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Le corps mer­veilleux de Galswinthe

Gals­winthe, fille d’Atha­na­gild, roi des Wisi­goths d’His­pa­nie,  a vécu au VIème siècle, était reine des Francs et de Neus­trie et femme du roi méro­vin­gien Chil­pé­ric Ier. Son nom signi­fie en gothique « Éner­gique dans la foi » et l’on trouve son nom ortho­gra­phié sous les formes Gal­suin­tha, Gai­le­suin­da et Gele­suin­ta.

Son his­toire, tra­gique, c’est l’é­vêque Gré­goire de Tours qui nous la raconte (His­toire des Francs, livre IV, 28, 592 — tra­duc­tion Robert Latouche.)

Ce que voyant le roi Chil­pé­ric deman­da sa sœur Gals­winthe bien qu’il eût déjà plu­sieurs épouses ; il fit pro­mettre par les ambas­sa­deurs qu’il délais­se­rait les autres pour peu qu’il méri­tât d’a­voir une femme digne de lui et de souche royale. Le père, accueillant ces pro­messes, lui envoya sa fille comme il avait fait pour sa pré­cé­dente avec de grandes richesses, car Gals­winthe était plus âgée que Bru­ne­hilde. Lors­qu’elle fut arri­vée chez le roi Chil­pé­ric, elle fut accueillie avec beau­coup d’hon­neurs et asso­ciée à lui par le mariage. Il éprou­vait aus­si pour elle un grand amour, car elle avait appor­té avec elle de grands tré­sors. Mais son amour pour Fré­dé­gonde qu’il avait eue aupa­ra­vant comme femme pro­vo­qua entre eux un grand dif­fé­rent. Elle avait déjà été conver­tie à la foi catho­lique et ointe de chrême. Or comme elle se plai­gnait constam­ment au roi d’a­voir à sup­por­ter des injures et de ne jouir auprès de lui d’au­cune consi­dé­ra­tion, elle deman­da la per­mis­sion de ren­trer libre­ment dans sa patrie en lais­sant les tré­sors qu’elle avait appor­tés avec elle. Le roi fei­gnant de nier la chose, l’a­pai­sa par de douces paroles. Fina­le­ment il la fit égor­ger par un esclave et on la trou­va morte dans son lit. […] Quant au roi, après avoir pleu­ré la morte, il reprit après quelques jours Fré­dé­gonde qu’il épousa […].

En l’oc­cur­rence, si la reine Gals­winthe a connu des déboires qui ne l’ont pas pour autant ins­crite en haut du tableau, je ne suis pas pour autant insen­sible au tableau d’Eu­gène Phi­lastre fils, un peintre mineur à peu près incon­nu dont la plus grande œuvre est conser­vée au musée de Sois­sons… Le tableau est un peu pom­pier, et son état de conser­va­tion laisse à dési­rer, mais en y regar­dant de plus près, on découvre un vrai tré­sor ; le corps de Gals­winthe. Rare­ment on a repré­sen­té le corps d’une femme en pein­ture avec autant d’ex­pres­sion, à tel point qu’on pour­rait presque le sor­tir du cadre et le faire poser pour un pho­to­graphe moderne. Le trai­te­ment du mou­ve­ment, le torse en avant, bom­bé par le manque d’air, un bras replié sur la main qui lui enserre le cou, l’autre lâche­ment bal­lante ; tout indique que déjà elle s’a­ban­donne à la mort. Le regard de la reine est déjà vide et ses lèvres entr’ou­vertes laissent sup­po­ser qu’elle est en train de rendre son der­nier souffle. Pour­tant dans cette mort, on y voit — peut-être le fan­tasme du peintre* — une car­na­tion claire, une peau par­cou­rue par une chair de poule que l’on peut voir fleu­rir jusque sur le sein dont l’a­réole est ten­due, le pubis est pro­je­té en avant, une jambe allon­gée, l’autre repliée, tout veut nous faire croire qu’elle se débat pour ne pas mou­rir. En réa­li­té, je me pose la ques­tion de savoir si le peintre ne s’est pas expri­mé de telle sorte que son modèle est plu­tôt per­du dans les affres du plai­sir que dans la tor­ture d’une mort nais­sante. On aurait vou­lu évo­quer le vul­gaire meurtre d’une reine qu’on y serait cer­tai­ne­ment allé avec un peu plus d’emphase et de manières… Mais je me trompe peut-être.

* Non, pas le mien…

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Les os d’É­douard et le tam­bou­rin de Jean

Édouard Ier, roi d’An­gle­terre, ayant expé­ri­men­té dans les longues guerres entre lui-même et Robert, roi d’É­cosse, com­bien sa pré­sence don­nait d’a­van­tage à ses affaires, attri­buant tou­jours la vic­toire au fait qu’il menait l’en­tre­prise en per­sonne, [par­ve­nu à] l’heure de sa mort, fit prendre à son fils, par ser­ment solen­nel, l’en­ga­ge­ment de faire bouillir son corps, quand il serait tré­pas­sé, pour sépa­rer la chair des os et de la faire enter­rer ; quand aux os, il devait les conser­ver pour les empor­ter avec lui, dans son armée, toutes les fois qu’il lui arri­ve­rait d’a­voir une guerre contre les Écos­sais, comme si la des­ti­née avait fata­le­ment atta­ché la vic­toire à ses membres.
Jean Zis­ka, qui trou­bla la Bohème pour défendre les erreurs de Wycliffle, vou­lut qu’on l’é­cor­chât après sa mort et que de sa peau on fît un tam­bou­rin pour por­ter à la guerre contre ses enne­mis : il esti­mait que cela contri­bue­rait à conti­nuer les avan­tages qu’il avait eus dans les guerres qu’il avait conduites contre eux.

