Mar 12, 2014 | Livres et carnets |
Texte surÂgi du pasÂsĂ©, qu’il faut se remĂ©morer…

PhoÂto © EleÂleÂku
SiroÂco al camÂpaÂment sahÂraui d’Smara
Rachat des jours invertébrés…
Entré dans l’action, dans le cercle… dans l’acte même où tout est pur.
Me voiÂci, l’ignorant, dans ces lentes annĂ©es molles, bouillonÂnant tourÂmenÂtĂ©, me voiÂci entrĂ© lĂ oĂą tout (le mouÂveÂment, l’arrĂŞt qui n’est pas inutile, la bĂŞte immoÂbiÂliÂtĂ© sous un voile bleu, l’insipide vie entre quatre murs, les Ă©corÂchures des pieds, la nourÂriÂture prise oĂą le chaÂmeau a bu – oĂą les femmes ont rinÂcĂ© leurs mains, – la barbe la plus longue, le petit fait de se raser – de ne pas –, la surÂveillance mĂ©tiÂcuÂleuse de la langue, de l’estomac, le soin aux orteils, les mousÂtiques, les Ă©nerÂveÂments quand moquĂ© des femmes), oĂą tout comme dans un orgaÂnisme prĂŞt la nourÂriÂture non choiÂsie nourÂrit, amĂ©Âliore ; oĂą tout m’est une nourÂriÂture comme jamais absorÂbĂ©e ; oĂą chaque jour m’alourdit, nous alourÂdit. Car la joie est double. SouÂdĂ©s par la mĂŞme volonÂtĂ© , la mĂŞme Ă©nerÂgie – ces mulÂtiples forces d’or me transÂfiÂgurent, mon frère. CouÂrant que, parÂti de notre mutuel acte de volonÂtĂ©, je cherche, dans une course vers le but, Ă mainÂteÂnir et Ă transÂforÂmer de l’encore prĂ©Âcaire jusqu’au dĂ©finitif.
Car c’est toi qu’il faut atteindre, le lieu qui, fouÂlĂ©, donne aux pas qui ont Ă©tĂ© vers lui une durable valeur. Toi seul confères Ă l’effort parce que nous pouÂvons impriÂmer notre nom dans ton sol, son autoÂriÂtĂ©, son galbe dĂ©fiÂniÂtif, le fais pasÂser de l’informe encore Ă la forme, belle pour chaÂcun. Non plus masse riche de ceci et cela – Dra, El AkhÂsas et mes notes – mais un nom seul qui rĂ©sume, sufÂfiÂsant Ă lui-mĂŞme, fait pour pasÂser dans la bouche et l’oreille des hommes, SmaÂra.
Michel VieuÂchange,
SmaÂra, carÂnets de route d’un fou du dĂ©sert
Étrange texte de Michel VieuÂchange, l’ange blond du dĂ©sert dĂ©guiÂsĂ© en bĂ©douine pour traÂverÂser les immenÂsiÂtĂ©s de sable avec les hommes dresÂsĂ©s sur leurs chaÂmeaux, remÂplisÂsant ses carÂnets de notes de manière lapiÂdaires Ă chaque heure du jour et de la nuit, parÂmi la verÂmine qui hante sa couche ou fiĂ©Âvreux en plein soleil de midi dans les valÂlĂ©es pierÂreuses. Un texte fragÂmenÂtĂ© comme autant de pierres sèches jalonÂnant sa route, des petites phrases parÂfois sans verbe, parÂfois juste deux mots sans sujet, texte dĂ©perÂsonÂnaÂliÂsĂ© Ă l’extrĂŞme malÂgrĂ© l’expĂ©rience perÂsonÂnelle forÂcĂ©Âment prĂ©Âsente, ces quelques lignes cerÂtaiÂneÂment Ă©crites dans un moment de ferÂveur lyrique que la soliÂtude du dĂ©sert ne peut que forÂteÂment inciÂter sont au beau milieu de son texte comme une borne en plein cĹ“ur de sa route. TanÂdis que je me sens secouĂ© par une nouÂvelle envie de lire le fabuÂleux livre de Paul Bowles, un thĂ© au SahaÂra (The ShelÂteÂring Sky), que j’ai pourÂtant acheÂvĂ© de lire au dĂ©but de cette annĂ©e, la lecÂture de SmaÂra est faire pour durer sur la lonÂgueur, j’y remets les pieds quelques fois, parce que l’intrigue est lĂ©gère, on sait que VieuÂchange est en route pour SmaÂra (سمارة), il n’est pas encore arriÂvĂ©, cheÂmine vers la citĂ© mythique dont je ne sais encore rien – je fais durer, durer encore et je me rĂ©serve le droit Ă l’ignorance –, alors je prends mon temps pour faire durer le plaiÂsir, au mĂŞme titre que l’Usage du Monde de NicoÂlas BouÂvier est un livre qui nĂ©cesÂsite qu’on resÂpecte d’autant plus le texte qu’on sait qu’il a Ă©tĂ© Ă©crit de longues annĂ©es après le voyage, dans la douÂleur extrĂŞme de l’accouchement, après que des pans entiers du manusÂcrit aient Ă©tĂ© jetĂ©s Ă la pouÂbelle par un domesÂtique peu scruÂpuÂleux, perÂdus Ă jamais dans les strates d’une dĂ©charge afghane.
