Jan 3, 2016 | Sur les portulans |
L’histoire des reliques du Bouddha du stūpa de Piprahwa est une histoire folle à laquelle on a du mal à apporter du crédit, mais tout y est authentique malgré une accumulation de faits absolument improbables.
Tout commence dans la banlieue de Londres, dans une petite maison modeste d’un quartier tout aussi modeste, à la porte de laquelle on trouve une inscription dans une langue qu’on ne parle qu’à des milliers de kilomètres de là, dans ce qui reste des Indes… Sous un escalier, une boîte en bois, une cantine militaire en réalité, une vieille cantine provenant d’un héritage… Ce n’est pas l’histoire d’Harry Potter, mais ça commence presque pareil. L’homme qui garde ce trésor s’appelle Neil Peppé (même le nom de cet homme est improbable…), il est le petit-fils d’un certain William Claxton Peppé, un ingénieur et régisseur britannique vivant aux Indes, dans l’actuelle province de l’Uttar Pradesh (उत्तर प्रदेश), à la suite de son père et de son grand-père qui a fait construire la demeure familiale de Birdpore (actuelle Birdpur), un minuscule état créé par le Gouvernement Britannique.

Neil Peppé avec les joyaux trouvés par son grand-père dans le stupa de Piprahwa

Charles Allen examinant les joyaux de Piprahwa
Dans cette cantine, des photos de son grand-père, mais ce n’est pas réellement cela qui nous intéresse. Dans cette petite maison se trouve en réalité un trésor inestimable ; certainement un des plus petits musées du monde abrite, enchâssés dans de petits cadres vitrés, des perles, des fleurs en or, des restes de joyaux disséminés, des verroteries, de petites fleurs taillées dans des morceaux de pierres semi-précieuses, le tout provenant d’une excavation réalisées par le grand-père de Neil en 1897 dans le stūpa de Piprahwa, à quelques kilomètres de Birdpore. L’homme, qui n’est pas exactement archéologue, décide avec quelques uns de ses ouvriers, de percer un tumulus isolé en son point le plus haut. Ce qu’il découvre là, c’est une construction en pierre qui se révèle être un stūpa, ce qui était bien son intuition première. Après avoir dégagé les pierres de la construction, il tombe sur ce qui ressemble à un caveau, dans lequel il trouve un sarcophage qu’il se décide à ouvrir. Son intuition, la même que celle qui l’a poussé à entreprendre ces travaux, lui dit qu’il est en présence d’un trésor fabuleux. Dans le cercueil de pierre, il trouve cinq petits vases, cinq urnes comme on en trouve d’ordinaire dans la liturgie hindouiste, cinq objets façonnés modestement, et disséminées tout autour de ces objets, les perles et les verroteries que Neil exhibe fièrement dans ses cadres en verre. Il trouve également de la poussière dans laquelle sont éparpillés des morceaux d’os. Étrange découverte.

Stupa de Piprahwa

Reliques de Bouddha trouvées dans le stupa de Piprahwa
William Claxton Peppé est persuadé d’avoir trouvé un vrai trésor et pour se faire confirmer sa découverte, il décide d’en informer deux archéologues travaillant à une trentaine de kilomètres de là. Le premier, Alois Anton Führer, se déplace immédiatement après avoir posé une question à Peppé. Ce qu’on ne sait pas encore, c’est que Führer, cet Allemand travaillant à la solde du Gouvernement Britannique, est en réalité tout sauf archéologue. Même s’il a découvert de nombreux sites d’importance, c’est en réalité un escroc qui a falsifié certaines pièces ayant moins d’intérêt qu’elle n’en avaient après son passage. Si Führer se décide à se déplacer si rapidement, c’est parce qu’il a demandé à Peppé s’il y avait une inscription sur un des objets. Peppé ne s’était même pas posé la question, mais il remarque alors qu’un des petits vases porte une inscription dans une langue qu’il ne connaît pas. Il en reproduit fidèlement l’inscription. S’ensuit alors une période trouble pendant laquelle on accuse Führer d’avoir lui-même écrit sur le vase et d’avoir falsifié une fois de plus ces pièces. Mais l’homme est un piètre sanskritiste et l’inscription est suffisamment ancienne pour que l’homme ne connaisse pas cette langue. L’inscription est un peu maladroite, son auteur n’a pas eu assez de place pour tout noter et une partie de la phrase continue en tournant sur le haut de la ligne. Il y est dit : « Ce reliquaire contenant les reliques de l’auguste Bouddha (est un don) des frères Sakya-Sukiti, associés à leurs sœurs, enfants et épouses. » Ce qui fait dire aux spécialistes que ces reliques sont authentiques, c’est que le mot sanskrit utilisé pour désigner le mot reliquaire n’est utilisé nulle part ailleurs sur le même genre d’objets. Ce qui est certain, c’est que Führer n’aurait lui-même jamais pu connaître ce mot.
