L’é­glise atmosphérique

L’é­glise atmosphérique

Autre­fois, je n’ai­mais pas beau­coup lire les pré­faces, dont je ne voyais pas for­cé­ment l’in­té­rêt. Le texte ori­gi­nal est for­cé­ment plus inté­res­sant, et puis j’é­tais sou­vent dans la pers­pec­tive d’un gain de temps maxi­mum, alors la pré­face, hop, on zappe.
Pour­tant, cer­taines d’entre elles sont de véri­tables petits bijoux et en com­men­çant Route d’Oxiane de Robert Byron, je suis tom­bé sur ces mots qu’a écrit un cer­tain Bruce Chat­win, dans une pré­face solaire, d’une effi­ca­ci­té redou­table, repre­nant lui-même des mor­ceaux de textes de Byron, comme dans cet extrait :

[…] les spé­cia­listes argue­ront que, si Byron a pu faire montre de qua­li­tés lyriques cer­taines dans ses des­crip­tions, il n’a jamais été un « éru­dit » — et ils auront, en un sens, rai­son. Mais, bien sou­vent, il trans­cende la banale science par sa mys­té­rieuse facul­té de juger l’é­tat d’a­van­ce­ment d’une civi­li­sa­tion à son archi­tec­ture, et de trai­ter les édi­fices anciens et les hommes d’au­jourd’­hui comme deux aspects d’une même conti­nui­té his­to­rique. Déjà dans The Byzan­tine Achie­ve­ment, écrit à l’âge de vingt-cinq ans, on trouve quatre lignes qui en disent à peu près autant sur le schisme entre l’E­glise d’Oc­ci­dent et celle d’O­rient qu’une ran­gée de gros volumes :

L’exis­tence de Sainte-Sophie est atmo­sphé­rique ; celle de Saint-Pierre puis­sam­ment, immé­dia­te­ment, maté­rielle. L’une est une église pour Dieu ; l’autre est une salle de récep­tion pour ses repré­sen­tants. L’une est dédiée à la réa­li­té, l’autre à l’illu­sion. En fait Sainte-Sophie est grande et Saint-Pierre bas­se­ment, tra­gi­que­ment, petite.

Bruce Chat­win, pré­face, août 1980,
in Robert Byron, Route d’Oxiane,
Payot et Rivages, 2002

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Et pour­quoi pas alors un lieu où pour­raient se retrou­ver des Juifs et des musulmans ?

Si un jour vous allez à Istan­bul, vous pour­rez voir à quel point les Turcs musul­mans ont été res­pec­tueux des lieux de prière chré­tiens en les conver­tis­sant en mos­quées lors­qu’en 1453 ils conquirent la Rome d’O­rient, en répan­dant sur le sol de l’eau de rose et en badi­geon­nant d’une simple épais­seur de chaux blanche les repré­sen­ta­tions non conformes à l’es­prit de la reli­gion. Moham­med Aïs­saoui, dans L’étoile jaune et le crois­sant, nous parle de l’Al­gé­rie qui accueillait des Juifs et en par­ti­cu­lier d’O­ran où se trouve une des plus grandes syna­gogues d’A­frique du Nord ; si elle fut confis­quée en 1972, elle fut sim­ple­ment conver­tie en mos­quée, dans le res­pect des confes­sions, ce qui laisse l’au­teur son­geur sur ces lieux qui n’ont pas de mémoire et qui auraient voca­tion à rap­pro­cher les Hommes.

Synagogue d'Oran

Syna­gogue d’Oran

Ain­si, cette grande syna­gogue d’O­ran a été trans­for­mée en mos­quée sans aucune retouche. Ça ne remonte pas à si long­temps — c’é­tait en 1975. Je croyais que les lieux avaient une âme, un esprit. Qu’ils pou­vaient être purs, ou impurs. Je suis éton­né de voir le ven­dre­di une foule de musul­mans entrer dans cette syna­gogue… par­don, dans cette mos­quée. Ain­si, les lieux n’au­raient pas de mémoire. Une syna­gogue peut deve­nir une mos­quée, et ça n’a l’air de gêner per­sonne — alors que vous n’ar­ri­vez pas à faire man­ger un musul­man dans une assiette déjà uti­li­sée par un Juif. Et vice versa.