Rachat des jours inverÂtĂ©ÂbrĂ©s… Quelle forÂmule surÂgie du nĂ©ant ! C’est le dĂ©sert qui fait dire ça, et quelle idĂ©e de s’enfoncer ainÂsi dans le Maroc interÂdit, l’homme blond aux yeux bleus – vieille superÂstiÂtion – sous la djelÂlaÂba blanche cachant des atours fĂ©miÂnins qui n’existent pas et garÂdant près de lui appaÂreil phoÂto et carÂnets de notes, une petite pharÂmaÂcie et quelques objets perÂsonÂnels. Comme de longues jourÂnĂ©es sans forme au milieu de nulle part, la pure Ă©tranÂgeÂtĂ© de l’homme dans l’écosystème le plus hosÂtile qui soit, la plus pure inconÂgruiÂtĂ© au beau milieu des rochers et des scorÂpions. A mille lieues de Loti traÂverÂsant le dĂ©sert araÂbique avec sa cohorte de gardes qu’il rince Ă grand coups de pièces d’argent. Texte sompÂtueux et dĂ©charÂnĂ©, mĂ©tĂ©oÂrique comme l’ont appeÂlĂ© cerÂtains comme ThĂ©oÂdore Monod et Paul ClauÂdel qui en a Ă©crit la prĂ©Âface – Paul Bowles, lui, a Ă©crit la prĂ©Âface du texte traÂduit en anglais et dit de cette Ă©poÂpĂ©e que c’est un « pèleÂriÂnage monsÂtrueux au pays de Nulle Part ». Texte âpre et violent Ă l’extrĂŞme, autant pour celui qui l’a Ă©crit que pour la langue elle-mĂŞme. Le lecÂteur Ă son tour ne peut en sorÂtir indemne.

PhoÂto © EleÂleÂku
SiroÂco al camÂpaÂment sahÂraui d’Smara
PhoÂto d’en-tĂŞte © RĂ©mi BriÂdot
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Jun 24, 2012 | Livres et carnets |
VoiÂci une des plus belles lecÂtures qui m’ait Ă©tĂ© donÂnĂ© de dĂ©voÂrer ces derÂniers temps. On vous proÂmet un rĂ©cit digne des mille et une nuits et on se retrouve dans un rĂ©cit de voyage fanÂtasque aux couÂleurs de l’oÂrient magique et incerÂtain, Ă mi-cheÂmin entre les errances de T.E. LawÂrence et les rĂ©cits lanÂgouÂreux de Paul Bowles dans un dĂ©cor irrĂ©el de vent et de sable, dans un monde d’hier qui n’existe plus et qu’on ne pourÂra retrouÂver. On retrouÂveÂra les figures mythiques de FayÂçal et de LawÂrence au beau milieu du dĂ©sert, mais ausÂsi des hisÂtoires de pierres fanÂtĂ´mes et de staÂtues cachĂ©es.
