Mar 5, 2011 | Histoires de gens |
Voici le temps où je n’ai plus à me plaindre de n’avoir rien à dire… Deux histoires qui se profilent, des mots qui s’assemblent, des bribes de scenarii qui s’agencent comme un désir fulgurant. Je ne prévois pas de dormir plus que de raison ces prochains temps. J’ai repris des forces ces derniers jours, l’air de rien, l’air de ne pas y toucher, les touches me glissent sous les doigts et puis pourquoi pas une seule histoire après tout. Il faut que je recherche dans les tréfonds de mon âme et de mon histoire personnelle pour retrouver une telle émotion, une telle envie de puissance, même si en apparence tout tend à démontrer le contraire. Rien ne va très bien, mais d’expérience, je sais que ce sont des moments de crise que surgissent les événements les plus importants d’une histoire. A moi de provoquer le destin.
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J’aime bien prendre la catastrophe de la Tunguska comme une métaphore de ce qui arrive parfois dans un parcours. Un événement surgi de nulle part dévaste tout, sans raison apparente et sans cause connue. La catastrophe détruit tout dans un rayon de 20 kilomètres, occasionne des dégâts sur plus de 100 et se fait entendre sur plus de 1500… et tout le monde s’en contrefout car il n’y a rien de connu au milieu de cette nature, rien qui ne soit cher à qui que ce soit. Tunguska, c’est un Hiroshima à l’envers ; une catastrophe dont on se fout n’est plus une catastrophe, c’est juste un événement isolé.
C’est la loi du témoignage. Si personne n’est là pour attester d’un fait, le fait n’existe pas. Pour qu’il y ait un assassinat, il faut être trois. Un assassin, une victime et un témoin. Sans témoin, ce n’est pas un assassinat, c’est une disparition et il n’en reste plus qu’un. Qui était là pour attester du meurtre d’Abel par son frère ?

Abel et Cain par Tintoretto (Jacopo Robusti)
La loi du témoignage nécessite toujours d’avoir quelqu’un pour attester. J’aime beaucoup ce mot, attester. Il porte en lui une certaine solennité, un je-ne-sais-quoi d’à la fois pompeux et de grave. De la même manière, on pourrait dire également que l’amour n’existe pas à deux mais à trois. Un amant, une amante (ou un autre amant, ou deux amantes…) et un jaloux, ou éconduit… Le troisième vient attester du fait que les deux autres s’aiment et fonde leur amour en en étant exclu. L’aigreur de l’amoureux éconduit est le témoignage de l’amour universel. Existe-t-il en dehors de cela ?
Y aurait-il des malades s’il n’existait pas de médecins ?
Y aurait-il la paix s’il n’y avait pas eu des guerres ?
Aurait-on des vacances si on ne travaillait pas ?
Et surtout l’amour existerait-il réellement s’il ne contenait pas déjà en lui-même sa propre déception ?
…

Je crois également que l’oubli a un rôle à jour dans cette loi, l’oubli et le souvenir. Ce qui s’oublie par manque d’intérêt peut très bien ressurgir lorsque la mémoire collectée refait surface. On croit que les histoires d’un petit village l’ont plongé dans l’anonymat, mais quelqu’un sort de son carton de vieilles cartes postales jaunies, toutes droit sorties d’un autre temps, d’une autre réalité. Les histoires sont retrouvées, les langues se délient, tout à coup on se souvient de Mr Machin qui était un sacré bonhomme et qui collectait les bouteilles en verre consignées et de cette petite place sur laquelle il y avait une fontaine, et qu’on a rasé car elle menaçait de s’effondrer. Mais le souvenir est là, dans sa latence et il n’attend qu’un petit déclenchement pour surgir, comme un événement, comme dans la toundra, au beau milieu de nulle part.
J’ai trouvé un peu par hasard ce blog : Les Abbesses de Gagny-Chelles. Le premier billet que j’y trouve s’appelle ainsi : Carte postale rare du tabac de l’Abbaye (Gagny Quartier du Chesnay) alors forcément, je ne peux m’empêcher de sourire un peu, légèrement ironique parce que comme tout le monde, je me dis mais qui cela peut-il donc intéresser ?, et en déroulant le fil, la réponse devient évidente.

