Apr 27, 2010 | Histoires de gens, Sur les portulans |
Pendant des années où j’ai consommé des galettes de blé noir fourrés à la tomate, à l’œuf et au fromage (plus connue sous le terme générique de “complète”), je me suis demandé d’où venait le terme et surtout, qu’est-ce qu’est le blé noir, ou sarrasin ? Il se trouve que ce blé noir, ou blé sarrasin (il tire son nom de l’exceptionnelle faculté des occidentaux à attribuer à l’étranger lointain tout ce qu’ils ne connaissent pas, alors qu’il vient d’Asie du nord-est, région assez pauvre en Sarrasins) n’a en fait rien à voir avec le blé, mais en plus n’a rien d’une graminée.

C’est une plante de la famille des polygonacées, dans laquelle on trouve également les renouées, la rhubarbe et l’oseille et dont les graines sont utilisées pour leur absence de gluten, ce qui en fait un aliment de choix pour ceux qui y sont intolérants. Largement utilisé en Bretagne, il est cependant en voie de raréfaction en France, chassé par des cultures plus rentables, comme le blé et le maïs, ce qui est d’autant plus dommage que c’est une plante mellifère.

L’autre acceptation du terme désigne un sens mal connu. Si on se doute que le Sarrasin est Arabe, on ne lui connait pas vraiment de pays, ni de religion du moins à l’époque où le terme se généralise, puisque les terme de musulman ou d’islam ne sont utilisés que tardivement respectivement au XVIè et XVIIè siècle. On ne sait pas grand chose de lui et c’est précisément ce qui fait peur. Oui, l’histoire se répète et ne se renouvelle guère…
Voici ce qu’en dit Wikipédia, mais il semble que généralement, ce soit la définition d’Isidore de Séville qui fasse foi :
Le terme sarrasin proviendrait, d’après certains, de l’arabe شرقيين sharqiyyīn (orientaux). Selon d’autres, le mot vient de sarakenoi en grec ancien, qui a donné en bas latin Sarracenus (pluriel: Sarraceni), ce qui a fait dire à Isidore de Séville (VIIe siècle):
« Les Sarrasins vivent dans le désert. On les appelle aussi les Ismaélites, comme l’enseigne le Livre de la Genèse, car ils descendent d’Ismaël (fils d’Abraham). Ils sont également nommés Hagaréniens car ils descendent d’Hagar (esclave et concubine d’Abraham, mère d’Ismaël). Il s’appellent eux-mêmes Sarrasins, on l’a dit avec quelque perversité, car ils se flattent mensongèrement de descendre de Sarah (femme légitime d’Abraham). »
— Isidore de Séville, Étymologies, IX,2,57 Ed. W.M. Lindsay, Oxford 1911 (cité in La croix et le croissant de Richard A. Fletcher).

A l’époque d’Isidore, Séville n’a encore rien à voir avec l’Espagne, mais fait partie intégrante du Royaume Wisigoth, héritier des Grandes Invasions barbares et dont la capitale est Toulouse. Les Wisigoths (Goths de l’Ouest), chassés de Toulouse par Clovis 1er, ils installent leur capitale à Tolède .
C’est à cette époque que nait le nom donné à la région d’Andalousie.
Selon Heinz Halm, le terme Andalousie viendrait de l’expression wisigothique « *landa-hlauts » désignant l’« attribution des terres par tirage au sort », ce qui parait le plus probable, mais il faut quand même savoir qu’on a longtemps cru que le terme signifiait “Atlantide” ou terre des Vandales (du berbère : al-Andalus, provenant lui-même de Wandal).
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Apr 17, 2010 | Passerelle |
Ma fin de semaine s’éteint dans un bien-être doucereux servi ce vendredi midi par une immense assiette de mezzés libanais, salade de persils, falafels, moujaddara, houmous… Il y avait longtemps que je n’avais pas autant émerveillé mes papilles, d’autant que le jour d’avant, je me suis coupé l’appétit tout seul comme un grand avec un immense gobelet de chocolat chaud juste avant d’aller me chercher de quoi manger.
Ma vie se parsème de changements, ça respire par tous les pores de ma peau. Je suis en situation d’attente, près à bondir.

