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Jha­tor, célestes funé­railles et tours du silence

Jha­tor, célestes funé­railles et tours du silence

Les Zoroas­triens construi­saient des tours appe­lées “Tours du silence”, dak­ma ou dakh­meh. Les tenants de cette reli­gion née il y a trois ou quatre mille ans aujourd’­hui en déclin conti­nu vivaient au cœur de l’I­ran, dans ce qu’on appelle aujourd’hui la Méso­po­ta­mie. Dans cette reli­gion mono­théiste (la plus ancienne du monde) issue du maz­déisme et pro­phé­ti­sée par Zara­thous­tra, le Dieu supé­rieur, Ahu­ra Maz­dâ (le sei­gneur de la sagesse) pré­side à l’é­qui­libre de la lumière et de l’obs­cu­ri­té, le bien et le mal. Dans cette reli­gion que cer­tains sol­dats romains pra­ti­quaient en silence, l’i­mage du cadavre est impure et les élé­ments prin­ci­paux de cette croyance que sont l’eau, le feu et la terre, ne doivent en aucun cas être souillés par le cadavre en décom­po­si­tion. Aus­si, l’en­ter­re­ment était-il pros­crit, aus­si bien que l’in­ci­né­ra­tion ou que le dépôt dans une rivière ou un fleuve. C’est la rai­son pour laquelle on construi­sait ces tours, au som­met des­quelles ont dis­po­sait les cadavres afin qu’ils soient dévo­rés par les oiseaux cha­ro­gnards. Les osse­ments récu­rés étaient récu­pé­rés et pla­cés dans des ossuaires.

Tour du silence de Mumbai

Tour du silence de Mumbai

Il ne reste aujourd’­hui que deux tours du silence en Iran, et les seuls Zoroas­triens (les Pār­sis) qu’on trouve encore aujourd’hui vivent en Inde, le mot de Pār­si lui-même signi­fiant “peuple de Perse”. Il est donc natu­rel qu’on trouve dans la région de Mum­bai et de Ban­ga­lore des édi­fices liés à cette pra­tique, mais la raré­fac­tion des oiseaux cha­ro­gnards dans cette région du monde rend l’é­qui­libre dif­fi­cile et pousse cer­tains à sou­hai­ter éle­ver des vau­tours captifs.

Tour du silence de Mumbai 2

Tour du silence de Mum­bai. On voit par­ti­cu­liè­re­ment bien sur cette pho­to les cercles concen­triques et les empla­ce­ments réser­vés aux corps. Les hommes sont pla­cés sur le cercle en péri­phé­rie, les femmes et les enfants sur l’autre.

Si j’in­tro­duis cet article par les tours du silence, c’est pour atti­rer l’at­ten­tion sur le fait que cette pra­tique funé­raire qui peut paraître cho­quante remonte à des temps très anciens, et que de nom­breux sites archéo­lo­giques, dont celui de Göble­ki Tepe en Tur­quie, répu­té comme étant le plus ancien site reli­gieux du monde et datant de 12 000 ans, semblent avoir pra­ti­qué ce rite funé­raire. On pense aus­si que le site de Sto­ne­henge avait peut-être éga­le­ment cette fonc­tion. A‑delà d’un aspect pure­ment reli­gieux, le fait de faire dévo­rer les cadavres par les cha­ro­gnards com­porte une aspect sani­taire non négli­geable qui est celui de se débar­ras­ser des corps qui peuvent être por­teurs de mala­dies et dont on sait par­fai­te­ment que l’en­fouis­se­ment est sou­vent à l’o­ri­gine d’é­pi­dé­mies de cho­lé­ra par conta­mi­na­tion des puits.

Site de funérailles célestes dans la vallée de Yerpa au Tibet

Site de funé­railles célestes dans la val­lée de Yer­pa au Tibet

Il existe aujourd’­hui d’autres sites, notam­ment au Tibet, où l’on pra­tique ce rite funé­raire por­tant le nom de jha­tor (བྱ་གཏོར་), pra­ti­qué d’une manière dif­fé­rente, puisque dans ce cas, le corps est pré­pa­ré pour les cha­ro­gnards, c’est-à-dire décou­pé. Ce n’est pas un hasard si on retrouve cette pra­tique sur le toit du monde, au Tibet, car c’est un pra­tique encou­ra­gée dans le boud­dhisme vaj­rayā­na (वज्रयान) et qui a long­temps été obser­vée comme rite funé­raire majo­ri­taire au titre de la trans­mi­gra­tion des esprits. Le corps n’est rien, ce n’est qu’une enve­loppe ter­restre, le vais­seau de nos émo­tions et le trans­port de notre pré­sence au monde, mais ce n’est que ça. On ima­gine aus­si que pour des rai­sons pra­tiques, les “funé­railles célestes” sont à plu­sieurs titres plus pra­ti­cables que la cré­ma­tion. D’une part, dans les hautes mon­tagnes, les lieux sont sou­vent trop rocailleux pour per­mettre un enter­re­ment, mais éga­le­ment, il y a sou­vent trop peu d’arbres et de bois pour per­mettre la cré­ma­tion. C’est en tout cas une pra­tique cou­rante et com­plè­te­ment inté­grée à la reli­gion boud­dhique, un peu mar­gi­nale par rap­port à la cré­ma­tion, même si elle peut paraître outran­cière et cho­quante pour cer­taines personnes.

