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Sar­lat-la-Cané­da, ville d’ocre

Engon­cée au cœur d’une val­lée, Sar­lat (Sar­lat e La Cane­dat en occi­tan — nous sommes ici évi­dem­ment en pays d’Oc), capi­tale du Péri­gord Noir, est une petite ville médié­vale qui a su conser­ver en son cœur l’es­prit de ces places fortes, for­te­ment reli­gieuses et fon­ciè­re­ment riches. J’a­vais des sou­ve­nirs très pré­cis de cette ville, la mai­son natale d’Etienne de la Boé­tie qui en fut maire, la lan­terne des morts, l’Eglise Saint-Sacer­dos, L“Eglise Sainte-Marie qui n’a plus rien d’un église mais fait désor­mais office de mar­ché cou­vert grâce à la recon­ver­sion opé­rée par Jean Nou­vel, un autre enfant du pays, mais je ne me sou­ve­nais plus à quel point c’est un dédale de rues sombres et étroites dont on ima­gine aisé­ment que la plu­part devaient être de véri­tables coupe-gorge la nuit venue.

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Le jour où j’é­tais à Sar­lat, c’é­tait une belle jour­née comme on en fait dans le Sud-Ouest, chaude, très chaude ; la tem­pé­ra­ture était de 38 ou 39°C, je ne sais plus bien, et en déam­bu­lant au hasard dans le ville, nous cher­chions avant tout l’ombre et l’air qui avait défi­ni­ti­ve­ment quit­té les lieux. Ce qui m’a frap­pé avant tout, c’est la cou­leur de cette ville, d’un ocre jaune ins­crit sur tous les murs et la pré­sence ponc­tuelle et bien­ve­nue d’es­paces verts au beau milieu de ce milieu for­te­ment miné­ral et sec, ici une gly­cine for­mant une ton­nelle immense, là des catal­pas ombra­geant une place en espa­liers… Der­rière les échoppes à tou­ristes se déroule une vie calme dans les arrière-cours et les jar­di­nets, les ruelles qui semblent par­fois déser­tées par tout forme de vie, comme on peut le voir à Bruges ; l’im­pres­sion d’une façade, d’un décor de car­ton pâte inhabité.

Mes pho­tos sur Obsi­dienne et les mêmes, un peu plus grandes, sur Fli­ckr.
Loca­li­sa­tion sur Google Maps.

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L’é­trange cas du contre­maître Phi­neas Gage

Il y a quelques jours, les lec­teurs du Monde ont pu décou­vrir un article enca­drant la pho­to d’un homme armé d’une sorte de har­pon, un œil fer­mé et le visage froid, sans expres­sion, impas­sible, mais non dénué d’un cer­tain charme.
En 1848, tra­vaillant sur un chan­tier fer­ro­viaire, le contre­maître Phi­neas Gage mani­pule de la poudre à l’aide d’une barre à mine (d’un bour­roir en réa­li­té) et la terre explose, pro­pul­sant l’ou­til qui lui tra­verse la joue, l’œil, puis le crâne pour fina­le­ment en res­sor­tir intégralement.

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Le miracle tient au fait que l’homme a sur­vé­cu à l’ac­ci­dent et n’a rien per­du de ses facul­tés intel­lec­tuelles, ni de sa mémoire, du moins en appa­rence. Tou­te­fois, le cas Phi­neas Gage, lar­ge­ment popu­la­ri­sé par le neu­ro­logue Anto­nio Dama­sio pré­sente un cas inté­res­sant d’a­bo­li­tion du juge­ment moral. Gage après son acci­dent aurait ter­mi­né sa vie dans un flou de colères aus­si sou­daines qu’ir­ra­tion­nelles et se seraient mon­tré inca­pable de prendre des déci­sions posées et réflé­chies. Ce cas est un de ceux qui illustre le mieux les désordres com­por­te­men­taux liés aux lésions des lobes fron­taux, dont s’est notam­ment fait une spé­cia­li­té le doc­teur Oli­ver Sacks (Cf. L’homme qui pre­nait sa femme pour un cha­peau)
C’est grâce à la ren­contre for­tuite entre deux col­lec­tion­neurs de pho­tos et Inter­net (en l’oc­cur­rence Fli­ckr) qu’on a enfin pu mettre un visage sur le nom de celui dont on n’a­vait jus­qu’à pré­sent que l’i­mage du mou­lage de son crâne fait de son vivant.

