Oct 4, 2016 | Sur les portulans |
Certains l’appellent « arbre qui marche », d’autres disent que ses racines vont vers le ciel et ses branches vers le sol. Certains enfin le prennent pour une forêt alors que ce n’est finalement qu’un seul arbre. Il porte à la fois des petits troncs et des grands, mais toujours est-il qu’il n’en a jamais un seul. C’est un arbre pieuvre, tentaculaire, avec un tronc principal et d’autres périphériques, certains diront même que c’est une plante parasite, ce qui n’est pas loin d’être la vérité, puisque considéré comme une plante épiphyte, c’est-à-dire que la grande peut se développer au creux d’une anfractuosité d’un autre arbre. Une fois que les racines aériennes touchent terre, elles se développent en pleine terre et la plante devient arbre.
Le grand banian du jardin botanique de Howrah, ville du Bengale Occidental en Inde, est assurément le plus grand du monde avec une circonférence qui avoisine les 420 mètres, pour un diamètre de 130 mètres, et il continue de se propager malgré la destruction par la foudre de son tronc-mère.
Le banian, c’est un peu la forêt qui cache l’arbre… Le multiple qui n’est qu’un, comme une métaphore de l’univers des Hommes…
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Mar 11, 2016 | Livres et carnets, Sur les portulans |
Les Zoroastriens construisaient des tours appelées “Tours du silence”, dakma ou dakhmeh. Les tenants de cette religion née il y a trois ou quatre mille ans aujourd’hui en déclin continu vivaient au cœur de l’Iran, dans ce qu’on appelle aujourd’hui la Mésopotamie. Dans cette religion monothéiste (la plus ancienne du monde) issue du mazdéisme et prophétisée par Zarathoustra, le Dieu supérieur, Ahura Mazdâ (le seigneur de la sagesse) préside à l’équilibre de la lumière et de l’obscurité, le bien et le mal. Dans cette religion que certains soldats romains pratiquaient en silence, l’image du cadavre est impure et les éléments principaux de cette croyance que sont l’eau, le feu et la terre, ne doivent en aucun cas être souillés par le cadavre en décomposition. Aussi, l’enterrement était-il proscrit, aussi bien que l’incinération ou que le dépôt dans une rivière ou un fleuve. C’est la raison pour laquelle on construisait ces tours, au sommet desquelles ont disposait les cadavres afin qu’ils soient dévorés par les oiseaux charognards. Les ossements récurés étaient récupérés et placés dans des ossuaires.
Tour du silence de Mumbai
Il ne reste aujourd’hui que deux tours du silence en Iran, et les seuls Zoroastriens (les Pārsis) qu’on trouve encore aujourd’hui vivent en Inde, le mot de Pārsi lui-même signifiant “peuple de Perse”. Il est donc naturel qu’on trouve dans la région de Mumbai et de Bangalore des édifices liés à cette pratique, mais la raréfaction des oiseaux charognards dans cette région du monde rend l’équilibre difficile et pousse certains à souhaiter élever des vautours captifs.
Tour du silence de Mumbai. On voit particulièrement bien sur cette photo les cercles concentriques et les emplacements réservés aux corps. Les hommes sont placés sur le cercle en périphérie, les femmes et les enfants sur l’autre.
Si j’introduis cet article par les tours du silence, c’est pour attirer l’attention sur le fait que cette pratique funéraire qui peut paraître choquante remonte à des temps très anciens, et que de nombreux sites archéologiques, dont celui de Göbleki Tepe en Turquie, réputé comme étant le plus ancien site religieux du monde et datant de 12 000 ans, semblent avoir pratiqué ce rite funéraire. On pense aussi que le site de Stonehenge avait peut-être également cette fonction. A‑delà d’un aspect purement religieux, le fait de faire dévorer les cadavres par les charognards comporte une aspect sanitaire non négligeable qui est celui de se débarrasser des corps qui peuvent être porteurs de maladies et dont on sait parfaitement que l’enfouissement est souvent à l’origine d’épidémies de choléra par contamination des puits.
