Ren­dile et Tur­ka­na, Wil­fred The­si­ger le nomade #1

Wil­fred The­si­ger, sage par­mi les sages, homme aux semelles de vent par­mi les hommes a par­cou­ru pen­dant des années le sable brû­lant du Kenya et de l’É­thio­pie et ses lieux inter­dits, à la ren­contre de ceux qui vivaient il y a encore quelques années sans avoir connu d’autres hommes que ceux de leur tri­bu — et ceux contre qui ils com­bat­taient. Sam­bu­ru, Kalen­jin, Kikuyu, Ren­dile et Tur­ka­na, des noms qui chantent les grands hommes de la val­lée du Rift et du Maa­sai Mara ou du Tan­ga­ny­ka, le lac le plus pois­son­neux du monde, des hommes lon­gi­lignes, agres­sifs, bel­li­queux et fins, beaux et rebelles comme des femmes dont les tra­di­tions veulent qu’ils s’ha­billent avec les attri­buts fémi­nins jus­qu’à l’âge sacré de leur cir­con­ci­sion et portent dans les che­veux les plumes des petits oiseaux qu’ils ont tué avec leurs traits et un arc tout ce qu’il y a de plus arti­sa­nal. Tous les qua­torze ans, un nou­veau cycle de la vie com­mence et se fête digne­ment dans le ber­ceau de l’hu­ma­ni­té, qui est une des régions les plus giboyeuses d’Afrique.

Pho­tos extraites de son livre Visions d’un nomade, chez Plon, 1987, coll. Terre humaine.

Billet sui­vant : Églises mono­li­thiques de Lali­be­la, Wil­fred The­si­ger le nomade #2

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Le vide et le plein, ou les dés­illu­sions de Nico­las Bouvier

Pen­dant des années, Nico­las Bou­vier a vécu au Japon, se déra­ci­nant com­plè­te­ment avec sa femme et leur deux enfants et vivant dans un pays avec lequel s’ins­tau­re­ra un dia­logue qu’on connaît déjà au tra­vers de ses chro­niques japo­naises. Tou­te­fois, si y on déce­lait une cer­taine séré­ni­té et une joie de vivre, ses car­nets du Japon prennent une toute autre teinte, celle du voile de la réa­li­té, même si au fond, rien de tout ceci ne l’empêche de vivre des moments de pure félicité.

Le ciel n’est pas un usu­rier mais je sais qu’il me deman­de­ra des comptes pour cha­cune des jour­nées pas­sées dans cette paix, dans ces grands arbres, dans cet espace, luxe suprême du Japon.

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On y retrouve éga­le­ment des moments d’in­ter­ro­ga­tion, des textes très per­son­nels, pas tou­jours très gais, des moments de flot­te­ments au pays de l’Ukiyo‑e. Si Bou­vier est un grand poète, un voya­geur hors pair, c’est avant tout un homme qui ne cesse d’é­crire sur ce qui le motive ou l’agace.

La vie est courte aus­si et ce n’est pas la peine d’en consa­crer la moi­tié à des irri­ta­tions super­flues. Ensuite, comme dit Michaux : « Tout ce qui ne contri­bue pas à mon édi­fi­ca­tion : zéro. » En troi­sième lieu, parce qu’il y a moins de varié­té et d’in­ven­tion dans les défauts que dans les qua­li­tés (je me rends bien compte qu’il s’a­git là d’un pos­tu­lat, mais j’y crois absolument).

On y retrouve ce goût de la flâ­ne­rie et tou­jours ces adresses à l’at­ten­tion du lec­teur. On y exhorte le voya­geur poten­tiel à se pré­pa­rer au monde, à faire usage du monde… Comme si son but n’é­tait que de nous rendre fami­lier du monde dans lequel on vit.

Tous les voyages sont eth­no­gra­phiques. Votre propre ville même, si vous l’é­tu­diez avec la patience, la curio­si­té et la méthode que les meilleurs esprits mettent à l’é­tude d’une tri­bu sau­vage, atten­dez-vous à des sur­prises. Le quo­ti­dien n’existe pas. L’or­di­naire n’existe pas. Vous croyiez connaître la chambre ? Vous vous aper­ce­vrez que vous ne savez pas même d’où viennent les meubles, ni qui paie le loyer.

