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Pre­mier séjour à Tigilit

Pre­mier séjour à Tigilit

Texte sur­gi du pas­sé, qu’il faut se remémorer…

Smara

Pho­to © Ele­le­ku
Siro­co al cam­pa­ment sah­raui d’Smara

Rachat des jours invertébrés…
EntrĂ© dans l’action, dans le cercle… dans l’acte mĂŞme oĂą tout est pur.
Me voi­ci, l’ignorant, dans ces lentes années molles, bouillon­nant tour­men­té, me voi­ci entré là où tout (le mou­ve­ment, l’arrêt qui n’est pas inutile, la bête immo­bi­li­té sous un voile bleu, l’insipide vie entre quatre murs, les écor­chures des pieds, la nour­ri­ture prise où le cha­meau a bu – où les femmes ont rin­cé leurs mains, – la barbe la plus longue, le petit fait de se raser – de ne pas –, la sur­veillance méti­cu­leuse de la langue, de l’estomac, le soin aux orteils, les mous­tiques, les éner­ve­ments quand moqué des femmes), où tout comme dans un orga­nisme prêt la nour­ri­ture non choi­sie nour­rit, amé­liore ; où tout m’est une nour­ri­ture comme jamais absor­bée ; où chaque jour m’alourdit, nous alour­dit. Car la joie est double. Sou­dés par la même volon­té , la même éner­gie – ces mul­tiples forces d’or me trans­fi­gurent, mon frère. Cou­rant que, par­ti de notre mutuel acte de volon­té, je cherche, dans une course vers le but, à main­te­nir et à trans­for­mer de l’encore pré­caire jusqu’au définitif.
Car c’est toi qu’il faut atteindre, le lieu qui, fou­lĂ©, donne aux pas qui ont Ă©tĂ© vers lui une durable valeur. Toi seul confères Ă  l’effort parce que nous pou­vons impri­mer notre nom dans ton sol, son auto­ri­tĂ©, son galbe dĂ©fi­ni­tif, le fais pas­ser de l’informe encore Ă  la forme, belle pour cha­cun. Non plus masse riche de ceci et cela – Dra, El Akh­sas et mes notes – mais un nom seul qui rĂ©sume, suf­fi­sant Ă  lui-mĂŞme, fait pour pas­ser dans la bouche et l’oreille des hommes, Sma­ra.

Michel Vieu­change,
Sma­ra, car­nets de route d’un fou du dĂ©sert

Étrange texte de Michel Vieu­change, l’ange blond du dĂ©sert dĂ©gui­sĂ© en bĂ©douine pour tra­ver­ser les immen­si­tĂ©s de sable avec les hommes dres­sĂ©s sur leurs cha­meaux, rem­plis­sant ses car­nets de notes de manière lapi­daires Ă  chaque heure du jour et de la nuit, par­mi la ver­mine qui hante sa couche ou fié­vreux en plein soleil de midi dans les val­lĂ©es pier­reuses. Un texte frag­men­tĂ© comme autant de pierres sèches jalon­nant sa route, des petites phrases par­fois sans verbe, par­fois juste deux mots sans sujet, texte dĂ©per­son­na­li­sĂ© Ă  l’extrĂŞme mal­grĂ© l’expĂ©rience per­son­nelle for­cé­ment pré­sente, ces quelques lignes cer­tai­ne­ment Ă©crites dans un moment de fer­veur lyrique que la soli­tude du dĂ©sert ne peut que for­te­ment inci­ter sont au beau milieu de son texte comme une borne en plein cĹ“ur de sa route. Tan­dis que je me sens secouĂ© par une nou­velle envie de lire le fabu­leux livre de Paul Bowles, un thĂ© au Saha­ra (The Shel­te­ring Sky), que j’ai pour­tant ache­vĂ© de lire au dĂ©but de cette annĂ©e, la lec­ture de Sma­ra est faire pour durer sur la lon­gueur, j’y remets les pieds quelques fois, parce que l’intrigue est lĂ©gère, on sait que Vieu­change est en route pour Sma­ra (سمارة), il n’est pas encore arri­vĂ©, che­mine vers la citĂ© mythique dont je ne sais encore rien – je fais durer, durer encore et je me rĂ©serve le droit Ă  l’ignorance –, alors je prends mon temps pour faire durer le plai­sir, au mĂŞme titre que l’Usage du Monde de Nico­las Bou­vier est un livre qui nĂ©ces­site qu’on res­pecte d’autant plus le texte qu’on sait qu’il a Ă©tĂ© Ă©crit de longues annĂ©es après le voyage, dans la dou­leur extrĂŞme de l’accouchement, après que des pans entiers du manus­crit aient Ă©tĂ© jetĂ©s Ă  la pou­belle par un domes­tique peu scru­pu­leux, per­dus Ă  jamais dans les strates d’une dĂ©charge afghane.

