Oct 31, 2009 | Sur les portulans |
Engoncée au cœur d’une vallée, Sarlat (Sarlat e La Canedat en occitan — nous sommes ici évidemment en pays d’Oc), capitale du Périgord Noir, est une petite ville médiévale qui a su conserver en son cœur l’esprit de ces places fortes, fortement religieuses et foncièrement riches. J’avais des souvenirs très précis de cette ville, la maison natale d’Etienne de la Boétie qui en fut maire, la lanterne des morts, l’Eglise Saint-Sacerdos, L“Eglise Sainte-Marie qui n’a plus rien d’un église mais fait désormais office de marché couvert grâce à la reconversion opérée par Jean Nouvel, un autre enfant du pays, mais je ne me souvenais plus à quel point c’est un dédale de rues sombres et étroites dont on imagine aisément que la plupart devaient être de véritables coupe-gorge la nuit venue.

Le jour où j’étais à Sarlat, c’était une belle journée comme on en fait dans le Sud-Ouest, chaude, très chaude ; la température était de 38 ou 39°C, je ne sais plus bien, et en déambulant au hasard dans le ville, nous cherchions avant tout l’ombre et l’air qui avait définitivement quitté les lieux. Ce qui m’a frappé avant tout, c’est la couleur de cette ville, d’un ocre jaune inscrit sur tous les murs et la présence ponctuelle et bienvenue d’espaces verts au beau milieu de ce milieu fortement minéral et sec, ici une glycine formant une tonnelle immense, là des catalpas ombrageant une place en espaliers… Derrière les échoppes à touristes se déroule une vie calme dans les arrière-cours et les jardinets, les ruelles qui semblent parfois désertées par tout forme de vie, comme on peut le voir à Bruges ; l’impression d’une façade, d’un décor de carton pâte inhabité.
Mes photos sur Obsidienne et les mêmes, un peu plus grandes, sur Flickr.
Localisation sur Google Maps.
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Oct 26, 2009 | Histoires de gens |
Il y a quelques jours, les lecteurs du Monde ont pu découvrir un article encadrant la photo d’un homme armé d’une sorte de harpon, un œil fermé et le visage froid, sans expression, impassible, mais non dénué d’un certain charme.
En 1848, travaillant sur un chantier ferroviaire, le contremaître Phineas Gage manipule de la poudre à l’aide d’une barre à mine (d’un bourroir en réalité) et la terre explose, propulsant l’outil qui lui traverse la joue, l’œil, puis le crâne pour finalement en ressortir intégralement.

Le miracle tient au fait que l’homme a survécu à l’accident et n’a rien perdu de ses facultés intellectuelles, ni de sa mémoire, du moins en apparence. Toutefois, le cas Phineas Gage, largement popularisé par le neurologue Antonio Damasio présente un cas intéressant d’abolition du jugement moral. Gage après son accident aurait terminé sa vie dans un flou de colères aussi soudaines qu’irrationnelles et se seraient montré incapable de prendre des décisions posées et réfléchies. Ce cas est un de ceux qui illustre le mieux les désordres comportementaux liés aux lésions des lobes frontaux, dont s’est notamment fait une spécialité le docteur Oliver Sacks (Cf. L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau)
C’est grâce à la rencontre fortuite entre deux collectionneurs de photos et Internet (en l’occurrence Flickr) qu’on a enfin pu mettre un visage sur le nom de celui dont on n’avait jusqu’à présent que l’image du moulage de son crâne fait de son vivant.
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Sep 25, 2009 | Sur les portulans |
A environ 7 kilomètres de la départementale qui relie Périgueux aux Eyzies-de-Tayac en Dordogne, après avoir sillonné une route serpentant au travers de petits hameaux et de forêts épaisses, après avoir descendu des pentes et monté des côtes sans fin, on finit par arriver au sommet d’une colline verdoyante au sommet de laquelle se lance une ultime route, après un champ gavé d’oies grises apeurées. On finit par arriver devant une bouche large béante transperçant la colline ; une ouverture inquiétante et sombre dans laquelle on ne s’imagine pas trouver ce qui s’y cache. Nous sommes sur la commune de Rouffignac-Saint-Cernin-de-Reilhac.

