BangÂkok mâa accueillie en plein milieu de la nuit, avec les cris aviÂnĂ©s des Russes qui barÂboÂtaient dans la pisÂcine trop grande pour eux. PreÂmiĂšre senÂsaÂtion dans cette ville tenÂtaÂcuÂlaire ; une impresÂsion de fatras inconÂtrĂŽÂlĂ©, des blocs de quarÂtiers nocÂturnes plaÂcĂ©s les uns Ă cĂŽtĂ© des autres et nâayant aucun autre rapÂport entre eux que leurs racines, lâiÂdĂ©e peut-ĂȘtre loinÂtaine que quelque chose les relie par le sang ou la reliÂgion, quelque chose comme ça, dâausÂsi vague et imprĂ©Âcis quâune croyance en un Dieu Ă©teint depuis longÂtemps, je ne sauÂrais comÂment dire. Peut-ĂȘtre cette impresÂsion mâest elle donÂnĂ©e par lâomÂniÂprĂ©Âsence des icĂŽnes de ces vieux rois quâon trouve sur des phoÂtos jauÂnies, porÂtant tous Ă peu prĂšs le mĂȘme prĂ©Ânom et ne disÂtinÂguant que par un numĂ©Âro⊠la dynasÂtie ChaÂkri sâest dotĂ©e dâun seul et mĂȘme prĂ©Ânom, Rama. Rama Ier, Rama III, Rama V, Rama VIII, Rama IX, lâacÂtuel roi BhuÂmiÂbol AduÂlyaÂdej, dont les petites lunettes et lâair un peu absent lui confĂšrent une image pas trĂšs solenÂnelle, un peu⊠(chut, insulÂter le roi est un crime de lĂšse-majesÂtĂ©). Il rĂšgne depuis 1950, Ă©tant ainÂsi un des plus anciens monarques du monde.
Au petit matin, je sors de lâhĂŽÂtel pour aller Ă la renÂcontre de ce quarÂtier qui mâa Ă©tĂ© conseillĂ© par une perÂsonne qui connaĂźt bien BangÂkok. Jâai lâimÂpresÂsion quâiÂci rien nâest vraiÂment cenÂtral, ni vraiÂment ordonÂnĂ©. Alors je me laisse porÂter, je verÂrai bien ce quâil en est.
LâaÂveÂnue Wisut Kasat est une artĂšre laboÂrieuse de moyenne imporÂtance, donÂnant dâun cĂŽtĂ© sur un auto-pont douÂblant la cirÂcuÂlaÂtion Ă parÂtir du pont Rama VIII, de lâautre cĂŽtĂ© jusÂquâĂ J.P.R. juncÂtion (ne me demanÂdez pas pourÂquoi ça sâapÂpelle comme ça), lĂ oĂč lâaÂveÂnue rejoint RatÂchaÂdamÂnoen Nok Road, au carÂreÂfour duquel se trouve un immense porÂtrait de la reine SiriÂkit KitiyaÂkaÂra. Ce qui me surÂprend tout de suite, câest la chaÂleur, accaÂblante dĂ©jĂ dĂšs le matin, mais surÂtout lâoÂdeur, un mĂ©lange de dieÂsel lourd et de pourÂriÂture marĂ©ÂcaÂgeuse. Il faut dire que les preÂmiers khlongs (canaux) ne sont quâĂ quelques cenÂtaines de mĂštres dâiÂci, Ă peine plus loin que les rives de la Chao Phraya. Sur cette aveÂnue, nombre de magaÂsins sont ferÂmĂ©s, comme abanÂdonÂnĂ©s ; le soir on peut voir des rats et des cafards, les uns presque ausÂsi gros que les autres, aller et venir par les interÂstices de ces rideaux de fer baisÂsĂ©s. La jourÂnĂ©e, cerÂtaines ouvrent pour laisÂser place Ă des ateÂliers de mĂ©caÂnique autoÂmoÂbile. On rĂ©pare de tout ici, des mobyÂlettes, des tuk-tuks, de voiÂtures dĂ©sosÂsĂ©es Ă mĂȘme le trotÂtoir, dĂ©verÂsant lâhuile de leur pont dans les caniÂveaux poisÂseux. DerÂriĂšre le bruit des scies Ă©lecÂtriques et des ponÂceuses, des bruits de marÂteau sur la tĂŽle, derÂriĂšre les grinÂceÂments et les striÂduÂlaÂtions, des hommes transÂpirent toute lâeau de leur corps dans des Ă©choppes aveugles et encomÂbrĂ©es, dans lâatÂmoÂsphĂšre lourde et confiÂnĂ©e, empuanÂtie par lâoÂdeur Ă©paisse de la fumĂ©e de cigarette.
