L’ar­cher scythe du vase de Kul-Oba, la « mala­die fémi­nine » et le peuple d’Ashkenaz

L’ar­cher scythe du vase de Kul-Oba, la « mala­die fémi­nine » et le peuple d’Ashkenaz

Trésor de Kul-Oba, vase en électrum (détail archer) - Musée de l'Ermitage - Saint-Petersbourg

Prince scythe ten­dant l’arc d’Hé­ra­clès. Tré­sor de Kul-Oba, vase en élec­trum — Musée de l’Er­mi­tage — Saint-Peters­bourg. Deuxième moi­tié du IVè siècle avant notre ère.

Dans la Table des Nations, le patriarche Ash­ke­naz est le fils de Gomer, lui-même fils de Japhet, lui-même un des trois fils de Noé (ai-je déjà dit qu’il fal­lait lire l’An­cien Tes­ta­ment pour sa richesse ?). Si Japhet est l’an­cêtre des peuples vivant au nord de la médi­ter­ra­née, Gomer (גמר), l’aî­né de ses fils, est l’an­cêtre du peuple cim­mé­rien (Κιμμέριοι en grecGimir­raya en assy­rien — rien à voir avec Conan le Bar­bare), appa­ren­té aux Thraces ins­tal­lés en Tau­ride et dont le nom est à l’o­ri­gine du mot Cri­mée. Plus géné­ra­le­ment, on attri­bue à Gomer la paren­té des peuples euro­péens de l’ouest. Ash­ke­naz donc, fils de Gomer, est un nom qu’on connait pour dési­gner les Juifs d’Eu­rope de l’est et du nord, et pour les dis­tin­guer des Séfa­rades, les Juifs d’Eu­rope du sud et du Magh­reb, mais avant de dési­gner ces peuples, il est à l’o­ri­gine d’un autre mot : il a don­né en grec Σκὐθαι (Skú­thai), Ish­ku­za ou Asku­zai en assy­rien, et dans le lan­gage moderne, il s’est appa­ren­té au nom du peuple des Scythes. Ces guer­riers redou­tables, dont l’aire d’ex­pan­sion s’é­tend de l’ac­tuelle Ukraine à l’ouest jus­qu’aux contre­forts du Tad­ji­kis­tan et de la Bac­triane à l’est, demeurent connus pour leur orfè­vre­rie très riche, notam­ment par la décou­verte de fabu­leux tré­sors d’or caché dans des tumu­lus funé­raires. On attri­bue au peuple d’Ash­ke­naz la paren­té des peuples scan­di­naves et russes.
Tom­bé par hasard sur la repré­sen­ta­tion ci-des­sus d’un archer, repro­duit sur le vase en élec­trum du tré­sor trou­vé dans le kour­gane de Kul-Oba, je n’ai pu faire autre­ment que de m’ex­ta­sier sur la finesse d’exé­cu­tion de cet homme, dont le geste s’est trans­mis à tra­vers les âges, d’au­tant que ce vase date de la seconde moi­tié du IVè siècle avant notre ère, ce qui révèle un haut niveau de tech­no­lo­gie. Ce qui me semble le plus frap­pant, c’est la maî­trise par­faite de la gra­vure en bas-relief, exces­si­ve­ment bien ren­due dans l’or­don­nan­ce­ment des pos­tures ana­to­miques dans le corps de cet archer repré­sen­té de pro­fil. Ce vase repré­sente en tout quatre scènes.

  1. Une scène mon­trant un homme avec les doigts dans la bouche de l’autre, indi­quant clai­re­ment les soins de den­tis­te­rie connus à cette époque.
  2. La deuxième scène montre un homme en train de pra­ti­quer un ban­dage sur la jambe d’un guer­rier blessé.
  3. La troi­sième montre deux sol­dats en armes assis l’un en face de l’autre. L’un des deux semble être un prince.
  4. La qua­trième repré­sente cet archer, en réa­li­té un prince scythe qui fait réfé­rence non pas au mythe chré­tien des ori­gines du peuple mais au mythe grec, impli­quant Héraclès :

