moins le jour de la ren­trée, une fois que les fêtes sont pas­sées, que la lumière s’est éteinte et qu’on retrouve les éclai­rages crus et imper­son­nels des chambres d’hô­pi­tal que sont nos bureaux, quand on n’en prend pas réel­le­ment soin.

Le goût du café est amer. Il a le goût de la soli­tude des pre­miers jours de jan­vier, le goût déjà per­du des jours pas­sés au chaud, dans la ten­dresse et la cha­leur des jours d’un inté­rieur cha­leu­reux, il sent le vent trop fort, la pluie qui tombe par sacs entiers et le ciel plom­bé de masses vapo­reuses qui ne laissent pas un seul ins­tant pré­su­mer de ce qui peut se pas­ser derrière.

Il a un goût amer ce matin, sans que je sache vrai­ment trop pour­quoi, mais je n’aime ni ce café, ni ce matin, ni cette jour­née, ni rien de ce qui se passe jus­qu’au cou­cher du soleil. C’est un jour sombre et mau­dit, un jour que la nuit n’ar­ri­ve­ra peut-être pas à effa­cer. Un jour à effa­cer de ma mémoire qui déjà est beau­coup trop sélective.

Une pre­mière jour­née à vous dégoû­ter du café. Ce matin, le soleil a poin­té le bout de son nez, mais il laisse mon cœur froid.

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N’at­tends pas la nuit pour dire que le jour a été beau

N’at­tends pas la nuit pour dire que le jour a été beau

N’at­tends pas la nuit

pour dire que le jour a été beau

Prendre son temps. Prendre le temps pour soi comme s’il n’exis­tait per­sonne d’autre au monde.

His­toire de se recen­trer, d’é­va­luer pour­quoi on est là, pour­quoi on est au monde, se sen­tir un peu utile à l’ordre des choses et ne pas se dire qu’on ne fait que subir ce qui se passe. Après tout, nos actes ne sont-ils pas une part infime, mais réelle, de tout ce qui se pro­duit chaque jour dans le monde ?

Laisse-moi être un peu égoïste pour pou­voir prendre la mesure de ce que je suis au milieu des autres, pour pou­voir me sen­tir un peu vivant, sen­tir l’air entrer dans mes pou­mons et en res­sor­tir, à chaque ins­pi­ra­tion. Si je ne prends pas conscience que je peux res­pi­rer, alors je vais peut-être tout sim­ple­ment oublier que je dois le faire pour conti­nuer à vivre…

Vis chaque ins­tant, non pas comme s’il était le der­nier, mais comme s’il était le pre­mier de chaque chapitre.

Alors je prends la voi­ture en cette après-midi un peu nua­geuse, la petite voi­ture jaune. Pas de vitres élec­triques, il faut mettre un peu d’huile de coude pour avoir de l’air. Je roule len­te­ment pour sor­tir de la ville, pour voir si je découvre de nou­veaux lieux sur lequel je n’au­rais jamais por­té le regard, ou tout sim­ple­ment jamais pris le temps de remar­quer. Je tends mon doigt vers l’au­to­ra­dio d’un autre âge et ne trouve pas tout de suite le bou­ton de mise en marche. Les voix d’une radio pri­vée s’é­lèvent dans la cam­pagne, cou­vrant le son du moteur qui broute de temps en temps, mais au bout de quelques minutes, je n’ai pas envie de ça, pas de musique, pas de paroles, je ne veux rien de tout cela. Seule­ment le moteur et la route qui défile.

Pas de télé­phone qui vibre toutes les cinq secondes, pas de GPS, la vie atten­dra que j’aie pu faire ce que je vou­lais faire.

Prendre le temps de mar­cher seul, la tête a besoin de se vider, de ne pen­ser à rien.

Ache­ter une bou­teille de Coca, celle qui contient plein de sucre, par­mi les buveurs de bière qui font la queue, et la boire gou­lu­ment assis sur un banc avec les rayons de soleil qui tapent dans le dos.

Sur un mur der­rière sont ins­crits quelques lettres qui portent à sourire.