Dans cette artĂšre Ă taille humaine, oĂč lâon compte encore sur des trotÂtoirs, dans cette ville oĂč si vous expriÂmez le souÂhait de marÂcher, on vous rĂ©pond genÂtiÂment « donât⊠», je tombe sur une ouverÂture sous un porÂtail taillĂ© comme lâenÂtrĂ©e dâun temple. Des voiÂtures et des motos entrent et sortent dâiÂci, Ă un rythme assez souÂteÂnu sous un soleil Ă©craÂsant dans un ciel Ă peine nuaÂgeux. Si jâarÂrive jusÂquâiÂci, câest parce que de loin, jâai vu Ă©merÂger la tĂȘte haute et aplaÂtie dâun BoudÂdha gĂ©ant. Câest pour concrĂ©ÂtiÂser cette vision que je me dirige dans cet encheÂvĂȘÂtreÂment de bĂątiÂments posĂ©s les uns Ă cĂŽtĂ© des autres afin de voir cette staÂtue qui paraĂźt comÂplĂšÂteÂment inapÂproÂpriĂ©e dans cette ville qui semble nâaÂvoir pas de frontiĂšresâŠ
DerÂriĂšre le porÂtail du temple Wat InthaÂraÂwiÂhan (àž§àž±àžàžàžŽàžàžàžŁàž§àžŽàž«àžČàžŁ), câest toute une petite ville qui sâest orgaÂniÂsĂ©e lĂ , avec son marÂchĂ©, une Ă©cole, des temples posĂ©s les uns Ă cĂŽtĂ© des autres, et une place autour de laquelle graÂvitent dâautres temples. Des moines parÂcourent la citĂ© sur un espace intĂ©ÂgraÂleÂment recouÂvert de carÂreÂlage ; cerÂtains sont mĂȘmes recouÂverts dâun beau marbre lusÂtrĂ© que les jours de pluie doivent rendre glisÂsant comme des pommes pourÂries. Tout est abriÂtĂ© du soleil, crĂ©ant une ombre oranÂgĂ©e empĂȘÂchant lâair de cirÂcuÂler. Tout dans cette ville semble ĂȘtre fait pour empĂȘÂcher de resÂpiÂrer norÂmaÂleÂment ; quand ce nâest pas la polÂluÂtion, ce sont des espaces confiÂnĂ©s dans un air sans vent, oĂč le recours Ă un Ă©venÂtail semble ĂȘtre la seule soluÂtion viable pour Ă©viÂter un malaise. On vient ici se recueillir, que ce soit en ayant lâinÂtenÂtion de frapÂper les cloches du temple ou alors de dĂ©poÂser des offrandes devant les mulÂtiples autels larÂdĂ©s de bĂątons dâenÂcens et de colÂliers de fleurs orange, de pots planÂtĂ©s dâĂ©Âtranges plantes. A lâinÂtĂ©Ârieur dâune petite cabane, je dĂ©couvre une staÂtue de cire Ă©tonÂnamÂment vivante Ă tel point que je resÂsors de lĂ trouÂblĂ©, ne sachant sâil sâaÂgit dâun humain ou pas ; jâapÂprenÂdrai plus tard, dans un preÂmier temps pour avoir croiÂsĂ© de mulÂtiples fois le visage buriÂnĂ© de cet homme rabouÂgri Ă lâinÂtĂ©Ârieur des temples, que câest la staÂtue de Luang Pu Thuat (àž«àž„àž§àžàžàžčàčàžàž§àž), nĂ© en 1582 et mort cent ans plus tard et surÂtout connu pour avoir accomÂpli des miracles. Il est Ă©tonÂnant de voir Ă quel point les rois de la dynasÂtie ChaÂkri sont autant rĂ©vĂ©ÂrĂ©s que les perÂsonnes reliÂgieux les plus importants.
Il rĂšgne ici une ambiance Ă la fois fĂ©brile autour des priĂšres et des offrandes, mais Ă©gaÂleÂment un cerÂtain calme que chaque perÂsonne en priĂšre semble sâapÂproÂprier au beau milieu de cette ville endiaÂblĂ©e. ChaÂcune de ces images donne lâimÂpresÂsion que nous nous trouÂvons dans un grand centre de priĂšre recuÂlĂ© sur une monÂtagne Ă©loiÂgnĂ©e de tout, un lieu de pĂšleÂriÂnage hors du comÂmun, mais ce nâest quâun temple parÂmi dâautres, comme il en existe des cenÂtaines au traÂvers de la ville, un temple trĂšs frĂ©ÂquenÂtĂ© car ici la reliÂgion, contraiÂreÂment Ă la France, mĂȘme si nous avons touÂjours plus ou moins une Ă©glise dans chaque ville, est omniÂprĂ©Âsente. Une pause au traÂvail et hop on vient prier, une balade en famille et hop on passe par le temple⊠Tout ici semble Ă©tranÂgeÂment banal, Ă©tonÂnamÂment norÂmal, Ă part peut-ĂȘtre cette Ă©norme staÂtue BoudÂdha de 32 mĂštres de haut comÂmenÂcĂ©e en 1867.
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