Lorsque le héros Héra­clès se fut accou­plé avec le monstre Échid­na, cette der­nière mit au monde trois gar­çons. Puis vint le moment pour Héra­clès de conti­nuer sa route. Mais le jour du départ, Échid­na deman­da à son amant ce qu’elle devrait faire de leurs enfants, une fois par­ve­nu à l’âge d’homme. Héra­clès prit l’un de ses deux arcs et son bau­drier qu’il don­na à Échid­na. Il ajou­ta que celui des trois qui par­vien­drait à posi­tion­ner le bau­drier et à ban­der l’arc comme lui-même le fai­sait, devien­drait le roi du pays. Les deux autres frères devraient alors s’exiler. Arri­vé à l’âge d’homme, Échid­na ras­sem­bla ses trois enfants, Aga­thyr­sos, Gélo­nos et Scy­thès. Le test pou­vait alors com­men­cer. Seul Scy­thès par­vint à réus­sir les deux épreuves. Comme l’avait exi­gé Héra­clès, Échid­na don­na le pou­voir suprême au vain­queur, tan­dis que ses deux autres enfants s’exilèrent. À ce moment, Scy­thès don­na son nom à cette région et à son peuple. (source Wiki­pe­dia)

J’ai trou­vé éga­le­ment cet extrait du livre de Fatih Cimok rap­por­tant une autre légende, rap­por­tée par Héro­dote dans son Enquête, une légende pour le moins cocasse…

Le pha­raon Psam­mé­tique I (663–609 avant notre ère) les paya pour qu’ils ne dévastent pas son pays.
Lors de leur retour, les Scythes pillèrent Ash­ke­lon, un acte qui, d’a­près Héro­dote, pro­voque la malé­dic­tion de la déesse qui les infli­gea d’une mala­die appe­lée “mala­die fémi­nine”, c’est-à-dire l’ho­mo­sexua­li­té, dont “souffrent encore leurs des­cen­dants” ; cette his­toire a pu ins­pi­rer la remarque de Samuel (I Sm 5:6) que Dieu a infli­gé des hémor­roïdes aux Phi­lis­tins d’Ash­dod pour avoir pro­fa­né l’Arche d’Al­liance.

Fatih Cimok, Ana­to­lie biblique, de la Genèse aux Conciles
A Turizm Yayın­ları, İst­anb­ul, 2010

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Des his­toires d’argent, de pierres et de tré­sors et l’ap­pren­ti sorcier

Tahir Shah au cours de sa quête ini­tia­tique ren­contre Mr Kri­sh­nan qu’on lui désigne comme étant l’homme le plus riche du monde. Évi­dem­ment, dit comme ça, ça peut prê­ter à sou­rire car on ne s’at­tend évi­dem­ment pas à trou­ver ce per­son­nage émi­nent dans les bas-fonds de Ban­ga­lore. Tahir va donc à la ren­contre de cet homme le plus riche du monde, une homme ridé d’à peine un mètre soixante enve­lop­pé d’une cou­ver­ture beige rapié­cée, un mil­liar­daire sans le sou.