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J’attrape des petits bouts de rien du tout et je continue de construire l’imaginaire de mon univers avec l’air du temps, une photo d’Arthur Rimbaud à Aden, le poète devenu marchand, des églises russes en bois dont la piste m’a été révélée par Fabienne, the FWA, un site de “blogs du jour”, the FWAphoto, la même version mais avec la photo du jour, Jongmin Kim, un de ces sites du jour…
Je viens juste de terminer le livre de Richard A. Fletcher, La croix et le croissant (le christianisme et l’islam, de Mahomet à la Réforme) un livre dans lequel on retrouve des références connues sur l’expansion encore parfois mystérieuse du Dâr al-Islâm (دار الإسلام littéralement Domaine de la paix) dans le bassin méditerranéen mais également un aspect assez particulier qu’on connaît mal à mon avis, c’est la perception par les Arabes des événements liés aux Croisades finalement assez peu consignées dans les chroniques et également, le peu d’intérêt du monde musulman aux prémisses de son installation pour la civilisation occidentale, certainement en raison du caractère de la “révélation” véhiculé par ce que les Chrétiens considéraient parfois comme une vision particulière du christianisme plutôt qu’une religion à part entière.
Quantara, un très bon site sur le civilisation méditerranéenne, et le site de Vincent Battesti, chercheur en anthropologie sociale.
Mon carnet de notes grossit de références comme ces superbes enluminures du Livre des Jeux d’Alphonse X de Castille (El libro de ajedrez, dados e tablas — “Le livre des échecs, dés et tables”).


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Apr 14, 2010 | Histoires de gens, Livres et carnets |
J’ai rencontré Isaac Bashevis Singer dans un recueil d’entretiens avec Anthony Burgess que l’éditeur, en toute modestie a nommé “Rencontre au sommet”(1). Ce petit livre, qui est la transcription des échanges entre les deux hommes pour un documentaire de la télévision suédoise, tourné en 1985, est une œuvre dense, dont chacune des phrases pourraient alimenter une anthologie des citations sur la religion. Malheureusement, depuis mon déménagement, je ne retrouve pas ce livre. C’est après avoir lu ce petit opuscule que je me suis acheté Ombres sur l’Hudson, un épais livre écrit en yiddish et paru sous forme de feuilleton dans le journal The Forward (פֿאָרווערטס, Forverts) à partir de 1957, puis traduit en anglais et publié tel quel en 1998. Le livre en français est donc une traduction de traduction, mais le style est fluide et la présence d’un lexique yiddish permet une bonne compréhension.

Photo © Luke Redmond
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- Tout a disparu.
— Pourquoi, mon chéri ? Pourquoi ? Quelquefois, je feuillette L’Histoire des Juifs de Graetz. Il n’y est question que d’une chose : les persécutions. Mais le monde a oublié la façon dont les Juifs aimaient les fêtes. J’ai une théorie : si les Juifs n’avaient pas été un peuple aussi joyeux, le monde ne les auraient pas autant haïs. Toute haine est bâtie sur l’envie.
Ombres sur l’Hudson est typiquement une œuvre communautariste. On est en 1947, à New-York, dans la communauté ashkénaze américaine immédiatement issue de l’exode européenne pendant la guerre, et à quelques temps de la création de l’état d’Israël, dans un espace de temps et de lieu où les Juifs qui ont échappé au massacre de la Shoah vivent une sorte d’errance et de déprime dans lesquelles apparaissent les questions qui ont fait les grands débats philosophiques d’après-guerre sur l’existence de Dieu, la bonté de Dieu, et la question de la fin de l’histoire. On y voit apparaître en filigrane les visages de Spinoza ou de Leibniz quand il s’agit de la théodicée (Θεοũ δίκη, « justice de Dieu »).
- Vois-la donc et confie-lui tes affaires pourries. Puis pars et imagine-toi que tu es déjà dans le monde à venir, en train de manger la chair du Léviathan.