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Sous la terre de Rouffignac

A envi­ron 7 kilo­mètres de la dépar­te­men­tale qui relie Péri­gueux aux Eyzies-de-Tayac en Dor­dogne, après avoir sillon­né une route ser­pen­tant au tra­vers de petits hameaux et de forêts épaisses, après avoir des­cen­du des pentes et mon­té des côtes sans fin, on finit par arri­ver au som­met d’une col­line ver­doyante au som­met de laquelle se lance une ultime route, après un champ gavé d’oies grises apeu­rées. On finit par arri­ver devant une bouche large béante trans­per­çant la col­line ; une ouver­ture inquié­tante et sombre dans laquelle on ne s’i­ma­gine pas trou­ver ce qui s’y cache. Nous sommes sur la com­mune de Rouf­fi­gnac-Saint-Cer­nin-de-Reil­hac.

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Dehors, la tem­pé­ra­ture est étouf­fante, avoi­si­nant les 36°C ; au fur et à mesure que l’on approche de l’ou­ver­ture, un voile de fraî­cheur vient cares­ser la peau et emplir les narines d’un odeur âcre de terre humide. Les murs ont une tex­ture étrange, bar­dés de ron­deurs sor­tant de parois à l’as­pect argi­leux. Après l’en­trée, der­rière un mur de béton incon­gru, une exca­va­tion en forme de puits, déli­mi­tée par une mar­gelle est indi­quée comme étant une nécro­pole gau­loise. Le trou est rond mais n’a pas de fond ; on n’y voit guère que de l’obs­cu­ri­té du dedans.

On s’as­soit sur les petits bancs d’un train élec­trique sans âge qui démarre en caho­tant ; une simple lumière accro­ché à l’ar­rière du train sur une perche et une autre à l’a­vant suf­fisent à éclai­rer la gale­rie dans laquelle on s’en­fonce sans autre forme de pro­cès ; une sorte de ter­reur incon­nue me par­court l’é­chine face à ce lieu qui m’ab­sorbe dans toute sa noir­ceur. La tem­pé­ra­ture me glace ; 13°C, tem­pé­ra­ture constante, moyenne arith­mé­tique des tem­pé­ra­tures annuelles exté­rieures. Le train s’en­fonce dans l’obs­cu­ri­té pro­fonde. Ici on a pris le par­ti de pré­ser­ver les lieux, aucun fil élec­trique ne court sur le sol, aucun spot accro­ché au mur, tout est lais­sé tel quel à part ces rails qui nous emmènent dans l’in­con­nu. Les murs et leurs ron­deurs, ce sont des accu­mu­la­tions de moel­lons de silex pris dans une roche très friable, argi­leuse, molle comme de la craie mouillée ; en d’autres temps ici, tan­dis que plus de la moi­tié de la France n’é­tait qu’o­céans, l’eau cou­lait sous pres­sion, creu­sant à l’en­vi d’im­menses gale­ries, des cir­con­vo­lu­tions étranges et fan­tai­sistes. Le niveau de l’eau a bais­sé et ces gale­ries sont res­tées pour être visi­tées par les pre­miers hommes que la terre a por­té. On arrive dans une pre­mière gale­rie sur les murs de laquelle sont des­si­nés par de simples traits fins des mam­mouths se fai­sant face ou se sui­vant, un peu plus loin, on peut voir des striures ver­ti­cales, ser­rées et nom­breuses ; ce sont les traces des griffes des ours qui sont venus jus­qu’i­ci pour se réfugier.

Au pla­fond, des graf­fi­tis qu’on pour­rait croire récents, mais ils datent du XVè ou du XVIè siècle, pein­tur­lu­rés mal­pro­pre­ment dans ce lieu de mémoire.

On fait demi-tour ; la décep­tion me happe, je n’ai pas envie que le voyage se ter­mine déjà, mais on ne fait que se faire aiguiller dans une autre direc­tion pour repar­tir de plus belle par une pente impres­sion­nante, à toute vitesse, dans le noir le plus total, c’est un vrai dédale, plus de deux kilo­mètres séparent le lieu où nous nous ren­dons de l’ou­ver­ture ; on se dit qu’au­cun homme sen­sé ne se ren­drait dans un endroit aus­si recu­lé, quel que soit sa moti­va­tion ou son ins­pi­ra­tion du moment. Un coude part sur la droite et nous des­cen­dons encore. L’at­mo­sphère oppres­sante me grise, une étrange sen­sa­tion d’i­vresse m’en­va­hit ; l’air semble pour­tant sain mal­gré une hygro­mé­trie constante de 98%.
Le sol est mar­ron, fait d’une ocre com­pacte comme de la terre bat­tue, boueuse. De chaque côté de notre sillon, des niches creu­sées dans ce sol friable (des bauges), des sortes d’im­menses paniers à chien… qui sont en réa­li­té les litières des ours qui se sont frayés un che­min jus­qu’i­ci pour hiber­ner tran­quille­ment. De chaque côté le sol semble mon­ter tan­dis que le petit train conti­nue son che­min ; on a en fait creu­sé le sol qui se rap­proche du pla­fond, jus­qu’à ne plus en être dis­tant que de 75cm… Nous nous enfon­çons, le train ralen­tit, le moteur est cou­pé et on nous demande de des­cendre. Légère pro­tes­ta­tion, mais si vous venez, vous allez voir…
Nous sommes sous le grand plafond.

