Épi­sode pré­cé­dent : Lun­gar­no e Oltrar­no – Car­net de voyage à Flo­rence 5 – La croix et l’étoile

Florence - jour 3 - 022 - Battistero san Giovanni

Ce same­di matin, je me réveille plu­tôt tard. J’ai l’im­pres­sion que le fait de mar­cher me courbe de fatigue, mais une fois ma nuit ter­mi­née, je reprends du poil de la bête et je suis à nou­veau d’at­taque. Ce matin, j’ai pour pro­jet de visi­ter le bap­tis­tère Saint-Jean (bat­tis­te­ro di San Gio­van­ni), qui comme son nom l’in­dique est dédié à l’é­van­gé­liste Jean. C’est un monu­ment de taille assez réduite com­pa­ré à ce qui se trouve autour, notam­ment le Duo­mo, mais son ori­gine est assez ancienne. On construit rare­ment un bâti­ment chré­tien sans rai­son et sur­tout en ce qui concerne le lieu, on pro­cède géné­ra­le­ment par éli­mi­na­tion. Construire par-des­sus est un exer­cice que les Chré­tiens connaissent bien et en l’oc­cur­rence, c’est ici au-des­sus des restes d’un temple dédié à Mars (rien ne vaut l’en­fouis­se­ment des anciennes croyances pour les absoudre) que le bap­tis­tère fut construit, mais à l’o­ri­gine comme simple cathé­drale. L’as­pect qu’il revêt aujourd’­hui date du XIIème siècle, avec ses marbres de façade et son plan octo­go­nal. La signi­fi­ca­tion du plan octo­go­nal prend tout son sens au regard du chiffre 7. On sait que le chiffre 7 est rela­tif aux 6 jours durant les­quels Dieu créa le monde, le sep­tième étant, selon des sources bien ren­sei­gnées, le jour où le Créa­teur se repo­sa d’a­voir mis tout ceci en chan­tier. Le chiffre sym­bo­lique 8 est rela­tif à ce hui­tième jour, qui n’est ni plus ni moins que le jour du Juge­ment Der­nier ; si je compte bien, nous sommes tou­jours dans le sep­tième jour, donc jour de repos… Vue de l’esprit…

Florence - jour 3 - 009 - Battistero san Giovanni

Le bap­tis­tère est donc consi­dé­ré comme un pur chef‑d’œuvre d’ar­chi­tec­ture romane tos­cane, mais comme dans de nom­breux endroits d’I­ta­lie, le seul canon accep­table en terme d’art, est le canon byzan­tin et pour quelques années encore. C’est la rai­son pour laquelle le sol ce lieu est recou­vert de car­re­lage fait de mosaïques com­plexes en marbre, et le dôme de mosaïques dorées dans un style qui revêt la pure­té du style byzan­tin. Ce qu’on appelle style byzan­tin se déve­loppe sur une aire géo­gra­phique qui cor­res­pond à l’aire d’ex­ten­sion de l’Em­pire Romain et ne se can­tonne pas à la simple Byzance, deve­nue entre temps Constan­ti­nople. Pour mémoire, c’est Constan­tin qui a défi­ni que le Chris­tia­nisme serait la reli­gion des Romains alors que lui-même ne se fera bap­ti­ser que sur son lit de mort (c’est plus pra­tique pour conti­nuer à faire des bêtises jus­qu’au der­nier moment). Entrer dans le bap­tis­tère Saint-Jean, c’est entrer dans le même uni­vers que la basi­lique Saint-Marc à Venise ou dans Sainte-Sophie à Istan­bul, nous sommes dans le même univers.

