Épisode précédent : Lungarno e Oltrarno – Carnet de voyage à Florence 5 – La croix et l’étoile
Ce samedi matin, je me réveille plutôt tard. J’ai l’impression que le fait de marcher me courbe de fatigue, mais une fois ma nuit terminée, je reprends du poil de la bête et je suis à nouveau d’attaque. Ce matin, j’ai pour projet de visiter le baptistère Saint-Jean (battistero di San Giovanni), qui comme son nom l’indique est dédié à l’évangéliste Jean. C’est un monument de taille assez réduite comparé à ce qui se trouve autour, notamment le Duomo, mais son origine est assez ancienne. On construit rarement un bâtiment chrétien sans raison et surtout en ce qui concerne le lieu, on procède généralement par élimination. Construire par-dessus est un exercice que les Chrétiens connaissent bien et en l’occurrence, c’est ici au-dessus des restes d’un temple dédié à Mars (rien ne vaut l’enfouissement des anciennes croyances pour les absoudre) que le baptistère fut construit, mais à l’origine comme simple cathédrale. L’aspect qu’il revêt aujourd’hui date du XIIème siècle, avec ses marbres de façade et son plan octogonal. La signification du plan octogonal prend tout son sens au regard du chiffre 7. On sait que le chiffre 7 est relatif aux 6 jours durant lesquels Dieu créa le monde, le septième étant, selon des sources bien renseignées, le jour où le Créateur se reposa d’avoir mis tout ceci en chantier. Le chiffre symbolique 8 est relatif à ce huitième jour, qui n’est ni plus ni moins que le jour du Jugement Dernier ; si je compte bien, nous sommes toujours dans le septième jour, donc jour de repos… Vue de l’esprit…
Le baptistère est donc considéré comme un pur chef‑d’œuvre d’architecture romane toscane, mais comme dans de nombreux endroits d’Italie, le seul canon acceptable en terme d’art, est le canon byzantin et pour quelques années encore. C’est la raison pour laquelle le sol ce lieu est recouvert de carrelage fait de mosaïques complexes en marbre, et le dôme de mosaïques dorées dans un style qui revêt la pureté du style byzantin. Ce qu’on appelle style byzantin se développe sur une aire géographique qui correspond à l’aire d’extension de l’Empire Romain et ne se cantonne pas à la simple Byzance, devenue entre temps Constantinople. Pour mémoire, c’est Constantin qui a défini que le Christianisme serait la religion des Romains alors que lui-même ne se fera baptiser que sur son lit de mort (c’est plus pratique pour continuer à faire des bêtises jusqu’au dernier moment). Entrer dans le baptistère Saint-Jean, c’est entrer dans le même univers que la basilique Saint-Marc à Venise ou dans Sainte-Sophie à Istanbul, nous sommes dans le même univers.
Dans cet octogone dont la perfection des lignes est un gage symbolique de la perfection divine, on peut voir sur la face interne de la coupole une mosaïque qui représente justement… le Jugement Dernier. Symbiose de la forme et de la signification. Le Christ au regard froid et vide, fixant au loin, y est représenté en Pantocrator (παντοκράτωρ) lors de la seconde parousie, Christ tout puissant dont la tête est ceinte d’un nimbe crucifère (attribut christique par excellence, représentant la Passion) — je suis devenu imbattable sur les symboles du Christianisme. Au jour du Jugement Dernier, les morts sont ressuscités et viennent en face de Dieu lui raconter leurs actes durant leur passage sur terre et y seront jugés selon les principes de la justice. Les damnés seront jetés en enfer et les justes seront propulsés vers le paradis, c’est en peu de mots la teneur de ce qui est raconté ici. L’abside rectangulaire (Scarsella) est ornée au plafond d’une roue dans le centre duquel est représenté (comme un peu partout sur Santa Maria del fiore) l’Agneau mystique, avec sur chacun des côtés Marie et Jean-Baptiste. Sur la coupole et de chaque côté du Christ, la hiérarchie céleste (Séraphins — reconnaissables avec leurs trois paires d’aile -, Chérubins et Trônes, Dominations, Autorités et Puissances, Principautés, Archanges et Anges). Ce qui est central ici, ce sont les scènes organisées autour du Christ, avec la pesée des âmes, les damnés qui sont jetés dans la géhenne, bref, toute une série de scènes horribles destinées à terroriser les fidèles. N’oublions pas non plus que nous sommes dans le baptistère et que celui-ci se trouve en dehors de l’église, car selon une vieille tradition, personne ne peut entrer dans le temple de Dieu sans avoir été sacré auparavant, donc baptisé. Si avec cela, vous n’êtes pas pris dans les griffes d’une terreur panique face à la grandeur des châtiments qui vous attendent, je ne sais pas ce qu’on peut faire pour vous…
Sur les premières basiliques chrétiennes, un passage obligé était induit par le narthex, ancêtre de l’atrium, sorte de sas d’entrée où l’on devait se faire baptiser pour entrer dans le temple. Tout se perd…
Si un jour vous vous rendez au baptistère, prenez autant le temps de regarder le sol que le plafond. Vous y verrez de superbes mosaïques de marbre, mais faites-en également le tour, pour admirer les portes de bronze de Brunelleschi mais aussi et surtout, la porte du paradis, avec laquelle Ghiberti a gagné un concours en utilisant une technique révolutionnaire de fonte qui faisait perdre la moitié de son poids à la porte, au grand dam du grand Brunelleschi, maître des lieux… Vous y reconnaîtrez également les traits de l’artiste. Cette porte, par sa majesté et la complexité de ses gravures, est un chantier colossal qui mettra 27 ans à voir son terme.