On repart donc tanÂdis que, de leur cĂ´tĂ©, Samuel et ses vingt-cinq guerÂriers, depuis l’oaÂsis de Badr, galopent en direcÂtion du levant. Au bout de trois jours, le doute s’insÂtalle en eux, ils s’arÂrĂŞtent, tournent en rond et se mettent Ă exploÂrer les diverses pistes qui s’offrent, celle de MousÂbat, puis celle de Bir FouÂraÂwia, et ausÂsi celle qui relie Gimr Ă TeiÂga jusÂqu’à ce que, un après-midi un groupe de cavaÂlier reçoive en pleine rĂ©tine l’éÂclat de soleil renÂvoyĂ© par un sinÂguÂlier tesÂson et dĂ©couvre, au croiÂseÂment des pistes de QumÂqum et de Dar Tama, le miroir de bronze posĂ© contre un acaÂcia. Son tain de plus en plus glauque est encore capable de reflĂ©Âter la piste dĂ©serte, les bosÂquets verts et pousÂsiĂ©Âreux — et peut-ĂŞtre a‑t-il ausÂsi reflĂ©ÂtĂ© durant les jourÂnĂ©es prĂ©ÂcĂ©Âdentes l’iÂmage des gazelles pasÂsant au galop, de hyènes lentes et fureÂteuses et d’auÂtruches guinÂdĂ©es. Après cette dĂ©couÂverte, Samuel et sa troupe n’ont plus qu’à pousÂser un peu vers le sud le long de cette piste et voiÂlĂ qu’apÂpaÂraĂ®t, couÂronÂnant un bosÂquet de genĂŞts sauÂvages, l’une des portes sculpÂtĂ©es du palais Abyad, puis, Ă une jourÂnĂ©e de marche, une parÂtie de la fonÂtaine au dĂ©cor mauÂresque vert et turÂquoise, abanÂdonÂnĂ©e sous un baoÂbab. « Il s’est pasÂsĂ© quelque chose » a dĂ©claÂrĂ© Samuel. Lorsque se sucÂcèdent, toutes les demi-jourÂnĂ©es, les pierres de taille numĂ©Âro 105 (« salle d’apÂpaÂrat »), puis numĂ©Âro 72 (« appui de fenĂŞtre divan des femmes »), puis 42 (« souÂbasÂseÂment mur galeÂrie »), il comÂprend la raiÂson qui a pu pousÂser ChaÂfic Ă rĂ©agir ainÂsi et presse le pas, pasÂsant dĂ©sorÂmais sans mĂŞme s’arÂrĂŞÂter devant les morÂceaux de plus en plus riches balanÂcĂ©s dans la savane comme de vieux chifÂfons, et il rejoint la caraÂvane au moment oĂą elle vient de reprendre la route après les conciÂliaÂbules et les disputes.

PhoÂto © Hamed Saber
Samuel, un LibaÂnais rafÂfiÂnĂ© pris dans les tourÂments de la guerre, erre dans le dĂ©sert et renÂcontre une caraÂvane dont le charÂgeÂment et la desÂtiÂnaÂtion sont autant de fanÂtaiÂsies pour la raiÂson dans cet uniÂvers inhosÂpiÂtaÂlier. Celui qui mène cette caraÂvane a dĂ©monÂtĂ© un palais pièce par pièce pour aller le vendre aux triÂbus nomades du dĂ©sert… autant dire que le pari est perÂdu d’aÂvance. C’est cette hisÂtoire coloÂrĂ©e, truÂcuÂlente et senÂsuelle que nous raconte MajÂdaÂlaÂni avec un verbe rapide et enroÂbĂ©, plein d’huÂmour et de sensualitĂ©.
Il croit ĂŞtre sĂ»r de son effet, mais Samuel le regarde dans les yeux en faiÂsant remarÂquer que dĂ©ciÂdĂ©Âment, dans cette parÂtie du dĂ©sert, tout le monde connaĂ®t d’ArÂgès, tout le monde l’a aidĂ© et tout le monde a fini par le traÂhir. Et voiÂlĂ Zeid qui Ă©clate de rire, et qui clame que ça c’est sĂ»r, que DarÂjis a Ă©tĂ© très resÂpecÂtĂ© dans ces rĂ©gions, que les chefs Ă©taient Ă ses ordres, que parÂtout les cheÂmins et les oasis sont marÂquĂ©s de sa prĂ©Âsence, que son nom est graÂvĂ© sur bien des rochers et bien des troncs de palÂmiers, que les sculpÂteurs de l’anÂcien temps ont sculpÂtĂ© son porÂtrait et frapÂpĂ© les pièces d’or Ă son effiÂgie sans le savoir et que le dĂ©sert l’aime tant que si, dans un endroit oĂą il y a de l’éÂcho on crie n’imÂporte quel mot, l’éÂcho renÂvoie le nom de DarÂjis (et il proÂnonce lui ausÂsi le mot en accenÂtuant forÂteÂment la derÂnière sylÂlabe). Samuel, ce fils des vieux poètes de la monÂtagne libaÂnaise, se dit que voiÂlĂ sans doute la plus belle ode amouÂreuse que l’on ait proÂnonÂcĂ© dans ces contrĂ©es depuis longÂtemps, et il regarde Zeid avec une admiÂraÂtion cerÂtaine. Mais il n’en laisse rien paraĂ®tre.
