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(Bis­mil­lah) يسم الله الرحمن الرحيم

Voi­ci le temps où je n’ai plus à me plaindre de n’a­voir rien à dire… Deux his­toires qui se pro­filent, des mots qui s’as­semblent, des bribes de sce­na­rii qui s’a­gencent comme un désir ful­gu­rant. Je ne pré­vois pas de dor­mir plus que de rai­son ces pro­chains temps. J’ai repris des forces ces der­niers jours, l’air de rien, l’air de ne pas y tou­cher, les touches me glissent sous les doigts et puis pour­quoi pas une seule his­toire après tout. Il faut que je recherche dans les tré­fonds de mon âme et de mon his­toire per­son­nelle pour retrou­ver une telle émo­tion, une telle envie de puis­sance, même si en appa­rence tout tend à démon­trer le contraire. Rien ne va très bien, mais d’ex­pé­rience, je sais que ce sont des moments de crise que sur­gissent les évé­ne­ments les plus impor­tants d’une his­toire. A moi de pro­vo­quer le destin.

[audio:TheBeepBeepSong.xol]

J’aime bien prendre la catas­trophe de la Tun­gus­ka comme une méta­phore de ce qui arrive par­fois dans un par­cours. Un évé­ne­ment sur­gi de nulle part dévaste tout, sans rai­son appa­rente et sans cause connue. La catas­trophe détruit tout dans un rayon de 20 kilo­mètres, occa­sionne des dégâts sur plus de 100 et se fait entendre sur plus de 1500… et tout le monde s’en contre­fout car il n’y a rien de connu au milieu de cette nature, rien qui ne soit cher à qui que ce soit. Tun­gus­ka, c’est un Hiro­shi­ma à l’en­vers ; une catas­trophe dont on se fout n’est plus une catas­trophe, c’est juste un évé­ne­ment isolé.
C’est la loi du témoi­gnage. Si per­sonne n’est là pour attes­ter d’un fait, le fait n’existe pas. Pour qu’il y ait un assas­si­nat, il faut être trois. Un assas­sin, une vic­time et un témoin. Sans témoin, ce n’est pas un assas­si­nat, c’est une dis­pa­ri­tion et il n’en reste plus qu’un. Qui était là pour attes­ter du meurtre d’A­bel par son frère ?


Abel et Cain par Tin­to­ret­to (Jaco­po Robusti)

La loi du témoi­gnage néces­site tou­jours d’a­voir quel­qu’un pour attes­ter. J’aime beau­coup ce mot, attes­ter. Il porte en lui une cer­taine solen­ni­té, un je-ne-sais-quoi d’à la fois pom­peux et de grave. De la même manière, on pour­rait dire éga­le­ment que l’a­mour n’existe pas à deux mais à trois. Un amant, une amante (ou un autre amant, ou deux amantes…) et un jaloux, ou écon­duit… Le troi­sième vient attes­ter du fait que les deux autres s’aiment et fonde leur amour en en étant exclu. L’ai­greur de l’a­mou­reux écon­duit est le témoi­gnage de l’a­mour uni­ver­sel. Existe-t-il en dehors de cela ?
Y aurait-il des malades s’il n’exis­tait pas de médecins ?
Y aurait-il la paix s’il n’y avait pas eu des guerres ?
Aurait-on des vacances si on ne tra­vaillait pas ?
Et sur­tout l’a­mour exis­te­rait-il réel­le­ment s’il ne conte­nait pas déjà en lui-même sa propre déception ?

Je crois éga­le­ment que l’ou­bli a un rôle à jour dans cette loi, l’ou­bli et le sou­ve­nir. Ce qui s’ou­blie par manque d’in­té­rêt peut très bien res­sur­gir lorsque la mémoire col­lec­tée refait sur­face. On croit que les his­toires d’un petit vil­lage l’ont plon­gé dans l’a­no­ny­mat, mais quel­qu’un sort de son car­ton de vieilles cartes pos­tales jau­nies, toutes droit sor­ties d’un autre temps, d’une autre réa­li­té. Les his­toires sont retrou­vées, les langues se délient, tout à coup on se sou­vient de Mr Machin qui était un sacré bon­homme et qui col­lec­tait les bou­teilles en verre consi­gnées et de cette petite place sur laquelle il y avait une fon­taine, et qu’on a rasé car elle mena­çait de s’ef­fon­drer. Mais le sou­ve­nir est là, dans sa latence et il n’at­tend qu’un petit déclen­che­ment pour sur­gir, comme un évé­ne­ment, comme dans la toun­dra, au beau milieu de nulle part.
J’ai trou­vé un peu par hasard ce blog : Les Abbesses de Gagny-Chelles. Le pre­mier billet que j’y trouve s’ap­pelle ain­si : Carte pos­tale rare du tabac de l’Ab­baye (Gagny Quar­tier du Ches­nay) alors for­cé­ment, je ne peux m’empêcher de sou­rire un peu, légè­re­ment iro­nique parce que comme tout le monde, je me dis mais qui cela peut-il donc inté­res­ser ?, et en dérou­lant le fil, la réponse devient évidente.

