Ka mate (je suis en vie)

Les légendes racontent par­fois de belles his­toires, à l’op­po­sé des cinq mille ver­sions qu’on peut entendre par­tout lors des matches de rug­by… Le haka n’est pas du tout un chant guer­rier, ni un chant de bien­ve­nue comme on n’ar­rête pas de nous le rabâ­cher, ni non plus un chant qui remonte à des temps immé­mo­riaux mais bien un chant de joie qui célèbre un sau­veur, une his­toire de gloire qui date du XIXè siècle… Ver­sion ori­gi­nale du ka mate :

On raconte que, vers 1820, le chef māo­ri Te Rau­pa­ra­ha venait d’é­chap­per à une tri­bu enne­mie, le Nga­ti Tuw­ha­re­toa. Les guer­riers du Nga­ti Tuw­ha­re­toa appro­chaient. Te Rau­pa­ra­ha enten­dait déjà leurs incan­ta­tions, quand il ren­con­tra Te Wha­re­ran­gi, chef de la région Rotoai­ra, et lui deman­da sa pro­tec­tion. Te Wha­rean­gi, d’a­bord hési­tant, per­mit fina­le­ment à Te Rau­pa­ra­ha de se cacher dans son “kuma­ra pit”, un genre de fosse où les Māo­ris sto­ckaient leurs kuma­ras (patates douces).
La tri­bu enne­mie se rap­pro­chait encore et Te Rau­pa­ra­ha, bien que caché au fond de la fosse, était cer­tain d’être décou­vert et tué ; il se répé­tait tout bas « je meurs, je meurs ».
Quand il se ren­dit compte que ses enne­mis ne l’a­vaient pas trou­vé, Te Rau­pa­ra­ha se mit à crier “Ka Ora, Ka Ora ! je vis, je vis ! L’homme « poi­lu » qui est allé cher­cher le soleil l’a fait briller à nou­veau ! Le soleil brille”. (Te Rau­pa­ra­ha par­lait de Te Wha­re­ran­gi, qui était célèbre pour son corps très velu.)
Lit­té­ra­le­ment , “Upane” veut dire « marches ». Peut-être Te Rau­pa­ra­ha criait-il “upane” à chaque marche gra­vie pen­dant son retour vers le grand soleil et la liber­té. Une fois sor­ti de la fosse, Te Rau­pa­ra­ha aurait dan­sé son Haka de joie devant les deux chefs, Te Wha­re­ran­gi et Te Rangikoaea.
Voi­ci les paroles du Ka mate en māo­ri et en fran­çais  : Paroles ori­gi­nales du haka Ka Mate :

Rin­ga Pakia Uma Tiraha
Turi whatia
Hope whai ake
Waeu­wae taka­hia kia kino
Ka mate ! Ka mate !
Ka ora ! Ka ora !
Tenei te tan­ga­ta puhuruhuru
Nana nei i tiki mai, wha­kaw­hi­ti te ra
A hupane ! A kaupane !
A hupane ! A kaupane !
Whi­ti te ra !
Hi !

Tra­duc­tion des paroles du haka Ka Mate :

Frap­pez des mains sur les cuisses
Que vos poi­trines soufflent
Pliez les genoux
Lais­sez vos hanches suivre le rythme
Tapez des pieds aus­si fort que vous pouvez
C’est la mort ! C’est la mort !
C’est la vie ! C’est la vie !
Voi­ci l’homme poilu
Qui est allé cher­cher le soleil, et l’a fait briller de nouveau
Faites face ! Faites face en rang !
Faites face ! Faites face en rang !
Soyez solides et rapides devant le soleil qui brille !”

Source Wiki­pe­dia

Haka dans les stu­dios de la BBC

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La Ménade de Scopas

Elle vient de la terre, des pro­fon­deurs sacrées de la terre de Grèce et des arcanes du IVè siècle avant Jésus-Christ. Nées des orgies de Dio­ny­sos, les Ménades sont des femmes pos­sé­dées per­son­ni­fiant les esprits sau­vages de la nature. Vêtues de peaux de bêtes, d’un bruyant thyrse et d’un tam­bou­rin, elles paradent aux côté des satyres dans les thiases dio­ny­siaques. Tou­jours ivres, en proie au délire de la transe, elles sont tatouées sur le visage et lorsque le délire le plus extrême les sai­sit, elles deviennent folles, s’at­taquent aux voya­geurs qui s’a­ven­turent sur les routes au mois d’oc­tobre et les démembrent pour les dévorer.
Dans la sta­tuaire grecque clas­sique, elle est tou­jours repré­sen­tée les bras écar­tés, entrai­nés par la danse, les jambes pla­cées de telle sorte qu’on la croit bon­dis­sante comme un cabris, les vête­ments agi­tés par le mou­ve­ment et les che­veux au vent. Celle du sculp­teur Sco­pas porte en elle un grâce toute par­ti­cu­lière, sau­vage, primitive.