Golden mount (Wat Saket)

Gol­den mount (Wat Saket) à Bang­kok. Pho­to © The W perspective

Dans un livre que j’ai lu récem­ment (Thaï­lande, par Isa­belle Mas­sieu) et qu’on peut trou­ver en accès libre sur inter­net (Com­ment j’ai par­cou­ru l’In­do­chine), j’ai retrou­vé la trace de cette pra­tique dans l’an­cien royaume de Siam, au cœur de Bang­kok qui n’est encore qu’une petite ville habi­tée de 800 000 habi­tants alors que nous sommes au tout début du XXè siècle. L’au­teure de ce texte ne cache pas sa répu­gnance, même elle ne se place qu’en obser­va­trice. Nous sommes alors dans un lieu encore très tou­ris­tique aujourd’­hui, qu’on appelle tri­via­le­ment le Gol­den Mount, mais qui s’ap­pelle en réa­li­té Wat Saket Rat­cha Wora Maha Wihan, et dont j’ai par­lé récem­ment, puisque c’est dans ce lieu que pen­dant un temps furent conser­vées les reliques du Boud­dha Sha­kya­mu­ni. Mais qui se doute aujourd’­hui que ce temple ren­fer­mait alors la plus grande cité des morts du royaume de Siam ? Écou­tons Isa­belle Mas­sieu nous décrire le lieu, tout en lui par­don­nant ses juge­ments de valeur et le fait qu’elle nous écrive depuis l’an­née 1901…

A la fin de ce texte, se trouve un lien vers un article qui décrit le busi­ness de la mort en Thaï­lande aujourd’­hui et qui remet en pers­pec­tive ces rites qui nous semblent presque d’un autre âge, même si en réa­li­té, ce ne sont que des souplesses.