J’ai lu les his­toires de ces familles implan­tées dans ce quar­tier, la famille Bogast­sheff, la famille Gro­moff et son café, Féli­pa Munoz, la cen­te­naire, j’ai lu toutes ces his­toires, des his­toires com­munes, per­son­nelles, de famille qui ont tra­ver­sé notre his­toire contem­po­raine. La mémoire col­lec­tée et retrans­crite fonde leur ano­ny­mat comme une his­toire. Le témoi­gnage donne consis­tance à l’ou­bli et l’é­vé­ne­ment surgit…

La loi du témoi­gnage est éga­le­ment une loi qui a une forte valeur en art. L’ar­tiste est éga­le­ment témoin, il atteste d’une réa­li­té qui peut paraître incon­nue tant que celle-ci n’est pas attes­tée au tra­vers de son œuvre. C’est ain­si que le réa­li­té de cer­taines œuvres d’art paraît plus réelle que la réa­li­té elle-même. Le rôle de l’ar­tiste est d’ap­por­ter foi en ce que nous ne connais­sons pas encore. Étran­ge­ment, le Ste­tind de Peder Balke semble prendre plus de réa­li­té, plus de corps et d’é­pais­seur que la mon­tagne elle-même…

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Écri­ture de pous­sière — غبار

Dans les col­lec­tions per­ma­nentes de l’Ins­ti­tut du monde arabe se trouve un objet tout à fait extra­or­di­naire. De loin, on croi­rait un tis­su fin, une sorte d’é­tole déco­ra­tive sur laquelle sont des­si­nées des lettres avec une grâce sub­tile. En se rap­pro­chant, on s’a­per­çoit vite que des mots sont enchâs­sés dans des car­touches. On apprend que ces mots sont les cha­pitres des sou­rates du Coran. En s’ap­pro­chant jus­qu’à avoir le nez col­lé sur la vitre qui le pro­tège, on peut lire les textes des sou­rates à l’in­té­rieur de ce qu’on pre­nait pour les motifs abs­traits repro­duits tout au long du rou­leau, une écri­ture tel­le­ment petite qu’on ne peut la déchif­frer qu’à quelques cen­ti­mètres, une micro­gra­phie sur­pre­nante de régu­la­ri­té et s’in­té­grant par­fai­te­ment aux motifs non-figu­ra­tifs. Un tra­vail de titan répé­té sur 6,5 mètres, sur un rou­leau d’à peine douze cen­ti­mètres de large, un tra­vail d’une élé­gance étourdissante…
L’o­ri­gine de cette écri­ture est détaillée par Annie Ver­nay-Nou­ri dans un texte sur les manus­crits arabes calligraphiés.