Intérieur de la synagogue d'Oran

Inté­rieur de la syna­gogue d’Oran

La légende dit que l’on aurait ame­né dans cette syna­gogue des pierres de Jéru­sa­lem. On y met les pieds, on prie, on espère. Des Juifs y ont prié, espé­ré… Puis, des musul­mans y ont prié, espé­ré. Et pour­quoi pas alors un lieu où pour­raient se retrou­ver des Juifs et des musul­mans ? Par­fois les hommes me sidèrent.
A Alger aus­si, des syna­gogues ont été trans­for­mées en mosquées.
Dans les docu­ments retrou­vés aux archives d’O­ran, je lis des phrases qui sur­pren­draient aujourd’­hui, et je sou­ris. Un exemple, déni­ché dans une sorte d’at­las de l’é­poque : « En 1938, la France compte 25 mil­lions de sujets musul­mans. » Ça me fait sou­rire, parce que les nos­tal­giques de l’an­cien empire colo­nial n’y avaient pas pen­sé. « La France compte 25 mil­lions de musul­mans », la phrase effraie­raient cer­tains aujourd’hui…

Moham­med Aïs­saoui, L’étoile jaune et le croissant
Gal­li­mard, 2012

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Le bout du monde à Lan­di Kotal

Le bout du monde à Lan­di Kotal

Lorsque j’é­tais gamin, je jouais avec des petits sol­dats de plas­tique que je fai­sais se battre au milieu du salon chez mes grands-parents, avec le plus total mépris pour les popu­la­tions civiles. Bataille des Ardennes, Water­loo, Alé­sia, tout y pas­sait ; je refai­sais le monde avec ces mor­ceaux de plas­tique à l’é­chelle 1:72 que je me plai­sais par­fois à peindre pour plus de réa­lisme. J’ai gar­dé toutes ces boîtes en car­ton dans le gre­nier de ma grand-mère et je me rap­pelle avoir ache­té une boîte en par­ti­cu­lier ; la Colo­nial India Bri­tish Infan­try, et au-des­sus de ce titre de la boîte ESCI n°232 se trouve cet inti­tu­lé : Indian War Kiber Pass Bri­tish Infan­try. Le fait de voir ces sol­dats anglais res­sem­blant plus à des Indiens qu’à des sujets de Sa Majes­té me posait ques­tion et Kiber Pass était pour moi comme une énigme que je n’ar­ri­vais pas à résoudre. Du coup, ces sol­dats ne se sont jamais bat­tus car je ne com­pre­nais pas qui étaient leur ennemis.
La Passe de Khy­ber, qu’on appelle aus­si le défi­lé de Khaï­ber, est en réa­li­té le col immense qui sépare l’Af­gha­nis­tan et le Pakis­tan, long de 58 km où il existe une route construite par les Anglais depuis 1879.

Albert Chalcroft, The King's Regiment, Landi Kotal, Kyber Pass, 1937

Albert Chal­croft, The King’s Regi­ment, Lan­di Kotal, Kyber Pass, 1937 — Pho­to © Mar­ti Bogie

Depuis Alexandre le Grand, cet endroit est répu­té pour être un lieu de pas­sage presque obli­gé pour pas­ser d’un point car­di­nal à l’autre. Aujourd’­hui encore, le mot tali­bans est asso­cié à ce lieu. Cette situa­tion par­ti­cu­lière a valu aux contre­ban­diers de s’ins­tal­ler pré­ci­sé­ment au centre de ce col, où la petite ville de Lan­di Kho­tal s’est déve­lop­pée sur le sang des innom­brables Pakis­ta­nais et Afghans, mais aus­si des Anglais qui sont venus se four­voyer dans ces mon­tagnes inhos­pi­ta­lières. Un lieu sinistre que William Dal­rymple décrit avec la chair de poule.