J’ai lu les histoires de ces familles implantées dans ce quartier, la famille Bogastsheff, la famille Gromoff et son café, Félipa Munoz, la centenaire, j’ai lu toutes ces histoires, des histoires communes, personnelles, de famille qui ont traversé notre histoire contemporaine. La mémoire collectée et retranscrite fonde leur anonymat comme une histoire. Le témoignage donne consistance à l’oubli et l’événement surgit…

La loi du témoignage est également une loi qui a une forte valeur en art. L’artiste est également témoin, il atteste d’une réalité qui peut paraître inconnue tant que celle-ci n’est pas attestée au travers de son œuvre. C’est ainsi que le réalité de certaines œuvres d’art paraît plus réelle que la réalité elle-même. Le rôle de l’artiste est d’apporter foi en ce que nous ne connaissons pas encore. Étrangement, le Stetind de Peder Balke semble prendre plus de réalité, plus de corps et d’épaisseur que la montagne elle-même…

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Feb 26, 2011 | Arts, Livres et carnets |

Dans les collections permanentes de l’Institut du monde arabe se trouve un objet tout à fait extraordinaire. De loin, on croirait un tissu fin, une sorte d’étole décorative sur laquelle sont dessinées des lettres avec une grâce subtile. En se rapprochant, on s’aperçoit vite que des mots sont enchâssés dans des cartouches. On apprend que ces mots sont les chapitres des sourates du Coran. En s’approchant jusqu’à avoir le nez collé sur la vitre qui le protège, on peut lire les textes des sourates à l’intérieur de ce qu’on prenait pour les motifs abstraits reproduits tout au long du rouleau, une écriture tellement petite qu’on ne peut la déchiffrer qu’à quelques centimètres, une micrographie surprenante de régularité et s’intégrant parfaitement aux motifs non-figuratifs. Un travail de titan répété sur 6,5 mètres, sur un rouleau d’à peine douze centimètres de large, un travail d’une élégance étourdissante…
L’origine de cette écriture est détaillée par Annie Vernay-Nouri dans un texte sur les manuscrits arabes calligraphiés.
L’utilisation des figures en micrographie peut être replacée dans le cadre d’une culture où l’écriture et sa réalisation artistique, la calligraphie, ont occupé une place fondamentale dans l’art. Instrument de matérialisation de la parole divine, l’écriture arabe a été dès sa naissance à la recherche d’un véritable accomplissement esthétique et décoratif. L’énonciation de règles de formation des lettres par Ibn Muqla et la formalisation en six styles classiques a correspondu à la volonté de normaliser des pratiques existantes et de codifier des écritures parfois mal définies. L’écriture ghubârî (de l’arabe ghubâr, qui signifie poussière) ne constitue pas à proprement parler un style spécifique mais désigne tout type d’écriture minuscule dont la taille varie entre 1,3 et 3 mm. Elle peut s’employer avec tous les genres d’écriture mais était surtout utilisée avec le naskhî et le riqâ’. Selon Shihâb al-Dîn al-Qalqashandî, mort en 821/1418, secrétaire de chancellerie sous les Mamluks et auteur d’un manuel de chancellerie al-Subh al‑a‘shâ fî Sinâ‘at alinshâ’, le ghubârî était à l’origine destiné aux messages urgents qu’on attachait à l’aile des pigeons.
En dehors de cette fonction réservée à la poste (barîd), cette écriture était surtout utilisée pour les petits corans, en forme de codex ou en rouleaux, ainsi qu’aux écrits à caractère talismanique. La confection de rouleaux, dont on a de nombreux exemples, est attestée dès les périodes mamluke et ilkhanide, mais elle leur est certainement antérieure et resta vivante en Iran et en Turquie au moins jusqu’au XIXe siècle. On y recopiait des versets coraniques connus pour leur pouvoir protecteur, comme le verset du trône dans la sourate al-Baqâra (II, 255). Dans deux rouleaux conservés à la BNF, (Arabe 571 et 5102) les versets se déploient en un large thuluth dans lequel s’inscrit en caractères minuscules le texte coranique ou bien à l’inverse, les mots se détachent en blanc, sur un fonds rempli d’écriture. Ce caractère magique et protecteur de l’écriture est aussi présent dans les corans de format miniature (parfois octogonal) destinés à être glissés dans les vêtements. De la même manière, on copiait vers et dessins prophylactiques sur les chemises talismaniques qu’on portait à même la peau sous les armures pour se protéger au combat.
L’emploi de cette écriture a perduré dans des compositions calligraphiques exécutées principalement en Turquie (Safwat, 1996) au XIXe siècle, où des maîtres comme Mehmet Nuri Sivasi se sont illustrés. Un autre usage plus anecdotique existe encore en Afghanistan : c’est celui de graver sur des œufs ou des grains de riz l’une des sourates les plus courtes du Coran.
Marges, gloses et décor dans une série de manuscrits arabes.
Annie Vernay-Nouri, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée
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Feb 8, 2011 | Arts |
J’avais déjà eu, il y a quelques temps de cela, l’occasion de m’énerver contre les artistes contemporains qui ont perdu en route toute la signification intrinsèque comme représentation de la nature, en le dévoyant et en en faisant un auto-représentation de la modernité, comme si finalement, l’art se représentait lui-même. On voit l’absurdité de la chose. Je m’étais énervé parce que j’avais eu l’occasion de voir des œuvres contemporaines qui me semblaient ne rien avoir à dire. Et ce week-end, je me suis rendu à nouveau au Centre Pompidou, voir les nouvelles œuvres de l’exposition permanente, ainsi qu’accessoirement l’exposition elles@centrepompidou.