L’utilisation des figures en micro­gra­phie peut être repla­cée dans le cadre d’une culture où l’écriture et sa réa­li­sa­tion artis­tique, la cal­li­gra­phie, ont occu­pé une place fon­da­men­tale dans l’art. Ins­tru­ment de maté­ria­li­sa­tion de la parole divine, l’écriture arabe a été dès sa nais­sance à la recherche d’un véri­table accom­plis­se­ment esthé­tique et déco­ra­tif. L’énonciation de règles de for­ma­tion des lettres par Ibn Muq­la et la for­ma­li­sa­tion en six styles clas­siques a cor­res­pon­du à la volon­té de nor­ma­li­ser des pra­tiques exis­tantes et de codi­fier des écri­tures par­fois mal défi­nies. L’écriture ghu­bâ­rî (de l’arabe ghu­bâr, qui signi­fie pous­sière) ne consti­tue pas à pro­pre­ment par­ler un style spé­ci­fique mais désigne tout type d’écriture minus­cule dont la taille varie entre 1,3 et 3 mm. Elle peut s’employer avec tous les genres d’écriture mais était sur­tout uti­li­sée avec le nas­khî et le riqâ’. Selon Shi­hâb al-Dîn al-Qal­qa­shan­dî, mort en 821/1418, secré­taire de chan­cel­le­rie sous les Mam­luks et auteur d’un manuel de chan­cel­le­rie al-Subh al‑a‘shâ fî Sinâ‘at alin­shâ’, le ghu­bâ­rî était à l’origine des­ti­né aux mes­sages urgents qu’on atta­chait à l’aile des pigeons.
En dehors de cette fonc­tion réser­vée à la poste (barîd), cette écri­ture était sur­tout uti­li­sée pour les petits corans, en forme de codex ou en rou­leaux, ain­si qu’aux écrits à carac­tère talis­ma­nique. La confec­tion de rou­leaux, dont on a de nom­breux exemples, est attes­tée dès les périodes mam­luke et ilkha­nide, mais elle leur est cer­tai­ne­ment anté­rieure et res­ta vivante en Iran et en Tur­quie au moins jusqu’au XIXe siècle. On y reco­piait des ver­sets cora­niques connus pour leur pou­voir pro­tec­teur, comme le ver­set du trône dans la sou­rate al-Baqâ­ra (II, 255). Dans deux rou­leaux conser­vés à la BNF, (Arabe 571 et 5102) les ver­sets se déploient en un large thu­luth dans lequel s’inscrit en carac­tères minus­cules le texte cora­nique ou bien à l’inverse, les mots se détachent en blanc, sur un fonds rem­pli d’écriture. Ce carac­tère magique et pro­tec­teur de l’écriture est aus­si pré­sent dans les corans de for­mat minia­ture (par­fois octo­go­nal) des­ti­nés à être glis­sés dans les vête­ments. De la même manière, on copiait vers et des­sins pro­phy­lac­tiques sur les che­mises talis­ma­niques qu’on por­tait à même la peau sous les armures pour se pro­té­ger au combat.
L’emploi de cette écri­ture a per­du­ré dans des com­po­si­tions cal­li­gra­phiques exé­cu­tées prin­ci­pa­le­ment en Tur­quie (Saf­wat, 1996) au XIXe siècle, où des maîtres comme Meh­met Nuri Siva­si se sont illus­trés. Un autre usage plus anec­do­tique existe encore en Afgha­nis­tan : c’est celui de gra­ver sur des œufs ou des grains de riz l’une des sou­rates les plus courtes du Coran.

Marges, gloses et décor dans une série de manus­crits arabes. 
Annie Ver­nay-Nou­ri
Revue des mondes musul­mans et de la Méditerranée

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Яков, Pipi­lot­ti et à peu de choses près, les autres…

J’a­vais déjà eu, il y a quelques temps de cela, l’oc­ca­sion de m’é­ner­ver contre les artistes contem­po­rains qui ont per­du en route toute la signi­fi­ca­tion intrin­sèque comme repré­sen­ta­tion de la nature, en le dévoyant et en en fai­sant un auto-repré­sen­ta­tion de la moder­ni­té, comme si fina­le­ment, l’art se repré­sen­tait lui-même. On voit l’ab­sur­di­té de la chose. Je m’é­tais éner­vé parce que j’a­vais eu l’oc­ca­sion de voir des œuvres contem­po­raines qui me sem­blaient ne rien avoir à dire. Et ce week-end, je me suis ren­du à nou­veau au Centre Pom­pi­dou, voir les nou­velles œuvres de l’ex­po­si­tion per­ma­nente, ain­si qu’ac­ces­soi­re­ment l’ex­po­si­tion elles@centrepompidou.

