Café thaï #9

Café thaï #9

Café du matin

#9

Café thaï

De là où je suis, j’en­tends l’an­gé­lus élec­trique entre mes oreilles.

La cha­leur de cette douce soi­rée au bord de la Chao Phraya me donne des fris­sons de fièvre. Un Mai Tai à la main, une ciga­rette coin­cée entre les doigts, j’é­coute les vedettes rapides décou­per l’onde tour­men­tée du fleuve magis­tral, empor­tant avec eux les jacinthes d’eau qui en recouvrent la sur­face. La mous­son et la cha­leur de l’eau les font croître à une vitesse tota­le­ment absurde. J’ai déjà bu trois verre depuis que j’ai fini de dîner sur cette ter­rasse, gam­bas flam­bées au cognac, poulpe mari­né, cur­ry de cre­vettes, tom gha kai…

Il flotte dans l’air des effluves de bois détrem­pé par les pluies tro­pi­cales, le par­quet de Jim Thomp­son, la mousse qui s’in­cruste dans les replis des sta­tues de lave…

Je ne te connais pas encore, j’en ai l’im­pres­sion. Tu n’é­tais encore qu’un rêve que je n’o­sais même pas rêver. Chat­win se posait la ques­tion : qu’est-ce que je fais là ?

Je n’ai tou­jours pas la réponse.

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Café bleu et blanc #8

Café bleu et blanc #8

Café du matin

#8

Café bleu et blanc

Ambiance élec­trique, fié­vreuse, sous un ciel char­gé d’hu­mi­di­té froide qui n’ar­rête pas de se déver­ser en fines couches, les yeux grands ouverts, l’o­deur gla­cée de la pluie sur le bitume d’une ville frai­che­ment sor­tie de terre, là où avant ne se trou­vaient que des entre­pôts d’u­sines mortes depuis une bonne décennie.

Il pleut, il fait froid, le Nebras­ka ne te lais­se­ra jamais ren­trer chez toi. J’ai la tête en feu, le cœur au chaud.

Grillades de pois­sons médi­ter­ra­néens, rou­gets, sar­dines, poulpe, espa­don, le liban qui me rap­pelle la Tur­quie, شُرْبَة et tagine, le tout enve­lop­pé par le chant d’un joueur de oud qui frappe dans ses mains. Lumières bleu­tées, pein­ture blanche aveu­glante, comme un air d’île per­due dans la mer.

Je t’ai pro­mis une chambre d’hô­tel avec vue sur la mer à Sidi Bou Saïd…

Le soleil est cou­ché depuis quelques heures, j’ai man­gé quelques dattes four­rées au beurre, sau­pou­drées d’a­mandes et de pis­taches. Le rire, les sou­rires, les pho­tos pour immor­ta­li­ser ce moment… je suis là avec toi et je suis déjà par­ti dans cette vie étrange qui est la mienne, qui ne sait pas où elle va, faite de miau­le­ments de chats et de livres qui s’en­tassent à côté de mon lit, qui oscille, qui tangue à chaque minute. Il ne tient qu’à moi de la faire bas­cu­ler du bon côté…

Tes longs doigts, une main douce, glisse sous la table et me caresse la cuisse, loin d’être innocente.

Pro­mis, je ne dirai rien à personne…

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Café de rêves #7

Café de rêves #7

Café du matin

#7

Café de rêves

Mes nuits sont faites de rêves dont je ne me sou­viens plus au petit matin.

Par­fois, tou­te­fois, je m’en sou­viens. Alors que je pré­fé­re­rais ne pas.

Je rêve sou­vent de situa­tions dans des mai­sons que j’at­tri­bue à une connais­sance, situa­tion sou­vent impro­bable, avec des per­sonnes dont le lien lui-même semble impro­bable, et sou­vent, ça se ter­mine dans une débauche de sexe, impro­bable aussi.

Le réveil est rude, comme si j’a­vais vu des choses ou des posi­tions que je n’a­vais pas vou­lu voir, ou alors parce que je suis dans un tel état qu’un assou­vis­se­ment est la seule issue pos­sible. Et je me réveille dans une sorte de malaise, parce que je me sens un peu cou­pable de ces situa­tions que mon esprit a eu l’au­dace de géné­rer. Culpa­bi­li­té qui ne dure pas long­temps. Après tout, c’est nor­mal, il y a bien long­temps que je ne suis plus catholique.

L’es­prit créé des chi­mères bien étranges…

Les sou­ris, les hiron­delles, les milans savent bien que les sta­tues ne sentent rien… et vous, vous les essuyez, vous net­toyez, et ces dieux que vous faites…

Mina­cius Felix

Mes rêves sont faits d’une matière argi­leuse, sen­sible, pro­téi­forme ; ils sont orga­niques, faits de chair et de sang, de peau, de poils, de replis et de muqueuses, d’in­té­rieur, d’ex­té­rieur, ils sont ter­ri­ble­ment vivants, peut-être plus que la vie elle-même.

River­side. Le temps passe len­te­ment. Il n’a jamais été aus­si lent.

Mes rêves n’ap­par­tiennent qu’à moi, ils sont ma pro­prié­té exclu­sive et je les exploite comme d’autres se servent de pri­son­niers pour l’exé­cu­tion des basses œuvres. J’y fais à peu près tout ce que j’ai envie, dans la limite du rai­son­nable. En tout cas, de ce que j’es­time être raisonnable.