Pho­to © NZ Dave

Mr Kri­sh­nan raconte alors sa ter­rible his­toire à Tahir Shah. Né dans une famille de fer­mier, on lui apprit très tôt qu’il était en fait des­cen­dant des rois de Vijaya­nâ­ga­ra, et afin de véné­rer la mémoire de ces ancêtres, on vouait un culte à quelques vieux objets entas­sés dans une pièce spé­ciale de la mai­son et qui se trans­met­taient de géné­ra­tion en géné­ra­tion. Mr Kri­sh­nan épou­sa la car­rière terne de juriste et se maria, eut quatre enfants et au terme de trente-deux ans d’ac­ti­vi­té dut mettre un terme à sa car­rière en rai­son d’une san­té fra­gile. Peu por­té sur les choses de la reli­gion, Mr Kri­sh­nan avait mis au rebut son butin ances­tral et sur les injonc­tions de sa femme, se déci­da à faire don de ses objets à de bonnes œuvres reli­gieuses, mais devant les tra­cas­se­ries admi­nis­tra­tives que cela engen­drait, il se réso­lut à tout gar­der. Enfin, un soir, il s’in­té­res­sa d’un peu plus près à quatre lin­gots de forme oblongue, recou­verts de suie et de crasse, se disant que c’é­tait peut-être de l’or. Alors il se mit à grat­ter, à frot­ter, à récu­rer et décou­vrit des objets de cou­leur vive. Pen­dant deux ans, l’homme étu­dia la miné­ra­lo­gie et la gem­mo­lo­gie de peur de se faire rou­ler par le pre­mier mar­gou­lin à qui il deman­de­rait une esti­ma­tion. Il en vint à la conclu­sion que les lin­gots étaient en fait trois énormes rubis roses et un saphir abso­lu­ment colos­sal qui avaient tra­ver­sé les âges sous leur épais­seur de crasse. La pos­ses­sion de ces énormes pierres ne fit qu’ag­gra­ver l’é­tat de san­té de l’homme déjà malade mais il fit tout de même tailler les pierres par une per­sonne de confiance, et finit par en révé­ler l’existence.
Le pre­mier rubis fai­sait 215 carats, le second 650, taillé dans une pierre qui à l’o­ri­gine en  fai­sait 1125. Le troi­sième, une fois taillé s’an­non­çait à 2475 carats. Le volume et la rare­té de la pierre fit por­ter l’es­ti­ma­tion de son prix à plus de 24 mil­liards de livres ster­ling. Le saphir quant à lui, fai­sait 1370 carats et son esti­ma­tion attei­gnait les 3 mil­liards de livres.
B. Kri­sh­nan allait marier ses filles et vivait dans un appar­te­ment à cent cin­quante rou­pies par mois, mais d’argent il n’a­vait point, car si la somme colos­sale qu’il pos­sé­dait par devers lui fai­sait de lui un homme bien plus riche que le sul­tan du Bru­nei ou Bill Gates, per­sonne au monde ne peut s’of­frir la plus petite de ses pierres, ce qui ne lui per­met pas de payer la dot de ses filles.

Pho­to © Susanne Stoop

A l’autre bout du monde(1), en Bel­gique se trouve une rue, le long de la voie fer­rée aux abords de la gare d’An­vers, une petite rue sombre et pous­sié­reuse, sans charme, por­tant le doux nom de Peli­kaans­traat. C’est le quar­tier des dia­man­taires dont la plu­part sont des has­si­dims ou des Indiens. Mine de rien, c’est la rue la plus chère du monde. Ici l’argent tient à peu de choses et le chiffre d’af­faire annuel s’é­lève à plus de 28 mil­liards de dollars.

Le mois der­nier, Arte a dif­fu­sé un docu­men­taire appe­lé le tré­sor de la famille Atkin(2), dif­fu­sé après Mon­sieur Klein(3). C’est le genre d’his­toire sur laquelle on tombe un peu par hasard et qui séduit tout de suite par le ton sur lequel l’his­toire est racon­tée. Mark Atkin arrive à Lodz en Pologne, et retrouve la pro­prié­té de son grand-père, un indus­triel qui a fait for­tune dans le caou­tchouc. En 1939, il est obli­gé de quit­ter sa mai­son à cause des nazis et enterre dans son jar­din, dans une bai­gnoire, quelques uns de ses plus beaux objets. Dans sa mai­son, il cache son argent, des objets de valeurs dans les par­quets, dans les murs…