Mais alors, si ces reliques sont authentiques, qu’est-ce qui permet aux scientifiques d’affirmer que ces objets ont bien été ensevelis avec les restes du Bouddha ? Dans la tradition, le Bouddha Shakyamuni (« sage des Śākyas, sa famille et son clan ») a été incinéré et ses cendres réparties dans huit stupas. Afin de prendre un raccourci bien commode qui nous permettra de mieux comprendre l’inscription, voici l’histoire (source Wikipedia) :
Le Bouddha mourut, selon la tradition, à quatre-vingts ans près de la localité de Kusinâgar. Il expira en méditant, couché sur le côté droit, souriant : on considéra qu’il avait atteint le parinirvāṇa, la volontaire extinction du soi complète et définitive. Le Bouddha n’aurait pas souhaité fonder une religion. Après sa mort s’exprimèrent des divergences d’opinions qui, en l’espace de huit siècles, aboutirent à des écoles très différentes. Selon le Mahāparinibbāṇa Sutta, les derniers mots du Bouddha furent : « À présent, moines, je vous exhorte : il est dans la nature de toute chose conditionnée de se désagréger — alors, faites tout votre possible, inlassablement, en étant à tout moment pleinement attentifs, présents et conscients. » Selon ce même sutra, son corps fut incinéré mais huit des princes les plus puissants se disputèrent la possession des sarira, ses reliques saintes. Une solution de compromis fut trouvée : les cendres furent réparties en huit tas égaux et ramenées par ces huit seigneurs dans leurs royaumes où ils firent construire huit stūpas pour abriter ces reliques. Une légende ultérieure veut que l’empereur Ashoka retrouva ces stūpas et répartit les cendres dans 84 000 reliquaires.
Nous voilà à peine plus avancés. Seulement, en y regardant de plus près, les datations du stupa révèlent que celui-ci a été construit entre 200 et 300 ans après la mort du Bouddha, située entre 543 et 423 av. J.-C., ce qui correspond à l’époque à laquelle vécut le roi Ashoka (अशोक). L’inscription du vase elle-même correspond à une langue qui n’était pas encore utilisée à l’époque de la mort de Bouddha. Il y a donc un creux qu’il faut expliquer. Entre 1971 et 1973, un archéologue indien du nom de K.M. Srivastava a repris les fouilles dans le stupa et y a trouvé une autre chambre, dans laquelle se trouvait un autre vase, de conception similaire à celle du vase sur lequel se trouve l’inscription. Dans ce vase, des restes d’os datés de la période de la mort du Bouddha… Le faisceau de preuves est là. Le stupa est un des huit stupa contenant bien les restes du Bouddha, retrouvé par le roi Ashoka et modifié ; il a reconstruit un stupa par-dessus en conservant la construction initiale ; le sarcophage dans lesquels ont été retrouvés les cendres et les bijoux déposés en offrande est caractéristique des constructions de l’époque du grand roi.
Une question demeure. Pourquoi ces lieux de cultes ont-ils disparus de la mémoire des hommes alors que le bouddhisme a connu une réelle expansion depuis le nord de l’Inde ? Simplement parce que la doctrine du Bouddha a longtemps été considérée comme une hérésie par les hindouistes qui se sont livrés par vagues successives à des expéditions iconoclastes, suivis par les musulmans.