Florence - jour 3 - 015 - Battistero san Giovanni

Dans cet octo­gone dont la per­fec­tion des lignes est un gage sym­bo­lique de la per­fec­tion divine, on peut voir sur la face interne de la cou­pole une mosaïque qui repré­sente jus­te­ment… le Juge­ment Der­nier. Sym­biose de la forme et de la signi­fi­ca­tion. Le Christ au regard froid et vide, fixant au loin, y est repré­sen­té en Pan­to­cra­tor (παντοκράτωρ) lors de la seconde parou­sie, Christ tout puis­sant dont la tête est ceinte d’un nimbe cru­ci­fère (attri­but chris­tique par excel­lence, repré­sen­tant la Pas­sion) — je suis deve­nu imbat­table sur les sym­boles du Chris­tia­nisme. Au jour du Juge­ment Der­nier, les morts sont res­sus­ci­tés et viennent en face de Dieu lui racon­ter leurs actes durant leur pas­sage sur terre et y seront jugés selon les prin­cipes de la jus­tice. Les dam­nés seront jetés en enfer et les justes seront pro­pul­sés vers le para­dis, c’est en peu de mots la teneur de ce qui est racon­té ici. L’ab­side rec­tan­gu­laire (Scar­sel­la) est ornée au pla­fond d’une roue dans le centre duquel est repré­sen­té (comme un peu par­tout sur San­ta Maria del fiore) l’A­gneau mys­tique, avec sur cha­cun des côtés Marie et Jean-Bap­tiste. Sur la cou­pole et de chaque côté du Christ, la hié­rar­chie céleste (Séra­phins — recon­nais­sables avec leurs trois paires d’aile -, Ché­ru­bins et Trônes, Domi­na­tions, Auto­ri­tés et Puis­sances, Prin­ci­pau­tés, Archanges et Anges). Ce qui est cen­tral ici, ce sont les scènes orga­ni­sées autour du Christ, avec la pesée des âmes, les dam­nés qui sont jetés dans la géhenne, bref, toute une série de scènes hor­ribles des­ti­nées à ter­ro­ri­ser les fidèles. N’ou­blions pas non plus que nous sommes dans le bap­tis­tère et que celui-ci se trouve en dehors de l’é­glise, car selon une vieille tra­di­tion, per­sonne ne peut entrer dans le temple de Dieu sans avoir été sacré aupa­ra­vant, donc bap­ti­sé. Si avec cela, vous n’êtes pas pris dans les griffes d’une ter­reur panique face à la gran­deur des châ­ti­ments qui vous attendent, je ne sais pas ce qu’on peut faire pour vous…
Sur les pre­mières basi­liques chré­tiennes, un pas­sage obli­gé était induit par le nar­thex, ancêtre de l’atrium, sorte de sas d’en­trée où l’on devait se faire bap­ti­ser pour entrer dans le temple. Tout se perd…

Florence - jour 3 - 047 - Battistero san Giovanni

Si un jour vous vous ren­dez au bap­tis­tère, pre­nez autant le temps de regar­der le sol que le pla­fond. Vous y ver­rez de superbes mosaïques de marbre, mais faites-en éga­le­ment le tour, pour admi­rer les portes de bronze de Bru­nel­les­chi mais aus­si et sur­tout, la porte du para­dis, avec laquelle Ghi­ber­ti a gagné un concours en uti­li­sant une tech­nique révo­lu­tion­naire de fonte qui fai­sait perdre la moi­tié de son poids à la porte, au grand dam du grand Bru­nel­les­chi, maître des lieux… Vous y recon­naî­trez éga­le­ment les traits de l’ar­tiste. Cette porte, par sa majes­té et la com­plexi­té de ses gra­vures, est un chan­tier colos­sal qui met­tra 27 ans à voir son terme.

Je crois que je suis res­té deux heures dans le bap­tis­tère à tout détailler, à tout décor­ti­quer. Pour me remettre de ces par­faites émo­tions, il fal­lait bien que je retourne à la taverne du gour­met (Oste­rai il buon­gus­tai) pour me satis­faire d’une planche de char­cu­te­rie, d’une carafe de spu­mante, d’un tira­mi­su divin et de can­tuc­ci al vin san­to, puis d’un espres­so réglementaire.

Florence - jour 3 - 074 - Palazzo Strozzi

L’a­près-midi, j’ai erré béa­te­ment dans les rues, du côté d’Or­san­mi­chele, de la Piaz­za del­la Repu­bli­ca, en pas­sant par le Palaz­zo Davan­za­ti, qu’il me semble avoir déjà visi­té lors de ma pre­mière esca­pade à Flo­rence, puis par le Pala­gio dei Capi­ta­ni di Parte Guel­fa, ancienne capi­tai­ne­rie des Guelfes dont sortent des mes­sieurs habillés à la mode du tre­cen­to, por­tant ori­flammes et épées de paco­tille, dans une sorte de bal­let qui me fait pen­ser à une confré­rie ancienne, dont les inten­tions sont par­fois radi­cales et pas tou­jours très louables. Je ne m’é­ter­nise pas et je rejoins d’a­bord les alen­tours du Palaz­zo Stroz­zi (pour voir ses superbes fer­ron­ne­ries du Capar­ra) recon­ver­ti en centre cultu­rel et artis­tique plus ou moins heu­reux, dans un quar­tier où l’on voit fleu­rir des bou­tiques dégou­li­nantes de luxe, puis je vais vers la Piaz­za San­ta­Tri­ni­ta encore nim­bée de soleil. La basi­lique épo­nyme est de toute beau­té, la façade taillée dans un très pur style manié­riste est légè­re­ment abi­mée, ce qui lui confère un cer­tain charme. A l’in­té­rieur, on peut trou­ver des fresques de Dome­ni­co Ghir­lan­daio, enfin, si on arrive à se caler entre deux messes, ce qui n’est pas évident.