Site de funérailles célestes dans la vallée de Yerpa au Tibet
Il existe aujourd’hui d’autres sites, notamment au Tibet, où l’on pratique ce rite funéraire portant le nom de jhator (བྱ་གཏོར་), pratiqué d’une manière différente, puisque dans ce cas, le corps est préparé pour les charognards, c’est-à-dire découpé. Ce n’est pas un hasard si on retrouve cette pratique sur le toit du monde, au Tibet, car c’est un pratique encouragée dans le bouddhisme vajrayāna (वज्रयान) et qui a longtemps été observée comme rite funéraire majoritaire au titre de la transmigration des esprits. Le corps n’est rien, ce n’est qu’une enveloppe terrestre, le vaisseau de nos émotions et le transport de notre présence au monde, mais ce n’est que ça. On imagine aussi que pour des raisons pratiques, les “funérailles célestes” sont à plusieurs titres plus praticables que la crémation. D’une part, dans les hautes montagnes, les lieux sont souvent trop rocailleux pour permettre un enterrement, mais également, il y a souvent trop peu d’arbres et de bois pour permettre la crémation. C’est en tout cas une pratique courante et complètement intégrée à la religion bouddhique, un peu marginale par rapport à la crémation, même si elle peut paraître outrancière et choquante pour certaines personnes.
Dans un livre que j’ai lu récemment (Thaïlande, par Isabelle Massieu) et qu’on peut trouver en accès libre sur internet (Comment j’ai parcouru l’Indochine), j’ai retrouvé la trace de cette pratique dans l’ancien royaume de Siam, au cœur de Bangkok qui n’est encore qu’une petite ville habitée de 800 000 habitants alors que nous sommes au tout début du XXè siècle. L’auteure de ce texte ne cache pas sa répugnance, même elle ne se place qu’en observatrice. Nous sommes alors dans un lieu encore très touristique aujourd’hui, qu’on appelle trivialement le Golden Mount, mais qui s’appelle en réalité Wat Saket Ratcha Wora Maha Wihan, et dont j’ai parlé récemment, puisque c’est dans ce lieu que pendant un temps furent conservées les reliques du Bouddha Shakyamuni. Mais qui se doute aujourd’hui que ce temple renfermait alors la plus grande cité des morts du royaume de Siam ? Écoutons Isabelle Massieu nous décrire le lieu, tout en lui pardonnant ses jugements de valeur et le fait qu’elle nous écrive depuis l’année 1901…
A la fin de ce texte, se trouve un lien vers un article qui décrit le business de la mort en Thaïlande aujourd’hui et qui remet en perspective ces rites qui nous semblent presque d’un autre âge, même si en réalité, ce ne sont que des souplesses.