Je vais cer­tai­ne­ment pas­ser pour un réac­tion­naire alors que j’ai pas­sé une par­tie de mes jeunes années à défendre l’art contem­po­rain, ce qui même à l’o­rée du XXIè siècle ne va pas de soi, mais cette expo­si­tion est réel­le­ment mer­dique. Je n’ai jamais vu ça. Je suis déso­lé pour les femmes qui ont expo­sé ici, mais c’est tout tout sim­ple­ment navrant. En plus de la toni­truante et nau­séa­bonde ORLAN, j’ai assis­té à une débauche inutile d’œuvres incom­pré­hen­sibles, illi­sibles sans la notice, ou alors par un esprit supé­rieur, ce qui invi­te­rait clai­re­ment à lais­ser croire que celui qui la reçoit est un imbé­cile. C’est cela le pro­blème. L’œuvre est livrée ou non avec le mode d’emploi, mais quoi qu’il en soit, celui-ci est indis­pen­sable. Si la plu­part des chefs d’œuvres de l’art ne sont pas for­ce­ment com­pré­hen­sibles par le plus grand nombre, ils sont au moins appré­hen­sibles aisé­ment, c’est à dire qu’au­cune bar­rière ne vient frei­ner leur lec­ture. Un art qui a besoin de jus­ti­fier sa démarche, c’est du vent, c’est une construc­tion intel­lec­tua­liste qui se vide de son signi­fiant, une com­plexe machine qui ne pro­duit rien. Une perte de temps manifeste.
Ce que les artistes d’au­jourd’­hui ont du mal à com­prendre, c’est qu’un objet d’art doit pou­voir vivre à l’ex­té­rieur d’un musée. A l’in­té­rieur, ils sont mis en scène, mais doivent avoir leur vie propre. Sor­tie de son musée, la vic­toire de Samo­thrace reste belle, tout comme les Noces de Cana de Vero­nese ou la Joconde. Pas besoin d’un musée. En revanche la plu­part des choses expo­sées dans ce centre Pom­pi­dou ne valent rien en dehors de l’en­droit où elles se trouvent. Déjà à l’in­té­rieur, c’est loin d’être évident et c’est d’au­tant plus triste que cette expo­si­tion donne une bien piètre image des femmes artistes contemporaines.
Tout me porte à croire que ne sont artistes ceux qui ont su entrer dans le cercle res­treint des plas­ti­ciens à haute teneur en plas­ti­ci­té, mais à faible valeur nutri­tion­nelle pour l’art lui-même.
J’ai tou­te­fois un bemol à appor­ter à cette cri­tique sévère : la pré­sence de l’ar­tiste vidéaste suisse Pipi­lot­ti Rist qui à elle seule réus­sit à enchan­ter une expo­si­tion qui fout mal au crâne par son ins­tal­la­tion douce et par­fai­te­ment réalisée.

Dans les col­lec­tions per­ma­nentes, j’ai redé­cou­vert éga­le­ment les œuvres construc­ti­vistes de Yakov Geor­gie­vich Cher­ni­khov, juste quelques cro­quis simples et contras­tés, dignes d’une grande exposition.

Heu­reu­se­ment que par­fois, au milieu du chaos, on dis­tingue la beau­té des jolies choses, comme le chant un peu rauque d’une jolie femme, et heu­reu­se­ment que là-haut, on peut voir le soleil se cou­cher sur Paris et ses hautes églises…

[audio:themagic.xol]

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Lettres d’A­mar­na

Des récents évé­ne­ments par­tis d’É­gypte me remontent des envies de voyage. Les livres s’é­talent sur la table, les cartes sont à nou­veau dépliées, je com­pulse les guides dans tous les sens, de manière fré­né­tique. Évi­dem­ment, d’i­ci à ce que la situa­tion rede­vienne stable, il va se pas­ser du temps, de quoi pré­pa­rer un voyage cer­tai­ne­ment, mais ma soif de par­tir est la plus forte et devient presque irra­tion­nelle. Elie Faure, l’his­to­rien de l’art, fait par­tie de ces ins­tants, et je res­sors des notes prises au hasard de ce voyage lit­té­raire qu’il m’of­frit l’an­née der­nière, que j’a­vais digne­ment appe­lé Lettres d’Amar­na… Tell el-Amar­na, capi­tale mythique des époux dis­si­dents Akhe­na­ton et Nefer­ti­ti (dont le superbe buste de Ber­lin fit la renommée)…

Sarcophage de Ramsès III

Elie Faure revient dans sa pré­face sur le peu de place qu’oc­cupe l’art égyp­tien dans son “his­toire de l’art”, il nous explique que s’il en a fina­le­ment si peu à dire, c’est que celui-ci ne fait abso­lu­ment montre d’au­cune espère de fantaisie…

Sarcophage en bois peint

Je rou­gis presque d’a­voir consa­cré plu­sieurs cha­pitres à l’art grec, ou ita­lien, ou fran­çais, alors que l’É­gypte tient dans un seul, et non point le plus long de tous. Mais, à la réflexion, il me semble qu’il ne pou­vait en être autre­ment. L’art égyp­tien est si hau­tain, si her­mé­tique, si fer­mé de toutes parts, si pro­fon­dé­ment soli­taire, si déci­dé à se suf­fire à lui-même, n’ac­cueillant jamais le détail pit­to­resque, l’a­nec­dote, l’ac­ci­dent, ne soup­çon­nant même pas qu’il puisse émou­voir, il est aus­si, avec cela, dans sa sim­pli­ci­té ardente, si humain, que je trouve aus­si dif­fi­cile d’é­pi­lo­guer sur n’im­porte laquelle de ses réa­li­sa­tions que sur ses Pyra­mides par exemple, alors qu’il est impos­sible de ne pas expli­quer lon­gue­ment les formes figu­rées dont le drame et le mou­ve­ment sont le pré­texte essen­tiel. (p77)

