May 13, 2011 | Livres et carnets |

De retour du château d’Ecouen pour une visite théâtralisée avec la troupe du Théâtre de la Vallée, je découvre avec un certain plaisir ces quelques mots susurrés de Clément Marot, celui qui fut protestant sans grandement le dire et grand coquin sans grandement le cacher…
Fleur de quinze ans (si Dieu vous sauve et gard)
J’ai en amours trouvé cinq points exprès :
Premièrement, il y a le regard,
Puis le devis, et le baiser après ;
L’attouchement le baiser suit de près,
Et tous ceux-là tendent au dernier point,
Qui est, et quoi ? Je ne le dirai point :
Mais s’il vous plaît en ma chambre vous rendre,
Je me mettrai volontiers en pourpoint,
Voire tout nu, pour le vous faire apprendre.
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Mar 22, 2011 | Passerelle |

Au lever du jour, en passant devant la fenêtre, j’attrape l’air du matin, la couleur de ce moment de grâce pendant lequel le soleil arrive enfin à montrer le bout de son nez. J’ai le souvenir d’un poème des Fleurs du mal qui monte en moi comme une bouffée de chaleur et qui m’émeut… Le monde n’exhale jamais autant de beauté que lorsqu’il passe entre les mots d’un de ses poètes. Au petit matin, le ciel prend des couleurs de coulée de lave sur les flancs d’un volcan éreinté.
Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.
Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.

Au lendemain du jour au ciel de lave, le petit matin annonce une couleur tendre, une frange d’un superbe dégradé tandis qu’à l’ouest les ténèbres sont encore présentes et profondes. Tous les matins, je me laisse bercer par cette lumière, assis sur mon canapé avec ma tasse de café, avec de plus en plus de plaisir lorsque les jours de printemps se lèvent de plus en plus tôt. J’essaie de tenir la distance, de me lever avec le soleil, d’épouser le rythme naturel d’une belle journée, comme un ancien.
Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l’esprit des poètes
L’image d’un ballet de fleurs.
Ces robes folles sont l’emblème
De ton esprit bariolé ;
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t’aime !

Je ravale mes pensées présomptueuses en me disant qu’un jour je serai pleinement satisfait de ce que j’ai. Quand bien même je pourrais satisfaire mon désir, que je serai certainement encore à la recherche d’autre chose, c’est ce qui me fait dire qu’à ne point désirer, on finit par ne jamais être déçu. Alors des images me traînent dans la tête, de purs fantasmes qui resteront fantasmes, des rêves qui resteront rêve ; c’est peut-être ça qui maintient en vie.
Quelquefois dans un beau jardin
Où je traînais mon atonie,
J’ai senti, comme une ironie,
Le soleil déchirer mon sein ;
Et le printemps et la verdure
Ont tant humilié mon cœur,
Que j’ai puni sur une fleur
L’insolence de la Nature.

Alors les jours se referment les uns après les autres comme des fleurs de prairie au crépuscule, et je me mets en arrière, perdu dans mes songes qui comblent les minutes solitaires. Je m’imagine visitant les salles lumineuses d’un musée baigné de soleil, dont les rayons éblouissent les dalles de marbre coloré et les portes en bois sombre, naviguant entre une frise en céramique bleue et le relief féminin d’une dalle de Douro-Europos au regard vide et impersonnel, mais qui traduit au fond une absence de plusieurs centaines d’années.
Finalement, c’est toujours moi le gagnant dans l’histoire, même si personne ne joue au même jeu…
Ainsi je voudrais, une nuit,
Quand l’heure des voluptés sonne,
Vers les trésors de ta personne,
Comme un lâche, ramper sans bruit,
Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse,
Et, vertigineuse douceur !
A travers ces lèvres nouvelles,
Plus éclatantes et plus belles,
T’infuser mon venin, ma sœur !
Charles Baudelaire, 1857
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Feb 26, 2011 | Histoires de gens |
Ivan Grozny

Ivan IV le terrible, venu jusqu’à moi par l’intermédiaire de Sergueï Eisenstein dans sa superbe fresque en deux parties, admirablement servie par le géant Nikolaï Tcherkassov dont on a dit qu’il avait été imposé à Eisenstein pour surveiller sa déférence au Parti de Staline, dont il était ami personnel. Ivan IV est un des grands personnages de l’histoire de la Russie, car premier tsar de la Grande Russie, contemporain de Catherine de Médicis et de ses enfants, il est celui qui, dans une période trouble de défiance du pouvoir, de haine et de complots, arrivera à fédérer une Russie alors sous l’emprise des grands seigneurs, les Boyards. On dit qu’il était excessivement cruel et qu’il tua par inadvertance son propre fils Ivan Ivanovitch d’un coup de sceptre (peint par Ilya Repine)… Étonnamment, sa représentation la plus célèbre est celle qu’en fit Viktor Vasnetsov et on jurerait qu’Ensenstein s’en est servi pour grimer Tcherkassov…

Viktor Vasnetsov
Peintre de la fin du XIXè siècle, il se spécialisa dans les représentations de scènes de la littérature, de la mythologie et de l’histoire de la Russie. Ainsi, il peignit une très suprenant Ali Baba sur son tapis volant ou Le Chevalier à la croisée des chemins.