La pagode de Wat Saket, la grande nécropole siamoise, dresse pittoresquement son phnom appelé « montagne d’or » sur un monticule verdoyant, à l’extrémité d’un pittoresque canal : sous ses frais ombrages s’étendent l’appareil crématoire, le charnier et l’odieux cimetière d’où on extrait les cadavres pour un dépècement effroyable, conforme à la volonté du défunt. Les corps des hauts fonctionnaires sont conservé un ou deux mois, quelques fois plusieurs années, dans une urne munie d’un long tube vertical en bambou qui permet aux gaz délétères de s’échapper par le toit de la maison. Avant de le porter au bûcher, on fait faire au mort trois fois le tour de sa demeure en courant, afin qu’il n’y revienne pas. La religion interdit de brûler de suite les gens décédés rapidement, de mort violente ou d’épidémie. Les corps doivent reposer en terre pendant quelques jours ; mais les fossoyeurs enterrent à fleur de sol et les chient se joignent aux vautours pour déterrer les cadavres. Les abords du cimetière sont ainsi jonchés de têtes et d’ossements à demi rongés. Faire dévorer son corps par les vautours est une sépulture noble qui procure des grâces insignes ; leur abandonner un membre est un acte méritoire. Bouddha a ordonné, en signe d’expiation, que les corps des condamnés fussent entièrement dévorés. Les corps sont brûlés en totalité ou en partie, et les gens de distinction et de foi raffinée ne manquent pas de réserver une part quelconque d’eux-mêmes aux corbeaux, aux chiens, aux porcs ou aux vautours ; aussi tous ces répugnants animaux sont-ils légion dans le charnier, sans préjudice de la ville, où ils se répandent. Le corps, quelquefois plus ou moins corrompu, est découpé sur des pierres ad hoc placées à terre. Les entrailles sont réservées à tels animaux, une cuisse aux porcs, un bras aux chiens ou aux corbeaux, et le reste est disposé sur un bûcher assez maigre dont on agite les débris pour obtenir une meilleure combustion. Ailleurs, le sapareu (croquemort), après avoir pris dans la bouche du mort, où elle a été placée, la pièce de monnaie qui constitue son salaire, lui ouvre le ventre et lui entaille les membres, puis s’écarte pour faire place aux oiseaux de proie. Les vautours rassemblés qui guettent sur les arbres, sur les toitures ou sur le sol, s’abattent sur le cadavre, et on ne distingue plus pendant quelques instants qu’un monceau d’ailes sombres qui battent frénétiquement. Lorsque les os sont déjà presque à nu, le sapareu écarte les oiseaux avec un grand bâton , retourne le corps et entaille profondément le dos. Le nuage noir s’abat de nouveau et, quelques instants après, il ne reste qu’un squelette dont le bûcher a bientôt raison. Vautours, corbeaux, chiens, porcs aux ventres traînants ont eu la part désignée, les rites sont accomplis et de nombreux mérites sont acquis au défunt.
Ces scènes effroyables se passent à l’ombre d’arbres charmants ; les grils funéraires jonchent la verte pelouse, et des fleurs s’épanouissent en multitude autour des petits pavillons aériens, aux toits relevés en hautes pointes, qui constituent les édicules de dépècement.
Ici, des bières béantes disent que la dépouille de leur propriétaire a reçu sa destination terrestre ; là, deux corps achèvent de se consumer, et plus loin, dans les salas ouverts, se reposent les parents et les amis qui assistent à la cérémonie et ont dû apporter chacun un morceau de bois au bûcher. Quand nous nous sauvons, confondus de ces scènes d’horreur que Dante n’eût osé rêver, les immondes repus font la sieste ; une vieille femme très macabre nous poursuit tenant en main un os maxillaire à demi édenté qu’elle veut placer sur nos figures, et un vieux sapareu offre en ricanant à notre admiration pour nous la faire acheter, une tête de mort dont il fait jouer la mâchoire. Comme, en revenant, nous flânons aux boutiques, nous arrivons devant une maison en fête, dans laquelle on nous invite à entrer. Tout le monde est paré et a l’air riant ; on voit partout des fleurs et des ornements ; il y a évidemment un mort dans la maison. Il semble que les Siamois aient à se réjouir de voir leurs parents et leurs amis quitter cette vallée