La pagode de Wat Saket, la grande nécro­pole sia­moise, dresse pit­to­res­que­ment son phnom appe­lé « mon­tagne d’or » sur un mon­ti­cule ver­doyant, à l’ex­tré­mi­té d’un pit­to­resque canal : sous ses frais ombrages s’é­tendent l’ap­pa­reil cré­ma­toire, le char­nier et l’o­dieux cime­tière d’où on extrait les cadavres pour un dépè­ce­ment effroyable, conforme à la volon­té du défunt. Les corps des hauts fonc­tion­naires sont conser­vé un ou deux mois, quelques fois plu­sieurs années, dans une urne munie d’un long tube ver­ti­cal en bam­bou qui per­met aux gaz délé­tères de s’é­chap­per par le toit de la mai­son. Avant de le por­ter au bûcher, on fait faire au mort trois fois le tour de sa demeure en cou­rant, afin qu’il n’y revienne pas. La reli­gion inter­dit de brû­ler de suite les gens décé­dés rapi­de­ment, de mort vio­lente ou d’é­pi­dé­mie. Les corps doivent repo­ser en terre pen­dant quelques jours ; mais les fos­soyeurs enterrent à fleur de sol et les chient se joignent aux vau­tours pour déter­rer les cadavres. Les abords du cime­tière sont ain­si jon­chés de têtes et d’os­se­ments à demi ron­gés. Faire dévo­rer son corps par les vau­tours est une sépul­ture noble qui pro­cure des grâces insignes ; leur aban­don­ner un membre est un acte méri­toire. Boud­dha a ordon­né, en signe d’ex­pia­tion, que les corps des condam­nés fussent entiè­re­ment dévo­rés. Les corps sont brû­lés en tota­li­té ou en par­tie, et les gens de dis­tinc­tion et de foi raf­fi­née ne manquent pas de réser­ver une part quel­conque d’eux-mêmes aux cor­beaux, aux chiens, aux porcs ou aux vau­tours ; aus­si tous ces répu­gnants ani­maux sont-ils légion dans le char­nier, sans pré­ju­dice de la ville, où ils se répandent. Le corps, quel­que­fois plus ou moins cor­rom­pu, est décou­pé sur des pierres ad hoc pla­cées à terre. Les entrailles sont réser­vées à tels ani­maux, une cuisse aux porcs, un bras aux chiens ou aux cor­beaux, et le reste est dis­po­sé sur un bûcher assez maigre dont on agite les débris pour obte­nir une meilleure com­bus­tion. Ailleurs, le sapa­reu (cro­que­mort), après avoir pris dans la bouche du mort, où elle a été pla­cée, la pièce de mon­naie qui consti­tue son salaire, lui ouvre le ventre et lui entaille les membres, puis s’é­carte pour faire place aux oiseaux de proie. Les vau­tours ras­sem­blés qui guettent sur les arbres, sur les toi­tures ou sur le sol, s’a­battent sur le cadavre, et on ne dis­tingue plus pen­dant quelques ins­tants qu’un mon­ceau d’ailes sombres qui battent fré­né­ti­que­ment. Lorsque les os sont déjà presque à nu, le sapa­reu écarte les oiseaux avec un grand bâton , retourne le corps et entaille pro­fon­dé­ment le dos. Le nuage noir s’a­bat de nou­veau et, quelques ins­tants après, il ne reste qu’un sque­lette dont le bûcher a bien­tôt rai­son. Vau­tours, cor­beaux, chiens, porcs aux ventres traî­nants ont eu la part dési­gnée, les rites sont accom­plis et de nom­breux mérites sont acquis au défunt.
Ces scènes effroyables se passent à l’ombre d’arbres char­mants ; les grils funé­raires jonchent la verte pelouse, et des fleurs s’é­pa­nouissent en mul­ti­tude autour des petits pavillons aériens, aux toits rele­vés en hautes pointes, qui consti­tuent les édi­cules de dépècement.
Ici, des bières béantes disent que la dépouille de leur pro­prié­taire a reçu sa des­ti­na­tion ter­restre ; là, deux corps achèvent de se consu­mer, et plus loin, dans les salas ouverts, se reposent les parents et les amis qui assistent à la céré­mo­nie et ont dû appor­ter cha­cun un mor­ceau de bois au bûcher. Quand nous nous sau­vons, confon­dus de ces scènes d’hor­reur que Dante n’eût osé rêver, les immondes repus font la sieste ; une vieille femme très macabre nous pour­suit tenant en main un os maxil­laire à demi éden­té qu’elle veut pla­cer sur nos figures, et un vieux sapa­reu offre en rica­nant à notre admi­ra­tion pour nous la faire ache­ter, une tête de mort dont il fait jouer la mâchoire. Comme, en reve­nant, nous flâ­nons aux bou­tiques, nous arri­vons devant une mai­son en fête, dans laquelle on nous invite à entrer. Tout le monde est paré et a l’air riant ; on voit par­tout des fleurs et des orne­ments ; il y a évi­dem­ment un mort dans la mai­son. Il semble que les Sia­mois aient à se réjouir de voir leurs parents et leurs amis quit­ter cette val­lée de larmes. Ils consi­dèrent que leur pleurs seraient une offense au mort, et pour­raient le retar­der et l’en­tra­ver sur la voie des diverses incar­na­tions par les­quelles il doit pas­ser. Nous sommes dans une sorte de large bou­tique sans devan­ture, un gué­ri­don est au milieu sur lequel on s’empresse de nous appor­ter un pla­teau char­gé de minus­cules tasses de thé. A notre droite s’é­lève une pyra­mide d’é­ta­gères bien gar­nies, et au som­met se trouve le grand coffre dans lequel la morte est enfer­mée. Des par­fums déli­cieux nous entourent et de spon­gieuses goyaves sont pla­cées à pro­fu­sion près du corps, pour absor­ber les miasmes qui s’en échappent. Toutes les femmes de la mai­son sont habillées de blanc, c’est la cou­leur du deuil, et les proches parents ont la tête rasée. Après l’ar­rière-bou­tique, où les femmes sont réunies, se trouve une cour pleine de fleurs et d’arbustes pla­cés dans des caisses ou des faïences. Le Sia­mois, comme le Chi­nois ou le Japo­nais, trouve les arbustes d’au­tant plus beaux qu’à force de les tailler il est par­ve­nu à faire venir plus direc­te­ment les pousses fraîches sur le vieux bois. Tout est propre en ce jour de récep­tion, nous sommes chez de riches com­mer­çants. Un grand esca­lier accède à la salle supé­rieure. Des frian­dises, des sucre­ries, des tasses, des ser­vices de toutes sortes se ren­contrent par­tout. Nous devons, sous peine de ne pas être polis, accep­ter, de nou­veau, thé ou soda water et bon­bons variés qui rem­plissent une quan­ti­té de petites assiettes. La table en est cou­verte, la gai­té et le sou­rire de ces gens qui viennent de perdre un des leurs est vrai­ment une étrange chose. Ils ont le culte de leurs morts, leur joie n’est qu’une forme de poli­tesse, c’est aus­si selon leurs idées une der­nière marque d’af­fec­tion qu’ils témoignent au défunt.  Sur un mur, on voit les pho­to­gra­phies des cha­pelles ardentes, de la mère de la défunte et de quelques parents, deve­nus de pré­cieux sou­ve­nirs pour les sur­vi­vants. Mon com­pa­gnon, qui avait beau­coup étu­dié les Sia­mois et cir­cu­lé dans l’in­té­rieur du pays, pré­ten­dait que leurs sen­ti­ments de famille sont très vifs. Il me disait avoir ren­con­tré, dans une de ses étapes, une mai­son dans laquelle l’o­deur péné­trante des goyaves et tous les par­fums de l’A­sie ne par­ve­naient pas à mas­quer l’in­ten­si­té de celle qu’ex­ha­lait le cadavre. Par devoir, un vieillard cou­chait depuis un an au pied du cer­cueil de sa femme, qui, pour une cause quel­conque, atten­dait encore d’être brû­lée. Selon les lois de l’hos­pi­ta­li­té, mon com­pa­gnon avait été invi­té à cou­cher dans cette chambre funèbre, hon­neur qu’il s’é­tait d’ailleurs empres­sé de décli­ner, pour pas­ser la nuit dans son bateau, amar­ré à la berge ; mais les exha­lai­sons de la mai­son allèrent jus­qu’à lui, si bien qu’il en fut malade.