Rachat des jours inver­té­brĂ©s… Quelle for­mule sur­gie du nĂ©ant ! C’est le dĂ©sert qui fait dire ça, et quelle idĂ©e de s’enfoncer ain­si dans le Maroc inter­dit, l’homme blond aux yeux bleus – vieille super­sti­tion – sous la djel­la­ba blanche cachant des atours fĂ©mi­nins qui n’existent pas et gar­dant près de lui appa­reil pho­to et car­nets de notes, une petite phar­ma­cie et quelques objets per­son­nels. Comme de longues jour­nĂ©es sans forme au milieu de nulle part, la pure Ă©tran­ge­tĂ© de l’homme dans l’écosystème le plus hos­tile qui soit, la plus pure incon­grui­tĂ© au beau milieu des rochers et des scor­pions. A mille lieues de Loti tra­ver­sant le dĂ©sert ara­bique avec sa cohorte de gardes qu’il rince Ă  grand coups de pièces d’argent. Texte somp­tueux et dĂ©char­nĂ©, mĂ©tĂ©o­rique comme l’ont appe­lĂ© cer­tains comme ThĂ©o­dore Monod et Paul Clau­del qui en a Ă©crit la pré­face – Paul Bowles, lui, a Ă©crit la pré­face du texte tra­duit en anglais et dit de cette Ă©po­pĂ©e que c’est un « pèle­ri­nage mons­trueux au pays de Nulle Part ». Texte âpre et violent Ă  l’extrĂŞme, autant pour celui qui l’a Ă©crit que pour la langue elle-mĂŞme. Le lec­teur Ă  son tour ne peut en sor­tir indemne.

Smara

Pho­to © Ele­le­ku
Siro­co al cam­pa­ment sah­raui d’Smara

Pho­to d’en-tête © Rémi Bri­dot

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Un beau roman liba­nais : Cara­van­sé­rail de Cha­rif Majdalani

Voi­ci une des plus belles lec­tures qui m’ait été don­né de dévo­rer ces der­niers temps. On vous pro­met un récit digne des mille et une nuits et on se retrouve dans un récit de voyage fan­tasque aux cou­leurs de l’o­rient magique et incer­tain, à mi-che­min entre les errances de T.E. Law­rence et les récits lan­gou­reux de Paul Bowles dans un décor irréel de vent et de sable, dans un monde d’hier qui n’existe plus et qu’on ne pour­ra retrou­ver. On retrou­ve­ra les figures mythiques de Fay­çal et de Law­rence au beau milieu du désert, mais aus­si des his­toires de pierres fan­tômes et de sta­tues cachées.

On repart donc tan­dis que, de leur cĂ´tĂ©, Samuel et ses vingt-cinq guer­riers, depuis l’oa­sis de Badr, galopent en direc­tion du levant. Au bout de trois jours, le doute s’ins­talle en eux, ils s’ar­rĂŞtent, tournent en rond et se mettent Ă  explo­rer les diverses pistes qui s’offrent, celle de Mous­bat, puis celle de Bir Fou­ra­wia, et aus­si celle qui relie Gimr Ă  Tei­ga jus­qu’à ce que, un après-midi un groupe de cava­lier reçoive en pleine rĂ©tine l’é­clat de soleil ren­voyĂ© par un sin­gu­lier tes­son et dĂ©couvre, au croi­se­ment des pistes de Qum­qum et de Dar Tama, le miroir de bronze posĂ© contre un aca­cia. Son tain de plus en plus glauque est encore capable de reflé­ter la piste dĂ©serte, les bos­quets verts et pous­sié­reux — et peut-ĂŞtre a‑t-il aus­si reflé­tĂ© durant les jour­nĂ©es pré­cé­dentes l’i­mage des gazelles pas­sant au galop, de hyènes lentes et fure­teuses et d’au­truches guin­dĂ©es. Après cette dĂ©cou­verte, Samuel et sa troupe n’ont plus qu’à pous­ser un peu vers le sud le long de cette piste et voi­lĂ  qu’ap­pa­raĂ®t, cou­ron­nant un bos­quet de genĂŞts sau­vages, l’une des portes sculp­tĂ©es du palais Abyad, puis, Ă  une jour­nĂ©e de marche, une par­tie de la fon­taine au dĂ©cor mau­resque vert et tur­quoise, aban­don­nĂ©e sous un bao­bab. « Il s’est pas­sĂ© quelque chose Â» a dĂ©cla­rĂ© Samuel. Lorsque se suc­cèdent, toutes les demi-jour­nĂ©es, les pierres de taille numé­ro 105 (« salle d’ap­pa­rat »), puis numé­ro 72 (« appui de fenĂŞtre divan des femmes »), puis 42 (« sou­bas­se­ment mur gale­rie »), il com­prend la rai­son qui a pu pous­ser Cha­fic Ă  rĂ©agir ain­si et presse le pas, pas­sant dĂ©sor­mais sans mĂŞme s’ar­rê­ter devant les mor­ceaux de plus en plus riches balan­cĂ©s dans la savane comme de vieux chif­fons, et il rejoint la cara­vane au moment oĂą elle vient de reprendre la route après les conci­lia­bules et les disputes.

