Sep 30, 2014 | Arts |
L’aiguière aux oiseaux est un vrai trésor issu des échanges liés à l’histoire méditerranéenne. Elle est mentionnée par le moine bénédictin Dom Michel Félibien dans son Histoire de l’abbaye royale de Saint-Denys en France, en 1706, mais bien auparavant, on retrouve trace de cet objet déjà aux premiers temps de l’édification de la basilique puisque dans les œuvres-mêmes de l’abbé Suger, on en retrouve mention, dès la fin du XIè siècle. Si on ne sait pas vraiment d’où elle vient, ni dans quelles conditions elle est arrivée en France, on se doute tout de même qu’elle a pu être offerte en cadeau ou plus probablement volée ou sortie d’Egypte lors d’un pillage au milieu du XIè siècle. Ce que nous indique son couvercle en or, faussement de style oriental puisqu’on sait de source sûre qu’il a été fabriqué en Italie, c’est que l’objet a voyagé jusqu’à Saint-Denis en passant par un atelier d’orfèvrerie de haut rang, certainement dans le sud du pays. Orné de filigranes torsadés, de rosettes et de minuscules entrelacs de type « vermicelli », ce couvercle épouse l’ouverture en amande du bec verseur et « christianise » l’objet. (source Qantara)
L’histoire de son arrivée jusqu’à Saint-Denis demeure un mystère.

Aiguière aux oiseaux — Musée du Louvre — cristal de roche (Mr 333)
Ce qui fait de cet objet une rareté, c’est non seulement sa matière, puisqu’il a été réalisé dans du cristal de roche, d’un seul bloc. De dimension modestes, haute de 24cm et à peine large de 13,5cm, le décor réalisé sur son flanc en forme de poire représente des oiseaux stylisés enroulés autour de motifs floraux d’inspiration persane. Même l’anse n’est pas rapportée et fait partie du même bloc. La voir ainsi toujours solidaire du corps principal plus de 1000 ans après sa création en fait une pièce tout-à-fait exceptionnelle, même si la partie supérieure taillée en ronde bosse représentant certainement un oiseau ou un bouquetin, située sur le haut de l’anse a disparu.

Dom Michel Félibien — Trésor de Saint-Denis (1706) — Planche issue de l’Histoire de l’abbaye royale de Saint-Denys en France — détail
La technique utilisée par les artistes cairotes de la période fatimide est une taille par abrasion par des matériaux permettant une grande précision (sable et diamant) dans une pierre d’une dureté de 7 (le diamant étant à 10). Même si ce n’est pas évident au premier coup d’œil, la pièce de cristal de roche est creusée de l’intérieur, évidée par abrasion, ce qui représente un travail de longue haleine et de précision. A son point le plus fin, l’épaisseur au col n’est que de 3mm et il aura fallu à l’artiste passer un outil dans un goulet de moins de 2cm de large. On remarque aussi que la symétrie de la pièce n’est pas parfaite, certainement parce que l’artiste a été contraint par la forme de la pierre initiale.
La période de fabrication remonte très certainement au dernier quart du Xè siècle et elle porte au col une inscription en coufique signifiant “bénédiction, satisfaction et [mot manquant] à son possesseur”. Source Wikipedia.
On retrouve la mention de la présence de cet objet dans le trésor de Saint-Denis sur cette gravure de Dom Michel Félibien, sous le nom de vase d’Aliénor, mais on reconnaît bien sa forme, l’oiseau et le bec, ainsi que son couvercle en or portant chaînette.

