La magie et la présence des esprits vient la plupart du temps de toutes ces histoires que nous n’arrivons pas à expliquer et pour lesquelles il faut bien une explication, car Natura abhorret a vacuo, la nature a horreur du vide, rien n’est sans raison, alors seuls le grand Gengis Khan et ceux de sa lignée peuvent accomplir leur destinée là où les autres périront. Sauf si on est un géologue averti comme l’était Ossendowski…
« Pourquoi cette région a‑t-elle attiré tous les puissants empereurs et les khans qui régnèrent du Pacifique à l’Adriatique ? » me demandais-je. Et je pensais en moi-même que ce ne pouvaient être ni les montagnes arides, ni les vallées couvertes de mélèzes et de bouleaux, ni les vastes étendues sablonneuses, ni même les lacs retirés et les rochers stériles.
Les grands empereurs, se souvenant de la vision de Gengis Khan, on cherché ici de nouvelles révélations ; ils ont attendu que se réalisent les prédictions touchant à sa miraculeuse et majestueuse destinée, cette destinée sur laquelle se sont cristallisés les honneurs divins, l’obéissance et la haine. Où pouvaient-ils mieux entrer en relations avec les dieux, les bons et les mauvais esprits qu’ici même où ils demeurent ? La région de Zain, couverte de ces anciennes ruines, était un lieu prédestiné.
– Seuls peuvent faire l’ascension de cette montagne ceux qui sont issus en droite lignée de Gengis Khan, m’expliqua le Pandita. A mi-hauteur l’homme ordinaire suffoque, et s’il veut s’aventurer plus haut, il meurt. Il y a quelques temps, des chasseurs mongols poursuivaient une meute de loups sur la montagne ; quand ils eurent atteint cette région, tous périrent. Sur les flancs gisent des ossements d’aigles, de moutons et de ces antilopes kabarga, qui courent légères et rapides comme le vent. C’est là qu’habite le mauvais démon qui possède le livre des destinées humaines.
Je possédais pour ma part une réponse à ce mystère : dans le Caucase occidental, j’avais gravi une montagne, située entre Soukhoum Kalé et Toupsei, sur laquelle venaient mourir les loups, les aigles et les chèvres sauvages. Les hommes y périraient aussi s’ils ne traversaient cette région à cheval. Le terre en effet produit de l’acide carbonique dont les émanations détruisent toute ville animale. Le gaz s’attache au sol, formant une couche d’environ cinquante centimètres d’épaisseur. Les cavaliers quand ils passent dominent cette couche ; leurs chevaux redressent la tête, s’ébrouent et hennissent, car ils sentent le danger. Ici au sommet de cette montagne où le mauvais démon parcourt le livre de la destinée humaine, c’est le même phénomène qui se produit. C’est lui qui explique la peur sacrée des Mongols et l’inexorable attrait qu’il exerce sur les descendants de Gengis Khan, hauts de taille, presque géants. Leurs têtes altières dominent les couches de gaz empoisonné, si bien qu’ils peuvent atteindre sans mal les cimes de cette terrible et mystérieuse montagne. Pour le géologue, il ne s’agit que de la limite méridionale des dépôts houillers qui produisent l’acide carbonique et le gaz des marais.
Ferdynand Ossendowski, Bêtes, hommes et dieux
A travers la Mongolie interdite, 1920–1921
Editions Phebus Libretto