Je crois que je suis resté deux heures dans le baptistère à tout détailler, à tout décortiquer. Pour me remettre de ces parfaites émotions, il fallait bien que je retourne à la taverne du gourmet (Osterai il buongustai) pour me satisfaire d’une planche de charcuterie, d’une carafe de spumante, d’un tiramisu divin et de cantucci al vin santo, puis d’un espresso réglementaire.
L’après-midi, j’ai erré béatement dans les rues, du côté d’Orsanmichele, de la Piazza della Republica, en passant par le Palazzo Davanzati, qu’il me semble avoir déjà visité lors de ma première escapade à Florence, puis par le Palagio dei Capitani di Parte Guelfa, ancienne capitainerie des Guelfes dont sortent des messieurs habillés à la mode du trecento, portant oriflammes et épées de pacotille, dans une sorte de ballet qui me fait penser à une confrérie ancienne, dont les intentions sont parfois radicales et pas toujours très louables. Je ne m’éternise pas et je rejoins d’abord les alentours du Palazzo Strozzi (pour voir ses superbes ferronneries du Caparra) reconverti en centre culturel et artistique plus ou moins heureux, dans un quartier où l’on voit fleurir des boutiques dégoulinantes de luxe, puis je vais vers la Piazza SantaTrinita encore nimbée de soleil. La basilique éponyme est de toute beauté, la façade taillée dans un très pur style maniériste est légèrement abimée, ce qui lui confère un certain charme. A l’intérieur, on peut trouver des fresques de Domenico Ghirlandaio, enfin, si on arrive à se caler entre deux messes, ce qui n’est pas évident.
Ce soir, j’avais décidé de profiter de la nuit européenne des musées pour visiter le musée des Offices de nuit, mais l’actualité en a décidé autrement. Un attentat a frappé la ville de Brindisi, tuant une lycéenne et blessant gravement plusieurs autres. Le ministère de la culture a donc décidé d’annuler toutes les manifestations culturelles ce soir là, m’interdisant de pouvoir profiter de ce moment unique. Comme on dit en arabe, mektoub !
Dans la fin d’après-midi, vagabond des bords de l’Arno, je m’engage le long du fleuve sur le Lungarno, puis sur l’Oltrarno que je rejoins en prenant le laid Ponte alle Grazie. On peut aller, en prenant un chemin montant, sur les hauteurs de la ville, loin du tumulte et de la pollution, tout près des chemins bordés de cyprès. Je m’arrête dans une toute petite épicerie où j’achète une bouteille d’eau et du prosciutto alle erbe (jambon aux herbes) que je mange en chemin comme d’autres mangent un quignon de pain avec du chocolat pour se requinquer. Il fait bon, l’air et doux, je m’enfonce dans un quartier aux rues étroites dans lesquelles ont peut entendre de la musique et sentir l’odeur d’une bonne cuisine à l’huile d’olive et à l’ail, ça sent la bonne humeur et la joie de vivre. Je m’engage dans la Via San Miniato et je continue sur la Via del Monte alle Croci où je trouve des panneaux détournés.
La rue monte vers un escalier qui n’est ni plus moins qu’un chemin croix (via crucis) que certains fervents se sont très certainement amusés à gravir un jour sur les genoux… c’est le Viale Galileo Galilei qui borde un jardin absolument magnifique, le jardin des roses (Giardino delle Rose), dans lequel on trouve, outre un très bel agencement, des statues d’un monsieur qu’on connait bien ici, en France (même s’il est belge), Jean-Michel Folon. En se retournant, on commence à apercevoir la vue magnifique que l’on a sur la ville de Florence, Lungarno et Oltrarno. On arrive ensuite sur la Piazzale Michelangelo, une gigantesque esplanade où trône une copie du David de Michel-Ange. Il faut dire ce qui est, le lieu est magique ; on y croise de jeunes amoureux qui se bécotent appuyés contre la rambarde, des étrangers de tout crin qui viennent écouter une guitariste qui se débrouille plutôt pas mal ou tout simplement regarder le soleil se coucher sur l’Arno.
D’ici on voit, tout le vieux Florence, l’ombre du beffroi qui se découpe sur les collines ondulantes de la douce Toscane, un ciel orangé déchiré par les nuages, les hautes cimes des cyprès, la foison des toits et puis le Duomo dont on voit bien que la base de sa coupole n’est pas terminée ; il manque du parement, ce qui n’est pas pour lui donner un air coquin. Des oiseaux tournent autour des clochers tandis que les cloches volent à tout vent pour sonner l’heure, le soleil se reflétant sur les arbres desquels se dégage comme une sorte de brouillard. Je prends le temps en mangeant une petite pizza et en sirotant un mojito pendant que l’astre plonge derrière les collines au petit restaurant qu’on trouve en contrebas de l’esplanade. La température chute brutalement.
L’Arno s’éclaire sur les lungarni et la ville semble s’enflammer sous les hauts réverbères et les monuments flambent au milieu de la ville. Les derniers nuages s’estompent avec la nuit et je redescends de mon promontoire pour regagner l’hôtel en repassant par ce petit quartier où l’on entend encore à cette heure une agréable musique. Le fleuve prend des couleurs de feu sous les lumières de la ville et au loin resplendit dans la nuit, comme une lune dans un ciel de suie, une immense enseigne… Martini…
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