L’histoire ne s’arrête pas là. Les autorités britanniques, affolées par l’histoire pas très reluisante d’Anton Führer et de ses falsifications archéologiques, ont eu peur que l’affaire des reliques du Bouddha ne suscite des soulèvements de populations et ont offert en secret une partie de ces reliques (l’autre partie a été laissée à William Claxton Peppé) en guise de cadeau diplomatique au roi de Siam Rama V (Chulalongkorn), qui les fit inclure dans la construction du chedi du temple de la Montagne d’or à Bangkok (Wat Saket Ratcha Wora Maha Wihan, วัดสระเกศราชวรมหาวิหาร). Cent onze ans après ce don, les reliques du Bouddha ont été confiées à la France en 2009, lesquelles ont été déposées à l’intérieur de la pagode bouddhiste du bois de Vincennes.
Afin de comprendre l’histoire dans son intégralité, on peut revoir le documentaire racontant l’enquête de l’écrivain Charles Allen, diffusé il y a quelques temps sur Arte.
Read more
Dec 29, 2015 | Carnet de voyage en Thaïlande, Carnets de route (Osmanlı lale) |
Bangkok m’a accueillie en plein milieu de la nuit, avec les cris avinés des Russes qui barbotaient dans la piscine trop grande pour eux. Première sensation dans cette ville tentaculaire ; une impression de fatras incontrôlé, des blocs de quartiers nocturnes placés les uns à côté des autres et n’ayant aucun autre rapport entre eux que leurs racines, l’idée peut-être lointaine que quelque chose les relie par le sang ou la religion, quelque chose comme ça, d’aussi vague et imprécis qu’une croyance en un Dieu éteint depuis longtemps, je ne saurais comment dire. Peut-être cette impression m’est elle donnée par l’omniprésence des icônes de ces vieux rois qu’on trouve sur des photos jaunies, portant tous à peu près le même prénom et ne distinguant que par un numéro… la dynastie Chakri s’est dotée d’un seul et même prénom, Rama. Rama Ier, Rama III, Rama V, Rama VIII, Rama IX, l’actuel roi Bhumibol Adulyadej, dont les petites lunettes et l’air un peu absent lui confèrent une image pas très solennelle, un peu… (chut, insulter le roi est un crime de lèse-majesté). Il règne depuis 1950, étant ainsi un des plus anciens monarques du monde.



Au petit matin, je sors de l’hôtel pour aller à la rencontre de ce quartier qui m’a été conseillé par une personne qui connaît bien Bangkok. J’ai l’impression qu’ici rien n’est vraiment central, ni vraiment ordonné. Alors je me laisse porter, je verrai bien ce qu’il en est.
L’avenue Wisut Kasat est une artère laborieuse de moyenne importance, donnant d’un côté sur un auto-pont doublant la circulation à partir du pont Rama VIII, de l’autre côté jusqu’à J.P.R. junction (ne me demandez pas pourquoi ça s’appelle comme ça), là où l’avenue rejoint Ratchadamnoen Nok Road, au carrefour duquel se trouve un immense portrait de la reine Sirikit Kitiyakara. Ce qui me surprend tout de suite, c’est la chaleur, accablante déjà dès le matin, mais surtout l’odeur, un mélange de diesel lourd et de pourriture marécageuse. Il faut dire que les premiers khlongs (canaux) ne sont qu’à quelques centaines de mètres d’ici, à peine plus loin que les rives de la Chao Phraya. Sur cette avenue, nombre de magasins sont fermés, comme abandonnés ; le soir on peut voir des rats et des cafards, les uns presque aussi gros que les autres, aller et venir par les interstices de ces rideaux de fer baissés. La journée, certaines ouvrent pour laisser place à des ateliers de mécanique automobile. On répare de tout ici, des mobylettes, des tuk-tuks, de voitures désossées à même le trottoir, déversant l’huile de leur pont dans les caniveaux poisseux. Derrière le bruit des scies électriques et des ponceuses, des bruits de marteau sur la tôle, derrière les grincements et les stridulations, des hommes transpirent toute l’eau de leur corps dans des échoppes aveugles et encombrées, dans l’atmosphère lourde et confinée, empuantie par l’odeur épaisse de la fumée de cigarette.