CaraÂvanÂsĂ©Ârail, ChaÂrif Majdalani
EdiÂtions Seuil
ColÂlecÂtion Points Grands Romans
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Mar 31, 2012 | Histoires de gens, Sur les portulans |

Ruines des grottes aux mille BoudÂdhas de Bezeklik
Aurel Stein est un perÂsonÂnage tout Ă fait fasÂciÂnant, qui n’auÂra eu de cesse d’arÂpenÂter le monde sur les traces de MarÂco Polo et de la Route de la soie ; il n’y a qu’à lire son Ă©tonÂnant parÂcours pour voir Ă quel point cela resÂtait chez lui une idĂ©e fixe. ArchĂ©oÂlogue honÂgrois de naisÂsance, natuÂraÂliÂsĂ© briÂtanÂnique, il part en 1900 sur les routes de sables et obtienÂdra au soir de sa vie le sĂ©same dont il avait touÂjours rĂŞvĂ© : avoir enfin l’auÂtoÂriÂsaÂtion de se rendre en AfghaÂnisÂtan, le bout de la route et surÂtout l’exÂtrĂ©ÂmiÂtĂ© orienÂtale de l’empire d’Alexandre le Grand. PasÂsĂ© PeshaÂwar puis arriÂvĂ© Ă Kaboul, il s’éÂteint brusÂqueÂment une semaine plus tard.
ArriÂvĂ© Ă l’oaÂsis de Hotan (ou KhoÂtan) en 1901, dans cette petite oasis chiÂnoise ouĂŻÂghoure (petite oasis de 116 000 habiÂtants tout de mĂŞme) borÂdant le sud du dĂ©sert du TakÂlaÂmaÂkan, il dĂ©couvre de bien Ă©tranges staÂtues dans un pays sans pierre. C’est ce que nous raconte Colin ThuÂbron dans L’ombre de la route de la soie avec une cerÂtaine Ă©moÂtion. (more…)
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Sep 25, 2010 | Passerelle |
Oh oui bien Ă©viÂdemÂment, c’est touÂjours un peu excesÂsif parce que quand on est desÂsous, ou pas loin, c’est touÂjours un peu effrayant et tout de suite, ça devient l’oÂrage du siècle. Sauf que cette fois-ci de l’aÂvis-mĂŞme des spĂ©ÂciaÂlistes, c’éÂtait quand-mĂŞme un peu l’oÂrage du siècle. Huit heures de specÂtacle ininÂterÂromÂpu en bord de mer, le jour en pleine nuit, les oreilles qui bourÂdonnent Ă cause du tonÂnerre, les yeux qui resÂtent ouverts parce qu’on se demande Ă quel moment ça va tomÂber juste Ă cĂ´tĂ©, sur un arbre, et puis les yeux qui se ferment parce qu’on aimeÂrait quand mĂŞme bien dorÂmir borÂdel mais ce ne sera pas pour tout de suite, hein, on va attendre un peu et finaÂleÂment, on s’éÂcroule avec l’éÂpuiÂseÂment et puis l’anÂgoisse, et on se rĂ©veille toutes les dix minutes quand l’oÂrage revient et qu’on comÂprend enfin que c’est vraiÂment pas prĂŞt de s’arÂrĂŞÂter. Au petit matin, on se rĂ©veille avec des poches Ă glace sous les yeux, le regard hagard, le teint pâle et la bouche pâteuse et on ne peut que constaÂter qu’on est touÂjours en vie dans ce payÂsage dĂ©soÂlĂ©, dĂ©sorÂdonÂnĂ©, la moindre aiguille de pin qui n’est plus Ă sa place et tout qui dĂ©gouÂline d’une pluie Ă©paisse, un payÂsage ruisÂseÂlant, une ambiance sous-marine Ă quelques mètres au-desÂsus de la mer.