de larmes. Ils considèrent que leur pleurs seraient une offense au mort, et pourraient le retarder et l’entraver sur la voie des diverses incarnations par lesquelles il doit passer. Nous sommes dans une sorte de large boutique sans devanture, un guéridon est au milieu sur lequel on s’empresse de nous apporter un plateau chargé de minuscules tasses de thé. A notre droite s’élève une pyramide d’étagères bien garnies, et au sommet se trouve le grand coffre dans lequel la morte est enfermée. Des parfums délicieux nous entourent et de spongieuses goyaves sont placées à profusion près du corps, pour absorber les miasmes qui s’en échappent. Toutes les femmes de la maison sont habillées de blanc, c’est la couleur du deuil, et les proches parents ont la tête rasée. Après l’arrière-boutique, où les femmes sont réunies, se trouve une cour pleine de fleurs et d’arbustes placés dans des caisses ou des faïences. Le Siamois, comme le Chinois ou le Japonais, trouve les arbustes d’autant plus beaux qu’à force de les tailler il est parvenu à faire venir plus directement les pousses fraîches sur le vieux bois. Tout est propre en ce jour de réception, nous sommes chez de riches commerçants. Un grand escalier accède à la salle supérieure. Des friandises, des sucreries, des tasses, des services de toutes sortes se rencontrent partout. Nous devons, sous peine de ne pas être polis, accepter, de nouveau, thé ou soda water et bonbons variés qui remplissent une quantité de petites assiettes. La table en est couverte, la gaité et le sourire de ces gens qui viennent de perdre un des leurs est vraiment une étrange chose. Ils ont le culte de leurs morts, leur joie n’est qu’une forme de politesse, c’est aussi selon leurs idées une dernière marque d’affection qu’ils témoignent au défunt. Sur un mur, on voit les photographies des chapelles ardentes, de la mère de la défunte et de quelques parents, devenus de précieux souvenirs pour les survivants. Mon compagnon, qui avait beaucoup étudié les Siamois et circulé dans l’intérieur du pays, prétendait que leurs sentiments de famille sont très vifs. Il me disait avoir rencontré, dans une de ses étapes, une maison dans laquelle l’odeur pénétrante des goyaves et tous les parfums de l’Asie ne parvenaient pas à masquer l’intensité de celle qu’exhalait le cadavre. Par devoir, un vieillard couchait depuis un an au pied du cercueil de sa femme, qui, pour une cause quelconque, attendait encore d’être brûlée. Selon les lois de l’hospitalité, mon compagnon avait été invité à coucher dans cette chambre funèbre, honneur qu’il s’était d’ailleurs empressé de décliner, pour passer la nuit dans son bateau, amarré à la berge ; mais les exhalaisons de la maison allèrent jusqu’à lui, si bien qu’il en fut malade.
Isabelle Massieu, Thaïlande
Magellan & Cie, collection Heureux qui comme… , numéro 87 , (mars 2014)
Liens (attention, certaines images peuvent heurter la sensibilité des lecteurs):
Photo d’en-tête © Claude Dopagne
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Jan 3, 2016 | Sur les portulans |
L’histoire des reliques du Bouddha du stūpa de Piprahwa est une histoire folle à laquelle on a du mal à apporter du crédit, mais tout y est authentique malgré une accumulation de faits absolument improbables.
Tout commence dans la banlieue de Londres, dans une petite maison modeste d’un quartier tout aussi modeste, à la porte de laquelle on trouve une inscription dans une langue qu’on ne parle qu’à des milliers de kilomètres de là, dans ce qui reste des Indes… Sous un escalier, une boîte en bois, une cantine militaire en réalité, une vieille cantine provenant d’un héritage… Ce n’est pas l’histoire d’Harry Potter, mais ça commence presque pareil. L’homme qui garde ce trésor s’appelle Neil Peppé (même le nom de cet homme est improbable…), il est le petit-fils d’un certain William Claxton Peppé, un ingénieur et régisseur britannique vivant aux Indes, dans l’actuelle province de l’Uttar Pradesh (उत्तर प्रदेश), à la suite de son père et de son grand-père qui a fait construire la demeure familiale de Birdpore (actuelle Birdpur), un minuscule état créé par le Gouvernement Britannique.