Dans cette artère à taille humaine, où l’on compte encore sur des trottoirs, dans cette ville où si vous exprimez le souhait de marcher, on vous répond gentiment « don’t… », je tombe sur une ouverture sous un portail taillé comme l’entrée d’un temple. Des voitures et des motos entrent et sortent d’ici, à un rythme assez soutenu sous un soleil écrasant dans un ciel à peine nuageux. Si j’arrive jusqu’ici, c’est parce que de loin, j’ai vu émerger la tête haute et aplatie d’un Bouddha géant. C’est pour concrétiser cette vision que je me dirige dans cet enchevêtrement de bâtiments posés les uns à côté des autres afin de voir cette statue qui paraît complètement inappropriée dans cette ville qui semble n’avoir pas de frontières…


Derrière le portail du temple Wat Intharawihan (วัดอินทรวิหาร), c’est toute une petite ville qui s’est organisée là, avec son marché, une école, des temples posés les uns à côté des autres, et une place autour de laquelle gravitent d’autres temples. Des moines parcourent la cité sur un espace intégralement recouvert de carrelage ; certains sont mêmes recouverts d’un beau marbre lustré que les jours de pluie doivent rendre glissant comme des pommes pourries. Tout est abrité du soleil, créant une ombre orangée empêchant l’air de circuler. Tout dans cette ville semble être fait pour empêcher de respirer normalement ; quand ce n’est pas la pollution, ce sont des espaces confinés dans un air sans vent, où le recours à un éventail semble être la seule solution viable pour éviter un malaise. On vient ici se recueillir, que ce soit en ayant l’intention de frapper les cloches du temple ou alors de déposer des offrandes devant les multiples autels lardés de bâtons d’encens et de colliers de fleurs orange, de pots plantés d’étranges plantes. A l’intérieur d’une petite cabane, je découvre une statue de cire étonnamment vivante à tel point que je ressors de là troublé, ne sachant s’il s’agit d’un humain ou pas ; j’apprendrai plus tard, dans un premier temps pour avoir croisé de multiples fois le visage buriné de cet homme rabougri à l’intérieur des temples, que c’est la statue de Luang Pu Thuat (หลวงปู่ทวด), né en 1582 et mort cent ans plus tard et surtout connu pour avoir accompli des miracles. Il est étonnant de voir à quel point les rois de la dynastie Chakri sont autant révérés que les personnes religieux les plus importants.





Il règne ici une ambiance à la fois fébrile autour des prières et des offrandes, mais également un certain calme que chaque personne en prière semble s’approprier au beau milieu de cette ville endiablée. Chacune de ces images donne l’impression que nous nous trouvons dans un grand centre de prière reculé sur une montagne éloignée de tout, un lieu de pèlerinage hors du commun, mais ce n’est qu’un temple parmi d’autres, comme il en existe des centaines au travers de la ville, un temple très fréquenté car ici la religion, contrairement à la France, même si nous avons toujours plus ou moins une église dans chaque ville, est omniprésente. Une pause au travail et hop on vient prier, une balade en famille et hop on passe par le temple… Tout ici semble étrangement banal, étonnamment normal, à part peut-être cette énorme statue Bouddha de 32 mètres de haut commencée en 1867.




Read more
Dec 11, 2015 | Livres et carnets, Sur les portulans |
C’est un grand monastère bouddhiste entouré de rizières en terrasses niché au cœur du parc national de Gayasan (가야산국립공원), au bout d’une route de montagne, là où les âmes peuvent se reposer et s’extraire de la fièvre urbaine. Nous sommes au monastère de Haeinsa (Haeinsa Janggyeong Panjeon), le temple de l’océan Mudra (해인사, 海印寺), un des trois temples joyaux du bouddhisme coréen et tête de l’ordre Jogye, dont la construction remonte à l’année 802. Nous voici arrivés en plein cœur de la Corée du Sud. L’atmosphère est hautement spirituelle et confinée derrière les murs en bois de ces bâtisses joliment peintes de couleurs vives, fermées par des volets verts ajustés entre des colonnes peintes en rouge sang et derrière les calicots affichant avec fierté les messages du Bouddha. Lorsque la neige n’a pas recouvert ce paysage enchanteur, c’est une nature verdoyante qui enserre ce petit écrin joyeux et nécessairement en dehors du temps.