PhoÂto © AnaĂ«lle Collet
Tout comÂmence après un repas bien arroÂsĂ© par une soiÂrĂ©e chaude, les joues empourÂprĂ©es de la chaÂleur du soleil, si si, et en renÂtrant, je remarque que le ciel s’éÂclaire de temps Ă autre, très subrepÂtiÂceÂment, un lĂ©ger gronÂdeÂment se pointe Ă l’hoÂriÂzon et roule comme une poiÂgnĂ©e de dĂ©s sur la table de craps. Je dĂ©cide malÂgrĂ© l’heure tarÂdive, il est plus d’une heure de la nuit de prendre mon vĂ©lo et d’alÂler voir ça au bord de l’eau parce que ça doit vraiÂment ĂŞtre quelque chose. Je parÂcours Ă toute vitesse la forĂŞt infesÂtĂ©e de mousÂtiques dans le noir le plus total, la dynaÂmo peine Ă suivre et finit par me lâcher en plein milieu du cheÂmin alors je m’arÂrĂŞte pour lui laisÂser le temps et je repars dans la lumière. Deux voiÂtures me croisent Ă toute vitesse et j’éÂvite de jusÂtesse un connard qui tente de m’atÂtraÂper, surÂgi de l’obsÂcuÂriÂtĂ©. J’arÂrive enfin sur la plage batÂtue par le vent dans les oreilles, Ă©puiÂsĂ© d’aÂvoir mouÂliÂnĂ© comme Eddy MerÂckx, et je me rends compte qu’il y a plein de monde sur le sable, des jeunes qui font la fĂŞte Ă grand renÂfort d’alÂcool et de feux de joie, qui batiÂfolent dans les blockÂhaus, mais le vent et l’obsÂcuÂriÂtĂ© proÂjettent un voile entre cette rĂ©aÂliÂtĂ© fugace et la perÂcepÂtion que j’en ai. Je m’asÂsieds sur le sable humide, face Ă un horiÂzon estomÂpĂ© par la houle, qui se fond dans un savant mĂ©lange d’éÂcume et d’esÂsence de nuit. La lune ronde, Ă©claÂtante, m’éÂclaire encore quelques insÂtants avant le grand specÂtacle. (more…)
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Apr 7, 2010 | Livres et carnets, Sur les portulans |
L’aÂvenÂture de ThĂ©oÂdore Monod dans le SahaÂra, celle qui donne naisÂsance au cĂ©lèbre livre MĂ©haÂrĂ©es est avant tout une avenÂture scienÂtiÂfique. En cours de lecÂture, on se rend compte que l’inÂtenÂtion n’est pas d’éÂcrire un traiÂtĂ© sur le dĂ©sert, ni mĂŞme un roman Ă©pique, et encore moins un livre qui serait le tĂ©moin d’une Ă©poque ou d’un exploit. C’est en fait un recueil de notes, une colÂlecÂtion ordonÂnĂ©e d’une Ă©quiÂpĂ©e scienÂtiÂfique dans un des milieux les plus hosÂtiles qui soit sur Terre ; le style en est souÂvent enleÂvĂ©, d’une prĂ©ÂciÂsion et d’une rapiÂdiÂtĂ© absoÂluÂment efficace.
3,11 m x 1,60 m, soit 5m² ; une celÂlule d’aÂnaÂchoÂrète marin, Ă bord du GrimÂsby 877, en aoĂ»t 1923. ParÂtout coquillages, Ă©toiles de mer, bocaux, tubes, flaÂcons, cuvette, tout un bric-Ă -brac ocĂ©aÂnoÂgraÂphique, auquel viennent fraÂterÂnelÂleÂment se mĂŞler, aux coups de rouÂlis, quand on vient en traÂvers pour filer ou virer le chaÂlut, des livres mouillĂ©s, des papeÂrasses gluantes, de l’eau de mer sale et des bottes en caoutchouc.