Pho­to © Stan Barans­ki

Il confie ce secret à son fils qui le confie lui-même à son fils, Mark, lequel revient et retrouve la mai­son. Il offre le voyage à son père et com­mence à creu­ser le jar­din de la pro­prié­té. Mais l’ar­mée débarque et menace de les faire enfer­mer. La mai­son du grand-père de Mark est désor­mais sous le contrôle de l’ar­mée polo­naise qui y a ins­tal­lé ses labo­ra­toires secrets. Autant dire que l’ac­cès en est impos­sible, alors com­mence le bal des démarches admi­nis­tra­tives car Mark aime­rait ne serait-ce que pou­voir entrer dans la mai­son. Il arrive à faire inter­ve­nir le maire, en vain…
C’est une incroyable chasse au tré­sor qui s’en­gage au beau milieu des tra­cas­se­ries admi­nis­tra­tives d’un pays qui semblent encore vivre à l’é­poque du rideau de fer… Tout semble per­du face à l’ar­mée lorsque l’a­vo­cat de Mark lui apporte une bonne nou­velle ; la famille est tou­jours pro­prié­taire de la mai­son. Sa famille et lui pour­ront péné­trer dans la maison…


Tahir Shah est un drôle de per­son­nage. Eth­no­logue, fils de Sayed Idries Shah, le jeune Tahir passe une par­tie de son enfance avec un Afghan, Hafiz Jan(4), un grand type à la peau brune par­che­mi­née, ne quit­tant jamais son tur­ban, un per­son­nage sombre dont la malle contient toutes sortes de poudres, de philtres et d’ins­tru­ments et qui intriguent l’en­fant. Les deux hommes deviennent com­plices et Tahir sup­plie Hafiz de lui apprendre la sor­cel­le­rie, com­ment ava­ler un sabre ou mar­cher sur des braises, ou encore don­ner l’im­pres­sion qu’un cou­teau tra­verse la peau sans que la moindre goutte soit ver­sée. Le jeune Tahir fait alors son appren­tis­sage de jeune sor­cier, d’illu­sion­niste (Jadoo­wal­la) avec le vieil homme jus­qu’au jour où une démons­tra­tion tourne mal et manque d’en­voyer les deux hommes au royaume des ombres. Hafiz Jan fait alors sa malle et décide de retour­ner dans son pays.
Des années plus tard, Tahir pren­dra la route et ira retrou­ver le vieil Afghan pour lui deman­der de ter­mi­ner son édu­ca­tion de magi­cien, mais celui-ci refu­se­ra, gar­dant en mémoire l’é­vé­ne­ment qui faillit les tuer, et lui donne le nom de celui qui lui a tout appris, le ter­ri­fiant Hakim Feroze. L’ap­pren­ti sor­cier raconte cette ini­tia­tion dans un pays, l’Inde, où pos­sé­der des dons de magi­cien, où illu­mi­ner les foules par des exploits fon­dés sur l’illu­sion est une ques­tion de pou­voir. Hakim Feroze est un per­son­nage très étrange, ave­nant, cha­ris­ma­tique et très culti­vé, et à par­tir du moment où Tahir Shah aura réus­si à le convaincre de reprendre du ser­vice pour mener à bien son édu­ca­tion d’illu­sion­niste, il se mon­tre­ra d’une exi­gence fri­sant la tyran­nie, d’une cruau­té qui ne souffre aucune incar­tade. Le der­nier stade de l’ap­pren­tis­sage de Tahir consiste à sillon­ner l’Inde à la recherche de ces «choses excep­tion­nelles» qui sont l’ar­rière-cour de ce pays que nous ne connais­sons pas sous cet angle. Un livre incroyable dans lequel on découvre les métiers les plus impro­bables par­mi les­quels de cruels Thugs, des net­toyeurs d’in­ters­tices de lames de plan­cher, des loueurs de bébé et de ter­ri­fiants Kon­kal­wal­la — des voleurs de cadavres qui les font bouillir, les net­toient puis vendent les sque­lettes pour les cours de biologie.

L’ap­pren­ti sor­cier, Tahir Shah,
Edi­tions de Fallois

Notes:
(1). Je ne pen­sais pas un jour pou­voir me rap­por­ter à une chro­nique du Point.
(2). Qu’on peut encore  voir sur le site inter­net d’Arte.
(3). Peut-être le seul bon film d’A­lain Delon, avec éga­le­ment William Wil­son, de Louis Malle, dans les his­toires extra­or­di­naires.
(4). Hafiz Jan est le gar­dien du tom­beau des ancêtres de Tahir Shah.

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