La poi­trine for­te­ment ten­due vers l’a­vant, sa tunique est défaite au point que des épaules jus­qu’au genou, ce n’est qu’une seule chair, subrep­ti­ce­ment inter­rom­pue par une cein­ture fine et cette chair montre une fesse mus­clée, ten­due par la posi­tion et la nais­sance de la région pubienne sous le voile léger et trans­pa­rent qui par­court l’in­té­gra­li­té de son corps. Der­rière, une cam­brure osée, sug­ges­tive, la femme a la tête reje­tée en arrière, les yeux révul­sés dans une atti­tude d’a­ban­don total. Sa che­ve­lure relâ­chée n’a plus cette forme clas­sique bien ran­gée, mais c’est la che­ve­lure d’une femme en extase. Cette sculp­ture est d’une audace folle et l’on rêve à ce que pou­vait être l’œuvre dans son inté­gra­li­té ; ses mou­ve­ments indiquent qu’elle devait être d’une jolie finesse empor­tée dans un mou­ve­ment dyna­mique. Il ne nous en reste qu’une belle par­tie qui laisse tou­te­fois songeur…

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La pre­mière femme nue

On dit de l’Aphro­dite de Cnide qu’elle est la pre­mière repré­sen­ta­tion nue d’une femme en Occi­dent. Plus qu’une sta­tue en par­ti­cu­lier, c’est un modèle de sta­tues posant dans un style à part, défi­ni par le sculp­teur Praxi­tèle dans un mou­ve­ment de moder­ni­sa­tion des canons de Poly­clète. Il existe plu­sieurs de ces Aphro­dite, la plus connue étant l’A­phro­dite Bra­schi conser­vée à la Glyp­to­thèque de Munich. Ce type de sta­tue montre un appui sur la jambe droite comme dans toute la sta­tuaire du second clas­si­cisme, une plas­tique géné­reuse et réa­liste met­tant en avant les plis sen­suels de la peau, une tor­sion de la ligne des épaules qui n’est pas paral­lèle à celle des hanches, la main gauche tenant un vête­ment et la droite cachant son sexe — la main pla­cée devant son sexe, l’a-t-on cru long­temps, désigne le sexe plu­tôt qu’elle ne le cache, car en effet, le fait de dési­gner signi­fie que c’est Aphro­dite, déesse de la beau­té, de la fémi­ni­té et de la fécondité.
Selon la légende, Praxi­tèle exé­cu­ta deux mêmes copies, l’une nue, l’autre dite pudique. La pre­mière fut ven­due à la ville de Cnide (en Tur­quie), l’autre à Cos. Avec cette sta­tue, c’est à la fois l’his­toire de l’art, des mœurs et de la sen­sua­li­té qui fait un bond énorme…

Pho­to © Vir­tuelles Anti­ken Museum 
de l’Ar­chäo­lo­gisches Ins­ti­tut Göttingen

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Chau­vet, la grotte des rêves perdus

Pho­to © Alain Cachat

Un dimanche soir calme, j’entre dans la salle de spec­tacle du Figuier Blanc où m’at­tend un grand écran de plus de qua­torze mètres de lon­gueur, il y fait frais comme à l’en­trée d’une grotte. Si je suis ici, c’est pour voir ce film de Wer­ner Her­zog (oui, le même Her­zog qui tour­na Aguirre, Fitz­car­ral­do et Nos­fe­ra­tu) dont j’ai enten­du par­ler par hasard. Il se trouve que le sujet en est la Grotte Chau­vet, décou­verte en 1994, dont le mobi­lier et les pein­tures parié­tales ont été esti­més entre 31000 et 38000 ans, de l’au­ri­gna­cien au gra­vet­tien — le sujet m’est cher. A titre de com­pa­rai­son, la grotte de Las­caux est, elle, esti­mée à 17000 ans. Chau­vet est deux fois plus ancienne !

