Épisode précédent : Lungarno e Oltrarno – Carnet de voyage à Florence 4 – L’errance
Florence est une ville qui permet qu’on se perde sans avoir peur, sans craindre quoi que ce soit. Je ne sais pas ce qui pourrait être le pire à Florence. Ce midi là, en sortant du restaurant, l’estomac gonflé de produits du crû, l’air un peu perdu et absent, encore un peu absorbé par les vapeurs du spumante, je passe par la Piazza della Signoria et je m’éclipse dans les petites rues. Je n’ai aucun but pour cet après-midi, rien de spécial, quelques idées qui traînent ça et là.
Je me retrouve au pied de la Badia fiorentina dans laquelle je suis entré la veille pour retrouver cette impression de paix qui m’a saisi. La lumière entre par des fenêtres hautes qui donne au lieu une touche irréelle, quelque chose du divin qui viendrait s’interposer entre l’église et moi. Je m’assois là quelques instants pour goûter ce silence qui n’existe nulle part ailleurs sur terre.
J’aurais aimé visiter le cloître des orangers (Chiostro degli Aranci) qui se trouve derrière et qui parait-il vaut le coup avec ses fresques représentant la vie de Saint-Benoit, mais c’est fermé pour je ne sais quelle raison fallacieuse. Et d’ailleurs, la Badia est fermée elle aussi et le jeune prêtre me prie gentiment de quitter les lieux pour qu’il puisse passer l’aspirateur. Je sors à contrecœur et j’enquille la via dei Lavatoi pour arriver sur une toute petite place où se trouve une église massive et… fermée. En face, un glacier ouvre ses portes sur un étalage monstrueux, plein de couleurs et de senteurs froides qui enchantent mes papilles que je pensais endormies après ce bon repas. Je ressors de là avec une triple glace divine et c’est une fois sorti du magasin que je me rends compte que je viens de commettre un pêché de gourmandise dans la plus célèbre des institutions glacières de Florence : Vivoli. On ne pourra pas me taxer de suivre la mode, mais bien plutôt mes instincts. Je remonte ensuite sur la via Giuseppe Verdi où je trouve un photomaton à l’ancienne posé comme ça dans la rue et je tourne à droite sur la via Pietrapiana à l’angle où se trouve la poste principale. Le bâtiment semble tout droit sorti de l’époque fasciste. Une longue rangée de banc à l’intérieur laisse voir la misère florentine, crasse, alcoolisée, paranoïaque… Le spectacle qu’offre désormais toute ville de la modernité.
En continuant cette rue, on trouve une loggia, terme qui n’a pas vraiment d’équivalent en français (loge, halle ?), un bâtiment ou plutôt un édicule tout en longueur constituant une arcade tout en finesse qui a la particularité de n’être adossée à rien. C’est la Loggia del Pesce que Vasari lui-même a construit, mais pas tout à fait à son emplacement actuel. Comme son nom l’indique, elle fut destiné à accueillir les poissonniers qui avaient été virés des environs du Ponte Vecchio lorsque le peintre et architecte y construisit le corridor éponyme.
La rue débouche sur une placette pleine de vie où se trouve la petite église Sant’Ambrogio, un bâtiment austère sur les marches duquel se vautrent trois miséreux et une bande de punks à chien qui fait la manche. A l’intérieur, des fresques abimées attribuées à Masaccio, Lippi ou Botticelli, mais dont les originaux les plus sensibles sont enfermés aux Offices. Encore une fois, je me fais virer du lieu comme un malpropre parce que le prêtre va prononcer une messette pour trois pelés et une classe de collège qui est venue là faire amende honorable.
A deux pas d’ici se trouve le quartier juif de Florence, avec son immense synagogue (Tempio Maggiore Israelitico) dont on voit l’immense coupole verte de loin, pareille à celle d’un duomo dans le paysage florentin. Comme dans toutes les grandes villes européennes, la communauté juive a été accueillie à bras ouverts lorsqu’il s’agissait de concurrencer les usuriers locaux, puis chassée avec violence de manière générale, que ce soit par bulle papale ou manu militari… A Florence, les Juifs ont été cantonnés au ghetto comme dans la plupart des villes italiennes, lequel ghetto fut détruit lorsqu’il s’est agi de construire la Place de la République (Piazza della Repubblica). Hasard de la marche, j’apprends que c’est précisément sur cette place que se trouvait initialement placée la Loggia del Pesce que j’ai vu tout à l’heure. Je comptais visiter la synagogue, mais c’est sans compter qu’on est vendredi et qu’elle ferme à 14h00… Ben oui, ce soir c’est Chabbat… Encore une fois, je me maudis de n’avoir pas regardé les horaires. Je continue d’errer dans le quartier juif où presque tous les magasins sont fermés et où règne une atmosphère lourde. Je redescends ensuite vers l’Arno en empruntant la Via de’ Macci qui débouche derrière Santa Croce, fermée elle aussi à cette heure-ci… Sans commentaire.