Derrière ces murs, à l’ombre du soleil estival et au son des clochettes tintinnabulantes, errent des ombres drapées de gris clair, une étole de corail savamment nouée autour d’une des deux épaules, arcboutées sur un trésor dont elles sont les gardiennes jalouses. Dans ses murs se trouve un des joyaux de la religion coréenne ; le Tripitaka Koreana, également connu sous le nom de Palman Daejanggyeong. S’il est bien un endroit où l’on s’attend à trouver ce genre de trésor, c’est bien derrière les murs d’un monastère plutôt que dans les caves climatisées d’un musée national, car il s’agit de la plus complète version et de la plus ancienne également du canon bouddhique en écriture Hanja (transcription coréenne des caractères chinois). Si ce n’était que ça, ce serait effectivement un trésor inestimable, mais la particularité de cette version est qu’elle n’est pas transcrite sur papier, mais gravée sur des tablettes de bois, toutes réalisées entre 1237 et 1248. Ce sont au total 81258 tablettes de 70x24cm, représentant en tout 1496 titres et 6568 volumes. Cela semble proprement ahurissant, d’autant que ce sont en tout 52 330 152 caractères hanja ne comprenant aucune faute d’orthographe ! L’épaisseur de chaque tablette variant entre 2.6 et 4 cm, chacune pèse entre 3 et 4 kilos.
Je n’ai pas dit toute la vérité sur ce trésor. Si cette bibliothèque de bois contient effectivement la plus grande et la plus complète collection de textes bouddhiques, ce ne sont en réalité pas de simples tablettes de bois sculpté car si l’on prête attention, on se rend compte que les caractères sont gravés à l’envers. En effet, le rôle qu’a pu tenir cet énorme stock de tablettes en bois est en réalité d’avoir pu être la source de tous les écrits bouddhistes, reproductibles à l’infini grâce à ces tablettes faisant office d’originaux, dans le but de diffuser au plus grand nombre par simple apposition sur papier les paroles du Bouddha.
[google_map_easy id=“4”]
Tripitaka Koreana
Temple de Haeinsa
Tripitaka Koreana
Temple de Haeinsa
Temple de Haeinsa
Tripitaka Koreana
Read more
Nov 8, 2015 | Carnet de route en Indonésie, Carnets de route (Osmanlı lale) |
S’il est un personnage emblématique de Bali, c’est bien le barong. Représenté sous la forme d’un personnage monstrueux, portant un masque de lion et habité par deux personnes, une portant le masque, l’autre portant le corps, il est le Banaspati rajah, le seigneur de la forêt et son origine remonte avant l’arrivée de l’hindouisme sur l’île de Bali, au temps où les cultes animistes étaient bien ancrés. Le spectacle lui-même comporte plusieurs tableaux, dont un legong, et une place importante est laissée à la danse du keris, arme sacrée qu’on connaît plus volontiers sous le nom de kriss malais, et dont la lame est chargée d’une puissance sacrée censée protéger son détenteur. La symbolique très forte du spectacle de barong est centrée sur la lutte entre le bien et le mal, métaphoriquement habitée par Barong d’un côté, et la sorcière Rangda de l’autre. Dans les spectacles non destinés aux touristes, la danse occasionne la transe des protagonistes.




Le masque de Barong est lui-même chargé d’une puissance spirituelle très forte et on le trouve généralement protégé à l’intérieur de l’enceinte des temples, à un emplacement bien précis, sous un toit de chaume pour le protéger de la pluie. Celui du Pura Taman Kemuda Saraswati est visible lorsqu’on visite le temple.
J’ai assisté à ce spectacle dans la cour d’un petit temple donnant sur un carrefour, un soir où je me suis fait accompagner par un des garçons de l’hôtel sur son scooter. Immanquablement, la vie au-dehors du temple continue. Pendant près d’une heure et demie, les danseurs enchaînent les tableaux à l’entrée du Pura Penataran Kloncing, dans une atmosphère chargée de spiritualité.
J’ai été particulièrement impressionné par la beauté de ces femmes balinaises dont l’expertise dans la danse est flagrante ; il n’y a qu’à voir leur corps convulsés, raides et graciles, leurs mains prendre des postures expressives ne serait-ce qu’en bougeant un seul doigt, leur regard changer d’expression d’une seconde sur l’autre, leurs pieds se tordre dans un ballet millimétré. L’une d’elles occupant le rôle d’un prince était particulièrement belle et troublante.