Neil Peppé avec les joyaux trouvés par son grand-père dans le stupa de Piprahwa
Charles Allen examinant les joyaux de Piprahwa
Dans cette cantine, des photos de son grand-père, mais ce n’est pas réellement cela qui nous intéresse. Dans cette petite maison se trouve en réalité un trésor inestimable ; certainement un des plus petits musées du monde abrite, enchâssés dans de petits cadres vitrés, des perles, des fleurs en or, des restes de joyaux disséminés, des verroteries, de petites fleurs taillées dans des morceaux de pierres semi-précieuses, le tout provenant d’une excavation réalisées par le grand-père de Neil en 1897 dans le stūpa de Piprahwa, à quelques kilomètres de Birdpore. L’homme, qui n’est pas exactement archéologue, décide avec quelques uns de ses ouvriers, de percer un tumulus isolé en son point le plus haut. Ce qu’il découvre là, c’est une construction en pierre qui se révèle être un stūpa, ce qui était bien son intuition première. Après avoir dégagé les pierres de la construction, il tombe sur ce qui ressemble à un caveau, dans lequel il trouve un sarcophage qu’il se décide à ouvrir. Son intuition, la même que celle qui l’a poussé à entreprendre ces travaux, lui dit qu’il est en présence d’un trésor fabuleux. Dans le cercueil de pierre, il trouve cinq petits vases, cinq urnes comme on en trouve d’ordinaire dans la liturgie hindouiste, cinq objets façonnés modestement, et disséminées tout autour de ces objets, les perles et les verroteries que Neil exhibe fièrement dans ses cadres en verre. Il trouve également de la poussière dans laquelle sont éparpillés des morceaux d’os. Étrange découverte.
Stupa de Piprahwa
Reliques de Bouddha trouvées dans le stupa de Piprahwa
William Claxton Peppé est persuadé d’avoir trouvé un vrai trésor et pour se faire confirmer sa découverte, il décide d’en informer deux archéologues travaillant à une trentaine de kilomètres de là. Le premier, Alois Anton Führer, se déplace immédiatement après avoir posé une question à Peppé. Ce qu’on ne sait pas encore, c’est que Führer, cet Allemand travaillant à la solde du Gouvernement Britannique, est en réalité tout sauf archéologue. Même s’il a découvert de nombreux sites d’importance, c’est en réalité un escroc qui a falsifié certaines pièces ayant moins d’intérêt qu’elle n’en avaient après son passage. Si Führer se décide à se déplacer si rapidement, c’est parce qu’il a demandé à Peppé s’il y avait une inscription sur un des objets. Peppé ne s’était même pas posé la question, mais il remarque alors qu’un des petits vases porte une inscription dans une langue qu’il ne connaît pas. Il en reproduit fidèlement l’inscription. S’ensuit alors une période trouble pendant laquelle on accuse Führer d’avoir lui-même écrit sur le vase et d’avoir falsifié une fois de plus ces pièces. Mais l’homme est un piètre sanskritiste et l’inscription est suffisamment ancienne pour que l’homme ne connaisse pas cette langue. L’inscription est un peu maladroite, son auteur n’a pas eu assez de place pour tout noter et une partie de la phrase continue en tournant sur le haut de la ligne. Il y est dit : « Ce reliquaire contenant les reliques de l’auguste Bouddha (est un don) des frères Sakya-Sukiti, associés à leurs sœurs, enfants et épouses. » Ce qui fait dire aux spécialistes que ces reliques sont authentiques, c’est que le mot sanskrit utilisé pour désigner le mot reliquaire n’est utilisé nulle part ailleurs sur le même genre d’objets. Ce qui est certain, c’est que Führer n’aurait lui-même jamais pu connaître ce mot.