Sphinx de Tanis

Mal­gré ses cou­leurs vives, ses poly­chro­mies élan­cées, sa rigueur reli­gieuse l’a enser­ré dans griffes et l’a au bout du compte tué. Le sphinx prend sur lui la méta­phore de cet oubli…

Elle s’est enfon­cée sans un cri dans le sable, qui a repris tour à tour ses pieds, ses genoux, ses reins, ses flancs, mais que sa poi­trine et son front dépassent. (p79)

Vase Canope

Horus en bronze

Plus que tout autre, l’art égyp­tien est un art dédié à la mort et non à la vie ou à la renaissance.

L’art égyp­tien est reli­gieux et funé­raire. Il est par­ti de la folie col­lec­tive la plus étrange de l’his­toire. (p85)

Armée des serviteurs

Dans une socié­té sans fan­tai­sie, Faure nous explique le rôle de l’ar­tiste, celui qui subli­ma l’É­gypte par ses réa­li­sa­tions. Il n’é­tait qu’un pion, un sol­dat dans une armée sans nom…

L’ar­tiste égyp­tien est un ouvrier, un esclave qui tra­vaille sous le bâton, comme les autres. Il n’est pas ini­tié au sens mys­tique. Nous savons mille noms de rois, de prêtres, de chefs de guerre et de villes, nous n’en savons un de ceux qui ont expri­mé la vraie pen­sée de l’É­gypte, celle qui vit tou­jours dans la pierre des tom­beaux. L’art était la voix ano­nyme, la voix muette de la foule broyée et regar­dant au-delà d’elle l’es­prit et l’es­poir tres­saillir. Sou­le­vé par un sen­ti­ment irré­sis­tible de la vie auquel il était inter­dit de se déployer en sur­face, il le lais­sait, dans toute sa foi com­pri­mée, brû­ler en pro­fon­deur. (p93)

Scribe

Sarcophage en bois enduit

Et au milieu de cette armée, celui qui trans­fi­gure la per­sonne de Pha­raon doit pous­ser l’ab­né­ga­tion jus­qu’à n’être rien pour don­ner autant d’é­mo­tion. Aucun nom d’ar­tiste égyp­tien n’est arri­vé jus­qu’à nous. On dit pour­tant que le mot Égypte vient des deux noms de dieux Geb (la terre) et Ptah (dieu des arts), Égypte, terre des artistes sans nom…

L’art égyp­tien est peut-être le plus imper­son­nel qui soit. L’ar­tiste s’ef­face. Mais il a de la vie un sens si inté­rieur, si direc­te­ment ému, si lim­pide, que tout ce qu’il décrit d’elle semble être défi­ni par elle, sor­tir du geste natu­rel et de l’at­ti­tude exacte dont on ne voit plus la lai­deur. (p101)

Geb et Nout

Haut-relief d'Abydos

Pour remettre les choses dans l’ordre, Faure insiste éga­le­ment sur le fait que notre vision de cette époque s’é­tend de manière linéaire alors que son expan­sion prend ses marques sur une période immense. C’est d’ailleurs très cer­tai­ne­ment la rai­son pour laquelle cette civi­li­sa­tion n’a pas su évo­luer, enfer­mée dans son art et sa repré­sen­ta­tion de la mort…

L’É­gypte est si loin de nous qu’elle parait toute au même plan. On oublie qu’il y a quinze ou vingt siècles — l’âge du chris­tia­nisme — entre le Scribe accrou­pi et la grande époque clas­sique, vingt-cinq ou trente siècles, cin­quante peut-être, — deux fois le temps qui nous sépare de Péri­clès et de Phi­dias — entre les Pyra­mides et l’é­cole saïte, la der­nière mani­fes­ta­tion de l’i­déal égyp­tien. (p110)

Tous les extraits sont issus de Elie Faure, His­toire de l’art, t.1
(Folio Essais, impri­mé en 1988)
Les pho­tos ont toutes été prises au dépar­te­ment des anti­qui­tés égyp­tiennes du musée du Louvre, le 1er avril 2007.