Le tra­vail de Wer­ner Her­zog a été de res­ti­tuer l’am­biance magique, voire mys­tique de cette grotte qui s’é­tend sur 400 mètres de long à l’in­té­rieur d’une falaise, dont la par­tie paléo­li­thique orien­tée plein sud s’est effon­drée, en sur­plomb d’un ancien bras de l’Ar­dèche, à deux pas du Pont d’Arc au lieu-dit la Combe d’Arc. La grotte a ain­si été pro­té­gée de l’ex­té­rieur jus­qu’à sa décou­verte. Plus de quatre cents repré­sen­ta­tions d’a­ni­maux, de mains posi­tives, et une seule repré­sen­ta­tion mi-humaine mi-ani­male ornent les parois de cette cavi­té natu­relle, jus­qu’à la salle du fond où le taux de CO2 reje­té par les racines des arbres est trop impor­tant pour qu’on puisse y res­ter trop long­temps sans risques pour la san­té. Le sol n’a pas été com­plè­te­ment explo­ré encore et l’é­tat de conser­va­tion excep­tion­nel de la grotte sera main­te­nu tel quel puis­qu’elle ne sera jamais ouverte au public. C’est d’ailleurs la rai­son pour laquelle Her­zog a eu l’au­to­ri­sa­tion de fil­mer pour fixer tout cela sur la pel­li­cule et en faire un peu plus qu’un film. Cer­taines scènes sont fil­mées en 3D avec des gros plans impres­sion­nants sur le sol ou les pein­tures, ce qui accen­tue for­te­ment le volume de la pierre, et sa dimen­sion sacrée. Limi­tés à des plages d’une heure par jour et contraints d’y évo­luer en équipes res­treintes, l’é­quipe de tour­nage a lais­sé der­rière elle un témoi­gnage fort, une vision large d’un mor­ceau d’humanité.


Grotte Chau­vet : sec­to­ri­sa­tion de la grotte.
Rele­vés topo­gra­phiques : Le Guillou et Mak­sud (2001)
© Paleo

L’in­té­rêt de cette grotte réside dans son incroyable état de conser­va­tion et dans la mul­ti­tude de ses repré­sen­ta­tions. Depuis Chau­vet, on sait par exemple que le lion des cavernes qui vivait à cette époque ne por­tait pas de cri­nière, car une des repré­sen­ta­tions figure un couple lion/lionne et le mâle est clai­re­ment iden­ti­fié par la pré­sence du scro­tum. On peut par ailleurs entendre dans ce film Jean Clottes (dont j’ai déjà lon­gue­ment par­lé sur le Per­ro­quet Sué­dois) par­ler de ses deux concepts liés à la spi­ri­tua­li­té du paléo­li­thique, la flui­di­té et la per­méa­bi­li­té. Flui­di­té entre les espèces, dans la pen­sée du Sapiens paléo­li­thique, les genres se confondent aisé­ment, l’Homme vit au milieu de la nature et la dis­tinc­tion est faible entre les élé­ments qui la consti­tue, homme/femme/animal/arbre/pierre/ciel par exemple. Per­méa­bi­li­té entre les mondes, entre le monde des esprits caché der­rière la roche, les deux mondes s’in­ter­pé­nètrent. Ces deux concepts dif­fi­ciles pour nos pen­sées judéo-chré­tiennes per­mettent de mieux com­prendre la situa­tion et le pour­quoi de ces pein­tures rupestres.

Dif­fi­cile de ne pas admi­rer ce tra­vail plu­sieurs fois mil­lé­naire, qui tend à prou­ver que si l’homme qui vivait ici il y a 40000 ans était certes entou­ré d’un envi­ron­ne­ment mini­mal, très natu­rel, il n’en était pas moins capable du plus haut niveau d’abs­trac­tion qui soit dans l’é­chelle de l’é­vo­lu­tion, c’est-à-dire la pen­sée reli­gieuse, laquelle a per­du­ré dans sa forme cha­ma­nique pen­dant plus de trente mille ans et sur­vit encore aujourd’­hui dans cer­tains endroits du monde. De quoi rendre les grandes reli­gions modestes…

Liens :

  1. Inter­view de l’in­ven­teur de la grotte, Jean-Marie Chau­vet
  2. La faune de la grotte Chau­vet (Vallon-Pont‑d’Arc, Ardèche) : pré­sen­ta­tion pré­li­mi­naire paléon­to­lo­gique et taphonomique
  3. Immé­diat et suc­cessif : le temps de l’art des cavernes
  4. Loca­li­sa­tion de la Grotte Chau­vet sur Google Maps
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