Mais alors, si ces reliques sont authentiques, qu’est-ce qui permet aux scientifiques d’affirmer que ces objets ont bien été ensevelis avec les restes du Bouddha ? Dans la tradition, le Bouddha Shakyamuni (« sage des Śākyas, sa famille et son clan ») a été incinéré et ses cendres réparties dans huit stupas. Afin de prendre un raccourci bien commode qui nous permettra de mieux comprendre l’inscription, voici l’histoire (source Wikipedia) :
Le Bouddha mourut, selon la tradition, à quatre-vingts ans près de la localité de Kusinâgar. Il expira en méditant, couché sur le côté droit, souriant : on considéra qu’il avait atteint le parinirvāṇa, la volontaire extinction du soi complète et définitive. Le Bouddha n’aurait pas souhaité fonder une religion. Après sa mort s’exprimèrent des divergences d’opinions qui, en l’espace de huit siècles, aboutirent à des écoles très différentes. Selon le Mahāparinibbāṇa Sutta, les derniers mots du Bouddha furent : « À présent, moines, je vous exhorte : il est dans la nature de toute chose conditionnée de se désagréger — alors, faites tout votre possible, inlassablement, en étant à tout moment pleinement attentifs, présents et conscients. » Selon ce même sutra, son corps fut incinéré mais huit des princes les plus puissants se disputèrent la possession des sarira, ses reliques saintes. Une solution de compromis fut trouvée : les cendres furent réparties en huit tas égaux et ramenées par ces huit seigneurs dans leurs royaumes où ils firent construire huit stūpas pour abriter ces reliques. Une légende ultérieure veut que l’empereur Ashoka retrouva ces stūpas et répartit les cendres dans 84 000 reliquaires.
Nous voilà à peine plus avancés. Seulement, en y regardant de plus près, les datations du stupa révèlent que celui-ci a été construit entre 200 et 300 ans après la mort du Bouddha, située entre 543 et 423 av. J.-C., ce qui correspond à l’époque à laquelle vécut le roi Ashoka (अशोक). L’inscription du vase elle-même correspond à une langue qui n’était pas encore utilisée à l’époque de la mort de Bouddha. Il y a donc un creux qu’il faut expliquer. Entre 1971 et 1973, un archéologue indien du nom de K.M. Srivastava a repris les fouilles dans le stupa et y a trouvé une autre chambre, dans laquelle se trouvait un autre vase, de conception similaire à celle du vase sur lequel se trouve l’inscription. Dans ce vase, des restes d’os datés de la période de la mort du Bouddha… Le faisceau de preuves est là. Le stupa est un des huit stupa contenant bien les restes du Bouddha, retrouvé par le roi Ashoka et modifié ; il a reconstruit un stupa par-dessus en conservant la construction initiale ; le sarcophage dans lesquels ont été retrouvés les cendres et les bijoux déposés en offrande est caractéristique des constructions de l’époque du grand roi.
Une question demeure. Pourquoi ces lieux de cultes ont-ils disparus de la mémoire des hommes alors que le bouddhisme a connu une réelle expansion depuis le nord de l’Inde ? Simplement parce que la doctrine du Bouddha a longtemps été considérée comme une hérésie par les hindouistes qui se sont livrés par vagues successives à des expéditions iconoclastes, suivis par les musulmans.
L’histoire ne s’arrête pas là. Les autorités britanniques, affolées par l’histoire pas très reluisante d’Anton Führer et de ses falsifications archéologiques, ont eu peur que l’affaire des reliques du Bouddha ne suscite des soulèvements de populations et ont offert en secret une partie de ces reliques (l’autre partie a été laissée à William Claxton Peppé) en guise de cadeau diplomatique au roi de Siam Rama V (Chulalongkorn), qui les fit inclure dans la construction du chedi du temple de la Montagne d’or à Bangkok (Wat Saket Ratcha Wora Maha Wihan, วัดสระเกศราชวรมหาวิหาร). Cent onze ans après ce don, les reliques du Bouddha ont été confiées à la France en 2009, lesquelles ont été déposées à l’intérieur de la pagode bouddhiste du bois de Vincennes.
Afin de comprendre l’histoire dans son intégralité, on peut revoir le documentaire racontant l’enquête de l’écrivain Charles Allen, diffusé il y a quelques temps sur Arte.