Retour sur cette soirée magique, en images, sons et vidéo. La vidéo dure 14’55’‘, les enregistrements audio couvrent la totalité du spectacle, soit exactement 81’39’’. Avec le spectacle de legong au Palais d’Ubud, ce sont les deux spectacles que j’ai intégralement enregistrés.
https://youtu.be/QbNVZXsqYck
Read more
Sep 20, 2015 | Livres et carnets, Sur les portulans |
Jean Moschos, ou Moschus, est un prêtre syrien, né à Damas d’après ce que ce nous en savons, au beau milieu du VIè siècle. Moine chrétien, il est l’archétype du chrétien d’Orient, n’ayant jamais quitté sa terre natale. Enterré dans les soubassements de la laure de Saint Théodose (Théodose le Cénobiarque ou Théodose le Grand) dans le désert de Palestine, il est un des personnages les plus importants du cénobitisme orthodoxe. Il faut bien avoir à l’esprit que les Chrétiens, les quelques Chrétiens qui arrivent encore à se maintenir en Orient ou au Moyen-Orient, sont pour la grande majorité issus d’un culte proche des origines de la Chrétienté, ce qu’on appelle l’Orthodoxie, qui, dans sa forme actuelle exercée en Russie ou en Grèce reste une version édulcorée de cette foi qu’on trouve en Orient. On retrouve de la même manière un Christianisme très archaïque en Éthiopie. Jean Moschus est l’auteur d’un livre très important à titre documentaire : Le Pré spirituel (Λειμών, Leimṓn, Pratum spirituale en latin). C’est une immense hagiographie pleine d’anecdotes sur l’histoire de l’église chrétienne syriaque qui nous donne des éléments précis sur le développement de la religion dans les premiers siècles du Christianisme d’Orient sur les terres syriennes. C’est accompagné de ce livre que William Dalrymple, l’écrivain spécialiste des Indes Britanniques et du monde chrétien d’Orient, s’est rendu sur le chemin qu’a parcouru Moschos. Il en rapporte un témoignage poignant des dernières heures de ces cultes immémoriaux, qui, à l’heure actuelle ont dû en partie disparaître sous la colère sourde et destructrice des fondamentalistes de Daech ou par la folie nationaliste d’un état turc qui prend un malin plaisir à détruite toute trace d’un christianisme dérangeant.
Le premier extrait que je fournis ici provient du monastère de Mor Gabriel (Dayro d‑Mor Gabriel) situé près de la ville de Midyat dans la province de Mardin, en Turquie. Le monastère ancestral est actuellement en procédure judiciaire avec l’état turc qui l’accuse d’occuper illégalement les terres sur lequel il est installé. Sans commentaire. Dalrymple s’y rend en 1994 pour assister à une scène de prière, rappelant au passage que certains rituels étaient communs aux chrétiens et aux musulmans, et que ceux qui s’en sont séparés ne sont pas ceux qu’on croit.
Bientôt une main invisible a écarté les rideaux du chœur , un jeune garçon a fait tinter les chaînes de son encensoir fumant. Les fidèles ont entamé une série de prosternations : ils tombaient à genoux, puis posaient le front à terre de telle manière que, du fond de l’église, on ne voyait plus que des rangées de derrière dressés. Seule différence avec le spectacle offert par les mosquées : le signe de croix qu’ils répétaient inlassablement. C’est déjà ainsi que priaient les premiers chrétiens, et cette pratique est fidèlement décrite par Moschos dans Le Pré spirituel. Il semble que les premiers musulmans se soient inspirés de pratiques chrétiennes existantes, et l’islam comme le christianisme oriental ont conservé ces traditions aussi antiques que sacrées ; ce sont les chrétiens qui ont cessé de les respecter.

Théâtre de Cyr (Cyrrhus)
Par le hasard des chemins, longeant la frontière entre la Turquie et la Syrie, il bifurque de sa route pour rejoindre une cité éloignée de tout, une cité aujourd’hui en ruine qu’il appelle Cyr, à quatorze kilomètres de la ville de Kilis en Turquie. Cyr, c’est l’antique Cyrrhus, Cyrrus, ou Kyrros (Κύρρος) ayant également porté les noms de Hagioupolis, Nebi Huri, et Khoros. Successivement occupée par les Macédoniens, les Arméniens, les Romains, les Perses puis les Musulmans et les Croisés, elle se trouve au carrefour de nombreuses influences. Son ancien nom de Nebi Huri fait directement référence à l’histoire dont il est question ici.