Dehors, la température est étouffante, avoisinant les 36°C ; au fur et à mesure que l’on approche de l’ouverture, un voile de fraîcheur vient caresser la peau et emplir les narines d’un odeur âcre de terre humide. Les murs ont une texture étrange, bardés de rondeurs sortant de parois à l’aspect argileux. Après l’entrée, derrière un mur de béton incongru, une excavation en forme de puits, délimitée par une margelle est indiquée comme étant une nécropole gauloise. Le trou est rond mais n’a pas de fond ; on n’y voit guère que de l’obscurité du dedans.
On s’assoit sur les petits bancs d’un train électrique sans âge qui démarre en cahotant ; une simple lumière accroché à l’arrière du train sur une perche et une autre à l’avant suffisent à éclairer la galerie dans laquelle on s’enfonce sans autre forme de procès ; une sorte de terreur inconnue me parcourt l’échine face à ce lieu qui m’absorbe dans toute sa noirceur. La température me glace ; 13°C, température constante, moyenne arithmétique des températures annuelles extérieures. Le train s’enfonce dans l’obscurité profonde. Ici on a pris le parti de préserver les lieux, aucun fil électrique ne court sur le sol, aucun spot accroché au mur, tout est laissé tel quel à part ces rails qui nous emmènent dans l’inconnu. Les murs et leurs rondeurs, ce sont des accumulations de moellons de silex pris dans une roche très friable, argileuse, molle comme de la craie mouillée ; en d’autres temps ici, tandis que plus de la moitié de la France n’était qu’océans, l’eau coulait sous pression, creusant à l’envi d’immenses galeries, des circonvolutions étranges et fantaisistes. Le niveau de l’eau a baissé et ces galeries sont restées pour être visitées par les premiers hommes que la terre a porté. On arrive dans une première galerie sur les murs de laquelle sont dessinés par de simples traits fins des mammouths se faisant face ou se suivant, un peu plus loin, on peut voir des striures verticales, serrées et nombreuses ; ce sont les traces des griffes des ours qui sont venus jusqu’ici pour se réfugier.
Au plafond, des graffitis qu’on pourrait croire récents, mais ils datent du XVè ou du XVIè siècle, peinturlurés malproprement dans ce lieu de mémoire.
On fait demi-tour ; la déception me happe, je n’ai pas envie que le voyage se termine déjà, mais on ne fait que se faire aiguiller dans une autre direction pour repartir de plus belle par une pente impressionnante, à toute vitesse, dans le noir le plus total, c’est un vrai dédale, plus de deux kilomètres séparent le lieu où nous nous rendons de l’ouverture ; on se dit qu’aucun homme sensé ne se rendrait dans un endroit aussi reculé, quel que soit sa motivation ou son inspiration du moment. Un coude part sur la droite et nous descendons encore. L’atmosphère oppressante me grise, une étrange sensation d’ivresse m’envahit ; l’air semble pourtant sain malgré une hygrométrie constante de 98%.
Le sol est marron, fait d’une ocre compacte comme de la terre battue, boueuse. De chaque côté de notre sillon, des niches creusées dans ce sol friable (des bauges), des sortes d’immenses paniers à chien… qui sont en réalité les litières des ours qui se sont frayés un chemin jusqu’ici pour hiberner tranquillement. De chaque côté le sol semble monter tandis que le petit train continue son chemin ; on a en fait creusé le sol qui se rapproche du plafond, jusqu’à ne plus en être distant que de 75cm… Nous nous enfonçons, le train ralentit, le moteur est coupé et on nous demande de descendre. Légère protestation, mais si vous venez, vous allez voir…
Nous sommes sous le grand plafond.

J’ai le souffle coupé… Au-dessus de ma tête, des dizaines d’animaux ont été dessinés, enchevêtrés, au charbon ou au dioxyde de manganèse, sous un plafond que les hommes de l’époque ne pouvait toucher qu’en étant allongés sur le dos. Une image me frappe immédiatement ; un cheval est reproduit grandeur nature ; celui qui a mis tout son cœur et son savoir-faire d’artiste n’a jamais pu voir son œuvre comme je la vois aujourd’hui, avec un tel recul. L’émotion me transporte littéralement.
Au-dessus de moi, ce sont des dizaines d’animaux aux contours noirs, enchevêtrés, certains grands comme une largeur d’empan, d’autres grandeur nature.
Cet endroit, aussi profond soit-il a été maintes et maintes fois visités par des personnes plus ou moins bien intentionnées. Les dessins ont été recouverts de graffitis, d’inscription diverses, témoignages ridicules de passages successifs comme autant de défis ridicules envers soi-même et le respect du temps passé. Tout ici a été nettoyé, restauré religieusement pour offrir ce spectacle surgi de l’autre côté de la naissance du Christ, exceptée cette inscription représentant une croix sous laquelle ont été inscrites les trois lettres IHS, signifiant que le lieu a été exorcisé ; ces dessins d’animaux ne pouvaient être que l’expression d’un culte horrible dédié à Satan et à Vénus (sic) — pourquoi Vénus ? va comprendre…
Ceux qui viennent ici voir du spectaculaire, du grandiose, des couleurs et du fantastique seront forcément déçus. Ici est le règne de la plus belle des œuvres humaines.
Ici se termine le tunnel, mais sur la gauche, au fond, un puits, profond d’une douzaine de mètres, au fond duquel parait-il — ce n’est pas moi qui irait vérifier — se trouve dessinée la tête d’un homme. C’est toujours le même rituel ; sur les parois et les plafonds des grottes — transversalement donc — , des animaux, les représentations des humains dans les puits. Un mystère total. Je reste ébahi devant ces dessins d’une simplicité enfantine, mais d’une grande précision — on y voit même avec une parfaite netteté sur un des mammouths, la présence claire de ce petit clapet anal en cuir destiné à les protéger du froid — et au-delà de toutes les questions qui se posent inévitablement, que sont-ils venus faire au fond de cette galerie, à deux kilomètres de l’entrée, et surtout pourquoi ont-ils dessiné ces animaux ?, on est saisi par l’immensité de ce qui se trouve sous nos yeux ; le spectacle n’est pas grandiose, il est tout simplement émouvant et nous rappelle combien nous venons de loin et combien également notre connaissance a à s’enrichir avec humilité de ces œuvres dont nous maîtrisons si peu les significations.
Malgré tout, la grotte est relativement récente, l’ornement est daté à — 13000 ans, en plein Magdalénien.
Pour en savoir un peu plus : Journey to Ancient Civilizations.
Localisation Google Maps.
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