Jul 16, 2011 | Livres et carnets, Sur les portulans |

[audio:grieved.xol]
En 1957, Joseph Kessel se rend à Hong-Kong pour témoigner de ce qu’est cette ville concentrée sur une coin de roche et qui deviendra l’icône du trafic d’opium et du jeu, ville mystère et ville fantôme, ville au rythme infernal, orientale jusqu’au bout des ongles transformée par l’Occident en avant-poste du vice et du vide, remplissant ses rues étroites de bandeaux publicitaires et de lumières et les arrières cours de prostituées et de drogués. Toutefois, malgré la honte de surface, arrive à transparaître le goût suave de l’évasion dans cette mégapole perchée sur un bout de rocher plongeant à pic. On s’imaginerait bien comme Kessel arriver à Hong-Kong par la mer, dans les odeurs de diesel et de poisson pourrissant chercher un marin de Gibraltar ou une jeune femme qu’on aurait aimé autrefois…
Tous les voiliers sont beaux et tous ils portent l’une des plus vieilles chimères de l’homme dans leur gréement ailé. Mais les barques des mers de Chine, parce qu’elles n’ont pas changé de dessin depuis des siècles, que leur château arrière s’élève sur l’eau comme une gueule de dragon, que leur armature est faite de bambous, que leurs voiles ont la forme et la couleur d’énormes feuilles rousses, aux nervures délicates, que dressées, inclinées ou couchées elles décorent leurs mâts de frondaisons miraculeuses, et que souvent, rapiécées, déchirées, elles laissent passer à travers leur flottante tenture le feu du soleil et l’azur du ciel, que leur équipage est fait d’hommes ou de femmes aux yeux bridés et secrets — ces barques des mers de Chine dépassant toutes les autres en mythe de pouvoir et d’évasion.
Ainsi à travers les paquebots, les canots, les cargos, les vedettes, les transbordeurs massifs, les vagues, les brises et les jonques, le ferry approche de Hong-Kong.
La foule qu’il porte se met en mouvement. Sur le quai bougent et crient d’autres foules. Les rues qui gravissent le roc abrupt sur lequel est bâtie la ville ne sont qu’un fourmillement humain. Des files de voitures passent sur les quais. Les grues élèvent et baissent leurs énormes bras de fer. Les rickshaws galopent. Les chenilles du funiculaire grimpent vers les cimes. Les édifices eux-mêmes semblent remuer. Au-dessus de la cité frémissent jusqu’aux faîtes les fleurs et les arbres. Et les nuages légers comme des pétales et des flocons, les brumes de mer transparentes comme une buée, s’arrêtent un instant contre les flancs de l’île et glissent nonchalamment à leur surface.
Joseph Kessel, Hong-Kong et Macao. 1957
Folio Gallimard, collection voyages, pp. 33–34
Read more
Jul 16, 2010 | Livres et carnets |
C’est l’été, il fait presque beau, j’ai décidé de ne pas trop écrire et de partager quelques textes originaux. En plein dans le texte de Colin Thubron, l’ombre de la route de la soie, j’exulte devant une série d’anecdotes délectables, comme l’histoire de l’agneau végétal.

Photo © Sarah Macmillan
La Chine et l’Ouest continuèrent pourtant à vivre dans l’ignorance l’une de l’autre pendant des siècles. Ainsi les Romains, connaissant le coton, s’imaginèrent que la soie poussait sur des arbres, pendant que les Chinois se fondaient sur ce qu’ils savaient du ver à soie pour en déduire que le coton provenait d’un animal. Ils s’inventèrent donc un « agneau végétal », une créature surgie du sol, laquelle broutait secrètement la nuit et mettaient bas des petits qui donnaient du coton. Les Romains voyaient dans les lointains Chinois un peuple doux et béni ; simultanément, se répandait en Chine la rumeur, vague au départ, de l’existence d’une puissante monarchie élective, au-delà de la Perse, dotée de citoyens honnêtes et paisibles.
Colin Thubron, L’ombre de la route de la soie Folio, 2006, p148
Read more
Jul 13, 2010 | Histoires de gens |
Si les chroniques de l’époque sont exactes, le terrible empereur gisait dans sa tombe, sous mes pieds, entouré de ses épouses exécutées et au milieu d’une reproduction à l’identique de son empire — modèle vaste et compliqué, sillonné de rivières de vif-argent et animé par d’invisibles mécaniques. Sept cents mille ouvriers, dit-on, avaient trimé sur ce mausolée au cours des dernières années de son règne et, à l’achèvement de l’ouvrage, ceux qui en savaient trop avaient été emmurés dedans au moyen de portes de pierre qui s’abaissaient d’elles-mêmes. Dans la chambre funéraire, parmi des montagnes sculptées dans le cuivre et des villes de pierres précieuses, l’empereur navigue dans un cercueil en forme de barque, sur une rivière de mercure qui débouche dans une mer du même métal, sous un ciel de nuit constellé de perles.

Archer de Qin Shi Huangdi
Ainsi il s’était ménagé dans la mort un royaume miroir autonome, une maîtrise parfaite. Ses cités de gemmes bâties pour l’éternité faisaient écho au statisme des cieux. Des portes et des passages intérieurs, secrètement protégés par des arquebuses armées et pointées dessus, scellaient les frontières de son état posthume. Il avait emmuré le passé et l’avenir. Ses ancêtres, comme ceux de l’Empereur jaune, avaient sans doute été des barbares, et pourtant c’est de lui que la Chine tient son nom. Les lampes de graisse de phoque qui éclairaient sa tombe devaient, paraît-il, brûler à jamais.
Colin Thubron, L’ombre de la route de la soie
Folio, 2006, p39
Read more
Feb 26, 2010 | Sur les portulans |
Sur la route de Datong en Chine, dans la province du Shanxi se trouve le monastère bouddhiste de Xuan Kong Si ou Heng Shang (localisation). Datant du VIIè siècle, il a été élevé sur la paroi à cinquante mètres du sol pour éviter les crues de la rivière qui se trouve en contrebas. Chef d’œuvre d’architecture aérienne, il semble reposer sur de fins piliers à peine posés sur la paroi, mais en réalité son entière structure repose sur un réseau d’énormes poutres en bois fichées horizontalement dans la paroi. Le paysage de vallée au pied du monastère contraste avec la verticalité de l’endroit et offre un panorama splendide sur les montagnes alentour.

Photo © EmmaG
Quelques photos assez impressionnantes ici.
Read more