Isa­belle Mas­sieu, Thaï­lande
Magel­lan & Cie, col­lec­tion Heu­reux qui comme… , numé­ro 87 , (mars 2014)

Liens (atten­tion, cer­taines images peuvent heur­ter la sen­si­bi­li­té des lecteurs):

Pho­to d’en-tête © Claude Dopagne

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Une chance ou une malchance

Une chance ou une malchance

Cer­taines maximes sonnent comme des coups de ton­nerre dans la nuit. Du fond de cette nuit, on entend les anciens racon­ter entre leurs dents déchaus­sées le vide entre deux rafales de vent. Sois patient, écoute encore jus­qu’à temps que le silence t’as­sour­disse, pose ta tête sur l’en­clume et attend que le son du mar­teau brise ton tym­pan. Sou­ve­nirs de nuits pas­sées ailleurs, encore des mots qui résonnent entre les oreilles. Là-bas, un cyprès fend l’ho­ri­zon, un chant monte, tendre et las­cif. La Chine enva­hit la saveur des autres mondes.
Oli­vier Ger­main-Tho­mas raconte cette petite his­toire qu’on lui a rap­por­té, et qu’il plaque ici dans les pages de son livre, La ten­ta­tion des Indes, à la fin d’un cha­pitre comme pour ne pas lais­ser l’es­pace d’un débat pos­sible, comme un pré­re­quis à tout départ. Sache mesu­rer chaque chose, la pon­dé­rer, avant de partir…

Le voya­geur doit avoir pré­sent à l’es­prit cette his­toire chi­noise racon­tée par Jean Gre­nier : « Un vieillard qui vivait avec son fils per­dit un jour son che­val ! Les voi­sins vinrent lui expri­mer leur sym­pa­thie pour ce mal­heur et le vieillard deman­da : “Com­ment savez-vous que c’est un mal­heur ?” Quelques jours plus tard, le che­val revint, sui­vi de plu­sieurs che­vaux sau­vages, et les voi­sins retour­nèrent féli­ci­ter de cette chance le vieillard, qui répli­qua : “Com­ment savez-vous que c’est une chance ?” Entou­ré de tant de che­vaux, le fils se mit à les mon­ter et, un jour, il se cas­sa la jambe. De nou­veau les voi­sins expri­mèrent leur sym­pa­thie et le vieillard répon­dit : “Com­ment savez-vous que c’est de la mal­chance ?” L’an­née sui­vante, il y eut une guerre et, parce que son fils était boi­teux, il n’al­la pas au front. » Lie-Tzeu.

Oli­vier Ger­main-Tho­mas, La ten­ta­tion des Indes
Folio Gal­li­mard, 2010

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Retour au bout du monde

Retour au bout du monde

Ce ne sont que quelques kilo­mètres ava­lés en quelques heures, vau­tré dans le siège d’un avion sur­vo­lant les mon­tagnes infi­nies des Alpes, les éten­dues incon­nues d’Eu­rope de l’est et d’A­sie occi­den­tale, bien au-des­sus des peuples qui se déchirent et meurent de froid à l’heure qu’il est, les déserts arabes, les mon­tagnes sèches du Pakis­tan et les grandes villes de l’Inde…
Au bout de la route et d’heures de som­meil per­dues à jamais, il y aura la nuit pai­sible au bord de la Chao Phraya, bien plus au nord de Bang­kok, sur les rives des bras arti­fi­ciels du fleuve sacré, là où le roi U‑Thong créa sa capi­tale en 1350, Ayut­thaya. La nuit pai­sible et le silence de la rivière une fois le soir tom­bé, et sur­tout l’in­con­nu d’une cité dont je n’ai abso­lu­ment pas l’in­tui­tion. Il y aura tout à y décou­vrir une fois l’a­vion posé. Der­rière moi je lais­se­rai le fan­tôme de Wil­fred The­si­gher, sa barbe enca­pu­chon­née sous des mètres de tis­sus, le visage buri­né et les sour­cils pleins de sable.
Il y aura aus­si un petit avion qui me dépo­se­ra au bord du Golfe de Thaï­lande, non loin d’un quai d’où un bateau m’emmènera vers une île qu’il faut presque quatre heures pour rejoindre. L’air chaud me sur­pren­dra encore une fois tan­dis que je trans­pi­re­rai en regar­dant la mer du Golfe agi­tée de sou­bre­sauts taquins. L’o­deur des fran­gi­pa­niers à peine fleu­ris, le matin à mon réveil, la douce moi­teur des levers face à la mer impas­sible, l’o­deur d’une marée tran­quille qui ne par­court que quelques mètres par jour, pares­seu­se­ment. Il y aura tout pour s’ou­blier et se perdre, retour­ner sur mes propres pas, péné­trer les temples ouverts aux quatre vents, regar­der les peuples vivre au rythme des ritour­nelles simples jouées par les clo­chettes des temples bat­tues par le vent léger.
Encore une fois, c’est cer­tain, je vais me perdre. Paris/Mascate/Bangkok/Ayutthaya/Ko Phangan/Bangkok/Mascate/Paris, des noms qui se jux­ta­posent sans rien vrai­ment dire du bon­heur que c’est d’être sur les lieux, de sen­tir mes pas fran­chir d’in­nom­brables fron­tières, à chaque rue, dans Chi­na­town à Bang­kok ou sur la rive de Thon­bu­ri. Et pour­tant, insa­tis­fait, je rêve des forêts moites du nord et des fron­tières du Tri­angle d’Or, des petits temples per­dus dans la vieille ville de Chiang Mai, des chiens qui se battent au lever du soleil sous l’at­mo­sphère brune des che­di en brique qui regardent le sol lorsque moi je regarde le ciel…
Je serai bien, tran­quille comme un moine à l’ombre de l’arbre sacré, fier et humble à la fois, ne deman­dant rien d’autre que de contem­pler les minutes qui s’é­grènent au rythme des saisons.