Certes, la gare de Lan­di Kho­tal sem­blait avoir été construite dans l’i­dée qu’on devait s’at­tendre au pire. Elle res­sem­blait plus à une for­te­resse qu’à une tête de ligne, avec ses solides murs de pierre per­cés d’é­troites meur­trières. Au quatre coins, des tou­relles cou­vraient chaque angle de tir. Les mai­sons voi­sines avaient été rasées pour lais­ser le champ libre au com­bat. L’Af­gha­nis­tan est à moins d’un kilo­mètre : ce lieu fut autre­fois la pre­mière ligne de défense de l’Em­pire britannique.
D’é­paisses grilles pro­té­geaient les fenêtres, et les portes étaient en acier ren­for­cé. Cepen­dant, l’une d’elles avait été arra­chée de ses gonds et je me his­sai jusque là pour explo­rer l’in­té­rieur. Un qua­dri­la­tère de salles don­nant sur un gazon, for­mant une sorte de cloître, évo­quait quelque peu le der­nier com­bat de Clus­ter. On sen­tait, ins­tinc­ti­ve­ment, que quelque chose de ter­rible s’é­tait pas­sé là : les hommes des tri­bus avaient peut-être cru­ci­fié le chef de gare ou étran­glé le contrô­leur. C’é­tait le genre d’en­droit où pre­naient fin les nou­velles de Kipling, le héros vic­to­rien pur jus repo­sant, étri­pé, dans un défi­lé de la fron­tière, tan­dis que les vau­tours tour­noient au-des­sus de son cadavre :

Si tu es seul, bles­sé, dans les plaines d’Afghanistan,
Et que les femmes arrivent pour ache­ver les survivants,
Couche-toi sur ton fusil, fais-toi sau­ter la cervelle ?
Et rejoins ton Dieu en sol­dat fidèle.

Dans le bureau du chef de gare, tout était res­té dans l’é­tat où, pour la der­nière fois, un train avait gra­vi la passe. Le Pakis­tan Rail­ways Alma­nach de 1962 était ouvert sur la table et de vieux livres de compte se cou­vraient de pous­sière sur une éta­gère. Cet endroit était sinistre et je n’eus aucune envie de m’y attarder.

Albert Chalcroft, The King's Regiment, Landi Kotal, Kyber Pass, 1937

Albert Chal­croft, The King’s Regi­ment, Lan­di Kotal, Kyber Pass, 1937 — Pho­to © Mar­ti Bogie

William Dal­rymple, L’âge de Kali
A la ren­contre du sous-conti­nent indien
Libret­to, 1998

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Un saint pour les vœux à exé­cu­ter rapi­de­ment : Saint Expédit

Un saint pour les vœux à exé­cu­ter rapi­de­ment : Saint Expédit

Voi­ci un culte comme on n’en fait plus. Niché dans le cœur de l’île de la Réunion, se mani­feste le culte de Saint Expé­dit, un saint dont l’o­ri­gine se mélange entre une erreur mani­feste d’é­ti­quette et la sur­vi­vance du culte d’un autre saint plus ancien, mys­té­rieux, à l’exis­tence pas­sée remise en cause ; un curieux syn­cré­tisme en est né, quelque chose de propre à l’île et dont les popu­la­tions, dans leur grande diver­si­té, se sont appro­priées la figure. William Dal­rymple nous explique com­ment dans l’île on peut voir fleu­rir de petits sanc­tuaires peints en rouge sang sur le bord des routes, lieux de culte voués à ce per­son­nage étrange à qui il est cou­tume de faire des offrandes pour qu’il exauce “rapi­de­ment et sans délai” des vœux par­ti­cu­liers. Autant dire que l’é­glise chré­tienne regarde ce culte d’un œil torve et sus­pi­cieux, même si c’est elle qui se l’est approprié.