Intérieur du mausolée de Nebi Uri (Cyr, Cyrrhus)
Il rencontre à l’écart des ruines principales un vieil homme, un cheikh nommé M. Alouf, gardien d’un mausolée isolé où l’on trouverait les reliques d’un saint… musulman, nommé Nebi Uri. Le lieu est chargé d’une puissance bénéfique pour les gens qui viennent y trouver le remède à leurs maux. Le malade s’allonge sur le sol pour y trouver l’accomplissement du miracle. Lorsque Dalrymple l’interroge sur l’histoire de ce personnage enterré sous cette dalle, M. Alouf lui compte l’histoire du chef des armées de David, marié à Bethsabée, qui n’est ni plus ni moins que Urie le Hittite, personnage de l’Ancien Testament que David a envoyé se faire tuer pour se marier avec sa femme. On peut voir l’intégralité de cette légende sur les magnifiques tapisseries du château d’Écouen (Val d’Oise), Musée National de la Renaissance. Ce qu’il nous raconte là, c’est la profonde similitude des cultes chrétiens et musulmans qui se confondent, s’entrelacent et disent finalement que les deux ont cohabité dans une certaine porosité sans pour autant chercher à s’annuler. Une belle leçon à raconter à tous ceux qui exposent des sentiments profonds sur l’intégrité de la religion…
Petite remise en perspective de l’histoire :
Quel improbable alliage de fables ! Un saint musulman du Moyen-Âge enterré dans une tombe à tour byzantine beaucoup plus ancienne, et qui s’était peu à peu confondu avec cet Urie présent dans la Bible comme dans le Coran. Si cela se trouvait, ce saint s’appelait justement Urie et, au fil du temps, sont identité avait fusionné avec celle de son homonyme biblique. Il était encore plus insolite que dans cette cité, depuis toujours réputée pour ses mausolées chrétiens, la tradition soufie ait repris le flambeau là où l’avaient laissés les saints de Théodoret. Avec ses courbettes et ses prosternations, la prière musulmane semblait dériver de l’antique tradition syriaque encore pratiquée à Mar Gabriel ; parallèlement, l’architecture des premiers minarets s’inspirait indubitablement des flèches d’églises syriennes de la basse Antiquité. Alors les racines du mysticisme — donc du soufisme — musulman étaient peut-être à chercher du côté des saints et des Pères du désert byzantins qui les avaient précédés dans tout le Proche-Orient.
Aujourd’hui, l’Occident perçoit le monde musulman comme radicalement différent du monde chrétien, voire radicalement hostile envers lui. Mais quand on voyage sur les terres des origines du christianisme, en Orient, on se rend bien compte qu’en fait les deux religions sont étroitement liées. Car l’une est directement née de l’autre et aujourd’hui encore, l’islam perpétue bien des pratiques chrétiennes originelles que le christianisme actuel, dans sa version occidentale, a oubliées. Confrontés pour la première fois aux armées du Prophète, les anciens Byzantins crurent que l’islam était une simple hérésie du christianisme ; et par mains côtés, ils n’étaient pas si loin de la vérité : l’islam, en effet, reconnaît une bonne partie de l’Ancien et du Nouveau Testament et honore Jésus et les anciens prophètes juifs.
Si Jean Moschos revenait aujourd’hui, il serait bien plus en terrain connu avec les usages des soufis modernes que face à un « évangéliste » américain. Pourtant, cette évidence s’est perdue parce que nous considérons toujours le christianisme comme une religion occidentale, alors qu’il est, par essence, oriental. En outre, la diabolisation de l’islam en Occident et la montée de l’islamisme (née des humiliations répétées infligées par l’Occident au monde musulman) font que nous ne voulons pas voir — la profonde parenté entre les deux religions.
William Dalrymple, L’ombre de Byzance
Sur les traces des Chrétiens d’Orient
1997, Libretto
J’adresse ce court billet à tous ceux, comme certains dont je suis par ailleurs très proche, n’arrêtent pas d’asséner ad nauseam que notre société est « chrétienne » ou « judéo-chrétienne » et que l’islam, quel qu’il soit, remet en cause ses fondements. Je leur adresse ce billet non pour qu’ils changent d’avis, car c’est là une tâche impossible, mais pour leur dire simplement que rien n’est pur, rien n’est aussi lisse que ce qu’il souhaiterait, a fortiori certainement pas la religion qu’ils arborent autour du cou…
Read more