Ethereality of Eternity

Pho­to © Hamed Saber

Samuel, un Liba­nais raf­fi­né pris dans les tour­ments de la guerre, erre dans le désert et ren­contre une cara­vane dont le char­ge­ment et la des­ti­na­tion sont autant de fan­tai­sies pour la rai­son dans cet uni­vers inhos­pi­ta­lier. Celui qui mène cette cara­vane a démon­té un palais pièce par pièce pour aller le vendre aux tri­bus nomades du désert… autant dire que le pari est per­du d’a­vance. C’est cette his­toire colo­rée, tru­cu­lente et sen­suelle que nous raconte Maj­da­la­ni avec un verbe rapide et enro­bé, plein d’hu­mour et de sensualité.

Il croit être sûr de son effet, mais Samuel le regarde dans les yeux en fai­sant remar­quer que déci­dé­ment, dans cette par­tie du désert, tout le monde connaît d’Ar­gès, tout le monde l’a aidé et tout le monde a fini par le tra­hir. Et voi­là Zeid qui éclate de rire, et qui clame que ça c’est sûr, que Dar­jis a été très res­pec­té dans ces régions, que les chefs étaient à ses ordres, que par­tout les che­mins et les oasis sont mar­qués de sa pré­sence, que son nom est gra­vé sur bien des rochers et bien des troncs de pal­miers, que les sculp­teurs de l’an­cien temps ont sculp­té son por­trait et frap­pé les pièces d’or à son effi­gie sans le savoir et que le désert l’aime tant que si, dans un endroit où il y a de l’é­cho on crie n’im­porte quel mot, l’é­cho ren­voie le nom de Dar­jis (et il pro­nonce lui aus­si le mot en accen­tuant for­te­ment la der­nière syl­labe). Samuel, ce fils des vieux poètes de la mon­tagne liba­naise, se dit que voi­là sans doute la plus belle ode amou­reuse que l’on ait pro­non­cé dans ces contrées depuis long­temps, et il regarde Zeid avec une admi­ra­tion cer­taine. Mais il n’en laisse rien paraître.

Cara­van­sé­rail, Cha­rif Majdalani
Edi­tions Seuil
Col­lec­tion Points Grands Romans

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Aurel Stein, les sta­tues de pous­sière de l’oa­sis de Hotan et les cher­cheurs de Jade

Ruines des grottes aux mille Boud­dhas de Bezeklik

Aurel Stein est un per­son­nage tout Ă  fait fas­ci­nant, qui n’au­ra eu de cesse d’ar­pen­ter le monde sur les traces de Mar­co Polo et de la Route de la soie ; il n’y a qu’à lire son Ă©ton­nant par­cours pour voir Ă  quel point cela res­tait chez lui une idĂ©e fixe. ArchĂ©o­logue hon­grois de nais­sance, natu­ra­li­sĂ© bri­tan­nique, il part en 1900 sur les routes de sables et obtien­dra au soir de sa vie le sĂ©same dont il avait tou­jours rĂŞvĂ© : avoir enfin l’au­to­ri­sa­tion de se rendre en Afgha­nis­tan, le bout de la route et sur­tout l’ex­tré­mi­tĂ© orien­tale de l’empire d’Alexandre le Grand. Pas­sĂ© Pesha­war puis arri­vĂ© Ă  Kaboul, il s’é­teint brus­que­ment une semaine plus tard.

