Épisode précédent : Lungarno e Oltrarno – Carnet de voyage à Florence 6 – Du baptême au chemin de croix
Au matin du dernier jour, la fatigue est là et bien là. Toutefois, je suis réveillé tôt et je constate avec un peu de tristesse en regardant par la fenêtre qu’il pleut légèrement. Le temps que je prenne une douche rapide et que je m’habille, tout a déjà séché mais le temps reste gris et pas très engageant. Il reste un peu de temps avant que le petit déjeuner soit servi alors je prends mes jambes à mon cou pour m’évader de ma cellule et filer voir Florence avant que la vie ne prenne un mauvais tour. Je m’étais dit que j’aurais bien aimé un matin voir le soleil se lever sur l’Arno mais ce n’est pas demain la veille.
En attendant, je me faufile dans l’arrière-cour de Florence, au travers de petites rues pour déboucher sur une grande place dont je me souviens parfaitement ; la Piazza della Santissima Annunziata (Place de la Très Sainte Annonciation) que je connaissais déjà et qui passe pour être une des places les plus hautement stylisées de toute l’Italie. Lorsqu’on s’y trouve, il peut s’en dégager une impression de malaise face à cette froideur rigoureuse, à une absence d’humanité et de vie qui est loin d’être plaisante, mais il faut avouer qu’il émane une sensation de perfection architecturale de cet ensemble. Pas vraiment étonnant quand on sait que derrière tout ceci se cache, encore une fois… Filippo Brunelleschi. Les trois principaux bâtiments de cette place sont la Basilica della Santissima Annunziata, l’Hôpital des Innocents (Spedale degli Innocenti), et la Loggia dei Servi di Maria.
Piazza della Santissima Annunziata in Florence
A l’heure à laquelle j’arrive, il n’y a pas un chat. Je peux à loisir regarder les médaillons bleus du céramiste Andrea della Robbia représentant des nourrissons emmaillotés sur la façade de la loggia de ce qui n’est pas moins que le premier orphelinat d’Europe, l’Hôpital des Innocents, dessiné par Brunelleschi. J’entre dans la Basilique de laquelle commencent à entrer et sortir des gens très motivés… Il est à peine 8h00. L’entrée est immédiatement happée par un cloître couvert par une grande verrière destinée à le protéger. C’est le Chiostro dei Voti, là où étaient exposés les ex voto offert en remerciement aux vœux exprimés à la Très Sainte Annonciation. Un Roumain me voit venir à des kilomètres et en même temps qu’il range dans son blouson sa bouteille de bière, il m’apostrophe en me réclamant agressivement de l’argent. Manque pas de culot celui-là. Je l’envoie balader… en français.
Basilica della Santissima Annunziata 1 in Florence
L’intérieur de l’édifice est lourdement baroque, fait de pierre bleue et de caissons dorés, la nef est lardées de chapelles toutes plus surchargées les unes que les autres. Je dois dire que dès le matin, j’ai comme une impression de trop plein et je ne savoure pas vraiment mon plaisir. A l’entrée, à gauche, se trouve une chapelle particulièrement chargée, surmontée d’un chapiteau et n’osant trop m’approcher du sanctuaire où une petite foule d’illuminés est en dévotion, je n’arrive pas à distinguer l’objet de leur vénération. J’apprends plus tard que c’est une fresque prétendument miraculeuse et d’un intérêt artistique relatif. La Très Sainte Annonciation est ici, précisément, on aurait pu s’en douter. C’est un anonyme de 1350, précurseur des annonciations du Quattrocento, mais dont je n’ai aucune idée des miracles dont il est coupable.
Il est tôt et malgré l’atmosphère un peu lourde, un peu austère qui règne ici, je me sens plutôt à mon aise, parmi des gens qui ne sont pas là pour regarder ce qui se passe mais des gens qui sont là parce qu’ils y trouvent un intérêt, même si ce n’est pas sur ce point que nous pouvons nous rassembler. A la sortie, le Roumain m’attend et semble avoir déjà oublié que je l’ai envoyé bouler il y a une demi-heure. Rebelote.
La lumière sur la place est magnifique, et je capture un moment de félicité sur la place avec en arrière plan le Duomo. Je retourne à l’hôtel prendre mon petit déjeuner et boucler ma valise. Le type de l’accueil me permet de laisser la valise à l’accueil jusqu’à cet après-midi.Je n’ai plus beaucoup de temps devant moi alors je file à San Lorenzo car il y a une chose que je n’ai pas vue : les Cappelle Medicee (Chapelles Médicis).