Je vais certainement passer pour un réactionnaire alors que j’ai passé une partie de mes jeunes années à défendre l’art contemporain, ce qui même à l’orée du XXIè siècle ne va pas de soi, mais cette exposition est réellement merdique. Je n’ai jamais vu ça. Je suis désolé pour les femmes qui ont exposé ici, mais c’est tout tout simplement navrant. En plus de la tonitruante et nauséabonde ORLAN, j’ai assisté à une débauche inutile d’œuvres incompréhensibles, illisibles sans la notice, ou alors par un esprit supérieur, ce qui inviterait clairement à laisser croire que celui qui la reçoit est un imbécile. C’est cela le problème. L’œuvre est livrée ou non avec le mode d’emploi, mais quoi qu’il en soit, celui-ci est indispensable. Si la plupart des chefs d’œuvres de l’art ne sont pas forcement compréhensibles par le plus grand nombre, ils sont au moins appréhensibles aisément, c’est à dire qu’aucune barrière ne vient freiner leur lecture. Un art qui a besoin de justifier sa démarche, c’est du vent, c’est une construction intellectualiste qui se vide de son signifiant, une complexe machine qui ne produit rien. Une perte de temps manifeste.
Ce que les artistes d’aujourd’hui ont du mal à comprendre, c’est qu’un objet d’art doit pouvoir vivre à l’extérieur d’un musée. A l’intérieur, ils sont mis en scène, mais doivent avoir leur vie propre. Sortie de son musée, la victoire de Samothrace reste belle, tout comme les Noces de Cana de Veronese ou la Joconde. Pas besoin d’un musée. En revanche la plupart des choses exposées dans ce centre Pompidou ne valent rien en dehors de l’endroit où elles se trouvent. Déjà à l’intérieur, c’est loin d’être évident et c’est d’autant plus triste que cette exposition donne une bien piètre image des femmes artistes contemporaines.
Tout me porte à croire que ne sont artistes ceux qui ont su entrer dans le cercle restreint des plasticiens à haute teneur en plasticité, mais à faible valeur nutritionnelle pour l’art lui-même.
J’ai toutefois un bemol à apporter à cette critique sévère : la présence de l’artiste vidéaste suisse Pipilotti Rist qui à elle seule réussit à enchanter une exposition qui fout mal au crâne par son installation douce et parfaitement réalisée.

Dans les collections permanentes, j’ai redécouvert également les œuvres constructivistes de Yakov Georgievich Chernikhov, juste quelques croquis simples et contrastés, dignes d’une grande exposition.