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J’ai le souffle cou­pé… Au-des­sus de ma tête, des dizaines d’a­ni­maux ont été des­si­nés, enche­vê­trés, au char­bon ou au dioxyde de man­ga­nèse, sous un pla­fond que les hommes de l’é­poque ne pou­vait tou­cher qu’en étant allon­gés sur le dos. Une image me frappe immé­dia­te­ment ; un che­val est repro­duit gran­deur nature ; celui qui a mis tout son cœur et son savoir-faire d’ar­tiste n’a jamais pu voir son œuvre comme je la vois aujourd’­hui, avec un tel recul. L’é­mo­tion me trans­porte littéralement.
Au-des­sus de moi, ce sont des dizaines d’a­ni­maux aux contours noirs, enche­vê­trés, cer­tains grands comme une lar­geur d’empan, d’autres gran­deur nature.
Cet endroit, aus­si pro­fond soit-il a été maintes et maintes fois visi­tés par des per­sonnes plus ou moins bien inten­tion­nées. Les des­sins ont été recou­verts de graf­fi­tis, d’ins­crip­tion diverses, témoi­gnages ridi­cules de pas­sages suc­ces­sifs comme autant de défis ridi­cules envers soi-même et le res­pect du temps pas­sé. Tout ici a été net­toyé, res­tau­ré reli­gieu­se­ment pour offrir ce spec­tacle sur­gi de l’autre côté de la nais­sance du Christ, excep­tée cette ins­crip­tion repré­sen­tant une croix sous laquelle ont été ins­crites les trois lettres IHS, signi­fiant que le lieu a été exor­ci­sé ; ces des­sins d’a­ni­maux ne pou­vaient être que l’ex­pres­sion d’un culte hor­rible dédié à Satan et à Vénus (sic) — pour­quoi Vénus ? va comprendre…
Ceux qui viennent ici voir du spec­ta­cu­laire, du gran­diose, des cou­leurs et du fan­tas­tique seront for­cé­ment déçus. Ici est le règne de la plus belle des œuvres humaines.
Ici se ter­mine le tun­nel, mais sur la gauche, au fond, un puits, pro­fond d’une dou­zaine de mètres, au fond duquel parait-il — ce n’est pas moi qui irait véri­fier — se trouve des­si­née la tête d’un homme. C’est tou­jours le même rituel ; sur les parois et les pla­fonds des grottes — trans­ver­sa­le­ment donc — , des ani­maux, les repré­sen­ta­tions des humains dans les puits. Un mys­tère total. Je reste éba­hi devant ces des­sins d’une sim­pli­ci­té enfan­tine, mais d’une grande pré­ci­sion — on y voit même avec une par­faite net­te­té sur un des mam­mouths, la pré­sence claire de ce petit cla­pet anal en cuir des­ti­né à les pro­té­ger du froid — et au-delà de toutes les ques­tions qui se posent inévi­ta­ble­ment, que sont-ils venus faire au fond de cette gale­rie, à deux kilo­mètres de l’en­trée, et sur­tout pour­quoi ont-ils des­si­né ces ani­maux ?, on est sai­si par l’im­men­si­té de ce qui se trouve sous nos yeux ; le spec­tacle n’est pas gran­diose, il est tout sim­ple­ment émou­vant et nous rap­pelle com­bien nous venons de loin et com­bien éga­le­ment notre connais­sance a à s’en­ri­chir avec humi­li­té de ces œuvres dont nous maî­tri­sons si peu les significations.
Mal­gré tout, la grotte est rela­ti­ve­ment récente, l’or­ne­ment est daté à — 13000 ans, en plein Mag­da­lé­nien.

Pour en savoir un peu plus : Jour­ney to Ancient Civi­li­za­tions.
Loca­li­sa­tion Google Maps.

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