Mar­cher len­te­ment, ne pas se lais­ser entrai­ner par le rythme des autres, caler son pas sur celui de son esprit, et non sur celui de ceux qui vous dépassent, mar­cher sans pen­ser à rien.

Mar­cher l’es­prit libre, sans penser.

Mar­cher. Un pas devant l’autre.

Mar­cher (sans soutien-gorge).

Mar­cher.

Reprendre la voi­ture, et avant, prendre le temps de fumer une ciga­rette qui prend le goût d’un ins­tant sus­pen­du. Même cette ciga­rette t’en­ferme, elle a une saveur particulière.

Mon­ter voir l’é­glise qui se trouve au som­met de la colline.

Tes che­veux mouillés, ton sou­rire doux et un peu las qui reprend des couleurs.

La cam­pagne envi­ron­nante, sans rien ni personne.

Enfin, tu retrouves quel­qu’un que tu connais, et qui te res­semble étran­ge­ment. Il était déjà là, avant que tu n’ar­rives, et il t’attendait.

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Café stam­bou­liote #11

Café stam­bou­liote #11

Café du matin

#11

Café stam­bou­liote

Istan­bul est une ville qui confine à la mélan­co­lie, le fameux hüzün dont parle Orhan Pamuk.

Dans la mys­tique sou­fie, le hüzün trouve son ori­gine dans un sen­ti­ment de manque dû à notre trop grand éloi­gne­ment de Dieu. On retrouve quelque chose de proche du hüzün dans la culture japo­naise, asso­cié à la noblesse de l’échec. Mon­taigne fait état d’une expé­rience simi­laire, avec ce sen­ti­ment de mélan­co­lie face aux ruines antiques. L’architecture d’Istanbul, ses palais en ruine, son atmo­sphère en noir et blanc, tout cela contri­bue au hüzün que l’on res­sent inévi­ta­ble­ment lorsqu’on y habite ou sim­ple­ment lorsqu’on s’y promène.

Cette mélan­co­lie, on ne la res­sent pas for­cé­ment tout de suite, il faut attendre un peu. Par­fois même, elle sur­vient lors­qu’on quitte la ville, ou alors lors­qu’on y revient et qu’on se dit que tel­le­ment de choses ont chan­gé et que le fait de ne pas retrou­ver les mêmes choses au même endroit est le triste constat de l’im­per­ma­nence du temps. Si je retourne à Istan­bul dans dix ans, je ferai cer­tai­ne­ment le constat que lors de mon der­nier séjour ; il me reste à espé­rer que je n’at­ten­drai pas aus­si long­temps pour revoir le Désir du Monde.

Istan­bul est triste comme une femme qui se réveille et qui dit qu’elle n’est pas belle, avec ses che­veux en bataille, ses yeux encore fer­més et le teint un peu terne, dépa­naillée dans son pyja­ma frois­sé, mais ce n’est qu’un ques­tion de point de vue. Tout est dans le regard de celui qui l’aime.

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Der­nier café avant le pro­chain #10

Der­nier café avant le pro­chain #10

Café du matin

#10

Der­nier café avant le prochain

C’est mar­rant, les absents, ceux qui par lâche­té ne viennent pas. J’es­saie d’en ana­ly­ser la rai­son. A part la lâche­té, je ne vois pas. La peur de ne pas assu­mer, peut-être ? Oui eh bien on en revient au même, c’est de la lâcheté.

Et puis il y a ceux qui font sem­blant, des lâches aus­si, un sou­rire ému au coin des lèvres, mais qui ne trompe per­sonne et qui te disent bon ben bonne route, bon cou­rage, plein de bonnes choses pour la suite, hein, avec un air empreint de malaise qui tra­duit plus que le malaise, peut-être un petit sen­ti­ment de vic­toire, un truc pas abou­ti dont ils ne savent pas eux-mêmes à quoi ça cor­res­pond, ça fait tout bizarre, ben ouais, c’est ça. Prends moi pour un couillon.