Heureusement que parfois, au milieu du chaos, on distingue la beauté des jolies choses, comme le chant un peu rauque d’une jolie femme, et heureusement que là-haut, on peut voir le soleil se coucher sur Paris et ses hautes églises…
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Feb 6, 2011 | Arts, Sur les portulans |
Des récents événements partis d’Égypte me remontent des envies de voyage. Les livres s’étalent sur la table, les cartes sont à nouveau dépliées, je compulse les guides dans tous les sens, de manière frénétique. Évidemment, d’ici à ce que la situation redevienne stable, il va se passer du temps, de quoi préparer un voyage certainement, mais ma soif de partir est la plus forte et devient presque irrationnelle. Elie Faure, l’historien de l’art, fait partie de ces instants, et je ressors des notes prises au hasard de ce voyage littéraire qu’il m’offrit l’année dernière, que j’avais dignement appelé Lettres d’Amarna… Tell el-Amarna, capitale mythique des époux dissidents Akhenaton et Nefertiti (dont le superbe buste de Berlin fit la renommée)…

Elie Faure revient dans sa préface sur le peu de place qu’occupe l’art égyptien dans son “histoire de l’art”, il nous explique que s’il en a finalement si peu à dire, c’est que celui-ci ne fait absolument montre d’aucune espère de fantaisie…

Je rougis presque d’avoir consacré plusieurs chapitres à l’art grec, ou italien, ou français, alors que l’Égypte tient dans un seul, et non point le plus long de tous. Mais, à la réflexion, il me semble qu’il ne pouvait en être autrement. L’art égyptien est si hautain, si hermétique, si fermé de toutes parts, si profondément solitaire, si décidé à se suffire à lui-même, n’accueillant jamais le détail pittoresque, l’anecdote, l’accident, ne soupçonnant même pas qu’il puisse émouvoir, il est aussi, avec cela, dans sa simplicité ardente, si humain, que je trouve aussi difficile d’épiloguer sur n’importe laquelle de ses réalisations que sur ses Pyramides par exemple, alors qu’il est impossible de ne pas expliquer longuement les formes figurées dont le drame et le mouvement sont le prétexte essentiel. (p77)

Malgré ses couleurs vives, ses polychromies élancées, sa rigueur religieuse l’a enserré dans griffes et l’a au bout du compte tué. Le sphinx prend sur lui la métaphore de cet oubli…
Elle s’est enfoncée sans un cri dans le sable, qui a repris tour à tour ses pieds, ses genoux, ses reins, ses flancs, mais que sa poitrine et son front dépassent. (p79)


Plus que tout autre, l’art égyptien est un art dédié à la mort et non à la vie ou à la renaissance.
L’art égyptien est religieux et funéraire. Il est parti de la folie collective la plus étrange de l’histoire. (p85)

Dans une société sans fantaisie, Faure nous explique le rôle de l’artiste, celui qui sublima l’Égypte par ses réalisations. Il n’était qu’un pion, un soldat dans une armée sans nom…
L’artiste égyptien est un ouvrier, un esclave qui travaille sous le bâton, comme les autres. Il n’est pas initié au sens mystique. Nous savons mille noms de rois, de prêtres, de chefs de guerre et de villes, nous n’en savons un de ceux qui ont exprimé la vraie pensée de l’Égypte, celle qui vit toujours dans la pierre des tombeaux. L’art était la voix anonyme, la voix muette de la foule broyée et regardant au-delà d’elle l’esprit et l’espoir tressaillir. Soulevé par un sentiment irrésistible de la vie auquel il était interdit de se déployer en surface, il le laissait, dans toute sa foi comprimée, brûler en profondeur. (p93)


Et au milieu de cette armée, celui qui transfigure la personne de Pharaon doit pousser l’abnégation jusqu’à n’être rien pour donner autant d’émotion. Aucun nom d’artiste égyptien n’est arrivé jusqu’à nous. On dit pourtant que le mot Égypte vient des deux noms de dieux Geb (la terre) et Ptah (dieu des arts), Égypte, terre des artistes sans nom…
L’art égyptien est peut-être le plus impersonnel qui soit. L’artiste s’efface. Mais il a de la vie un sens si intérieur, si directement ému, si limpide, que tout ce qu’il décrit d’elle semble être défini par elle, sortir du geste naturel et de l’attitude exacte dont on ne voit plus la laideur. (p101)