Ce qui est épa­tant dans ces lignes, c’est que contrai­re­ment à ses chro­niques japo­naises dans les­quelles il nous ini­tie au sens de la vie japo­naise, à tous ses mys­tères et ses enchan­te­ments, ses car­nets sont plu­tôt de nature à mon­trer les cou­tures mal finies, l’en­vers d’un décor trop poli pour être hon­nête. Par-des­sus tout, il déteste ce prin­cipe selon lequel l’uni­té vaut moins que un, en vigueur depuis tou­jours dans ce pays d’in­su­laires exal­tés par leur propre culture et si réfrac­taire à l’ex­té­rieur et cela, depuis les pre­miers sho­gu­nats. Ici, le ver­nis craque, la cara­pace se fend et on voit dans cette socié­té bas­sesses et mes­qui­ne­ries de petites gens sans enver­gure. Bou­vier nous rap­pelle qu’il a beau être à l’autre bout de la Terre, que tout ici sonne exo­tique, rien n’empêche l’hu­main d’être aus­si mes­quin ici qu’ailleurs. Et puis sans rire, cette socié­té stricte, rigou­reuse, effi­cace par­fois, cache de vilains vices qu’il est bon de dénon­cer, on ne vous trompe pas sur la marchandise.

Le dégoût de l’ef­fi­ca­ci­té : Faites à loi­sir quelque chose de modé­ré­ment agréable mais sur­tout de par­fai­te­ment inutile. Une nos­tal­gie. Mais la nos­tal­gie est un sen­ti­ment subal­terne, d’où jamais rien de bon n’est sor­ti. C’est, si vous vou­lez, la bonne du désir, le désir du pauvre d’esprit.

On y retrouve éga­le­ment par­fois des échos de son Meis­terstück, L’u­sage du monde, des mots qui nous rap­pellent quelque chose. On dirait du Bou­vier… (éton­nant qu’on l’aime)

Le voyage ne vous appren­dra rien si vous ne vous lui lais­sez pas aus­si le droit de vous détruire. C’est une règle vieille comme le monde. Un voyage est comme un nau­frage, et ceux dont le bateau n’a pas cou­lé ne sau­ront jamais rien de la mer. Le reste, c’est du pati­nage ou du tourisme.

Plus éton­nant, pour une fois, on y voit l’au­teur par­ler de l’é­cri­ture, de son hési­ta­tion, de ses doutes. Lui qui contre toute appa­rence éprouve un lan­gage fluide et poé­tique semble se heur­ter à des murs et rejette ses mots. On savait qu’il met­tait des années à écrire ses livres de voyages, on a peut-être ici un embryon d’explication.

Une phrase comme : « Ils écrivent avec leurs sabres une page san­glante de l’his­toire japo­naise » devrait vous envoyer direc­te­ment un homme en pri­son. C’est un faux billet ou un billet qui n’a pas cours. Même au fond des cam­pagnes vous n’ob­tien­drez rien en échange. Autre expres­sion, encore plus riche : « Un peintre témoin de son temps. » Com­ment diable pour­rait-il faire autre­ment ? Être témoin du temps des autres ? D’un temps dans lequel il n’a pas vécu ? Cela aus­si relève de la cor­rec­tion­nelle. Hélas quatre-vingt-dix-neuf pour cent du lan­gage est aujourd’­hui dans cet état.
Voi­là pour­quoi écrire m’est tel­le­ment ardu. Presque tout ce qui me vient, je le rejette : faux billets, chèques sans provision.

Toutes les pho­tos © Oki­na­wa Soba

Nico­las Bou­vier, Le vide et le plein
Car­nets du Japon 1964–1970 (Poche)
Folio Gallimard

