Oct 6, 2010 | Passerelle |
La jalousie est un sentiment atroce. Atroce parce que dévastateur et surtout parce qu’il est incontrôlable et qu’il mène à la vacuité la plus profonde. Je parle de la vraie jalousie, pas ce truc maladif d’adolescent qu’éprouvent certaines personnes qui ne supportent pas qu’on s’approche de trop près de l’être aimé, mais cette vague de néant qui nous submerge quand l’être aimé en aime un autre. C’est une construction complexe qui impose de s’affranchir du réel pour se réfugier dans une parcelle inconnue de l’activité habituelle, dans laquelle plus rien n’a de justification et où l’on peut fomenter les plans les plus horribles. Là où la jalousie prend la forme la plus laide, c’est lorsqu’on s’accroche à une espérance qui disparaît de manière définitive, de telle sorte qu’on doive faire son deuil de l’être aimé.
C’est également une incroyable blessure à l’amour propre. C’est surtout l’égo qui en prend un coup. Un coup de poing dans le diaphragme qui coupe net la respiration. Rien de moins. Et ensuite il faut apprendre à arrêter les nausées, sentir ses doigts bouger, se faire une raison (se faire un shoot ?), retenir les larmes, recommencer depuis le début, se tordre les doigts, se dire que c’est fini, ne pas trop s’user, reprendre un peu de cette joyeuse souffrance qui gratte sous les os, se dire qu’il faut avancer, s’atteler à l’architecture du néant mais pour aller où, pour s’enfermer dans l’inconsistance, les nourritures terrestres n’y suffiront pas, toutes les lectures du monde ne vous ramèneront pas cette femme. Et pour reprendre une expression que je lis tous les jours, il faut in fine se résoudre à valider encore et encore cette forme de renoncement.
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Oct 5, 2010 | Livres et carnets |
David Vann a peut-être écrit le roman qui inaugurera une nouvelle ère de la littérature. Sukkwan Island décrit un huis-clos insoutenable sur une île perdue en Alaska, entre un père et son fils. Après une vie tumultueuse, deux mariages ratés, des échecs personnels difficiles à avaler, Jim propose à son fils de treize de partir avec lui pendant un an à la rencontre de la nature alaskane sur une île uniquement accessible par avion ou en bateau. Ce garçon né d’un premier mariage, qu’il connait peu et qui le connais encore moins part un peu à reculons mais décide de laisser une chance à son père et de le suivre, coûte que coûte. Installés dans une cabane sommaire, avec un approvisionnement qui l’est tout autant, leurs nuits sont mouvementées, surtout à cause de Jim qui pleure dans son sommeil, gémit sur sa culpabilité d’homme à femmes et a de la peine à s’excuser ses frasques sexuelles. C’est dans cette atmosphère humide et suintante dans l’automne du grand nord que va se sceller le destin de ces deux êtres désunis par les liens du sang, étrangers à eux-mêmes comme au monde dans lequel ils vivent. En pillant leurs réserves, un ours les aidera à chuter, les laissant à leur sort déjà pas reluisant.
Le livre de David Vann est d’une exceptionnelle cruauté, comme s’il avait été écrit avec la lame brillante et froide d’un couteau de chasse sur la porte d’une cabane de trappeur. Jusqu’à la moitié des pages, on n’a aucune idée de la possible dérive d’un père et de son fils, jusqu’au moment où l’on est frappé en pleine face par leur destin. L’autre moitié du livre est une sombre descente aux enfers comme on n’en a jamais lu. Pas de complaisance, pas de choix possibles non plus, et finalement l’humanité que l’on croyait perdue est redistribuée d’une manière étonnante comme des cartes sur une table de poker. Comme ils disent sur Technikart, «La recette Sukkwan Island ? Un père, un fils, l’Alaska et un putain de coup de théâtre.»
Tandis qu’ils survolaient les lieux, Roy observait le reflet de l’avion jaune qui se détachait sur celui, plus grand, des montagnes vert sombre et du ciel bleu. Il vit la cime des arbres se rapprocher de chaque côté de l’appareil, et quand ils amerrirent des gerbes d’eau giclèrent de toute part. Le père de Roysortit la tête par la fenêtre latérale, sourire aux lèvres, impatient. L’espace d’un instant, Roy eut la sensation de débarquer sur une terre féerique, un endroit irréel.