Arri­vé à l’oa­sis de Hotan (ou Kho­tan) en 1901, dans cette petite oasis chi­noise ouï­ghoure (petite oasis de 116 000 habi­tants tout de même) bor­dant le sud du désert du Tak­la­ma­kan, il découvre de bien étranges sta­tues dans un pays sans pierre. C’est ce que nous raconte Colin Thu­bron dans L’ombre de la route de la soie avec une cer­taine émo­tion. (more…)

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L’o­rage du siècle

Oh oui bien Ă©vi­dem­ment, c’est tou­jours un peu exces­sif parce que quand on est des­sous, ou pas loin, c’est tou­jours un peu effrayant et tout de suite, ça devient l’o­rage du siècle. Sauf que cette fois-ci de l’a­vis-mĂŞme des spé­cia­listes, c’é­tait quand-mĂŞme un peu l’o­rage du siècle. Huit heures de spec­tacle inin­ter­rom­pu en bord de mer, le jour en pleine nuit, les oreilles qui bour­donnent Ă  cause du ton­nerre, les yeux qui res­tent ouverts parce qu’on se demande Ă  quel moment ça va tom­ber juste Ă  cĂ´tĂ©, sur un arbre, et puis les yeux qui se ferment parce qu’on aime­rait quand mĂŞme bien dor­mir bor­del mais ce ne sera pas pour tout de suite, hein, on va attendre un peu et fina­le­ment, on s’é­croule avec l’é­pui­se­ment et puis l’an­goisse, et on se rĂ©veille toutes les dix minutes quand l’o­rage revient et qu’on com­prend enfin que c’est vrai­ment pas prĂŞt de s’ar­rê­ter. Au petit matin, on se rĂ©veille avec des poches Ă  glace sous les yeux, le regard hagard, le teint pâle et la bouche pâteuse et on ne peut que consta­ter qu’on est tou­jours en vie dans ce pay­sage dĂ©so­lĂ©, dĂ©sor­don­nĂ©, la moindre aiguille de pin qui n’est plus Ă  sa place et tout qui dĂ©gou­line d’une pluie Ă©paisse, un pay­sage ruis­se­lant, une ambiance sous-marine Ă  quelques mètres au-des­sus de la mer.

Orage

Pho­to © Anaëlle Collet

Tout com­mence après un repas bien arro­sé par une soi­rée chaude, les joues empour­prées de la cha­leur du soleil, si si, et en ren­trant, je remarque que le ciel s’é­claire de temps à autre, très subrep­ti­ce­ment, un léger gron­de­ment se pointe à l’ho­ri­zon et roule comme une poi­gnée de dés sur la table de craps. Je décide mal­gré l’heure tar­dive, il est plus d’une heure de la nuit de prendre mon vélo et d’al­ler voir ça au bord de l’eau parce que ça doit vrai­ment être quelque chose. Je par­cours à toute vitesse la forêt infes­tée de mous­tiques dans le noir le plus total, la dyna­mo peine à suivre et finit par me lâcher en plein milieu du che­min alors je m’ar­rête pour lui lais­ser le temps et je repars dans la lumière. Deux voi­tures me croisent à toute vitesse et j’é­vite de jus­tesse un connard qui tente de m’at­tra­per, sur­gi de l’obs­cu­ri­té. J’ar­rive enfin sur la plage bat­tue par le vent dans les oreilles, épui­sé d’a­voir mou­li­né comme Eddy Mer­ckx, et je me rends compte qu’il y a plein de monde sur le sable, des jeunes qui font la fête à grand ren­fort d’al­cool et de feux de joie, qui bati­folent dans les block­haus, mais le vent et l’obs­cu­ri­té pro­jettent un voile entre cette réa­li­té fugace et la per­cep­tion que j’en ai. Je m’as­sieds sur le sable humide, face à un hori­zon estom­pé par la houle, qui se fond dans un savant mélange d’é­cume et d’es­sence de nuit. La lune ronde, écla­tante, m’é­claire encore quelques ins­tants avant le grand spec­tacle. (more…)

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Les méha­rées de vieux Théodore