Michel de Mon­taigne, Les Essais
Livre I, Cha­pitre III, Col­lec­tion Quar­to Gallimard

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Un agneau végétal

C’est l’é­té, il fait presque beau, j’ai déci­dé de ne pas trop écrire et de par­ta­ger quelques textes ori­gi­naux. En plein dans le texte de Colin Thu­bron, l’ombre de la route de la soie, j’exulte devant une série d’a­nec­dotes délec­tables, comme l’his­toire de l’a­gneau végétal.

Spring Lamb

Pho­to © Sarah Mac­mil­lan

La Chine et l’Ouest conti­nuèrent pour­tant à vivre dans l’i­gno­rance l’une de l’autre pen­dant des siècles. Ain­si les Romains, connais­sant le coton, s’i­ma­gi­nèrent que la soie pous­sait sur des arbres, pen­dant que les Chi­nois se fon­daient sur ce qu’ils savaient du ver à soie pour en déduire que le coton pro­ve­nait d’un ani­mal. Ils s’in­ven­tèrent donc un « agneau végé­tal », une créa­ture sur­gie du sol, laquelle brou­tait secrè­te­ment la nuit et met­taient bas des petits qui don­naient du coton. Les Romains voyaient dans les loin­tains Chi­nois un peuple doux et béni ;  simul­ta­né­ment, se répan­dait en Chine la rumeur, vague au départ, de l’exis­tence d’une puis­sante monar­chie élec­tive, au-delà de la Perse, dotée de citoyens hon­nêtes et paisibles.

Colin Thu­bron, L’ombre de la route de la soie Folio, 2006, p148

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Avant que la terre ne des­sine mol­le­ment ta forme de sa main fouisseuse

Dès la pre­mière lec­ture, cer­taines dédi­caces vous pro­mettent des voyages dont on ne revient pas indemnes. Pour la deuxième fois de ma vie, je tente de me replon­ger dans les lignes sombres de Les sept piliers de la sagesse, l’œuvre sublime de Tho­mas Edward Law­rence dont j’ai inter­rom­pu la lec­ture la pre­mière fois parce que j’ai don­né mon livre à un ami. J’en avais oublié la dédi­cace, poème superbe écrit par l’au­teur à l’at­ten­tion d’un ami dis­pa­ru (cer­tai­ne­ment Sheikh Ahmed connu aus­si sous le nom de Dahoum), un texte en forme de pro­gramme qui donne toute l’en­ver­gure du per­son­nage, à la fois pas­sion­né, méga­lo­mane très cer­tai­ne­ment et char­gé d’une puis­sance à la hau­teur du désert qui l’ac­com­pa­gna une par­tie de sa vie. Sur ce visage solaire, rayon­nant, figé, ne trans­pa­rurent jamais les sca­ri­fi­ca­tions d’une souf­france inté­rieure qui ne put être sou­la­gée que dans les mots de cette œuvre magis­trale, et dans une vie en tous points mar­gi­nale, qui se ter­mi­na au détour d’un virage sur la moto qu’il avait sur­nom­mé George VII, alors qu’il ten­tait d’é­vi­ter deux cyclistes.

à S.A.

Parce que je t’aimais
J’ai pris dans mes mains ces marées d’hommes ;
Avec les étoiles qui le sillonnaient,
Sur le ciel, j’é­cri­vis ma volonté.
A ce prix, j’ob­tins pour toi la liberté,
Demeure sacrée aux sept piliers :
Ain­si tes yeux brillaient-ils pour moi
A mon arrivée.

En route j’eus pour ser­vante la mort.
Nous appro­châmes et t’a­per­çûmes qui attendais.
A la vue de ton sou­rire, pleine d’en­vie et de larmes,
Elle me devan­ça, te prit à part,
Te fit péné­trer dans sa paix.

L’a­mour, las du che­min, aveugle, s’a­van­ça vers toi pour te toucher,
Notre salaire en ce bref instant,
Avant que la terre ne des­sine mollement
Ta forme de sa main fouisseuse,
Que les vers sans yeux ne s’en­graissent de ton corps.

A la prière des hommes j’é­di­fiai notre œuvre,
La mai­son inviolée,
En sou­ve­nir de toi.
Pour­tant je mis en pièces ce monu­ment indigne
Avant de l’achever.
Voi­ci que main­te­nant les créa­tures infimes, timi­de­ment sortent
Se hour­der des masures
Dans l’ombre souillée de mon offrande.

Tho­mas Edward Law­rence, les sept piliers de la sagesse
Tra­duc­tion de Renée et André Guillaume, Livre de Poche col­lec­tion Pochotèque
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