Bangkok - Chinatown

Bang­kok — Chi­na­town — Août 2013

Chiang Mai - Wat Duang Dee

Chiang Mai — Wat Duang Dee — Août 2013

Bangkok - Jeune fille sur le bac du Wat Arun

Bang­kok — Jeune fille sur le bac du Wat Arun — Août 2013

Bangkok - Thanon Bamrung Muang

Bang­kok — Maga­sin de sta­tues reli­gieuses sur Tha­non Bam­rung Muang — Août 2013

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Dans la jungle de Bang­kok #1 : Wat Intharawihan

Dans la jungle de Bang­kok #1 : Wat Intharawihan

Bang­kok m’a accueillie en plein milieu de la nuit, avec les cris avi­nés des Russes qui bar­bo­taient dans la pis­cine trop grande pour eux. Pre­mière sen­sa­tion dans cette ville ten­ta­cu­laire ; une impres­sion de fatras incon­trô­lé, des blocs de quar­tiers noc­turnes pla­cés les uns à côté des autres et n’ayant aucun autre rap­port entre eux que leurs racines, l’i­dée peut-être loin­taine que quelque chose les relie par le sang ou la reli­gion, quelque chose comme ça, d’aus­si vague et impré­cis qu’une croyance en un Dieu éteint depuis long­temps, je ne sau­rais com­ment dire. Peut-être cette impres­sion m’est elle don­née par l’om­ni­pré­sence des icônes de ces vieux rois qu’on trouve sur des pho­tos jau­nies, por­tant tous à peu près le même pré­nom et ne dis­tin­guant que par un numé­ro… la dynas­tie Cha­kri s’est dotée d’un seul et même pré­nom, Rama. Rama Ier, Rama III, Rama V, Rama VIII, Rama IX, l’ac­tuel roi Bhu­mi­bol Adu­lya­dej, dont les petites lunettes et l’air un peu absent lui confèrent une image pas très solen­nelle, un peu… (chut, insul­ter le roi est un crime de lèse-majes­té). Il règne depuis 1950, étant ain­si un des plus anciens monarques du monde.

7 - Dans la jungle de Bangkok - 01 - Wisut Kasat

7 - Dans la jungle de Bangkok - 04 - Wisut Kasat

7 - Dans la jungle de Bangkok - 05 - Wisut Kasat

Au petit matin, je sors de l’hô­tel pour aller à la ren­contre de ce quar­tier qui m’a été conseillé par une per­sonne qui connaît bien Bang­kok. J’ai l’im­pres­sion qu’i­ci rien n’est vrai­ment cen­tral, ni vrai­ment ordon­né. Alors je me laisse por­ter, je ver­rai bien ce qu’il en est.
L’a­ve­nue Wisut Kasat est une artère labo­rieuse de moyenne impor­tance, don­nant d’un côté sur un auto-pont dou­blant la cir­cu­la­tion à par­tir du pont Rama VIII, de l’autre côté jus­qu’à J.P.R. junc­tion (ne me deman­dez pas pour­quoi ça s’ap­pelle comme ça), là où l’a­ve­nue rejoint Rat­cha­dam­noen Nok Road, au car­re­four duquel se trouve un immense por­trait de la reine Siri­kit Kitiya­ka­ra. Ce qui me sur­prend tout de suite, c’est la cha­leur, acca­blante déjà dès le matin, mais sur­tout l’o­deur, un mélange de die­sel lourd et de pour­ri­ture maré­ca­geuse. Il faut dire que les pre­miers khlongs (canaux) ne sont qu’à quelques cen­taines de mètres d’i­ci, à peine plus loin que les rives de la Chao Phraya. Sur cette ave­nue, nombre de maga­sins sont fer­més, comme aban­don­nés ; le soir on peut voir des rats et des cafards, les uns presque aus­si gros que les autres, aller et venir par les inter­stices de ces rideaux de fer bais­sés. La jour­née, cer­taines ouvrent pour lais­ser place à des ate­liers de méca­nique auto­mo­bile. On répare de tout ici, des moby­lettes, des tuk-tuks, de voi­tures désos­sées à même le trot­toir, déver­sant l’huile de leur pont dans les cani­veaux pois­seux. Der­rière le bruit des scies élec­triques et des pon­ceuses, des bruits de mar­teau sur la tôle, der­rière les grin­ce­ments et les stri­du­la­tions, des hommes trans­pirent toute l’eau de leur corps dans des échoppes aveugles et encom­brées, dans l’at­mo­sphère lourde et confi­née, empuan­tie par l’o­deur épaisse de la fumée de cigarette.

7 - Dans la jungle de Bangkok - 09 - Wat Intharawihan

7 - Dans la jungle de Bangkok - 11 - Wat Intharawihan

Dans cette artère à taille humaine, où l’on compte encore sur des trot­toirs, dans cette ville où si vous expri­mez le sou­hait de mar­cher, on vous répond gen­ti­ment « don’t… », je tombe sur une ouver­ture sous un por­tail taillé comme l’en­trée d’un temple. Des voi­tures et des motos entrent et sortent d’i­ci, à un rythme assez sou­te­nu sous un soleil écra­sant dans un ciel à peine nua­geux. Si j’ar­rive jus­qu’i­ci, c’est parce que de loin, j’ai vu émer­ger la tête haute et apla­tie d’un Boud­dha géant. C’est pour concré­ti­ser cette vision que je me dirige dans cet enche­vê­tre­ment de bâti­ments posés les uns à côté des autres afin de voir cette sta­tue qui paraît com­plè­te­ment inap­pro­priée dans cette ville qui semble n’a­voir pas de frontières…