Et puis il y a ceux qui te demandent, qui te sup­plient presque, de pas­ser les revoir des temps en temps, d’al­ler boire un coup ensemble, alors qu’ils savent que ça n’ar­ri­ve­ra pas.

Et puis il y a encore ceux qui sont réel­le­ment affec­tés mais ne le montrent pas, qui t’ai­maient bien, parce que toi, le couillon, t’é­tais un mec gen­til, tou­jours de bonne humeur, tou­jours prêt à rendre ser­vice du moment que ça ne te fai­sait pas perdre trop de temps, qui n’hé­si­taient pas à faire des heures supp’ même pas payées, parce que tu ne deman­dais rien, parce que tu es juste un mec gen­til qui ne demande rien à per­sonne, qui fait juste son bou­lot du mieux qu’il peut, qui essaie d’être un peu créa­tif sans trop déran­ger l’ordre éta­bli, parce que ça, quand ça bous­cule trop, on te le fait remarquer.

Bref.

C’est fini, tu as ras­sem­blé toutes tes affaires dans deux ou trois sacs, tes sty­los, tes vieux cahiers de notes, deux ou trois bibe­lots qui te suivent sur tous les bureaux que tu as occu­pé, tu as plié les gaules, ton petit ordi­na­teur avec le char­geur posé sur le bureau à côté du télé­phone por­table que tu n’as jamais uti­li­sé, tu as déjà ren­du les clefs, il ne te reste plus qu’à par­tir. Tu as atten­du que tout le monde parte ce ven­dre­di soir, veille de week-end. Il n’y a plus per­sonne, sauf une per­sonne, celle que tu n’as pas envie de voir et qui te bre­douille des adieux par­fai­te­ment hypocrites.

Et puis c’est plus fort que toi, les larmes montent, et tu te dis, non pas main­te­nant, ça ne sert à rien et tu as beau te dire ça, ça monte dans la gorge, ça arrive aux yeux qui se brouillent et il n’y a rien à faire, ça sort tout seul, et toi tu restes assis là sur ton fau­teuil à regar­der le cou­loir vide, lumière éteinte, et il ne se passe rien, il ne se pas­se­ra plus rien, c’est fini. On aban­donne. Schlussk­lappe. On remballe.

Mais bon. Une nou­velle his­toire s’ouvre et celle-ci se ferme. Il ne peut y avoir deux his­toires enche­vê­trées, deux réa­li­tés pré­sentes ne peuvent se pro­duire en même temps. Ce sont des choses qui n’ar­rivent pas.

Der­nière cap­sule de café, je lave­rai ma tasse à la mai­son. Il n’y a plus rien sur mon bureau blanc. A part l’his­toire que j’ai bien vou­lu y écrire et qui res­te­ra peut-être quelques temps gra­vée à sa surface.

Der­nier café. Avant le prochain.

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Café thaï #9

Café thaï #9

Café du matin

#9

Café thaï

De là où je suis, j’en­tends l’an­gé­lus élec­trique entre mes oreilles.

La cha­leur de cette douce soi­rée au bord de la Chao Phraya me donne des fris­sons de fièvre. Un Mai Tai à la main, une ciga­rette coin­cée entre les doigts, j’é­coute les vedettes rapides décou­per l’onde tour­men­tée du fleuve magis­tral, empor­tant avec eux les jacinthes d’eau qui en recouvrent la sur­face. La mous­son et la cha­leur de l’eau les font croître à une vitesse tota­le­ment absurde. J’ai déjà bu trois verre depuis que j’ai fini de dîner sur cette ter­rasse, gam­bas flam­bées au cognac, poulpe mari­né, cur­ry de cre­vettes, tom gha kai…

Il flotte dans l’air des effluves de bois détrem­pé par les pluies tro­pi­cales, le par­quet de Jim Thomp­son, la mousse qui s’in­cruste dans les replis des sta­tues de lave…

Je ne te connais pas encore, j’en ai l’im­pres­sion. Tu n’é­tais encore qu’un rêve que je n’o­sais même pas rêver. Chat­win se posait la ques­tion : qu’est-ce que je fais là ?

Je n’ai tou­jours pas la réponse.

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