L’a­ven­ture de Théo­dore Monod dans le Saha­ra, celle qui donne nais­sance au célèbre livre Méha­rées est avant tout une aven­ture scien­ti­fique. En cours de lec­ture, on se rend compte que l’in­ten­tion n’est pas d’é­crire un trai­té sur le désert, ni même un roman épique, et encore moins un livre qui serait le témoin d’une époque ou d’un exploit. C’est en fait un recueil de notes, une col­lec­tion ordon­née d’une équi­pée scien­ti­fique dans un des milieux les plus hos­tiles qui soit sur Terre ; le style en est sou­vent enle­vé, d’une pré­ci­sion et d’une rapi­di­té abso­lu­ment efficace.

3,11 m x 1,60 m, soit 5m² ; une cel­lule d’a­na­cho­rète marin, à bord du Grim­sby 877, en août 1923. Par­tout coquillages, étoiles de mer, bocaux, tubes, fla­cons, cuvette, tout un bric-à-brac océa­no­gra­phique, auquel viennent fra­ter­nel­le­ment se mêler, aux coups de rou­lis, quand on vient en tra­vers pour filer ou virer le cha­lut, des livres mouillés, des pape­rasses gluantes, de l’eau de mer sale et des bottes en caoutchouc.

Canyon du Tas­si­li — Pho­to © Josef Giral

Avec un lan­gage d’une par­faite clar­té, il dépeint ces pay­sages for­mant son quo­ti­dien, avec une cer­taine poé­sie confi­nant au mys­ti­cisme. Ses des­crip­tions sont poi­gnantes et plongent au cœur de ce milieu éton­nant qui contrai­re­ment aux idées reçues n’est pas fait que de sables et n’est pas tou­jours écra­sé par la cha­leur impla­cable d’un soleil au zénith.

Sinistre pays. Le pre­mier arbre — un petit aca­cia — est Ă  qua­rante-cinq kilo­mètres d’i­ci. La terre net­toyĂ©e, dĂ©char­nĂ©e jus­qu’à l’os, pul­vé­ri­sĂ©e au souffle des siècles, est morte. Le vent, qui siffle sur les dunes cou­ron­nĂ©es d’une lĂ©gère buĂ©e de pous­sière, chante un cycle rĂ©vo­lu et le repos dĂ©fi­ni­tif d’un sol qui ne connaî­tra plus la pluie.

Mais lorsque le soleil est lĂ , il est l’élé­ment domi­nant, ver­sant sans consis­tance face Ă  l’autre pro­blé­ma­tique de la vie dans le dĂ©sert ; le besoin d’eau. On en trans­pi­re­rait presque Ă  l’autre bout des pages.…

Au milieu du jour, la four­naise flam­boie ; le ciel est tout déco­lo­ré tant il est lumi­neux ; la cha­leur, tor­ride, s’a­bat d’un soleil ver­ti­cal en nappes brû­lantes ; elle monte du sable incan­des­cent et des pier­railles sur­chauf­fées. Impos­sible alors de poser le pied nu par terre, quand le sol peut atteindre 80°C. Ma gan­dou­ra sent le brû­lé, le linge où vient de se pro­me­ner le fer de la repas­seuse. Nulle ombre sur l’ho­ri­zon, inva­ria­ble­ment plat et mono­tone, où l’air chaud pal­pite et où le mirage étale les flaques d’im­pos­sibles et déce­vantes lagunes.

Saha­ra — Pho­to © LOPE

Sur­tout, mal­grĂ© une rĂ©pu­ta­tion d’homme aus­tère et peu cau­sant, l’ar­ché­type imbé­cile du pro­tes­tant aride, il nous appa­raĂ®t au tra­vers de son texte sua­ve­ment drĂ´le et cabot, un tan­ti­net sar­cas­tique, mais tou­jours d’un esprit d’à-pro­pos très bien amenĂ©.