Je tombe sur un scène d’horreur : une armée de Chinois est entraînée au pas de course dans cette rue par un garde-chiourme portant un parapluie fermé pointé vers le haut. Ses suivants, la bouche parfois recouverte d’un masque de chirurgien (je me suis demandé un moment si ce n’était pas des Japonais tant le mimétisme était fort), trottinaient derrière lui, prenant des photos de cette rue sans intérêt, ou marchant en filmant avec un caméscope miniature. J’en reste sans voix. Mais le pire est à venir… On les engouffre dans une franchise, un magasin lumineux dans la devanture duquel se trouvent des sacs à main en cuir d’un goût absolument douteux, des ceintures, des vestes en cuir colorées. Comble de l’horreur, je constate que toutes les étiquettes de la vitrine sont écrites en mandarin, pas un seul mot d’italien, et les vendeuses sont également chinoises. Je dois avouer que je n’avais jamais vu ce genre de choses mais plus qu’outré, je crois surtout que j’ai du mal à comprendre ce qui se joue ici. Je me sens un peu révolté, mais la colère retombe et je finis par m’amuser de voir ces idiots se faire plumer dans un magasin où le cuir a dû être transformé dans des ateliers sombres des villes de moyenne importance de la Chine profonde…
Sur la place immense de Santa Croce, j’admire la statue de Dante Alighieri. Relativement récente (1865), elle représente le poète drapé à l’antique dans sa cape et la tête ceinte de laurier, le regard grave, la mine pénétrée. C’est une très belle statue taillée dans un marbre de Carrare veiné très pur. Je retourne vers la Piazza della Signoria où j’entre dans la cour pour voir les décorations de la première cour (cour de Michelozzo), les colonnes finement ouvragées, les fresques de Vasari et le Putto con delfino d’Andrea del Verrocchio.
Je me rends compte que l’intérieur de cette cour est également décorée de ce symbole qu’on trouve partout dans la ville et plus loin dans le monde, qui consiste en un blason décoré de cinq boules rouges et une bleue, représentant les pilules que confectionnaient les apothicaires, d’où vient le nom Medici… Je continue mon chemin en passant à nouveau sur le Ponte Vecchio en me rendant compte que figure en son milieu le buste d’un de mes personnages préférés qui reste attaché à la ville : Benvenuto Cellini. Une fois passé le pont, je suis Oltrarno… de l’autre côté de l’Arno.
Les Italiens disent qu’Oltrarno est le quartier de la fiorentinità, l’esprit Renaissance de la ville, ce qui reste le plus traditionnel, la douceur de vivre dans des rues étroites et sur des placettes dont les terrasses des restaurants se remplissent le soir arrivant. Je sais qu’à cette heure-ci je ne risque plus de trouver quoi que ce soit d’ouvrir en terme d’églises ou de monuments, mais je m’enfonce dans le cœur de cette autre ville, jusqu’au Palazzo Pitti et sa place parfaitement impersonnelle. En fait, ce palais me met mal à l’aise, je n’aime pas son architecture massive au bossage rustique et aux fenêtres aveugles. Je sais qu’il renferme des collections de tableaux magnifiques, mais ce sera dans une autre vie, le moment est au vagabondage dans les rues étroites où les volets fermés sur les fenêtres s’ouvrent aussi bien de l’intérieur vers l’extérieur que de bas en haut. Les étages montrent des hauteurs sous plafond impressionnantes. Je marche jusqu’à la place qui se trouve devant la basilique Santo Spirito que le soleil de la fin d’après-midi vient frapper pour donner à la façade nue une couleur d’or. Je prends ici le temps de m’asseoir sur les marches pour regarder les gens vivre, boire bruyamment à la terrasse du restaurant d’en face, souffler un peu, reposer mes pieds endoloris… Puis je repars dans le dédale des petites rues dans lesquelles le soleil a du mal à se faufiler, pour sortir d’Oltrarno par le Ponte Santa Trinita, l’autre grand pont de Florence sous les arcades centrales duquel se trouvent deux têtes de bélier, animal guerrier qui d’un côté du pont protège la ville des crues du fleuve, de l’autre côté des envahisseurs. On retrouve d’ailleurs ces têtes de bélier, si l’on prend le temps d’observer les détails d’une ville, sur le socle de la statue de Cellini sur le Ponte Vecchio.
Le soir arrivé, je trouve un petit restaurant sarde au pied du Duomo, Via delle Oche, qui s’appelle Terra Terra, où fleurent bon des noix de jambons suspendues au plafond et des gousses d’ail. Je me fais servir une planche (impossible de me souvenir du nom que portent ces plats qu’on vous sert sur une planche…) de charcuterie et l’autre de fromage, le tout arrosé (encore, j’avoue) de Chianti. En dessert, je ne passe pas à côté de ces spécialités sardes qui ne sont autres que des cantucci trempés dans du vin santo. On ne se refuse rien, on n’est pas là pour rigoler.
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