Florence - jour 3 - 075 - Piazza Santa Trinita

Ce soir, j’a­vais déci­dé de pro­fi­ter de la nuit euro­péenne des musées pour visi­ter le musée des Offices de nuit, mais l’ac­tua­li­té en a déci­dé autre­ment. Un atten­tat a frap­pé la ville de Brin­di­si, tuant une lycéenne et bles­sant gra­ve­ment plu­sieurs autres. Le minis­tère de la culture a donc déci­dé d’an­nu­ler toutes les mani­fes­ta­tions cultu­relles ce soir là, m’in­ter­di­sant de pou­voir pro­fi­ter de ce moment unique. Comme on dit en arabe, mek­toub !

Florence - jour 3 - 082 - Lungarno

Dans la fin d’a­près-midi, vaga­bond des bords de l’Ar­no, je m’en­gage le long du fleuve sur le Lun­gar­no, puis sur l’Ol­trar­no que je rejoins en pre­nant le laid Ponte alle Gra­zie. On peut aller, en pre­nant un che­min mon­tant, sur les hau­teurs de la ville, loin du tumulte et de la pol­lu­tion, tout près des che­mins bor­dés de cyprès. Je m’ar­rête dans une toute petite épi­ce­rie où j’a­chète une bou­teille d’eau et du pros­ciut­to alle erbe (jam­bon aux herbes) que je mange en che­min comme d’autres mangent un qui­gnon de pain avec du cho­co­lat pour se requin­quer. Il fait bon, l’air et doux, je m’en­fonce dans un quar­tier aux rues étroites dans les­quelles ont peut entendre de la musique et sen­tir l’o­deur d’une bonne cui­sine à l’huile d’o­live et à l’ail, ça sent la bonne humeur et la joie de vivre. Je m’en­gage dans la Via San Minia­to et je conti­nue sur la Via del Monte alle Cro­ci où je trouve des pan­neaux détournés.

Florence - jour 3 - 113 - Via del Monte alle Croci

Florence - jour 3 - 085 - Via del Monte alle Croci

La rue monte vers un esca­lier qui n’est ni plus moins qu’un che­min croix (via cru­cis) que cer­tains fer­vents se sont très cer­tai­ne­ment amu­sés à gra­vir un jour sur les genoux… c’est le Viale Gali­leo Gali­lei qui borde un jar­din abso­lu­ment magni­fique, le jar­din des roses (Giar­di­no delle Rose), dans lequel on trouve, outre un très bel agen­ce­ment, des sta­tues d’un mon­sieur qu’on connait bien ici, en France (même s’il est belge), Jean-Michel Folon. En se retour­nant, on com­mence à aper­ce­voir la vue magni­fique que l’on a sur la ville de Flo­rence, Lun­gar­no et Oltrar­no. On arrive ensuite sur la Piaz­zale Miche­lan­ge­lo, une gigan­tesque espla­nade où trône une copie du David de Michel-Ange. Il faut dire ce qui est, le lieu est magique ; on y croise de jeunes amou­reux qui se bécotent appuyés contre la ram­barde, des étran­gers de tout crin qui viennent écou­ter une gui­ta­riste qui se débrouille plu­tôt pas mal ou tout sim­ple­ment regar­der le soleil se cou­cher sur l’Arno.

Florence - jour 3 - 099 - Piazzale Michelangelo

D’i­ci on voit, tout le vieux Flo­rence, l’ombre du bef­froi qui se découpe sur les col­lines ondu­lantes de la douce Tos­cane, un ciel oran­gé déchi­ré par les nuages, les hautes cimes des cyprès, la foi­son des toits et puis le Duo­mo dont on voit bien que la base de sa cou­pole n’est pas ter­mi­née ; il manque du pare­ment, ce qui n’est pas pour lui don­ner un air coquin. Des oiseaux tournent autour des clo­chers tan­dis que les cloches volent à tout vent pour son­ner l’heure, le soleil se reflé­tant sur les arbres des­quels se dégage comme une sorte de brouillard. Je prends le temps en man­geant une petite piz­za et en siro­tant un moji­to pen­dant que l’astre plonge der­rière les col­lines au petit res­tau­rant qu’on trouve en contre­bas de l’es­pla­nade. La tem­pé­ra­ture chute brutalement.

Florence - jour 3 - 101 - Piazzale Michelangelo

Florence - jour 3 - 120 - Lungarno

L’Ar­no s’é­claire sur les lun­gar­ni et la ville semble s’en­flam­mer sous les hauts réver­bères et les monu­ments flambent au milieu de la ville. Les der­niers nuages s’es­tompent avec la nuit et je redes­cends de mon pro­mon­toire pour rega­gner l’hô­tel en repas­sant par ce petit quar­tier où l’on entend encore à cette heure une agréable musique. Le fleuve prend des cou­leurs de feu sous les lumières de la ville et au loin res­plen­dit dans la nuit, comme une lune dans un ciel de suie, une immense enseigne… Martini…

Florence - jour 3 - 122 - Martini

Épi­sode sui­vant : Lun­gar­no e Oltrar­no – Car­net de voyage à Flo­rence 7 – De fresques et de grotesques

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