Canyon du TasÂsiÂli — PhoÂto © Josef Giral
Avec un lanÂgage d’une parÂfaite clarÂtĂ©, il dĂ©peint ces payÂsages forÂmant son quoÂtiÂdien, avec une cerÂtaine poĂ©Âsie confiÂnant au mysÂtiÂcisme. Ses desÂcripÂtions sont poiÂgnantes et plongent au cĹ“ur de ce milieu Ă©tonÂnant qui contraiÂreÂment aux idĂ©es reçues n’est pas fait que de sables et n’est pas touÂjours Ă©craÂsĂ© par la chaÂleur implaÂcable d’un soleil au zĂ©nith.
Sinistre pays. Le preÂmier arbre — un petit acaÂcia — est Ă quaÂrante-cinq kiloÂmètres d’iÂci. La terre netÂtoyĂ©e, dĂ©charÂnĂ©e jusÂqu’à l’os, pulÂvĂ©ÂriÂsĂ©e au souffle des siècles, est morte. Le vent, qui siffle sur les dunes couÂronÂnĂ©es d’une lĂ©gère buĂ©e de pousÂsière, chante un cycle rĂ©voÂlu et le repos dĂ©fiÂniÂtif d’un sol qui ne connaĂ®Âtra plus la pluie.
Mais lorsque le soleil est lĂ , il est l’élĂ©Âment domiÂnant, verÂsant sans consisÂtance face Ă l’autre proÂblĂ©ÂmaÂtique de la vie dans le dĂ©sert ; le besoin d’eau. On en transÂpiÂreÂrait presque Ă l’autre bout des pages.…
Au milieu du jour, la fourÂnaise flamÂboie ; le ciel est tout dĂ©coÂloÂrĂ© tant il est lumiÂneux ; la chaÂleur, torÂride, s’aÂbat d’un soleil verÂtiÂcal en nappes brĂ»Âlantes ; elle monte du sable incanÂdesÂcent et des pierÂrailles surÂchaufÂfĂ©es. ImposÂsible alors de poser le pied nu par terre, quand le sol peut atteindre 80°C. Ma ganÂdouÂra sent le brĂ»ÂlĂ©, le linge oĂą vient de se proÂmeÂner le fer de la repasÂseuse. Nulle ombre sur l’hoÂriÂzon, invaÂriaÂbleÂment plat et monoÂtone, oĂą l’air chaud palÂpite et oĂą le mirage Ă©tale les flaques d’imÂposÂsibles et dĂ©ceÂvantes lagunes.

SahaÂra — PhoÂto © LOPE
SurÂtout, malÂgrĂ© une rĂ©puÂtaÂtion d’homme ausÂtère et peu cauÂsant, l’arÂchĂ©Âtype imbĂ©Âcile du proÂtesÂtant aride, il nous appaÂraĂ®t au traÂvers de son texte suaÂveÂment drĂ´le et cabot, un tanÂtiÂnet sarÂcasÂtique, mais touÂjours d’un esprit d’à -proÂpos très bien amenĂ©.
Pas de lit, bien entenÂdu. C’est un engin d’air non agiÂtĂ© — celui de la chambre, ou de la tente — pas de plein vent. Je sais qu’il existe des lits pliants, dits de camp (“Modèle renÂforÂcĂ© pour les ExploÂraÂteurs”, spĂ©ÂciÂfie le cataÂlogue), mais ce sont de pauvres ferÂrailles : a‑t-on idĂ©e d’une affaire comme ça dresÂsĂ©e sur un reg ?
Cas spĂ©Âciaux : 1. Le sol inonÂdĂ© ? C’est bien rare et le lit-escaÂlade, voire le lit flotÂtant, ne sont pas d’uÂsage couÂrant. 2. Le cram-cram ? Oui Ă l’ocÂcaÂsion, mais alors, ce n’est plus vraiÂment le SahaÂra. 3. Les bĂŞtes ? — Quelles bĂŞtes ? — Mais les “mĂ©chantes” (sic). — Inutile, depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et qui dorment, ils le font au SahaÂra, Ă mĂŞme le sol. Nous ferons comme eux.
Dans le sable, c’est dĂ©liÂcieux, bien que la matière ne soit nulÂleÂment comÂpresÂsible et qu’il faille prĂ©Âvoir le logeÂment de la tĂŞte du fĂ©mur et de la tĂŞte iliaque. Dans le reg dur, ou dans les cailloux, c’est parÂfois moins voluptueux.