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Codex Dres­den­sis

Le très excellent blog Biblio­dys­sey, spé­cia­li­sé dans l’art de l’illus­tra­tion et les docu­ments anciens et qui a pour habi­tude d’a­li­men­ter abon­dam­ment d’i­mages cha­cun de ses billets, vient de publier un très bel article sur le Codex de Dresde qui a fait cou­lé tant d’encre ces der­niers temps à cause de la sor­tie du film 2012 (ceci est un euphé­misme car on était tout de même plus près de l’as­phyxie d’in­for­ma­tion et de délires para­noïaques). Conser­vé à la Säch­sische Lan­des­bi­blio­thek de Dresde, le manus­crit aurait été rédi­gé au XIIè siècle et se com­pose de 39 feuillets en accor­déon de 9 × 20,5 cm pour une lon­gueur totale de 3,56m et reste consi­dé­ré comme le plus beau et le plus com­plet des manus­crits maya ; il est une source essen­tielle de com­pré­hen­sion pour le calen­drier maya et leur sys­tème astro­no­mique. Avant tout, c’est un superbe docu­ment en cou­leur, dont on doit en par­tie la décou­verte à l’ex­plo­ra­teur alle­mand Alexan­der von Hum­boldt, même s’il a été endom­ma­gé par une inon­da­tion suite au bom­bar­de­ment de la ville de Dresde de 1945. Tou­te­fois, ce docu­ment est répu­té n’être qu’une copie envoyée par Hernán Cor­tés en 1519 en Europe d’un ori­gi­nal com­po­sé entre 700 et 900 après J.-C., ce qui en fait, de loin, le plus vieux livre du conti­nent américain

Liens:

  1. Le docu­ment inté­gral sur le site de la bibliothèque 
  2. Liste des Codex de Méso-Amé­rique sur le site du FAMSI
  3. Voir éga­le­ment la col­lec­tion de liens sur le sujet, sur le billet ori­gi­nal
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Le tertre du Grand Serpent

Dans le sud de l’é­tat de l’Ohio, près des rivages d’un affluent de la rivière épo­nyme et dans le com­té d’Adams se trouve une bien étrange construc­tion que n’im­porte quel œil peu avi­sé serait à même de prendre pour les acci­dents d’un par­cours de golf. En pre­nant un peu de hau­teur, on se rend compte que ces mon­ti­cules forment en réa­li­té un ensemble repré­sen­tant très dis­tinc­te­ment un ser­pent, dont la tête est par­fai­te­ment des­si­née, ce qui ne laisse aucun doute quant à une éven­tuelle inter­pré­ta­tion. Tou­te­fois, on peut y voir éga­le­ment la pos­si­bi­li­té d’un têtard, voire d’un sper­ma­to­zoïde, ce qui ne serait pas sans aller dans le sens sym­bo­lique du tertre.

La pre­mière évo­ca­tion écrite de ce lieu remonte à 1848, sa lon­gueur totale est d’à peu près 420 mètres et les varia­tions de hau­teur du mon­ti­cule sont de 30 à 100 cm. Même s’il est fait men­tion de ce lieu dans les témoi­gnages oraux des cultures ou tra­di­tions Ade­na, Hope­well et Fort Ancient, et même si après avoir long­temps hési­té sur une date pos­sible d’é­lé­va­tion entre 3000 et 1200 av. J‑C. il sem­ble­rait, d’a­près data­tion au car­bone 14 de restes de char­bon de bois à proxi­mi­té du tertre, indi­quant que des hommes y ont tra­vaillé, que l’o­ri­gine du ser­pent remonte en réa­li­té à une période située aux alen­tours de 1070 après J.-C. Quoi qu’il en soit, il a été mis en évi­dence que ce tertre n’est en réa­li­té pas un tumu­lus, une sépul­ture, contrai­re­ment aux autres élé­va­tions de terre situées à proxi­mi­té et sur les­quelles plu­sieurs couches de terre ont été super­po­sées afin d’en­se­ve­lir d’autres corps à des périodes dif­fé­rentes, comme on peut le voir sur les maquettes visibles sur cette page, mais il semble avoir une fonc­tion sym­bo­lique, liée aux croyances des Indiens de l’é­poque, comme on en trouve encore aujourd’­hui chez les Indiens Che­ro­kee.
On peut trou­ver une expli­ca­tion de cette construc­tion dans l’a­li­gne­ment du ser­pent avec le point de lever du soleil au sol­stice d’hi­ver, mais si la construc­tion a réel­le­ment eu lieu aux alen­tours de 1070, cela cor­res­pond éga­le­ment à deux phé­no­mènes astro­no­miques visibles à l’é­poque : la super­novæ créée par la nébu­leuse du Crabe et le pas­sage de la comète de Hal­ley en 1066, ce qui n’est pas sans rap­pe­ler la forme du serpent.
Si le mys­tère demeure autour de la réelle signi­fi­ca­tion de ce lieu hors du com­mun, il n’en reste pas moins un des plus grands tertres de ce genre qui n’ait pas été détruit.

Liens:

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