Pour remettre les choses dans l’ordre, Faure insiste également sur le fait que notre vision de cette époque s’étend de manière linéaire alors que son expansion prend ses marques sur une période immense. C’est d’ailleurs très certainement la raison pour laquelle cette civilisation n’a pas su évoluer, enfermée dans son art et sa représentation de la mort…
L’Égypte est si loin de nous qu’elle parait toute au même plan. On oublie qu’il y a quinze ou vingt siècles — l’âge du christianisme — entre le Scribe accroupi et la grande époque classique, vingt-cinq ou trente siècles, cinquante peut-être, — deux fois le temps qui nous sépare de Périclès et de Phidias — entre les Pyramides et l’école saïte, la dernière manifestation de l’idéal égyptien. (p110)
Tous les extraits sont issus de Elie Faure, Histoire de l’art, t.1
(Folio Essais, imprimé en 1988)
Les photos ont toutes été prises au département des antiquités égyptiennes du musée du Louvre, le 1er avril 2007.
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Jul 19, 2010 | Arts, Histoires de gens |

Galswinthe, fille d’Athanagild, roi des Wisigoths d’Hispanie, a vécu au VIème siècle, était reine des Francs et de Neustrie et femme du roi mérovingien Chilpéric Ier. Son nom signifie en gothique « Énergique dans la foi » et l’on trouve son nom orthographié sous les formes Galsuintha, Gailesuinda et Gelesuinta.
Son histoire, tragique, c’est l’évêque Grégoire de Tours qui nous la raconte (Histoire des Francs, livre IV, 28, 592 — traduction Robert Latouche.)
Ce que voyant le roi Chilpéric demanda sa sœur Galswinthe bien qu’il eût déjà plusieurs épouses ; il fit promettre par les ambassadeurs qu’il délaisserait les autres pour peu qu’il méritât d’avoir une femme digne de lui et de souche royale. Le père, accueillant ces promesses, lui envoya sa fille comme il avait fait pour sa précédente avec de grandes richesses, car Galswinthe était plus âgée que Brunehilde. Lorsqu’elle fut arrivée chez le roi Chilpéric, elle fut accueillie avec beaucoup d’honneurs et associée à lui par le mariage. Il éprouvait aussi pour elle un grand amour, car elle avait apporté avec elle de grands trésors. Mais son amour pour Frédégonde qu’il avait eue auparavant comme femme provoqua entre eux un grand différent. Elle avait déjà été convertie à la foi catholique et ointe de chrême. Or comme elle se plaignait constamment au roi d’avoir à supporter des injures et de ne jouir auprès de lui d’aucune considération, elle demanda la permission de rentrer librement dans sa patrie en laissant les trésors qu’elle avait apportés avec elle. Le roi feignant de nier la chose, l’apaisa par de douces paroles. Finalement il la fit égorger par un esclave et on la trouva morte dans son lit. […] Quant au roi, après avoir pleuré la morte, il reprit après quelques jours Frédégonde qu’il épousa […].
En l’occurrence, si la reine Galswinthe a connu des déboires qui ne l’ont pas pour autant inscrite en haut du tableau, je ne suis pas pour autant insensible au tableau d’Eugène Philastre fils, un peintre mineur à peu près inconnu dont la plus grande œuvre est conservée au musée de Soissons… Le tableau est un peu pompier, et son état de conservation laisse à désirer, mais en y regardant de plus près, on découvre un vrai trésor ; le corps de Galswinthe. Rarement on a représenté le corps d’une femme en peinture avec autant d’expression, à tel point qu’on pourrait presque le sortir du cadre et le faire poser pour un photographe moderne. Le traitement du mouvement, le torse en avant, bombé par le manque d’air, un bras replié sur la main qui lui enserre le cou, l’autre lâchement ballante ; tout indique que déjà elle s’abandonne à la mort. Le regard de la reine est déjà vide et ses lèvres entr’ouvertes laissent supposer qu’elle est en train de rendre son dernier souffle. Pourtant dans cette mort, on y voit — peut-être le fantasme du peintre* — une carnation claire, une peau parcourue par une chair de poule que l’on peut voir fleurir jusque sur le sein dont l’aréole est tendue, le pubis est projeté en avant, une jambe allongée, l’autre repliée, tout veut nous faire croire qu’elle se débat pour ne pas mourir. En réalité, je me pose la question de savoir si le peintre ne s’est pas exprimé de telle sorte que son modèle est plutôt perdu dans les affres du plaisir que dans la torture d’une mort naissante. On aurait voulu évoquer le vulgaire meurtre d’une reine qu’on y serait certainement allé avec un peu plus d’emphase et de manières… Mais je me trompe peut-être.
* Non, pas le mien…
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