Saint Expedit

Sanc­tuaire de Saint Expe­dit à la Réunion — Pho­to © Chris­tophe André

Au cours de l’an­née 1931, une boîte conte­nant des reliques, expé­diée par le Vati­can, arri­va dans l’Île.
Quelque part, en cours de route, il semble que l’é­ti­quette por­tant le nom du saint ait dis­pa­ru, et la seule indi­ca­tion qu’on avait sur son conte­nu, c’é­tait un tam­pon por­tant le mot ita­lien : « Spe­di­to » (expé­dié). Ain­si débu­ta le culte de Saint Expé­dit, dont la popu­la­ri­té gran­dit d’an­née en année, si bien qu’à par­tir d’une simple erreur d’é­cri­ture, il devint le patron non offi­ciel de la Réunion, saint dont la bio­gra­phie uni­que­ment orale en vint à cris­tal­li­ser les espoirs et les craintes de nom­breuses eth­nies de l’île. Il y a main­te­nant près de trois cent cin­quante sanc­tuaires dédiés à saint Expé­dit. Ils se dressent à chaque croi­se­ment de routes, cou­ronnent chaque som­met, reposent au fond des ravins les plus déser­tiques. Ce sont, à la fois, des ora­toires pour les fidèles et des sen­ti­nelles sacrées qui pro­tègent des ter­reurs nocturnes. […]
Le confon­dant pro­ba­ble­ment avec saint Elpide (mar­tyre armé­nien du IVè siècle, mort à Eski Mala­tyal, Mély­tène à l’é­poque, Tur­quie), l’Église catho­lique locale a fait de lui un mar­tyr des pre­miers temps de l’Église, et il est repré­sen­té comme un jeune légion­naire romain, por­tant un plas­tron en argent et une tunique rouge. D’une main, il tient une lance, de l’autre la palme du mar­tyr ; sous son pied gauche, il écrase un cor­beau, sym­bole de sa vic­toire sur les démons ten­ta­teurs. Mais un cer­tain nombre d’at­tri­buts plus exo­tiques ont été ajou­tés à cette image conven­tion­nelle de la pié­té catho­lique. Les hin­dous ont inté­gré à leur pan­théon ce saint qui porte main­te­nant la cou­leur sacrée de l’hin­douisme, et ils voient en saint Expé­dit une incar­na­tion non offi­cielle de Vish­nou ; ceux qui dési­rent des enfants attachent à la grille de l’un de ces sanc­tuaires un mor­ceau de tis­su jaune safran. De même, les musul­mans indo-réunion­nais y sus­pen­dant des fils de coton, comme ils le feraient sur des lieux sacrés sou­fis du sous-continent.
Ce culte de saint Expé­dit s’est aus­si révé­lé popu­laire auprès des des­cen­dants des esclaves qui per­pé­tuent la croyance aux esprits de leurs ancêtres mal­gaches. A Mada­gas­car, la palme est asso­ciée à la mort, alors que la lance et le cor­beau de saint Expé­dit sym­bo­lisent le sacri­fice, fai­sant de lui un cha­man blanc. Trait plus exo­tique encore, cer­tains des sor­ciers de l’île ont don­né à ce culte un carac­tère plus sombre en déca­pi­tant l’i­mage du saint, soit pour neu­tra­li­ser son pou­voir, soit afin d’u­ti­li­ser cette tête pour leurs propres incantations. […]
— Il s’en ser­vait pour jeter des sorts, dit Lou­lou. Il pen­sait qu’en déca­pi­tant le saint, il le dépouille­rait de son pou­voir et s’en empa­rait pour son propre usage.
— Vous pen­siez que cet homme avait un cer­tain pouvoir ?
— Il nous ter­ro­ri­sait ; tout le monde croyait qu’il était très puis­sant. Mais, à la fin, les gens l’ont flan­qué dehors.

William Dal­rymple, L’âge de Kali
A la ren­contre du sous-conti­nent indien
Libret­to, 1998

Pho­to d’en-tête © Duval Gil­bert

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Nasir-ol-Molk, la mos­quée rose de Shiraz

Dans l’an­cienne capi­tale de l’empire Perse Shi­raz se trouve la très belle mos­quée de Nasir-ol-Molk (Nasir al-Mulk, مسجد نصیر الملك‎), une mos­quée chiite inau­gu­rée en 1888. La par­ti­cu­la­ri­té de ce monu­ment est que la salle de prière prin­ci­pale est ornée de superbes mosaïques et de vitraux hau­te­ment colo­rés que la lumière crue du soleil ira­nien vient frap­per. L’illu­sion colo­rée créée à l’in­té­rieur est tout sim­ple­ment magique, dans des domi­nantes de lumière rose.
Voir d’autres images superbes de la « Mos­quée Rose » sur Bored Pan­da.

Mosquée Nasir-ol-Molk, Shiraz - Iran

Mos­quée Nasir-ol-Molk, Shi­raz — Iran

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