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Le corps mer­veilleux de Galswinthe

Gals­winthe, fille d’Atha­na­gild, roi des Wisi­goths d’His­pa­nie,  a vécu au VIème siècle, était reine des Francs et de Neus­trie et femme du roi méro­vin­gien Chil­pé­ric Ier. Son nom signi­fie en gothique « Éner­gique dans la foi » et l’on trouve son nom ortho­gra­phié sous les formes Gal­suin­tha, Gai­le­suin­da et Gele­suin­ta.

Son his­toire, tra­gique, c’est l’é­vêque Gré­goire de Tours qui nous la raconte (His­toire des Francs, livre IV, 28, 592 — tra­duc­tion Robert Latouche.)

Ce que voyant le roi Chil­pé­ric deman­da sa sœur Gals­winthe bien qu’il eût déjà plu­sieurs épouses ; il fit pro­mettre par les ambas­sa­deurs qu’il délais­se­rait les autres pour peu qu’il méri­tât d’a­voir une femme digne de lui et de souche royale. Le père, accueillant ces pro­messes, lui envoya sa fille comme il avait fait pour sa pré­cé­dente avec de grandes richesses, car Gals­winthe était plus âgée que Bru­ne­hilde. Lors­qu’elle fut arri­vée chez le roi Chil­pé­ric, elle fut accueillie avec beau­coup d’hon­neurs et asso­ciée à lui par le mariage. Il éprou­vait aus­si pour elle un grand amour, car elle avait appor­té avec elle de grands tré­sors. Mais son amour pour Fré­dé­gonde qu’il avait eue aupa­ra­vant comme femme pro­vo­qua entre eux un grand dif­fé­rent. Elle avait déjà été conver­tie à la foi catho­lique et ointe de chrême. Or comme elle se plai­gnait constam­ment au roi d’a­voir à sup­por­ter des injures et de ne jouir auprès de lui d’au­cune consi­dé­ra­tion, elle deman­da la per­mis­sion de ren­trer libre­ment dans sa patrie en lais­sant les tré­sors qu’elle avait appor­tés avec elle. Le roi fei­gnant de nier la chose, l’a­pai­sa par de douces paroles. Fina­le­ment il la fit égor­ger par un esclave et on la trou­va morte dans son lit. […] Quant au roi, après avoir pleu­ré la morte, il reprit après quelques jours Fré­dé­gonde qu’il épousa […].

En l’oc­cur­rence, si la reine Gals­winthe a connu des déboires qui ne l’ont pas pour autant ins­crite en haut du tableau, je ne suis pas pour autant insen­sible au tableau d’Eu­gène Phi­lastre fils, un peintre mineur à peu près incon­nu dont la plus grande œuvre est conser­vée au musée de Sois­sons… Le tableau est un peu pom­pier, et son état de conser­va­tion laisse à dési­rer, mais en y regar­dant de plus près, on découvre un vrai tré­sor ; le corps de Gals­winthe. Rare­ment on a repré­sen­té le corps d’une femme en pein­ture avec autant d’ex­pres­sion, à tel point qu’on pour­rait presque le sor­tir du cadre et le faire poser pour un pho­to­graphe moderne. Le trai­te­ment du mou­ve­ment, le torse en avant, bom­bé par le manque d’air, un bras replié sur la main qui lui enserre le cou, l’autre lâche­ment bal­lante ; tout indique que déjà elle s’a­ban­donne à la mort. Le regard de la reine est déjà vide et ses lèvres entr’ou­vertes laissent sup­po­ser qu’elle est en train de rendre son der­nier souffle. Pour­tant dans cette mort, on y voit — peut-être le fan­tasme du peintre* — une car­na­tion claire, une peau par­cou­rue par une chair de poule que l’on peut voir fleu­rir jusque sur le sein dont l’a­réole est ten­due, le pubis est pro­je­té en avant, une jambe allon­gée, l’autre repliée, tout veut nous faire croire qu’elle se débat pour ne pas mou­rir. En réa­li­té, je me pose la ques­tion de savoir si le peintre ne s’est pas expri­mé de telle sorte que son modèle est plu­tôt per­du dans les affres du plai­sir que dans la tor­ture d’une mort nais­sante. On aurait vou­lu évo­quer le vul­gaire meurtre d’une reine qu’on y serait cer­tai­ne­ment allé avec un peu plus d’emphase et de manières… Mais je me trompe peut-être.

* Non, pas le mien…

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