7 - Dans la jungle de Bangkok - 12 - Wat Intharawihan

7 - Dans la jungle de Bangkok - 14 - Wat Intharawihan

Der­rière le por­tail du temple Wat Intha­ra­wi­han (วัดอินทรวิหาร), c’est toute une petite ville qui s’est orga­ni­sée là, avec son mar­ché, une école, des temples posés les uns à côté des autres, et une place autour de laquelle gra­vitent d’autres temples. Des moines par­courent la cité sur un espace inté­gra­le­ment recou­vert de car­re­lage ; cer­tains sont mêmes recou­verts d’un beau marbre lus­tré que les jours de pluie doivent rendre glis­sant comme des pommes pour­ries. Tout est abri­té du soleil, créant une ombre oran­gée empê­chant l’air de cir­cu­ler. Tout dans cette ville semble être fait pour empê­cher de res­pi­rer nor­ma­le­ment ; quand ce n’est pas la pol­lu­tion, ce sont des espaces confi­nés dans un air sans vent, où le recours à un éven­tail semble être la seule solu­tion viable pour évi­ter un malaise. On vient ici se recueillir, que ce soit en ayant l’in­ten­tion de frap­per les cloches du temple ou alors de dépo­ser des offrandes devant les mul­tiples autels lar­dés de bâtons d’en­cens et de col­liers de fleurs orange, de pots plan­tés d’é­tranges plantes. A l’in­té­rieur d’une petite cabane, je découvre une sta­tue de cire éton­nam­ment vivante à tel point que je res­sors de là trou­blé, ne sachant s’il s’a­git d’un humain ou pas ; j’ap­pren­drai plus tard, dans un pre­mier temps pour avoir croi­sé de mul­tiples fois le visage buri­né de cet homme rabou­gri à l’in­té­rieur des temples, que c’est la sta­tue de Luang Pu Thuat (หลวงปู่ทวด), né en 1582 et mort cent ans plus tard et sur­tout connu pour avoir accom­pli des miracles. Il est éton­nant de voir à quel point les rois de la dynas­tie Cha­kri sont autant révé­rés que les per­sonnes reli­gieux les plus importants.

7 - Dans la jungle de Bangkok - 15 - Wat Intharawihan

7 - Dans la jungle de Bangkok - 16 - Wat Intharawihan

7 - Dans la jungle de Bangkok - 19 - Wat Intharawihan

7 - Dans la jungle de Bangkok - 25 - Wat Intharawihan

7 - Dans la jungle de Bangkok - 21 - Wat Intharawihan

Il règne ici une ambiance à la fois fébrile autour des prières et des offrandes, mais éga­le­ment un cer­tain calme que chaque per­sonne en prière semble s’ap­pro­prier au beau milieu de cette ville endia­blée. Cha­cune de ces images donne l’im­pres­sion que nous nous trou­vons dans un grand centre de prière recu­lé sur une mon­tagne éloi­gnée de tout, un lieu de pèle­ri­nage hors du com­mun, mais ce n’est qu’un temple par­mi d’autres, comme il en existe des cen­taines au tra­vers de la ville, un temple très fré­quen­té car ici la reli­gion, contrai­re­ment à la France, même si nous avons tou­jours plus ou moins une église dans chaque ville, est omni­pré­sente. Une pause au tra­vail et hop on vient prier, une balade en famille et hop on passe par le temple… Tout ici semble étran­ge­ment banal, éton­nam­ment nor­mal, à part peut-être cette énorme sta­tue Boud­dha de 32 mètres de haut com­men­cée en 1867.

7 - Dans la jungle de Bangkok - 26 - Wat Intharawihan

7 - Dans la jungle de Bangkok - 31 - Wat Intharawihan

7 - Dans la jungle de Bangkok - 36 - Wat Intharawihan

7 - Dans la jungle de Bangkok - 40 - Wat Intharawihan

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Par­tir pour Krung Thep, ville des anges, grande ville, rési­dence du Boud­dha d’é­me­raude… Bangkok

Par­tir pour Krung Thep, ville des anges, grande ville, rési­dence du Boud­dha d’é­me­raude… Bangkok

Voi­là. Ko Phan­gan, c’est ter­mi­né. Quelques jours dans un enfer vert qui res­semble au para­dis. Il fait 32°C sur les rives du Golfe de Thaï­lande tan­dis qu’à Paris, la tem­pé­ra­ture de la jour­née ne dépasse pas les 7°C. C’est aujourd’­hui le 10 mars, jour de l’an­ni­ver­saire de ma grand-mère et à qui je pense énor­mé­ment, parce qu’elle est seule en ce jour par­ti­cu­lier. Je lui envoie un e‑mail qu’elle lira, je l’es­père, dans la jour­née, avec quelques heures de décalage.

Ce soir, je serai pro­je­té dans la grande métro­pole, à Bang­kok, « Ville des anges, grande ville, rési­dence du Boud­dha d’é­me­raude, ville impre­nable du dieu Indra, grande capi­tale du monde cise­lée de neuf pierres pré­cieuses, ville heu­reuse, géné­reuse dans l’é­norme Palais Royal pareil à la demeure céleste, règne du dieu réin­car­né, ville dédiée à Indra et construite par Vish­nu­karn » Sacré pro­gramme, mais je n’en suis pas encore là. Pour l’heure, je suis englué dans une tor­peur moite. Hier soir, avec le peu de connexion inter­net que j’ai réus­si à sta­bi­li­ser, j’ai réus­si à trou­ver un billet pour le len­de­main soir pour l’aé­ro­port Suvar­nabhu­mi, départ à 21h30, ce qui me laisse fina­le­ment encore un peu de temps pour pro­fi­ter de cette plage qui court au pied de l’hô­tel. Pré­cau­tion­neux, j’ai envoyé dans la fou­lée un mail à l’hô­tel où je suis cen­sé arri­ver que je serai là cer­tai­ne­ment après 23h00 en deman­dant si ça ne posait pas de sou­ci, mais aucune réponse, silence radio… Le check-in sur inter­net ne fonc­tionne pas ce matin. Aurais-je des rai­sons de m’in­quié­ter ? Trop d’in­cer­ti­tudes d’un seul coup ; le voyage reste trop incer­tain pour mon esprit qui a besoin d’être rassuré.