Ilya Repine
Peintre du début du XXè siècle, il fut un des plus grands critiques de la société russe et passa son temps à faire le portrait de ses contemporains comme Moussorgsky ou Tolstoï, des portraits lumineux et reposants des grands visages de la Russie.

Velimir Khlebnikov

Poète futuriste du début du XXè siècle aux faux airs de Bret Easton Ellis, Velimir Khlebnikov a passé les dernières années de sa vie en hôpital psychiatrique pour échapper à sa mobilisation dans l’Armée Rouge. Il en ressortira brisé et mourra vagabond dans la campagne russe. L’invention de Khlebnikov fut le zaoum, une pratique qui consiste à organiser les vers d’un poème en fonction de leur sonorité et non de leur sens, proche de l’invention du surréalisme. Son recueil le plus caractéristique, Zanguezi, n’arriva en France qu’en 1996. La construction de sa poésie est née de recherches avancées en mathématiques.
Alexandre Nevski

Également connu sous le nom d’Alexandre de la Neva, c’est un des plus grands héros nationaux de la Russie. On le reconnait également comme l’un des saints les plus importants de l’église orthodoxe russe. Le roi Alexandre acquit ses lettres de noblesse après avoir terrassé les Suédois lors de la bataille de la Neva, puis en repoussant les chevaliers Teutoniques à la bataille du lac Peïpous, écartant ainsi le “danger” de la conversion de la Russie à la religion catholique… C’est également Tcherkassov qui interpréta son rôle dans le film d’Eisenstein…

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Jan 9, 2011 | Livres et carnets |

Je ne savais pas que Rilke avait écrit un roman, un seul roman, lui, le poète reconnu pour ses élégies, ses lettres ou ses relations avec la sulfureuse Lou-Andreas Salomé. En me renseignant un peu, je découvre ce roman au titre borgesien : Les Cahiers de Malte Laurids Brigge. La lecture de ce passage que je ne connaissais pas mais qui passe pour être connu invite à l’humilité, à la simplicité mais surtout à la naïveté dont doit faire preuve celui qui écrit. Ce que nous dit Rilke, c’est qu’il ne suffit pas d’avoir vécu, ou d’avoir souffert et de s’être pris des claques pour connaître le monde, un monde fait de dualités…
Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir quel mouvement font les petites fleurs en s’ouvrant le matin. Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils vous apportaient une joie et qu’on ne la comprenait pas (c’était une joie faite pour un autre), à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyage qui frémissaient très haut et volaient avec toutes les étoiles – et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela. Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient. Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à‑coups. Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers.
Les Cahiers de Malte Laurids Brigge (1910)
Rainer Maria Rilke (1875–1926)
En parlant de Borges, je cite également ces très beaux mots que j’avais lu de lui dans l’Autre, tandis qu’il rencontre son double et qu’il sait qu’il devient progressivement aveugle :
Tu deviendras aveugle. Mais ne crains rien, c’est comme la longue fin d’un très beau soir d’été.
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Dec 12, 2010 | Livres et carnets |

La neige à travers la brume
Tombe et tapisse sans bruit
Le chemin creux qui conduit
À l’église où l’on allume
Pour la messe de minuit.
Londres sombre flambe et fume :
Ô la chère qui s’y cuit
Et la boisson qui s’ensuit !
C’est Christmas et sa coutume
De minuit jusqu’à minuit.
Sur la plume et le bitume,
Paris bruit et jouit.
Ripaille et Plaisant Déduit
Sur le bitume et la plume
S’exaspèrent dès minuit.
Le malade en l’amertume
De l’hospice où le poursuit
Un espoir toujours détruit
S’épouvante et se consume
Dans le noir d’un long minuit…
La cloche au son clair d’enclume
Dans la tour fine qui luit,
Loin du péché qui nous nuit,
Nous appelle en grand costume
A la messe de minuit.
Paul Verlaine (1844–1896)
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