Photo © Joisey Showaa
Nous sommes dans un milieu de Juifs réfugiés échoués à Ellis Island comme d’autres se trompent de chemin pour aller au travail pour la première fois, réunis autour d’un riche veuf, un parvenu autour duquel gravitent un vieux médecin édenté parlant à peine anglais, un autre médecin, jeune et athée qui trouve toute justification de la vie entre les cuisses des femmes qu’il séduit, un bellâtre cinquantenaire qui n’a plus foi en rien et vit de quelques menues opérations en bourse et la fille de Makaver (on peut imaginer que ce Makaver est l’image de Singer), mariée à Luria, une ombre, un avocat miteux qui ne peut exercer ici comme il le faisait en Pologne, dont la première femme et les enfants ont péri dans les camps de concentration…
Ombres sur l’Hudson, c’est la chute d’un homme, Hertz Grein, de vingt ans l’aîné de la fille de Makaver qu’il va séduire et entrainer avec lui dans un New-York immense et désolé. C’est la chute d’un Makaver qui d’un revers de fortune tombera aussi bas qu’il est possible pour un homme de son envergure et c’est la chute d’un Luria qui ne pourra finalement continuer à vivre sans sa première femme, morte et la seconde, partie avec un autre. Grein chute, il n’en peut plus de tomber entre sa femme malade d’un cancer, Esther son ancienne maîtresse qu’il n’arrive pas à chasser de sa vie et qui le retient sans arrêt et sa compagne qu’il chérit depuis qu’il la connaît, toute enfant. Grein se perd dans la ville, dans sa vie et les bras des femmes qu’il aime, jusqu’à quel point, jusqu’à retrouver sa foi, revêtir le châle de prière et les phylactères ?
Ombres sur l’Hudson, c’est une fresque immense dans une ville qui l’est tout autant, animée par des personnages qui n’arrivent plus à savoir qui ils sont, entre un pays qui les accueille à bras ouverts mais qu’ils n’arrivent pas à adopter et une Europe qui les a exterminé, chassé… Il flotte dans ce livre comme un parfum de fin du monde parmi des hommes damnés…
Comme une ode sauvage, je tiens particulièrement à ce paragraphe, une des plus belles descriptions que j’ai lues depuis bien longtemps, une ambiance de renaissance après une nuit ombrageuse…
Quand Grein quitta la synagogue, le soleil brillait. La rue était pleine d’enfants. Les éboueurs tiraient les poubelles jusqu’aux bennes où les ordures seraient broyées. A demi-nus, en chemises multicolores, le visage marqué par d’innombrables guerres, des siècles de métissage, des actes de violence, venus des premiers âges, des peines sans nombre que des générations entières ne pouvaient effacer, des Portoricains étaient assis sur le pas de leur porte. Un chariot passa, rempli de tomates à moitié pourries, tiré par un vieux cheval et le marchand criait comme un possédé. Un policier noir surgit de nulle part, faisant adroitement tournoyer son bâton. Sur le trottoir, à côté d’une poubelle, un ivrogne était étendu, le visage tuméfié, rouge comme s’il avait la peste, en train de bredouiller et de baver, tandis que ses yeux exprimaient la douleur de ceux qui ont perdu tout contrôle d’eux-mêmes. Cette épave humaine semblait imbibée d’alcool au point d’être prête à s’enflammer à n’importe quel instant.
Notes:
1 — Editions Mille Et Une Nuits, 1998.
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Mar 16, 2010 | Histoires de gens, Livres et carnets, Sur les portulans |
Entre 1950 et 1958, Wilfred Thesiger se rend en Irak. A cette époque-là, Saddam Hussein n’a pas encore mené son coup d’état dans ce pays jeune dont l’indépendance est proclamée en 1932. Avant 1968, l’Irak est un pays rongé par les communautarisme et un fort sentiment antisémite qui conduira les 125000 juifs irakiens à affluer en Israël, ainsi que par des tensions entre la république instaurée et soutenue par le Troisième Reich et la monarchie promue par le Royaume-Uni. Loin de ces conflits d’intérêt, Thesiger passera quelques temps parmi les Yazidi (يزيدي), dans le nord du pays (région de Mossoul et de Ninive) puis au sud, dans la région des marais située dans le bassin du Tigre et de l’Euphrate (entre les tristement célèbres villes de Bassorah, Nasiriyah et le barrage de Kut), parmi les Arabes des Marais (عرب الأهوار), les Maadans ou Ma’dans (معدان).