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Apr 5, 2014 | Sur les portulans |
J’aime ces bouts du monde qui disent autre chose que le pays dans lequel ils sont, qui trahissent un passé douloureux ou heureux, mais qui chantent encore les glorioles du passé en tapant délicatement du doigt sur la table et semble nous dire encore et toujours : « je ne suis pas d’ici, mais pas vraiment de là-bas non plus ». Immersion dans ce qu’il reste de portugais en Inde, un bout de Porto à l’autre bout du monde, avec ce petit détour par l’état de Goa et en particulier dans la ville de Panaji (Panjim), sous domination lusophone pendant près de 450 ans, jusqu’aux jours de 1961 qui virent ces terres redevenir indiennes.
Il est vrai qu’il restait encore quelques coins intacts : les étroites ruelles pavées, au tracé hasardeux, de Fontainhas, le plus vieux quartier de Panjim. On dirait un petit morceau de Portugal échoué sur la rive de l’océan Indien. Des vieilles filles en robe à fleurs lisent le journal du soir sur leur véranda et bavardent en portugais. Si vous vous promenez là en fin de journée, vous tombez sur des scènes impossibles à imaginer ailleurs en Inde : des violonistes jouent du Villa-Lobos devant la fenêtre ouverte ; des oiseaux en cage pépient sur des balcons style Art nouveau, donnant sur des petites piazzas pavées sur des carreaux rouges. Vous verrez de vieux bonshommes en pantalon de lin fraîchement repassé, coiffés d’un feutre, sortir en groupes des tavernes et, la canne à la main, marcher d’un pas chancelant sur les pavés, en longeant des files de vieilles Coccinelles des années cinquante, toutes cabossées et livrées à la rouille. Une douceur méditerranéenne palpable, presque visible, baigne ces rues.
William Dalrymple, L’âge de Kali
A la rencontre du sous-continent indien
Libretto, 1998
Photo d’en-tête © Akshay Charegaonkar
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Mar 15, 2014 | Livres et carnets, Sur les portulans |
— Et comment persuadez-vous Kali de posséder la personne ? demandai-je.
— Oh, c’est très facile. Nous lui donnons à boire douze bassines pleines de sang.
Artiste de Kathakali — Photo © Jogesh S
Repartons en Inde, dans le sud de l’Inde exactement, à Kochi dans le Kerala (l’ancienne Cochin), le temps de se faire un peu peur dans la sauvagerie d’un temple où un liquide rouge stagne dans des bassines en cuivre, une solution de jus citron et de teinture qui, il y a peu, n’était pas aussi symbolique ; on remplissait autrefois ces bassines de sang d’animaux (ou peut-être d’une autre espèce…) sacrifiés.
Kali (काली), déesse mère, destructrice, reine du temps, de la mort et de la délivrance, déesse matrone à la peau noire, Kali veut dire le temps, donc la mort. Elle est la femme de Shiva et danse sur le corps blanc de son mari qui réclame son indulgence, grimaçante, tirant la langue et montrant outrageusement ses lèvres rouges retournées comme les babines d’un animal courroucé ou les lèvres d’un sexe béant. La vocation de Kali est de faire peur, comme le temps et la mort doivent faire peur. Mais les Hindous ne sont pas si naïfs, car Kali est celle qui les emmène vers la délivrance des réincarnations, même si cela doit passer par une longue période sans morale. La déesse dont parle Dalrymple est en réalité un avatar d’une autre déesse plus large, Parashakti Kali, mais j’avoue avoir du mal à saisir la nuance.
Plongée dans une séance tourmentée de guérison chamanique. Pour un peu, on tomberait bien, nous aussi, en transe.
Le temple de Kali était brillamment éclairé par un halo de torches fuligineuses à l’odeur âcre. Pendant que le flot des fidèles y pénétrait, deux prêtres à demi nous allumèrent les dernières mèches d’un grand plateau de cierges dont les flammes tremblotaient. Les prêtres ouvrirent les portes et les pèlerins s’inclinèrent devant la statue aux nombreux bras de Kali.
J’essayais de m’approcher pour mieux la voir, à la lumière vacillante des torches. La déesse était représentée comme une hideuse vieille sorcière au visage noir barbouillé de sang, les lèvres retroussées, tirant la langue. Elle était nue et ne portait qu’une guirlande de crânes et une ceinture de têtes coupées ; un lacet de thug pendant à cette dernière.