Sous ce nom qui caractérise bien l’emprise séculaire d’une famille sur un ville qui en est sortie grandie se trouve trois chapelles privées que les Médicis se sont fait construire au chevet de la basilique et par lesquelles on entre depuis la Piazza Madonna degli Aldobrandini : la Nouvelle Sacristie (Sagrestia Nuova), la Chapelle des Princes (Cappella dei Principi), et la Chapelle du Trésor. Ce ne sont pas à proprement parler des chapelles, mais bien plutôt des monuments grandiloquents d’autosatisfaction et de dévotion à cette famille. Le moins qu’on puisse dire c’est que ce n’est pas la modestie qui devait les étouffer. La chapelle du Trésor en contrebas est un espace oppressant lardé de sarcophages de la famille princière et de reliquaires en orfèvrerie de saints plus ou moins connus, dans une atmosphère un peu sordide. A l’étage, la Chapelle des Princes contient les sarcophages des six ducs de Florence, pour certains surmontés de statues colossales en bronze, le tout dans un écran de marbres sombres et de mosaïques de pierres dures. Il a été question à une époque que cette chapelle abrite rien de moins que le Saint-Sépulcre, le tombeau du Christ, dans un projet que de vives négociations avec le gouvernorat turc de Jérusalem finirent par faire tomber à l’eau.
La chapelle de la Nouvelle Sacristie (Sagrestia Nuova) contient deux superbes sépultures, toutes les deux réalisées par Michel-Ange. Les deux allégories que compte chacune des tombes sont du purs chefs‑d’œuvre du maître, des exploits défiant la loi de la gravité et d’une expressivité intrigante. Ceux qui sont enterrés ici sont les représentants de la famille: Laurent d’Urbin et Julien de Nemours. Dans deux sarcophages parfaitement modestes se trouvent les corps de Laurent le Magnifique et de son frère.
Je file ensuite vers la gare pour visiter la basilique Santa Maria Novella, qui fière et austère montre ses murs sombres à l’arrière et une façade (que l’on doit à Leon Battista Alberti) éclaircie par une mosaïque de marbres noirs et blanc lui donnant un aspect parfaitement symétrique. Sur cette place avaient lieu autrefois des courses de chevaux sur l’espace matérialisé par deux obélisques et qui, malgré des dimensions beaucoup plus modestes, n’est pas sans rappeler l’hippodrome de Constantinople.
L’intérieur présente certaines des œuvres les plus connues de Florence. On trouve ici la superbe croix de Giotto, un crucifix doré représentant le Christ souffrant dans une attitude nouvellement réaliste. Placée en hauteur dans le transept, éclairée par un faisceau de lumière, la croix semble flotter dans l’air froid de l’immense église.
L’autre œuvre grandiose de cette église, c’est la Cappella Tornabuoni qui occupe tout l’espace se trouvant derrière le chœur de l’église. Cette fresque immense que l’on doit à Domenico Ghirlandaio porte le nom de ses commanditaires et raconte la vie de Saint Jean-Baptiste d’un côté, celle de Marie de l’autre, et au centre, celle de Saint Dominique, saint patron de l’église puisque la basilique fait partie du couvent dominicain, le tout dans un style strictement Renaissance et surtout, strictement florentin et parfaitement conservé.
Mais le chef d’œuvre ultime du lieu, c’est la Trinité de Masaccio qui mériterait à elle seule tout un chapitre tellement on est en face d’une œuvre forte et hautement symbolique. Son histoire est d’autant plus intéressante qu’elle a été préservée du regard et des dégradations du temps pendant des centaines d’années.
Je contourne ensuite la gare pour redescendre vers l’Arno, en comptant bien voir l’église Ognissanti (église de tous les saints), une drôle de petite église à façade baroque et campanile roman dans laquelle se sont exprimés Ghirlandaio mais aussi Botticelli, mais nous sommes dimanche matin et je me rends compte en regardant la porte ouverte de l’église que l’office qui s’y déroule m’interdit de facto de pouvoir la visiter, mais ce n’est pas grave ; ce que je vise se trouve de l’autre côté de l’Arno. C’est une église qui, d’où l’on est, ne présente qu’un chevet percé de trous de boulin et un dôme simple. L’intérieur recèle une des plus belles fresques de toute l’Italie. A l’intérieur de Santa Maria del Carmine se trouve la très belle et très célèbre Cappella Brancacci. Masaccio, Masolino, Filippino Lippi, trois noms de maîtres pour un lieu parfaitement hors du temps, exceptionnel, racontant d’un côté la vie de Saint Pierre, de l’autre le Pêché Originel, mettant en scène Ève et Adam chassés du Paradis, d’un côté par Masaccio, de l’autre par Masolino. A vous de décider celui que vous préférez.