Dans ce livre, les rĂ©fĂ©Ârences bibliques sont lĂ©gions, comme autant de points d’orgues venant apporÂtant un Ă©claiÂrage nouÂveau Ă l’exÂpĂ©ÂdiÂtion scienÂtiÂfique de la mĂ©haÂrĂ©e, et colorent le texte d’inÂforÂmaÂtions qui se tĂ©lesÂcopent avec la rĂ©aÂliÂtĂ©. Ça donÂneÂrait presque envie de plonÂger dans l’AnÂcien Testament.
L’AhÂmet est chaud en Ă©tĂ©. Il est ausÂsi aĂ©rĂ©. Vents de sable, re-vents de sable, re-re-vents de sable et ainÂsi de suite. Cela manque dĂ©ciÂdĂ©Âment de fanÂtaiÂsie : un vent de sucre en poudre, d’éÂcailles de harengs, de pĂ©pins de corÂniÂchons, Ă la bonne heure, mais touÂjours et seuleÂment de grains de quartz Ă la longue, cela se fait monotone.
Fin du monde ou dĂ©but ? Genèse ou ApoÂcaÂlypse ? La terre, radeau ivre, plonge dans un chaos dĂ©colorĂ©.
De l’éÂruÂdiÂtion Ă en perdre la tĂŞte, et de l’huÂmour, toujours…
[…] Je viens de dĂ©couÂvrir dans la falaise une vaste grotte aux parois abonÂdamÂment illusÂtrĂ©es par des artistes prĂ©ÂhisÂtoÂriques ; des silÂhouettes d’aÂniÂmaux, des corps fĂ©miÂnins stĂ©aÂtoÂpyges, comme disent les ethÂnoÂlogues, ou, pour parÂler avec Jean TemÂpoÂral, “ayant les parÂties du derÂrière pleines et moufflètes” […]
Si le livre de Monod est une ode Ă la joie du dĂ©sert nĂ© d’un fort esprit scienÂtiÂfique, c’est avant tout un livre qui rĂ©haÂbiÂlite les longues Ă©tenÂdues de sable et cherche Ă balayer les prĂ©ÂjuÂgĂ©s. S’il trouve des coproÂlithes de croÂcoÂdiles et des hameÂçons dans les amas de ruines de cerÂtains oueds, c’est pour prouÂver que la constiÂtuÂtion gĂ©oÂloÂgique de l’enÂdroit a un jour Ă©tĂ© quaÂsiÂment idenÂtique Ă cerÂtains lieux euroÂpĂ©ens. S’il parle du sel en grande quanÂtiÂtĂ© que l’on trouve sur cerÂtaines plaines, c’est pour mieux rĂ©fuÂter l’iÂdĂ©e que le SahaÂra a un jour Ă©tĂ© une mer et rapÂpeÂler que c’est le sel qui va Ă la mer et non la mer qui apporte le sel. Enfin, il dit que le dĂ©sert n’est pas touÂjours chaud, que le sable gèle et que ses pieds prennent l’onÂglĂ©e et ses talons se creÂvassent sous l’efÂfet du froid… On y apprend Ă©gaÂleÂment, que les noyades dans le dĂ©sert ne sont pas choses rares car les pluies y sont vioÂlentes que les rares ravines ont tĂ´t fait de se transÂforÂmer en lit de torÂrents. Les sales bĂŞtes ? Rares sont ceux qui meurent de morÂsures de serÂpent ou de piqĂ»res de scorpion.
Au-delĂ de l’aÂnecÂdote, la thĂ©ÂmaÂtique qui souÂtient souÂvent le texte, c’est la seule chose avec laquelle il faut compÂter, c’est l’eau. L’eau, source de vie, Ă©lĂ©Âment indisÂpenÂsable, objet de tous les comÂbats, mais ausÂsi souÂvent source de mort. Les puits sont souÂvent faits d’eau sale, crouÂpie, souillĂ©e, affuÂblĂ©e de nombre de quaÂliÂfiÂcaÂtifs ausÂsi bigarÂrĂ©s que plaiÂsant, c’est sans parÂler de l’eau “piquante”, “pourÂrie”, des puits souillĂ©s par les dĂ©jecÂtions aniÂmales, quand ce n’est pas carÂrĂ©Âment de cadavres.
MĂ©haÂrĂ©es, un grand livre qu’il faut prendre le temps de lire Ă l’ombre d’un palÂmier, sur le sable chaud, ou froid, selon l’enÂvie du moment…
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