Dom Michel Félibien — Trésor de Saint-Denis (1706) — Planche issue de l’Histoire de l’abbaye royale de Saint-Denys en France
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Jan 7, 2010 | Livres et carnets |
Lire l’Île au trésor de Robert Louis Stevenson, personnage malingre à la santé fragile, porté à écrire sans fin sous les coups de boutoir de son épouse californienne, la suspecte Fanny Vandergrift Osbourne, lire ce roman d’aventures estampillé culte le soir sous les tentures de mon lit à baldaquin avait quelque chose de magique, c’était un peu comme faire ce que je n’ai pas fait enfant, lire ces romans d’aventures, de James Fenimore Cooper, Mark Twain, Jack London que je n’ai jamais lu parce que l’aventure, moi, vous savez… Non, moi je feuilletais des livres dans lesquels je m’extasiai sur les photos du Taj Mahal, les torii japonais dans la brume ou les neiges éternelles du Kilimandjaro ou alors je regardais encore et encore les photos que mon grand-père avait prises aux Antilles ou à la Réunion, mais les livres d’aventure, je n’ai pas été habitué. Alors je me suis dit qu’un jour, il fallait bien, et j’ai été transporté sur l’île du Squelette avec le jeune Jim Hawkins, le docteur Livesey et le chevalier Trelawney mais également le terrifiant Long John Silver, personnage haut en couleurs, vaniteux, ambitieux, charismatique et obstiné comme un beau diable.

L’Île au trésor, ce n’est pas vraiment un roman d’aventures sur la piraterie, ni même une chasse au trésor, mais une histoire de mutinerie, où une poignée d’hommes menés par Silver vont rivaliser de vilénies pour dégotter les 700.000 livres enterrées par l’horrible Flint ; revirements de situation, coup de théâtre, coups bas, Stevenson est un maître pour raconter cette histoire avec une langue fleurie et imagée à faire rêver les petits garçons, et les grands…
[audio:15marins.xol]

Le capitaine Smollett se leva de son siège et vida les cendres de sa pipe dans le creux de sa main gauche.
« Est-ce tout ? demanda-t-il .
– C’est mon dernier mot, mille tonnerres ! jura John. Refusez, et la prochaine fois vous aurez affaire aux balles d’ mon mousquet !
– Très bien, dit le capitaine. Maintenant, vous allez m’écouter. Si vous vous présentez ici, un par un, et sans armes, je m’engage à vous mettre tous aux fers et à vous ramener en Angleterre pour y être jugés à la régulière. Si vous refusez mes conditions, laissez-moi vous dire qu’aussi vrai que je m’appelle Alexandre Smollett, et que j’ai hissé les couleurs de mon souverain, je m’engage à vous faire tous rôtir dans les flammes de l’enfer. Vous ne trouverez jamais le trésor. Vous êtes infichus de gouverner le navire — il n’y en a pas un parmi vous qui en soit capable. Vous n’êtes pas de taille à lutter avec nous — Gray, tantôt, a réussi à fausser compagnie à cinq de vos hommes. De plus, maître Silver, votre bateau est en fâcheuse posture ; il se trouve en effet sur une côte sous le vent, et vous allez l’apprendre à vos dépens. Je ne bougerai pas d’ici. Et j’ajoute que ce sont les dernières paroles que vous entendrez de moi. Car, la prochaine fois que je croiserai votre route, je vous collerai une balle dans le dos, par tous les saints. Déguerpissez mon gaillard. Levez le camp, je vous prie, et au pas de course encore. »
Le visage de Silver aurait mérité d’être peint : sous l’emprise de la colère, ses yeux semblaient jaillir de leurs orbites. Il éteignit sa pipe en la secouant violemment.
« Aidez-moi à m’ relever ! s’écria-t-il.
– N’y comptez pas, répondit le capitaine.
– Qui va m’aider à m’ relever ? » rugit-il.
Personne ne broncha. En grognant les pires imprécations, il se traîna jusqu’au porche où il parvint à se redresser et à reprendre sa béquille. Puis il cracha dans la source.
« Voilà c’ que j’ pense de vous ! s’écria-t-il. Avant une heure de temps, j’aurai défoncé vot’ vieux fortin comme une barrique d’ rhum ! Riez, mille tonnerres ! Riez tout votre soûl, car avant une heure vous rirez jaune. Et ceux qui mourront n’ s’ront pas les plus à plaindre !»
L’Île au Trésor, in Œuvres, tome 1
La Pléiade, Traduction Marc Porée
- Chants de marins sur les Gabiers d’artimon
- Illustrations par N.C. Wyeth
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Dec 6, 2009 | Histoires de gens, Sur les portulans |
Tahir Shah au cours de sa quête initiatique rencontre Mr Krishnan qu’on lui désigne comme étant l’homme le plus riche du monde. Évidemment, dit comme ça, ça peut prêter à sourire car on ne s’attend évidemment pas à trouver ce personnage éminent dans les bas-fonds de Bangalore. Tahir va donc à la rencontre de cet homme le plus riche du monde, une homme ridé d’à peine un mètre soixante enveloppé d’une couverture beige rapiécée, un milliardaire sans le sou.