Ils se mirent à l’ouvrage. Ils avaient emporté autant de matériel que l’avion pouvait en contenir. Debout sur un des flotteurs, son père gonfla le Zodiac avec la pompe à pied pendant que Roy aidait le pilote à décharger le moteur Johnson six chevaux au-dessus de la poupe où il patienta, suspendu dans le vide, jusqu’à ce que l’embarcation fût prête. Ils l’y fixèrent, chargèrent le bateau de bidons d’essence et de jerrycans qui composèrent le premier voyage. Son père le fit en solitaire tandis que Roy, anxieux, attendait dans la carlingue avec le pilote qui ne cessait pas de parler.
En lisant quelques critiques (ici et là et encore là notamment), je me suis aperçu que les avis négatifs portaient surtout l’absence de descriptions grandioses de la nature du Grand Nord et également le peu d’approfondissement de la psychologie des personnages. Alors évidemment, pour les descriptions de la nature, il va plutôt falloir se diriger vers Jack London ou des écrivains naturalistes. Le magazine Geo fait très bien ça. Ou le National Geographic. Vann pose les bases dès le départ, il n’est pas là pour faire un joli tableau idyllique d’une île paradisiaque, mais pour raconter l’histoire la plus terrifiante qui soit, c’est à dire le moment où les relations d’un père et son fils basculent dans la plus grande noirceur parce que plus rien, même l’isolement, le confinement, n’arrive à rétablir la compréhension des êtres. D’autre part, et il va falloir s’y habituer, le roman tend à s’affranchir de la psychologie parce que la psychologie c’est chiant. La psychologie, c’est ce qui reste quand un auteur manque de souffle et ne sait pas raconter des histoires. C’est un peu ce gamin qu’on a tous connu dans la cour de récréations qui raconte des histoires drôles qui ne font rire personne, parce que décidément, il ne sait pas les raconter. La psychologie, c’est pour les gens structurés en manque d’imagination.
Ce que veut le lecteur d’aujourd’hui, ce sont des vraies histoires, un style, un souffle, des coups de poing dans la gueule, des tremblements de crainte et de dégoût (fear and loathing) pas des masturbations autour de la complexité des sentiments et blablabla ni de se prendre de sympathie ou pas pour un personnage qui est là pour être détesté… David Vann en ce sens fera date et d’autres après lui, il faut l’espérer.
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Oct 5, 2010 | Arts, Photo |
J’ai parlé hier de Sebastian Schutyser et de ses photos prises à la chambre noire. La chambre noire ou camera obscura est l’appareil photo du pauvre, simplement fabriquée avec une boîte percée d’un trou d’aiguille (pinhole). Elle permet de faire de photos sans objectif, en deux dimensions et très proches de la vision humaine réelle. Ces « sténopés » nécessitent des temps de poses longs puisque le diaphragme est pour le coup très petit. Afin de découvrir ces petites merveilles de simplicité, je vous invite à vous rendre sur © l’œil en boite (Delphine Lancelle) ainsi que les 197 superbes photos de Effixe, et un peu plus loin quelques exemples sortis de la sténocaméra de Thierry Gonidec.
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Oct 4, 2010 | Architectures, Arts, Photo |
Sebastian Schutyser a photographié 575 chapelles romanes à travers l’Europe avec un sténopé (ou “pinhole camera”). Toutes ces structures ont pour point commun d’être des lieux construits à l’écart du monde. Un travail superbe sur l’architecture de l’humilité et de la simplicité, renforcé par le cadre simple de l’environnement de ces lieux hors du temps, hors des lieux des hommes. Tout ceci est fort bien expliqué par Geoff Manaugh sur son superbe site BLDGBLOG.
A voir également un travail superbe sur les mosquées en adobe du Mali.
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Oct 3, 2010 | Arts, Photo |
A l’issue d’un week-end de dépressif confiné dans la fièvre et la douleur, je me suis réveillé avec quelques petites merveilles trouvées sur mon chemin.
Kanako Sasaki
Xiao
Et également ces photos très impressionnantes des alentours de ce volcan dont personne n’ose plus prononcer le nom sans se ridiculiser sur trois générations ; Eyjafjallajökull, photographié par Sean Stiegemeier et en vidéo.
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