Je regarde l’heure, je regarde mon guide, je regarde la statue de Carlo Goldoni que le sculpteur a parfaitement avantagé en le membrant dignement et je me rends compte que l’église sera fermée lorsque j’y arriverai. Encore une fois, je me maudis d’avoir si mal préparé. Il me reste un peu de temps et ce temps-là, je vais le consacrer à ce que je pensais ne pas avoir le temps de visiter pendant ce voyage : le Palazzo Vecchio.
La visite commence par la Salle des Cinq-Cents (Salone dei Cinquecento) dont le plafond en caissons a été peint par Giorgio Vasari, dont on sent qu’il est le véritable maître des lieux. Les scènes monumentales représentant les victoires florentines lui sont également attribuées, sauf une qui a été peinte par Leonardo da Vinci lui-même. La visite se poursuit dans un ensemble de salles et de chapelles toutes plus belles les unes que les autres, aux plafonds majestueux, au sol fait de mosaïques de terre cuite et de pierre, aux murs recouverts de fresques sépia (au passage j’arrive même à trouver entre deux scènes un chien nous montrant son cul et déféquant au pied du David de Michel-Ange ; le commanditaire a‑t-il vu ça ?) dont j’ai oublié le nom, l’ordre et l’auteur, mais je me laisse envahir par ce temple de beauté et surtout, par l’expression la plus fine de l’art grotesque… Cet art, strictement renaissant est né de la découverte de la Domus Aurea (Maison dorée), l’antique palais de Néron redécouvert à cette époque pleine de détritus et de terre. Une entrée permettait d’y accéder à hauteur des plafonds, sur lesquels étaient dessinées ces formes dont le style se retrouvera dans les palais florentins. Avant qu’on sache réellement que ce palais était le palais de Néron, on appelait ce lieu la grotta (la grotte), d’où le mot grotesque.
Je tombe particulièrement en admiration devant les fresques de Bronzino dans la chapelle d’Éléonore de Tolède où des masques terrifiants viennent faire contrepoids face aux trois visages de la Trinité. Une représentation du démon est également parfaitement glaçante. J’ai également pu avoir la chance de voir la très belle sculpture de Donatello, Judith et Holopherne, d’une expressivité et d’une finesse qui font de ce bronze une des plus belles représentations de ce passage de la Bible. J’en ai plein les yeux et la visite se termine dans le salon de géographie où des cartes plus que centenaires sont exposées derrière d’épaisses vitres. La boucle se boucle tandis que je tombe sur deux cartes représentant… Istanbul.
Je n’ai plus le temps de déjeuner, je mangerai dans l’avion, alors je file à l’extérieur, je sais où je vais : Fabriano, une papeterie dont on retrouve trace jusqu’en 1264 dans laquelle je manque de faire tomber ma carte bancaire dans un coma profond. Pas vraiment le temps de réfléchir, il faut que je rejoigne l’hôtel pour retrouver ma valise et faire appeler un taxi qui m’emmène en quelques minutes seulement à l’aéroport international (hum) Amerigo Vespucci. Le hall des départs ressemble plus à un entrepôt qu’à un aéroport. Le vol est prévu sur une compagnie low cost, Vueling, sur un Airbus A319 flambant neuf, où je prends une collation rapide servie par de très jolies hôtesses espagnoles.
J’ai l’impression, en me délassant dans l’avion, d’avoir couru pendant quatre jours et je goûte à ce moment de calme qui revient. Trois quarts d’heure avant l’atterrissage, je vais aux toilettes et la carlingue commence à vibrer dans tous les sens. En quelques secondes, je me retrouve les pieds décollés du sol et la tête qui vient cogner contre l’arrondi du fuselage… Je rejoins ma place en quatrième vitesse et je m’attache car la zone de perturbation que l’on traverse est sévère. Même l’hôtesse qui s’assied non loin de moi ne montre pas spécialement de signes d’apaisement.
Heureusement, j’arrive à Orly sain et sauf et je prends le RER pour rentrer. Dans le train, la valise roulant entre mes jambes, je reçois un texto de ma collègue Béatrice qui me demande si tout va bien et si je suis bien de retour… A peine reçu, j’en reçois un autre de ma mère qui me dit qu’il y a eu un tremblement de terre dans le nord du pays. Un attentat, un tremblement de terre, et dire que je me plaignais de ne pas avoir suffisamment bien préparé mon séjour…
Voir l’intégralité des photos de ce dernier jour à Florence sur Flickr…
Tags de cet article: Florence, Italie