Aus­si, j’ai la chance de pou­voir m’in­tro­duire dans l’in­ti­mi­té de la chambre d’une femme. Je peux la voir se désha­biller, pas­ser sous la douche, se sécher les che­veux, épi­ler quelques poils qui ont échap­pé à sa vigi­lance redou­table. Je peux la voir enfi­ler ses vête­ments de nuit car elle ne dort jamais nue, un peu fri­leuse par­fois, mais seule­ment la nuit. Je peux la voir se cou­cher dans la pénombre de sa chambre et la regar­der pas­ser ses jambes lisses sous la couette.

Je connais chaque recoin de son corps ; ain­si je peux, en fer­mant les yeux, ima­gi­ner la dou­ceur de sa peau sur n’im­porte quelle par­tie de son corps, comme si j’en avais moi-même des­si­né la cartographie.

Pour­tant, à chaque fois, je la redé­couvre après l’a­voir décou­verte, car je suis le seul qui ait le droit de la désha­biller ain­si et de la voir nue.

Tout se qui se passe après reste reste dans la tombe de ses secrets. Et des miens.

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Café du matin #6

Café du matin #6

Café du matin

#6

Café byzan­tin

Sur­pris par l’en­nui d’un same­di froid et gris, j’ai cher­ché sur mes éta­gères quelque chose qui pour­rait m’ex­ci­ter un peu l’es­prit. Je suis même allé jus­qu’au gre­nier pour retrou­ver ce livre d’An­dré Gra­bar que j’ai ache­té il n’y a pas si long­temps que ça : L’i­co­no­clasme byzan­tin. J’ai aus­si des­cen­du les deux tomes de l’Enquête, d’Hé­ro­dote, mon livre sur Mimar Sinan, celui sur l’art de Constan­ti­nople de Sté­phane Yéra­si­mos et enfin l’Art seld­jou­kide et otto­man de Gio­van­ni Curatola.

Ico­no­clasme ; un terme qui m’a tou­jours paru étrange parce que je ne savais pas ce qui se trou­vait der­rière et qui semble un peu moins mys­té­rieux que celui d’ico­no­du­lie, qui donne ico­no­doule, venant du grec εἰκονόδουλος, qui vénère les images.

J’ai décou­vert la crise ico­no­claste du chris­tia­nisme le jour où je suis allé à Istan­bul pour la pre­mière fois et que j’ai ouvert dans l’a­vion le livre d’A­lain Nadaud, L’i­co­no­claste, une fic­tion his­to­rique sous forme de faux guide tou­ris­tique des hauts-lieux de la civi­li­sa­tion byzan­tine, et dont j’ai déjà lon­gue­ment par­lé.

Deux des sens du mot byzan­tin :

  • Qui est d’une sub­ti­li­té exces­sive, com­pli­qué à l’excès.
  • Dis­cu­té, incer­tain (par allu­sion aux dis­putes sur le « sexe des anges » qui occu­paient les Byzan­tins alors que leur ville était assié­gée par les Turcs). 

Ce qui est byzan­tin, pour ces deux accep­ta­tions, décrit par exten­sion ce qui fait que Byzance a pré­ci­sé­ment été conquis par les Turcs. Les Byzan­tins n’a­vaient d’yeux que pour les dis­cus­sions théo­lo­giques et pen­saient à tort que leur simple véné­ra­tion des icônes de la Vierge les sau­ve­rait de l’envahisseur.

Quelque chose en moi n’ar­rive pas à se fixer, mon atten­tion dérive, mon esprit vaga­bonde, ne sachant pas sur quoi se foca­li­ser. Je n’ar­rête pas de pen­ser à ces gens étranges qui vous détestent car ils pensent que vous les mépri­sez pour ce qu’ils ne sont pas, parce qu’ils se pensent infé­rieurs pour une mau­vaise rai­son, parce qu’ils pensent que vous les voyez comme des indé­si­rables… Quoi ? On se trompe de che­min. Non, je ne vous méprise pas parce que vous man­quez de culture géné­rale. Il faut peut-être se poser la ques­tion de savoir si on ne les méprise pour une toute autre raison…

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Café du matin #5

Café du matin #5

Café du matin

#5

Café froid

Le rêve de soleil et de cha­leur me reprend. Il est là, il me taraude.

Il va de pair avec la fin de l’hi­ver, de cet hiver hor­rible, humide, triste, long inter­mi­nable, qui même une fois le prin­temps arri­vé conti­nue de sévir.

La pluie froide qui tombe par inter­mit­tence, entre deux nuages qui s’é­cartent pour lais­ser pas­ser un rayon de soleil.

Les grê­lons comme des noi­settes qui cognent au vasis­tas que je regarde d’en bas pour les voir arri­ver de haut avec l’im­pres­sion qu’ils vont me frap­per le visage.

Pffff, je n’en peux plus de ce prin­temps qui ne veut pas arriver.

Deux jour­nées chaudes nous ont été dis­tri­buées comme on jette des caca­huètes à un singe, et puis plus rien.

Il fait froid. J’ai froid. Je n’ar­rive pas à me réchauf­fer. Je n’ai rien dans la tête.

Allez viens, on reste sous le plaid, sur le lit, on ne répond pas au télé­phone… On éteint la télé et on écoute ce qui se passe dehors, mais on n’ouvre pas si quel­qu’un sonne. On reste blot­ti l’un contre l’autre. On se tient chaud. Il n’y a rien ni per­sonne qui puisse nous déran­ger. Et on ne sor­ti­ra de là que quand on aura faim.

Bon, ok, ça ne dure­ra que vingt minutes… C’est tou­jours ça de pris…

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