Les Yazidi font partie de ces peuples trop souvent persécutés parce que minoritaires, confinés dans les arrière pays et parlant kurde. Les musulmans les appellent improprement « les adorateurs du Diable ». Le Yézidisme est un syncrétisme religieux dans lequel on adore aussi bien l’ange-paon Taous‑i Malek, oiseau qui représente Satan, que le cheikh Adi ibn Mustafa, fondateur de leur religion et observent également les fondements du zoroastrisme. Les Yazidi, malgré une volonté farouche de ne pas prendre part dans le conflit qui secoue l’Irak depuis 2003, ont payé un lourd tribut puisque leur communauté a été victime de l’attentat suicide le plus meurtrier depuis le 11 septembre 2001, dans la province de Ninive avec plus de 570 morts (cet attentat est en relation directe avec la lapidation de la jeune Yazidi Doaa Khalil Assouad).

Photo extraite de son livre Visions d’un nomade, chez Plon, 1987, coll. Terre humaine.
Dans le sud du pays, Thesiger arrive pour une période de quinze jours, histoire de passer un peu de temps à chasser le canard dans cette région foncièrement giboyeuse parmi les Ma’dans. Il y restera finalement sept ans. C’est dans cette région qu’est censée s’être trouvé le Jardin d’Éden et c’est également une région infestée de moustiques où l’on ne se déplace qu’à l’aide d’embarcations longues d’une dizaine de mètres sur un au plus de large. Lors des inondations qui ont eu lieu en 1954, le niveau de l’eau a monté de plus de deux mètres, réduisant considérablement les aires de vie des autochtones, mais ils se sont adaptés et ont bâti des îlots artificiels. Lorsque le Sheikh propose à Thesiger d’habiter une hutte confortable, une maison d’hôte appelé mudhif, une construction faite de roseaux géants en tunnel pouvant atteindre 26 mètres de longueur, il refuse, prétextant qu’après avoir vécu dans le désert avec les Rashid, il est habitué à l’inconfort et souhaite être logé à la même enseigne que n’importe quel Ma’dan.
Les Ma’dan ont subi les foudres de Saddam Hussein lorsqu’au lendemain de la guerre Iran-Irak, celui-ci se rendit compte qu’ils avaient aidé les déserteurs irakiens et qu’ils avaient également participé à l’insurrection de 91 ; il leur en tint une rancune mortelle. Il fit assécher les marais et la population des Ma’dans passa de 250.000 à quelques dizaines de milliers, ravageant à la fois un écosystème de terre humide unique au monde et décimant une population au mode de vie millénaire.

Photo © Wilfred Thesiger
Billet suivant: La voix du vieil homme au visage de sable, Wilfred Thesiger le nomade #5
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Mar 13, 2010 | Histoires de gens, Sur les portulans |
C’est la fête qui marque l’équinoxe de printemps chez les Hindous. En Inde, on participe activement à Holî en se barbouillant de pigments, dans une débauche de couleurs démesurée. Chaque couleur a une signification: le vert pour l’harmonie, l’orange pour l’optimisme, le bleu pour la vitalité et le rouge pour la joie et l’amour (source Wikipédia). De splendides photos sur Big Picture.

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