6 - Carnet de Thaïlande - 02 - Port de Thong Sala

Petit déjeu­ner, chambre libé­rée, les valises en consigne à la récep­tion. La fille me donne une ser­viette pour aller à la plage où je reste deux bonnes heures à me dis­soudre comme un sucre can­di dans une tasse de thé. Sur la plage, un chien a fait son trou dans le sable et se mor­fond à l’ombre. Der­nier déjeu­ner devant le spec­tacle de l’eau qui cla­pote et le soleil qui écrase les pentes arbo­rées plon­geant dans la mer tur­quoise. Ma valise part en scoo­ter pour rejoindre le taxi tout en haut du che­min escar­pé ; on a tout pré­vu à ma place. Le taxi, les billets du bateau pour rejoindre Samui, le trans­fert à l’aé­ro­port… C’est impres­sion­nant de voir à quel point tout ceci est coor­don­né par des per­sonnes qui n’ont qu’un seul inté­rêt : se mon­trer hos­pi­ta­liers pour que vous ayiez le moins de choses pos­sibles à pen­ser, et c’est exac­te­ment ce qui se passe. Je salue les deux ser­veurs du res­tau­rant, Mr Sim et Mr Sia, que je remer­cie d’un wai res­pec­tueux qu’ils me rendent au cen­tuple. Ce sera mon der­nier signe ici, comme le moment d’une rup­ture qui, à ce moment-là sans le savoir, n’en était pas vrai­ment une.

6 - Carnet de Thaïlande - 03 - Port de Thong Sala

Le taxi conduit comme une brute et passe par une route qui n’est pas la route côtière que j’ai vue tout au long de cette semaine. Il me fait presque regret­ter de ne pas avoir loué de scoo­ter pour visi­ter l’in­té­rieur de l’île, en pas­sant devant des temples que j’au­rais aimé visi­ter. Il me dépose sur le port en me lan­çant une for­mule qui me fait encore rire aujourd’­hui ; Thank you Khrap… J’en ris parce que j’ai bien sai­si que les for­mules de poli­tesse sont ponc­tuées de ces petites par­ti­cules finales, khrap si c’est un homme qui parle, peu importe le sexe de la per­sonne à qui il s’a­dresse, ka (son long) si c’est une femme qui parle. Le mer­ci pro­non­cé par un homme donne quelque chose comme khop kun khrap (le r après le kh est une sorte de son aspi­ré qui fait qu’on ne le pro­nonce pas). Ce qui signi­fie que le taxi, avec ses che­veux longs et son éter­nelle cas­quette de base-ball défraî­chie mélange allé­gre­ment le mer­ci anglais avec la for­mule de poli­tesse thaïe.

6 - Carnet de Thaïlande - 04 - Port de Thong Sala

6 - Carnet de Thaïlande - 06 - Port de Thong Sala

Le hall de la gare mari­time est un vaste han­gar ouvert aux quatre vents autour duquel gra­vitent les stands des com­pa­gnies mari­times et dans lequel le vent s’en­gouffre de tous les côtés, fai­sant de cette étuve métal­lique un lieu fina­le­ment assez frais. Lais­sant ma valise dans l’en­clos pré­vu à cet effet, l’é­ti­quette de la com­pa­gnie Sea­tran Dis­co­ve­ry Link col­lée sur la poi­trine, je longe le quai jus­qu’aux échoppes ambu­lantes ins­tal­lées autour de motos tra­fi­quées ven­dant pad thaï et jus de fruits frais, canettes de soda et man­gous­tans blets sous un soleil impla­cable don­nant une teinte jaune cha­leu­reuse aux lieux. L’at­tente est longue. J’at­tends sous l’a­bri, mor­fon­du sur un banc en fer­raille, trans­pi­rant comme une vache, tan­dis qu’une petite musique hip­pie locale finit d’en­dor­mir tous ceux qui font la même chose que moi, c’est-à-dire rien, rien d’autre qu’at­tendre. Attendre ici est une dimen­sion dif­fé­rente de ce que peut signi­fier l’at­tente dans une gare ou à un arrêt de bus chez nous, moment qui me paraît tou­jours inter­mi­nable et fas­ti­dieux. Je ne sau­rais dire si c’est la cha­leur ou l’am­biance, ter­ri­ble­ment décon­trac­tée, qui fait que ces moments de pure oisi­ve­té deviennent à la fois pré­cieux et consis­tants. Une femme qui vend des billets pour une tra­ver­sée est vau­trée dans une chaise longue, n’at­ten­dant qu’une seule chose, qu’on la dérange. Une grosse peluche de télé­tub­by pen­douille sur une chaise en bois à ses côtés. De l’autre côté du quai, des car­tons de mar­chan­dises attendent sous un toit en tôle près d’un bateau en bois sur lequel sont peints en gros les mots Sura­t­tha­ni-Koh Phan­gan. Sur la cabine peinte en blanc et rose est écrite une ins­crip­tion ondu­lante : N. San­dee­ma­ne­thrup 5. Le nom du pro­prié­taire ? Sur son pont, des dizaines de sacs de pommes de terre et d’autres légumes indé­fi­nis­sables, expo­sés en plein soleil. C’est sur ce quai que je quitte l’île, où le temps s’est éti­ré comme un vieux che­wing-gum col­lé à mes semelles.