Photo © NZ Dave
Mr Krishnan raconte alors sa terrible histoire à Tahir Shah. Né dans une famille de fermier, on lui apprit très tôt qu’il était en fait descendant des rois de Vijayanâgara, et afin de vénérer la mémoire de ces ancêtres, on vouait un culte à quelques vieux objets entassés dans une pièce spéciale de la maison et qui se transmettaient de génération en génération. Mr Krishnan épousa la carrière terne de juriste et se maria, eut quatre enfants et au terme de trente-deux ans d’activité dut mettre un terme à sa carrière en raison d’une santé fragile. Peu porté sur les choses de la religion, Mr Krishnan avait mis au rebut son butin ancestral et sur les injonctions de sa femme, se décida à faire don de ses objets à de bonnes œuvres religieuses, mais devant les tracasseries administratives que cela engendrait, il se résolut à tout garder. Enfin, un soir, il s’intéressa d’un peu plus près à quatre lingots de forme oblongue, recouverts de suie et de crasse, se disant que c’était peut-être de l’or. Alors il se mit à gratter, à frotter, à récurer et découvrit des objets de couleur vive. Pendant deux ans, l’homme étudia la minéralogie et la gemmologie de peur de se faire rouler par le premier margoulin à qui il demanderait une estimation. Il en vint à la conclusion que les lingots étaient en fait trois énormes rubis roses et un saphir absolument colossal qui avaient traversé les âges sous leur épaisseur de crasse. La possession de ces énormes pierres ne fit qu’aggraver l’état de santé de l’homme déjà malade mais il fit tout de même tailler les pierres par une personne de confiance, et finit par en révéler l’existence.
Le premier rubis faisait 215 carats, le second 650, taillé dans une pierre qui à l’origine en faisait 1125. Le troisième, une fois taillé s’annonçait à 2475 carats. Le volume et la rareté de la pierre fit porter l’estimation de son prix à plus de 24 milliards de livres sterling. Le saphir quant à lui, faisait 1370 carats et son estimation atteignait les 3 milliards de livres.
B. Krishnan allait marier ses filles et vivait dans un appartement à cent cinquante roupies par mois, mais d’argent il n’avait point, car si la somme colossale qu’il possédait par devers lui faisait de lui un homme bien plus riche que le sultan du Brunei ou Bill Gates, personne au monde ne peut s’offrir la plus petite de ses pierres, ce qui ne lui permet pas de payer la dot de ses filles.

Photo © Susanne Stoop
A l’autre bout du monde(1), en Belgique se trouve une rue, le long de la voie ferrée aux abords de la gare d’Anvers, une petite rue sombre et poussiéreuse, sans charme, portant le doux nom de Pelikaanstraat. C’est le quartier des diamantaires dont la plupart sont des hassidims ou des Indiens. Mine de rien, c’est la rue la plus chère du monde. Ici l’argent tient à peu de choses et le chiffre d’affaire annuel s’élève à plus de 28 milliards de dollars.
Le mois dernier, Arte a diffusé un documentaire appelé le trésor de la famille Atkin(2), diffusé après Monsieur Klein(3). C’est le genre d’histoire sur laquelle on tombe un peu par hasard et qui séduit tout de suite par le ton sur lequel l’histoire est racontée. Mark Atkin arrive à Lodz en Pologne, et retrouve la propriété de son grand-père, un industriel qui a fait fortune dans le caoutchouc. En 1939, il est obligé de quitter sa maison à cause des nazis et enterre dans son jardin, dans une baignoire, quelques uns de ses plus beaux objets. Dans sa maison, il cache son argent, des objets de valeurs dans les parquets, dans les murs…