Bientôt d’autres brahmanes à demi nus apparurent. Leur chair mouillée de sueur luisait à la lueur des lampes ; ils entonnèrent des mantras en sanskrit. Tandis qu’ils chantaient, leur chef s’assit en lotus sur le sol, et je remarquai pour la première fois les grandes bassines de cuivre disposées en rangs, dans l’ombre, aux pieds des prêtres.
Puis on introduisit les possédées : douze ou treize jeunes filles, en majorité des adolescentes, et un seul homme qui devait approcher la trentaine. On les installa en arc de cercle autour de l’autel et, durant quelques minutes, tous restèrent immobiles et silencieux pendant que les brahmanes continuaient à chanter leurs mantras. Puis le chef des prêtres fit un signe de tête aux cymbaliers, et la musique reprit.
D’abord les cymbales se contentèrent de garder le tempo des mantras, puis les joueurs de conques et de trompettes se mirent de la partie, auxquels se joignirent quatre tambourineurs qui tenaient chacun un grand tabla de bois. Bientôt les mantras furent complètement étouffés par le rythme ancestral des musiciens du temple.
Dans l’ombre, je vis le chef de la communauté asperger le sanctuaire de liquide sanglant en puisant dans les bassines avec ses mains en coupe, si bien qu’en atterrissant, le jus rouge éclaboussait les autres prêtres avant de couler dans un conduit qui l’amenait vers les racines de l’arbre du Démon.
Le rythme des tambours s’accéléra, les conques beuglèrent ; puis soudain, quelque chose de très étrange se produisit. L’une des possédées se mit à trembler, comme prise d’une forte fièvre. Ses yeux étaient ouverts, mais elle semblait complètement désorientée. À côté d’elle, les autres jeunes filles commencèrent aussi à osciller ; la transe se transmettait de l’une à l’autre telle une contagion.
— Regardez ! chuchotta Venugopal. Voyez comme notre déesse est puissante ! Elle fait danser les esprits. Bientôt peut-être vont-ils capituler.
Une jeune fille en sari bleu secouait sa longue chevelure d’avant en arrière, comme en proie à d’impossibles convulsions. Derrière elle, une femme — sans doute sa mère — tentait de s’assurer que son sari, en se déroulant, n’enfreindrait pas les règles de la pudeur indienne. De temps à autres, les mains de la jeune fille s’élevaient dans les airs, son vêtement s’entrouvrait et sa mère se précipitait pour remettre le tissu en place.
Trois autres jeunes filles se tordaient maintenant sur le sol, comme en proie à la douleur ; une quatrième tournoyaient telle une toupie en poussant des cris aigus. C’était un spectacle extraordinaire. J’avais l’impression d’avoir reculé de plusieurs millénaires et d’assister à quelque rituel druidique. Pourtant personne sauf moi ne semblait surpris et parmi les enfants qui étaient présents, deux semblaient s’ennuyer fermement. Un jouait même avec deux billes de verre, les faisant rouler d’une main à l’autre, ignorant complètement l’agitation malsaine qui régnait autour de lui.
Au bout d’environ cinq minutes — bien que cela ait paru durer plus longtemps — la musique atteignit son paroxysme. Devant le lieu saint, le chef des prêtres, las de verser la solution à pleines mains, se mit à retourner les bassines dont le liquide rouge vint clapoter autour des corps prostrés des femmes. Les tambours battaient de plus en plus vite, les cymbales s’entrechoquaient bruyamment, de plus en plus de possédées tombaient par terre en se convulsant.
Quand la dernière s’écroula, une conque émit une note grave et deux prêtres allèrent fermer les portes du sanctuaire. Les tambours se turent soudain. C’était fini.
William Dalrymple, L’âge de Kali
A la rencontre du sous-continent indien
Libretto, 1998
Photo d’en-tête © Thaths
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