6 - Carnet de Thaïlande - 08 - Port de Thong Sala

6 - Carnet de Thaïlande - 11 - Au large de Ko Phangan

6 - Carnet de Thaïlande - 12 - Au large de Ko Phangan

Je monte sur le bateau qui crache une épaisse fumée noire et m’ins­talle sur le pont arrière, com­plè­te­ment décou­vert, le soleil en pleine face. Un dra­peau thaï flotte dans le vent tan­dis que le port de Thong Sala dis­pa­raît dans la lumière de cette fin de jour­née un peu magique. Quelques pages lues, assis par terre, arrivent à trom­per le doux ennui dans lequel je me drape, entre deux bou­chées d’un sand­wich au thon presque sans saveur. Samui arrive en ligne de mire et le débar­que­ment se fait dans un joyeux bor­del et tout le monde monte dans les vans cli­ma­ti­sés qui font le tran­sit jus­qu’à l’aé­ro­port à moins de dix minutes de route. L’aé­ro­port est un lieu coquet, affu­blé d’une allée imi­tant le luxe sur­fait d’une ave­nue digne de Sin­ga­pour ou de Kua­la Lum­pur où se suc­cèdent bou­tiques de luxe et res­tau­rants. La salle d’at­tente est vaste et confor­table ; le mur des toi­lettes est un immense aqua­rium où végètent d’é­normes pois­sons rouges aux yeux glo­bu­leux. Je m’ins­talle dans la salle d’at­tente pour un bon moment, j’ai trois heures d’at­tente pour mon vol, qui n’est même pas encore affi­ché. Je dévore les pages de mon livre d’un air dis­trait tan­dis que les ATR-72 décollent et atter­rissent sans dis­con­ti­nuer, dans un vacarme de tur­bo-pro­pul­seurs que per­sonne ne semble plus remar­quer. Je me rends compte à quel point le temps n’a plus la même valeur, et pen­dant ces quelques jours ici, j’ai l’im­pres­sion de m’être lais­sé désar­mer par une ambiance où le temps s’est affais­sé. C’est cer­tai­ne­ment ça le sens du mot “se repo­ser”. Je me sens incroya­ble­ment bien ici, sans pré­su­mer de ce que je vais trou­ver à Bang­kok et qu’à ce moment-là je m’i­ma­gine comme étant une capi­tale de pro­vince, douce et calme. Je suis un gros naïf.

6 - Carnet de Thaïlande - 18 - Aéroport de Ko Samui

6 - Carnet de Thaïlande - 19 - Dans l'avion pour Bangkok

Dans l’a­vion, les gens sont bruyants. Der­rière moi, deux Ita­liennes doivent se croire dans leur salon. Les deux hôtesses sont magni­fiques, un phy­sique d’une finesse toute thaï, une d’elle a les yeux très bri­dés et fins, l’autre porte un ber­mu­da court, les che­veux cou­pés au car­ré et un sou­rire cra­quant. Il y a cinq jours, un avion du même type s’est écra­sé dans l’in­té­rieur de la Thaï­lande, sur la même com­pa­gnie (Bang­kok Air­ways), mais le mien se pose sans encombre sur le tar­mac de Suvar­nabhu­mi. Je récu­père ma valise sur laquelle un ban­deau jaune a été col­lé ; Secu­ri­ty che­cked. Je ne sais pas trop si elle a été ouverte ou non. J’at­trape un taxi qui roule comme un dingue jusque dans le centre de Bang­kok. Il faut payer un péage en plus de la course, déjà chère. Le chauf­feur, un type d’une qua­ran­taine d’an­nées veut abso­lu­ment m’emmener le len­de­main voir des tigres dro­gués à 250km de là et un mar­ché flot­tant “typi­cal”. Je suis obli­gé de lui dire que je repars demain pour qu’il arrête d’es­sayer de me vendre sa soupe tiède. La ville que je tra­verse me donne l’im­pres­sion d’être dans le quar­tier de La Défense, juste à côté de Paris, à cette dif­fé­rence près que ça semble s’é­tendre sur des dizaines de kilo­mètres. Juste avant d’ar­ri­ver à l’hô­tel Gol­den Tulip (qui n’existe plus aujourd’­hui sous ce nom), c’est un quar­tier de petites rues sans per­sonne. Wisut­ka­sat Rd est une artère pas­sante où la route passe sur deux étages. Il est temps pour moi de poser ma valise. Un 7/11 encore ouvert alors qu’il est minuit et demi me per­met de me res­tau­rer d’un fan­ta, un paquet de chips et d’un bol de nouilles déshy­dra­tées que je me pré­pare avant de ten­ter de m’en­dor­mir ; la chambre donne sur la pis­cine dans laquelle bar­botent en braillant de jeunes Russes pleins de bière que per­sonne ne rabroue.

Bang­kok est là, sous mes pieds, mais je sens d’ores et déjà que ce ne sera pas la même his­toire que Phangan…

Voir les 19 pho­tos de cette jour­née sur Fli­ckr.

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