Photo © Stan Baranski
Il confie ce secret à son fils qui le confie lui-même à son fils, Mark, lequel revient et retrouve la maison. Il offre le voyage à son père et commence à creuser le jardin de la propriété. Mais l’armée débarque et menace de les faire enfermer. La maison du grand-père de Mark est désormais sous le contrôle de l’armée polonaise qui y a installé ses laboratoires secrets. Autant dire que l’accès en est impossible, alors commence le bal des démarches administratives car Mark aimerait ne serait-ce que pouvoir entrer dans la maison. Il arrive à faire intervenir le maire, en vain…
C’est une incroyable chasse au trésor qui s’engage au beau milieu des tracasseries administratives d’un pays qui semblent encore vivre à l’époque du rideau de fer… Tout semble perdu face à l’armée lorsque l’avocat de Mark lui apporte une bonne nouvelle ; la famille est toujours propriétaire de la maison. Sa famille et lui pourront pénétrer dans la maison…
Tahir Shah est un drôle de personnage. Ethnologue, fils de Sayed Idries Shah, le jeune Tahir passe une partie de son enfance avec un Afghan, Hafiz Jan(4), un grand type à la peau brune parcheminée, ne quittant jamais son turban, un personnage sombre dont la malle contient toutes sortes de poudres, de philtres et d’instruments et qui intriguent l’enfant. Les deux hommes deviennent complices et Tahir supplie Hafiz de lui apprendre la sorcellerie, comment avaler un sabre ou marcher sur des braises, ou encore donner l’impression qu’un couteau traverse la peau sans que la moindre goutte soit versée. Le jeune Tahir fait alors son apprentissage de jeune sorcier, d’illusionniste (Jadoowalla) avec le vieil homme jusqu’au jour où une démonstration tourne mal et manque d’envoyer les deux hommes au royaume des ombres. Hafiz Jan fait alors sa malle et décide de retourner dans son pays.
Des années plus tard, Tahir prendra la route et ira retrouver le vieil Afghan pour lui demander de terminer son éducation de magicien, mais celui-ci refusera, gardant en mémoire l’événement qui faillit les tuer, et lui donne le nom de celui qui lui a tout appris, le terrifiant Hakim Feroze. L’apprenti sorcier raconte cette initiation dans un pays, l’Inde, où posséder des dons de magicien, où illuminer les foules par des exploits fondés sur l’illusion est une question de pouvoir. Hakim Feroze est un personnage très étrange, avenant, charismatique et très cultivé, et à partir du moment où Tahir Shah aura réussi à le convaincre de reprendre du service pour mener à bien son éducation d’illusionniste, il se montrera d’une exigence frisant la tyrannie, d’une cruauté qui ne souffre aucune incartade. Le dernier stade de l’apprentissage de Tahir consiste à sillonner l’Inde à la recherche de ces «choses exceptionnelles» qui sont l’arrière-cour de ce pays que nous ne connaissons pas sous cet angle. Un livre incroyable dans lequel on découvre les métiers les plus improbables parmi lesquels de cruels Thugs, des nettoyeurs d’interstices de lames de plancher, des loueurs de bébé et de terrifiants Konkalwalla — des voleurs de cadavres qui les font bouillir, les nettoient puis vendent les squelettes pour les cours de biologie.
L’apprenti sorcier, Tahir Shah,
Editions de Fallois
Notes:
(1). Je ne pensais pas un jour pouvoir me rapporter à une chronique du Point.
(2). Qu’on peut encore voir sur le site internet d’Arte.
(3). Peut-être le seul bon film d’Alain Delon, avec également William Wilson, de Louis Malle, dans les histoires extraordinaires.
(4). Hafiz Jan est le gardien du tombeau des ancêtres de Tahir Shah.
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