Pas de lit, bien enten­du. C’est un engin d’air non agi­tĂ© — celui de la chambre, ou de la tente — pas de plein vent. Je sais qu’il existe des lits pliants, dits de camp (“Modèle ren­for­cĂ© pour les Explo­ra­teurs”, spé­ci­fie le cata­logue), mais ce sont de pauvres fer­railles : a‑t-on idĂ©e d’une affaire comme ça dres­sĂ©e sur un reg ?
Cas spé­ciaux : 1. Le sol inon­dĂ© ? C’est bien rare et le lit-esca­lade, voire le lit flot­tant, ne sont pas d’u­sage cou­rant. 2. Le cram-cram ? Oui Ă  l’oc­ca­sion, mais alors, ce n’est plus vrai­ment le Saha­ra. 3. Les bĂŞtes ? — Quelles bĂŞtes ? — Mais les “mĂ©chantes” (sic). — Inutile, depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et qui dorment, ils le font au Saha­ra, Ă  mĂŞme le sol. Nous ferons comme eux.
Dans le sable, c’est dĂ©li­cieux,  bien que la matière ne soit nul­le­ment com­pres­sible et qu’il faille pré­voir le loge­ment de la tĂŞte du fĂ©mur et de la tĂŞte iliaque. Dans le reg dur, ou dans les cailloux, c’est par­fois moins voluptueux.

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Dans ce livre, les réfé­rences bibliques sont légions, comme autant de points d’orgues venant appor­tant un éclai­rage nou­veau à l’ex­pé­di­tion scien­ti­fique de la méha­rée, et colorent le texte d’in­for­ma­tions qui se téles­copent avec la réa­li­té. Ça don­ne­rait presque envie de plon­ger dans l’An­cien Testament.

L’Ah­met est chaud en été. Il est aus­si aéré. Vents de sable, re-vents de sable, re-re-vents de sable et ain­si de suite. Cela manque déci­dé­ment de fan­tai­sie : un vent de sucre en poudre, d’é­cailles de harengs, de pépins de cor­ni­chons, à la bonne heure, mais tou­jours et seule­ment de grains de quartz à la longue, cela se fait monotone.
Fin du monde ou début ? Genèse ou Apo­ca­lypse ? La terre, radeau ivre, plonge dans un chaos décoloré.

De l’é­ru­di­tion à en perdre la tête, et de l’hu­mour, toujours…

[…] Je viens de dĂ©cou­vrir dans la falaise une vaste grotte aux parois abon­dam­ment illus­trĂ©es par des artistes pré­his­to­riques ; des sil­houettes d’a­ni­maux, des corps fĂ©mi­nins stĂ©a­to­pyges, comme disent les eth­no­logues, ou, pour par­ler avec Jean Tem­po­ral, “ayant les par­ties du der­rière pleines et moufflètes” […]

Si le livre de Monod est une ode à la joie du désert né d’un fort esprit scien­ti­fique, c’est avant tout un livre qui réha­bi­lite les longues éten­dues de sable et cherche à balayer les pré­ju­gés. S’il trouve des copro­lithes de cro­co­diles et des hame­çons dans les amas de ruines de cer­tains oueds, c’est pour prou­ver que la consti­tu­tion géo­lo­gique de l’en­droit a un jour été qua­si­ment iden­tique à cer­tains lieux euro­péens. S’il parle du sel en grande quan­ti­té que l’on trouve sur cer­taines plaines, c’est pour mieux réfu­ter l’i­dée que le Saha­ra a un jour été une mer et rap­pe­ler que c’est le sel qui va à la mer et non la mer qui apporte le sel. Enfin, il dit que le désert n’est pas tou­jours chaud, que le sable gèle et que ses pieds prennent l’on­glée et ses talons se cre­vassent sous l’ef­fet du froid… On y apprend éga­le­ment, que les noyades dans le désert ne sont pas choses rares car les pluies y sont vio­lentes que les rares ravines ont tôt fait de se trans­for­mer en lit de tor­rents. Les sales bêtes ? Rares sont ceux qui meurent de mor­sures de ser­pent ou de piqûres de scorpion.
Au-delà de l’a­nec­dote, la thé­ma­tique qui sou­tient sou­vent le texte, c’est la seule chose avec laquelle il faut comp­ter, c’est l’eau. L’eau, source de vie, élé­ment indis­pen­sable, objet de tous les com­bats, mais aus­si sou­vent source de mort. Les puits sont sou­vent faits d’eau sale, crou­pie, souillée, affu­blée de nombre de qua­li­fi­ca­tifs aus­si bigar­rés que plai­sant, c’est sans par­ler de l’eau “piquante”, “pour­rie”, des puits souillés par les déjec­tions ani­males, quand ce n’est pas car­ré­ment de cadavres.

Méha­rées, un grand livre qu’il faut prendre le temps de lire à l’ombre d’un pal­mier, sur le sable chaud, ou froid, selon l’en­vie du moment…

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